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Articles taggués ‘J’ai inauguré IKEA’

Chère Annie Ernaux

28/04/2014 2 commentaires

regardeleslumieresmonamour

J’ai écrit à Madame Annie Ernaux.

Fabrice Vigne
11 rue du Champa
38450 Le Gua

À l’attention de Mme Annie Ernaux
via MM. Rosanvallon et Peretz
« Raconter la vie », éditions du Seuil
25, boulevard Romain Rolland
75014 Paris
Le Gua, le 19 avril 2014

Madame Ernaux

Je lis de longue date et avec passion votre œuvre. Je me suis précipité sur votre dernier, Regarde les lumières mon amour, pour une seconde raison : l’attrait, lui aussi invétéré, et non exempt d’ambiguïté, que j’éprouve pour les hypermarchés, pour les grandes surfaces qui les hébergent.

Parmi vos observations sociologiques et psychologiques, intimes autant que générales, humaines en somme, je me « suis retrouvé », comme on se retrouve régulièrement, fatalement, dans les travées des hypers, lieu commun aussi bien que non- lieu.

Mes propres usages de supermarché (en tant que client, bien sûr, mais également en tant que salarié, puisque j’ai quelque temps empilé des produits dans les rayons entretien et animalerie d’un Intermarché ; et en tant que voleur à l’étalage pincé par un vigile – deux expériences de jeunesse, remontant à plus de vingt ans) recoupent largement votre récit.

Si je devais y apporter une touche supplémentaire, ce serait pour évoquer le supermarché comme lieu érotique, puisqu’il est lieu de rencontre et de croisement, de frôlements. Je crois cet aspect non négligeable, quoiqu’un peu ridicule (je pense au Dragueur des supermarchés de Jacques Dutronc : Le chéri des libres-services/Qui libère les prix et les cœurs/Celui qui porte les paniers/Et qui s´occupe de vos bébés/Le Don Juan des ménagères/Avec son cœur de camembert…)

Je me souviens, lorsque j’étais jeune et employé de la grande distribution, des rapports de séduction, sinon de flirt, entre les caissières (à cette époque et en cet endroit, uniquement des femmes assises) et les manutentionnaires (presque uniquement des hommes debout) ; encore aujourd’hui, je me rends compte que, en plus des deux critères que vous mentionnez pour arrêter le choix de la caisse vers laquelle on va engager ses provisions (on évalue mentalement à la fois le volume du Caddie devant nous, et l’efficacité de la caissière), s’ajoute presque inconsciemment un troisième : j’opterai le cas échéant pour la caissière la plus jolie, alors même qu’il n’y aura aucun contact véritable, juste pour le plaisir de voir passer mes marchandises entre des mains liées à un joli visage. Aujourd’hui, on rencontre beaucoup de caissiers parmi les caissières, donc j’imagine que ces rapports de séduction superficielle, « valeur ajoutée » de la circulation des marchandises, sont susceptibles de concerner tous les sexes et toutes les préférences sexuelles.

Mais surtout, si je vous écris aujourd’hui, c’est que votre livre m’a frappé par ses similitudes avec un bref texte que j’ai moi-même écrit en 2007, dans un magasin IKEA. L’intention était différente, puisque je ne comptais pas en faire un livre – c’est le graphiste avec qui je travaillais alors, Patrick Villecourt, qui a eu l’idée d’en faire un « livre », en réalité un livre-objet ludique, un livre en kit, pastiche « afin de détourner le langage de l’adversaire » selon ses propres termes. La tonalité de mon J’ai inauguré IKEA est également distincte de votre Regarde les lumières mon amour, puisque j’ai glissé, conformément sans doute à ma nature, vers un traitement grotesque, un traitement en farce absurde, tandis que vous êtes sensiblement plus bienveillante (et en conséquence plus profonde, je crois). Cependant la « méthode » était bien identique : pénétrer dans un grand magasin, noter scrupuleusement  ce qu’on y voit et entend, afin de comprendre ce qui nous relie aux autres, et aux choses.

Je me fais une joie de vous offrir ci-joint un exemplaire de ce « livre » à monter soi-même. J’espère qu’il vous intéressera sur son fond, et qu’il vous distraira par sa forme.

Je joins en outre un second livre, Double tranchant, que j’ai réalisé avec le peintre Jean-Pierre Blanpain. Celui-ci est une fiction, le monologue d’un artisan coutelier, et n’a presque rien à voir… si ce n’est qu’en ce moment je tourne avec des musiciens un spectacle adapté de ces deux livres, et que la version scénique tente de rendre explicites les points communs du diptyque, la fabrication, la circulation, la consommation des objets.

Avec mon admiration, mes bien sincères salutations.

Fabrice Vigne

Post-scriptum : J’ai puisé dans votre livre des références littéraires que je ne manquerai pas d’explorer, Contrecoup de Rachel Cusk cité dans l’épigraphe, et De jeunes corps de Jon Raymond.
Réciproquement peut-être serez-vous intéressée par une liste de « films de supermarchés » que j’avais tenté de dresser il y a quelques années sur mon blog ?

Je vous dirai si elle me répond.

Sommes-nous seuls dans l’univers ?

26/02/2014 Aucun commentaire

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Envoyé spécial dans les bistrots. C’était le titre, la mission, le sacerdoce, que revendiquait Jean-Marie Gourio lorsqu’il publiait dans la presse ses Brèves de comptoir, cet irremplaçable compendium perpétuel de la sagesse populaire. Gourio se fondait dans la masse limonadière, salut patron comme d’habitude, buvait un verre afin de rayonner la même couleur que les autochtones, technique du caméléon, et retranscrivait tout ce qu’il entendait. Attention, piliers du bar au coin de la rue : votre voisin est peut-être un envoyé spécial incognito. Vous ne savez pas qui vous écoute. C’est comme les livres que vous écrivez, vous ignorez qui les lit.

Samedi 22 février, j’ai eu le plaisir de donner une représentation du spectacle Double tranchant et son double, en compagnie de Christophe Sacchettini et Norbert Pignol, au Café des voyageurs, bistrot vivant, les Saillants du Gua. Or un envoyé spécial était présent dans le public, Vincent Bocquet. Celui-là même qui jadis, dans une revue qui n’existe plus, écrivit à propos de mon premier livre un compte-rendu parmi les plus délicats, les plus sensibles que j’ai eu la chance de lire, ce petit miracle quand, contre toute attente, on sait finalement qui lit vos livres et comment. C’est dire comme j’étais curieux de connaître l’avis de Vincent sur ma prestation.

Il ne m’a pas donné son avis. Il a fait mieux. Il a rédigé le texte ci-dessous. Je reconnais sans mal ce style, ce fourmillement d’impressions solitaires et de sensations chavirées, cette objectivité impossible comme une mélancolie, cet état second du voyageur déporté, ce reportage gonzo à la Hunter Thompson, cette fleur-de-peau avide et anxieuse du moindre contact. J’ai inauguré IKEA, l’une des deux sources de ce spectacle, avait été écrit ainsi en 2007, ni plus ni moins, autre traversée de l’univers dans l’espoir de n’y être pas seul. Au fond, ce qu’on peut trouver de mieux dans un bistrot, c’est la fraternité. Merci Vincent.

(Sinon, pour avoir d’autres nouvelles d’IKEA, tout aussi intéressantes, c’est ici.)

Une soirée littéraire aux Saillants-du-Gua

Le samedi soir, je regarde la télé. C’est bien.

Mais le samedi 22 février 2014 au soir, on avait chamboulé mon programme. Des voisins m’ont proposé d’aller écouter une lecture de deux textes de Fabrice Vigne au Café des Voyageurs. Dans l’ordre :

Des voisins : Marie est ma voisine depuis dix ans. On se connaît peu, mais c’est quelqu’un d’énergique ; elle était comme destinée à l’organisation de cette soirée. En effet, Marie aime la littérature, particulièrement la littérature américaine, dont elle parle avec simplicité et élégance. Autrefois, avant d’enseigner l’anglais (ce qui est déjà une manière de voyager), elle a travaillé dans l’aviation commerciale. Je m’autorise cette incursion dans le passé de Marie seulement parce qu’elle même y a fait allusion lors de la discussion qui a précédé les lectures. La littérature et les voyages. Plus l’énergie. Il fallait que ce soit elle. Marie a réuni un petit groupe de voisins et d’amis. Nous sommes sept.

Deux textes : un texte est un ordonnancement de mots qui doit un peu à l’intervention d’un auteur (voir plus loin, Fabrice Vigne), un peu à l’inspiration (la critique contemporaine a beaucoup minoré cet ingrédient), et le reste à une combinaison de plus en plus improbable de facteurs sociologiques variés (il y a des thèses en grand nombre là-dessus, il suffit au curieux de se pencher un peu sur la question).  Comme les lapins qui ont chacun leur caractère, les textes, au-delà de ces définitions formelles, ne se ressemblent pas les uns aux autres. Les deux textes que Fabrice Vigne (voir infra, Fabrice Vigne) allait lire pour nous tous et chacun d’entre nous (miracle de la littérature), ces deux textes en effet ne se ressemblent pas. L’auteur, Fabrice Vigne (…), l’a d’ailleurs dit lors de sa brève intervention inaugurale : rien ne rassemble les deux textes, sauf peut-être les objets, qui circulent, qui se fabriquent, qui fascinent et qui dégoûtent. Le premier texte que lira Fabrice Vigne s’appelle « J’ai inauguré Ikéa ». Le second s’intitule « Double tranchant ».

Fabrice Vigne : je connais Fabrice Vigne encore moins que Marie, et c’est la raison pour laquelle je puis m’autoriser à parler de lui plus longuement que d’elle. Fabrice Vigne est un écrivain, même s’il dit sur son blog que là n’est pas son métier. En effet, il faut bien vivre. Toujours est-il que je connais Fabrice Vigne (fort peu, ainsi que je l’ai déjà dit) comme écrivain. Il y a déjà longtemps, j’avais lu un livre de lui qui m’avait fait forte impression. Dont les deux ou trois paragraphes que j’ai relus en vitesse lors de la soirée du samedi 22 février, en piquant à la va-vite le bouquin dans la caisse où Fabrice Vigne avait disposé quelques-uns de ses livres à l’usage de l’assistance, m’ont fait à nouveau forte impression. Quelques flashes colorés de ma vie d’alors m’ont traversé la mémoire. J’avais vraiment aimé ce livre. Depuis, je confesse que je n’ai pas suivi de près la carrière éditoriale de Fabrice Vigne et que je n’avais plus rien lu de lui. Mais c’est parce que je suis velléitaire et dilettante, en aucun cas la marque d’un désintérêt. Comment se désintéresser de quelque chose qu’on n’a pas lu ? Il y a d’ailleurs quelques textes de Shakespeare et de Bernanos que je n’ai pas lus non plus. Et ce bouquin qui trône depuis des mois sur ma table de nuit et qui s’appelle « Sommes-nous seuls dans l’univers ? », une question qui me taraude pourtant depuis mes six ans. Eh ben, pas lu non plus. C’est bien la preuve. J’avais seulement rangé Fabrice Vigne dans la liste des choses que je devais encore faire avant de mourir. Il se trouve qu’on croit toujours avoir un peu de temps devant soi. Extérieurement, Fabrice Vigne est un grand garçon d’à peu près mon âge. Il y a chez lui quelque chose de juvénile et de discret. Je me souviens avoir dîné chez lui autrefois, en compagnie de sa famille et de la mienne, mais je ne sais plus bien comment la chose était arrivée. J’ai gardé le souvenir un peu brouillé d’une soirée d’hiver à la température avoisinant celle du 22 février, d’un intérieur chaleureux dans une maison qui bordait la montagne et la place de la Cascade des Saillants-du-Gua. C’est, bien que lointain, un très bon souvenir. Je me souviens encore que Fabrice Vigne avait servi un vin rouge tout en me confiant, sur le ton d’une confidence gourmande, le nom du magasin où je pouvais l’acheter, moi aussi, si je voulais bien m’en donner la peine. Lorsqu’il m’arrive de croiser Fabrice Vigne par hasard et que nous nous reconnaissons, bien que la longueur de ses cheveux soit extrêmement variable,  je prends plaisir à lui demander des nouvelles de sa vie d’écrivain. Extérieurement, Fabrice Vigne porte souvent une longue veste en cuir qui doit avoir pour lui une valeur sentimentale. Il est souvent habillé d’un jean et il a aux pieds de grosses chaussures qui permettent sans doute d’avoir chaud en hiver. Mais il est possible, il est statistiquement possible, puisque j’ai dit ne croiser Fabrice Vigne que par des intermittences assez éloignées, il est possible qu’en réalité il ne porte de veste en cuir longue et de grosses chaussures chaudes que très rarement.  Intérieurement, je ne sais rien de Fabrice Vigne, sinon ce que j’ai pu lire de lui, de loin en loin. Bien que Fabrice Vigne ait tenu le rôle titre de la soirée du 22 février, il était accompagné de deux musiciens, mais je tiens que le bonhomme serait bien assez généreux, dans d’autres circonstances, pour s’effacer derrière ses comparses et pour, dans une démarche absolument moderne, accompagner leur musique de musiciens de ses mots d’écrivain à lui.

Le Café des Voyageurs : avant la soirée du 22, je ne savais rien du Café des Voyageurs. J’y voyais, derrière les buées, des trognes soudées au zinc par les coudes, lorsque, en transit matin et soir vers mon job de prolétaire tertiaire en milieu urbain, je passais devant ses vitres qui donnent sur la rue principale des Saillants-du-Gua. A mon insu, je radicalisais le toponyme : tellement voyageur que je n’eusse imaginé m’arrêter au café du même nom. Je peux d’ailleurs généraliser. Depuis dix ans que j’habite le village de Prélenfrey, qui appartient bien, administrativement parlant, à la commune du Gua, je ne me suis guère arrêté au chef-lieu, qui devrait pourtant exciter un peu mon patriotisme local. Non, j’ai toujours été en transit aux Saillants, comme d’autres à Amsterdam ou Francfort qui disposent, eux, d’un aéroport international. Utilitaire : j’achète le pain, parfois. Je vais chez le médecin et à la pharmacie (c’est pratique, c’est juste à côté). Je ne suis jamais allé dans aucun des deux bistros des Saillants. Rien ne m’avait effleuré jusqu’alors de leur réputation. Dans le privé pourtant, je professe volontiers des opinions qui devraient me pousser à m’intégrer à la vie locale dans toute sa riche complexité. Ainsi, en entrant ce soir au Café des Voyageurs, je démasque en partie l’hypocrisie qui obscurcit ma conscience depuis dix ans. Des idées confuses se battent à l’arrière-plan de l’attention que je porte à cet environnement inconnu. Tandis que je serre des mains, je pense à la différence entre le touriste et le voyageur, entre celui qui cherche à retrouver ailleurs ce qu’il connaît déjà et celui qui tente de devenir un autre, entre celui qui dit « c’était bien la Thaïlande, mais le robinet fuyait », et l’autre qui dit « Je hais les voyages et les explorateurs », je pense en même temps « c’est désagréable cette odeur de cigarette » et « le nomade est immobile car l’espace qu’il parcourt est à jamais uniforme ».  Après une brève station debout, on nous introduit dans une salle dont je ne soupçonnais pas l’existence. C’est joliment arrangé, je suis immédiatement conquis. Suis-en train de devenir vraiment voyageur ? Fabrice Vigne est là, tout au fond de la salle, juché sur une scène encombrée de micros et de fils. Je le salue, il me reconnaît, nous échangeons quelques mots. Il prend la parole au micro pour nous souhaiter bon appétit, la lecture commencera après que tout le monde aura mangé. Les gens s’assoient, ils discutent, j’attrape des bribes de conversations derrière moi, je peine à saisir ce que disent Marie et les gens qui sont à ma table. C’est comme d’habitude, je suis traversé par des signaux bariolés qui me perturbent, mon esprit vagabonde, je ne peux l’empêcher de faire son petit ethnologue, une station ici, une autre là, cette vieille dame qui parle du maire, si jeune lorsqu’il a été élu pour la première fois, cette jeune femme qui fait une grimace en goûtant la tarte aux poireaux qu’on vient de lui servir, c’est chaud ?, ce quinquagénaire qui parle avec les mimiques des hommes qui pèsent lourd, qui en ont déjà vu beaucoup et n’en pensent pas moins, et c’est pas fini. Je peine à rassembler quelque chose qui est pourtant en moi, et qui se débat.

Finalement, Fabrice Vigne monte sur scène accompagné de ses musiciens, Christophe Sacchettini et Norbert Pignol. Le patron introduit la soirée. Fabrice Vigne prononce à nouveau quelques mots. Il remercie le patron, il cite ses deux musiciens et leurs prochaines apparitions publiques. On peut acheter leur CD. Il cite son illustrateur dont les gravures décorent la salle. Il explique que le monsieur à côté de la table où sont exposés tous les couteaux, de toutes tailles, ouverts, fermés, à pointes et tranchants, adossés, emmanchés, pommelés, à gardes et empreintes, émoulus, le monsieur est le coutelier des Saillants. L’homme de la belle ouvrage, comme bondi tout droit du texte de Fabrice Vigne qui s’intitule « Double tranchant ». Alors Fabrice Vigne commence à lire. « J’ai inauguré Ikéa ». C’est l’histoire d’un pékin qui participe à l’inauguration d’Ikea, le magasin de Grenoble, en 2005, ou 2007 ? Le pékin, c’est Fabrice Vigne, ou Marie, ou moi, et nous déambulons, objets parmi les objets, matraqués par les couleurs de la marque et les voix suaves d’hôtesses enregistrées, glissant sur des tapis roulants humains le long d’autoroutes domestiques, qui nous conduisent inexorablement, après la cuisine, le petit salon et la chambre du petit dernier, vers les caisses avec, pour seule récréation, la possibilité d’une station programmée au restaurant Ikéa, la magie libératoire d’un arrêt clandestin aux toilettes Ikea. Fabrice Vigne ne lit plus son texte, c’est « J’ai inauguré Ikéa » qui joue de Fabrice Vigne, de ses essoufflements, de ses exhorbitations, de ses stupeurs. Nous finissons tous sur un parking, l’estomac tordu, en sueur, une baudruche Ikéa à la main, l’autre main anxieusement fourrée dans une poche chiffonnée à la recherche d’une clé de bagnole perdue dans une allée du Moloch. Ensuite Fabrice Vigne enchaîne « Double tranchant ». Si j’écrivais dans un supplément littéraire du vendredi, ou, affublé d’un prénom moderne de fille, comme Guillemette, ou Sybille, ou Séraphine, dans un magazine culturel de la gauche hebdomadaire, je pourrais commencer comme ça : « une fable coupante : dans son nouvel opus, Fabrice Vigne, l’air de ne pas y toucher, revisite l’histoire de l’humanité depuis l’invention du couteau. Aïe aïe aïe ». Ensuite, avec force démonstrations, je pourrais procéder à de subtils rapprochements, à d’audacieuses lignes de fuite, à de saisissantes perspectives qui montreraient que j’ai fait de bonnes études. Puis je terminerais sur une pirouette qui m’attirerait la sympathie complice du grand public cultivé. Oui, mais ce serait négliger l’essentiel, ce que j’attendais depuis le début de la soirée, et qui se produit en effet, ce déclic : Fabrice Vigne, le Café des Voyageurs, le texte, la scie musicale et les percus et les boucles et les samples, le coutelier des Saillants, tous ces gens attablés devant une assiette paysanne ; tout ceci trouve enfin son unité, sa simplicité, son expression la plus appropriée, tout se rassemble. Art total. Je ne suis plus haché, découpé, lardé de tous les bruits de tout à l’heure. Je me rassemble. Le règne des objets, leur circulation obscène et incestueuse, leur industrielle reproduction à l’identique. Leur indigne prolifération, dans des espaces d’exposition kilométriques ou des pochettes sous cellophanes de couteaux industriels mal fagotés, manches en plastiques, lames suspectes. Ici les Saillants-du-Gua, pas d’entrepôt Ikéa, mais un coutelier, mais un bistro, mais des voyageurs vivants doués d’oreilles qui applaudissent Fabrice Vigne et ses musiciens. Ailleurs, reste du monde, les villes repues et sales, la circulation boursouflée des objets, la fonction intestinale et souillée qui s’appelle commerce. Mais c’est terminé. Fabrice Vigne souffle le point final. Alors, tout le monde se lève, un petit sourire accroché aux lèvres, tout le monde flâne de-ci, de-là. Je vois bien que les textes de Fabrice Vigne ont eu sur les autres le même effet que sur moi. Ils sont tous un peu écrivains, ils prolongent. J’entends quelqu’un qui dit : « t’as vu, au dessus de sa tête, le lustre, ça lui faisait comme une épée de Damoclés ». Et puis, autour de la table où sont exposés les lames, les manches, ivoire, nacre, buis, tout le monde se passionne, on tâte, on compare, on questionne, on se documente, on s’intéresse. La coutellerie, cause nationale en République saillandoue. Le couteau rassemble.

J’ai toujours eu autant de mal à partir qu’à arriver. Dans l’intervalle, en général, je me survis. C’est parce que je suis un timide. Mais ce samedi 22 février au soir, j’ai vraiment trouvé le temps court. Nous remontons dans la nuit blanche vers cette zone non commerciale absolue où nous habitons tous. Un peu par choix, peut-être. On commente la soirée. Ce samedi 22 février au soir, je n’ai pas allumé ma télé. Peut-être que je ne vais pas mourir tout de suite ; je vais devoir m’occuper. Shakespeare, Bernanos, et Fabrice Vigne. Le moteur ronronne, de virage en virage. On se rapproche des étoiles, tout doucement,  et je me sens moins seul dans l’univers.

La science avance (Troyes épisode 83)

04/12/2011 Aucun commentaire

On n’arrête pas la recherche scientifique. Selon un article intitulé L’effet IKEA publié par le magazine Pour la science, des chercheurs de Harvard ont révélé que le cochon de client avait tendance à attribuer spontanément une plus grande valeur financière à un meuble qu’il aura monté lui-même, qu’au même meuble déjà monté. En effet, le cochon de client estimera que son étagère à CD Billy ou Expedit aura d’autant plus de valeur s’il doit donner de sa personne pour la concrétiser une fois à la maison, avec le petit tournevis. La réalité est évidemment tout l’inverse : le prix de revient d’un meuble en kit est forcément moindre que celle d’un meuble fini, pour lequel il aura fallu payer le salaire de l’ouvrier qui bricole à votre place.

Cette économie irrationnelle explique, en partie, le succès d’IKEA : le consommateur (nom scientifique du cochon de client comme il est expliqué dans ce manuel d’économie) est tenté, surtout en ces temps de crise partout-partout, de viser la bonne affaire en achetant chez le Suédois un meuble à la fois moins cher sur la facture et plus cher symboliquement. En réalité, la bonne affaire est surtout pour IKEA : le prix bas du meuble en kit n’empêche pas une marge supérieure à celle du meuble vendu fini, et c’est ainsi que la famille Kamprad est la 4e fortune mondiale.

Le livre J’ai inauguré IKEA (vidéo tutorielle à voir ici) a été conçu pour pasticher non seulement le monde d’IKEA, ses codes, son histoire (il n’est jamais inutile de rappeler qu’IKEA, totalitarisme douceâtre en pleine démocratie, fut fondé par un sympathisant nazi)… mais encore pour singer, très directement, par l’exemple, son mode économique. Livre bon marché (4 € prix conseillé), ludique, à-monter-soi-même, il se caractérise en coulisse par un prix de revient minuscule. Qui fait la bonne affaire ? Vous ? Eh, non, c’est Le Fond du Tiroir, qui sur ce livre se sucre sa plus grosse marge (tout le contraire, par exemple, de ce livre magnifique et hors de prix, impossible à rentabiliser pour les siècles des siècles). Le Fond du Tiroir a le plaisir d’annoncer à ses actionnaires que, au sein de son catalogue, J’ai inauguré IKEA est le seul de ses livres a avoir atteint (plus de deux ans après sa sortie, tout de même) le seuil de rentabilité – autant dire que tous les autres sont fabriqués à perte et c’est votre serviteur qui crache au bassinet. Il vaut mieux cracher au bassinet que dans la soupe.

J’ai inauguré IKEA devant les caméras (aucun animal n’a été maltraité durant le tournage)

22/03/2011 Aucun commentaire

L’autre bout du monde nous effondre, puisqu’il n’y a qu’un seul monde de bout en bout. La centrale de Fukushima m’obsède. J’ai pleuré en écoutant la radio, et je passe mon temps sur Internet pour relire des choses que je sais déjà parce que la situation n’a pas évolué durant les trois dernières minutes.

Néanmoins la vie continue, je veux dire celle du Fond du tiroir, petit éditeur intrépide et artisanal. Or, cette vie est marquée ces jours-ci par un retour inattendu de notre 4e objet-livre, paru en 2009, J’ai inauguré IKEA, opuscule qui hélas ne m’a pas permis d’être ami sur Facebook avec Ingvar Kamprad.

L’an dernier (ou il y a deux ans ? le temps passe si vite quand on s’amuse), j’étais invité sur le salon du livre de Saint-Étienne. Hébergé par l’épatante librairie Les Croquelinottes, je discutais avec l’un des trois libraires, Romain, très amusé et même inspiré par cet ouvrage en kit, ce reportage instructif gonzo, déguisé grâce au génie de Patrick « Factotum » Villecourt en « meuble à construire soi-même » afin de détourner le langage de l’adversaire. Romain me propose : « Si tu veux, je peux te bricoler un petit film, genre tuto mode d’emploi fiche pratique, regardez-moi ça mesdames et messieurs comme il est simple de monter ce livre, un enfant de 6 ans y arriverait, et puis hop on balance la vidéo sur Youtube… »

Gy ! Bien sûr que ça m’intéresse ! Le Fond du tiroir tourne multimédia ! Vas-y mon gars, je te fournis quelques exemplaires gracieux si tu veux t’entraîner…

Entre temps, Romain a eu d’autres chats à fouetter puisqu’il a quitté la librairie pour monter un commerce différent mais tout aussi épatant, de jeux éducatifs jouets en bois etc… Toujours est-il qu’hier même, après un an (ou deux, on ne sait plus exactement), alors que je ne l’espérais plus, cette superproduction est enfin prête, en sortie exclusive ci-dessus. Merci Romain. L’occasion d’aller regarder des bêtises sur Youtube en attendant la fin du monde. On notera que Romain prend au sérieux la consigne donnée par Patrick d’utiliser une perceuse, alors que les trous eussent été à peu près aussi bien réalisés à l’aide d’une pointe de ciseaux, mais qu’en revanche il renonce aux treize poulets rôtis préconisés… Car maltraiter les animaux, ce n’est pas bien.

J’ai inauguré IKEA est en vente libre au prix de 4 euros (plus port) en téléchargeant et imprimant le bon de commande, sans maltraiter aucun animal.

(Aucun ? Vraiment ? Même pas un petit lapin ?)

Retour au lycée

08/04/2010 2 commentaires

(Premier épisode d’une série de trois, ou quatre, on verra.)

Chaque année, bon an mal an, j’accomplis avec constance, curiosité et scrupule, quatre ou cinq rencontres scolaires dans des lycées, et presque autant dans des collèges. Je n’en suis pas encore blasé. Pour la plupart, ces interventions ont lieu dans le cadre du dispositif SOPRANO de l’ARALD (et voilà une occasion supplémentaire de remercier la Région Rhône-Alpes pour son soutien, ah c’est vrai, je la remercie très sincèrement la Région, on s’étonne du taux d’abstention aux élections régionales, il me semble que la raison en est que personne ne sait à quoi elle sert, cette pauvre Région – or, moi, je sais : la région soutient la Littérature, merci la Région), et portent sur TS, qui, quoique mon plus vieux livre, et l’unique paru « pour adultes », demeure le plus à même de chatouiller un public ado – pas à un paradoxe près, on ne reviendra pas là-dessus.

Exception notable : c’est avec Les Giètes pour prétexte qu’a eu lieu l’une de mes dernières incursions marquantes en lycée. Un lycée pro, BEP « service aux personnes », m’avait invité au motif que ces jeunes filles (seulement trois garçons dans les rangs) se destinaient aux métiers type « assistance aux personnes âgées ». J’ai parlé d’assistance aux personnes, comme requis, puis de mille autres choses. Très bon souvenir, première et unique fois que je passais avec une même classe toute une journée, pleine de rebondissement… Comme je présentais à la classe mes autres livres, j’exposais la genèse de J’ai inauguré IKEA : « Moi, IKEA, je n’aime pas ça, ça me fait même peur. Il faut toujours écrire sur ce qui nous fait peur. L’une des origines de ce livre, c’est que j’ai lu dans un article qu’un Européen sur six était conçu dans un lit IKEA. J’en ai eu le sang glacé. »
Une élève, un doigt en l’air : « Ben… Je comprends pas pourquoi… Franchement, pas de quoi avoir peur, m’sieur… »
Une autre, qui engueule la première : « Mais si ! Attends, c’est dégoûtant ! Nous, on y dort, après, dans ce lit ! » (rires)
Je ne vois pas comment je pourrais en venir à me lasser des rencontres scolaires.

Pourquoi conservè-je un tel goût pour ces interventions publiques, alors que certains auteurs, plus connus que moi, plus aguerris, plus prolifiques, voire plus talentueux (ou les quatre à la fois : Jean-François Chabas), en ont soupé et déclinent systématiquement toute invitation en milieu scolaire ?

Bon, faisons immédiatement un sort au tabou phynancier : intervenir en classe est, en toute franchise, intéressant du point de vue numéraire. Lorsque je fais respecter les tarifs de la Charte des auteurs jeunesse, je gagne en trois ou quatre jours d’intervention l’équivalent des droits d’auteurs perçus pour un roman qui m’aura demandé un an de travail ou davantage. Easy money.

Mais je vous prie de ne pas me croire vénal, ni capable de prostituer la parole que je viens délivrer là. Comme j’ai eu l’occasion de le déclarer, précisément à une classe de collège, « Je ne fais rien pour l’argent. À part lorsqu’on a faim (et je n’ai pas faim), l’argent est la pire raison de faire quoi que ce soit, c’est avilissant ».

La vérité est que ces moments d’intervention, de confrontation, de remise en question sur le métier, je les aime.

J’aime être là, j’aime donner mon show un brin narcissique à ces jeunes gens, j’aime échanger avec eux, j’aime leur donner à rire, à s’émouvoir, à réfléchir, j’aime trouver en direct des réponses neuves à des vieilles questions. J’aime ce contact direct, de la même façon que j’adore me retrouver sur scène pour mon spectacle musical adapté des Giètes, et vive le spectacle vivant, la mise en présence en chair et os, en-cet-en-endroit-en-cet-instant, de celui qui dit et de celui qui écoute, strictement le contraire de l’expérience littéraire.

J’aime tout cela ; mais aussi, je crois sincèrement qu’il est important de s’y consacrer. On me jugera prêcheur, naïf ou bien-pensant, tant pis, je ne vais pas m’excuser d’avoir des convictions : j’estime que faire ces rencontres, c’est faire le bien, c’est une mission d’intérêt général, parce que je crois dur comme fer à l’éducation, en général, c’est même l’intime tréfonds de ma fibre politique. Si j’ai des réserves sur les missions édificatrices de la ‘littérature jeunesse’, en revanche je trouve tout naturel de venir en personne édifier la belle jeunesse, en leur parlant littérature tout court. J’ai dit tout récemment l’attachement que je porte aux actions qui construisent le lien entre livre et lecteur. C’est une idée générale, d’accord, mais pragmatique.

Quand ces rencontres se passent bien, j’en ressors heureux, épuisé, vidé et pourtant rechargé à bloc d’émotions en boucle, plein en outre d’un respect renouvelé pour les profs, accomplissant ceci à longueur de journée, à longueur d’année, pour une rétribution bien plus modeste. Et puis, parfois, ces rencontres se passent mal, comme un rendez-vous qu’on manque. Alors, je sors de l’enceinte scolaire perplexe, désemparé, anxieux, et juste malheureux…

(Ne manquez pas le prochain épisode, demain ou après-demain sur cet écran : Le livre par terre.)

Gisèle et moi

03/04/2009 2 commentaires

Gisèle Halimi et moi

L’essentiel, lorsqu’on passe trois jours sur un stand, dans un salon du livre et dans le brouhaha, est de demeurer patient. Ferme et stoïque. On a fait des beaux livres, on est là pour les introduire dans le monde, on espère les vendre un peu malgré la crise mondiale (mondiale, ça veut dire « partout-partout »), afin de dégager les moyens d’en fabriquer un autre plus tard. On attend le chaland.

Le chaland s’arrête. S’il feuillette et déclare en souriant : « c’est joli », la journée est très mal barrée, le chaland refermera sans aucun doute  l’ouvrage et vaquera plus loin ; cette leçon de vie, maintes fois vérifiée, m’a été aimablement fournie par ce vieux briscard d’Hervé Bougel. Parfois, aussi, le chaland engage la conversation : « Ah, vous avez écrit un livre sur IKEA ? Vous vous êtes inspiré de Vincent Delerm, c’est ça ? C’est très à la mode… (chantonne) Page 123, du catalogue IKEA, tralala… »

Droit dans mes bottes et debout à mon stand, je l’affirme sans affectation, mais plutôt avec patience, fermeté et, disons-le, stoïcisme : plutôt crever que m’inspirer jamais de Vincent Delerm. Qu’ai-je besoin d’un Fanny Ardant et moi, quand je puis afficher le document ci-dessus, qui montre clairement et sans ambigüité Gisèle Halimi (assise) et moi (debout), assaillis par la foule sur notre stand du Printemps du livre de Grenoble.

Ce facétieux quoiqu’authentique cliché est issu de l’album photo du pré-carreleur pré-cité et pré-cautionneux Hervé Bougel, compte-rendu rétinien du salon de Grenoble que vous êtes invités à cousulter sur son blog. Parmi les scoops en image, vous y découvrirez le visage avenant de Marilyne Mangione.

J’ai inauguré « J’ai inauguré »

29/03/2009 Aucun commentaire

Ingvar Kamprad Elmtaryd Agunnaryd

Je l’ai ! Il est beau ! Plus beau encore que je ne l’espérais, et j’espérais beaucoup ! J’ai inauguré IKEA a été rendu par l’imprimeur avant-hier, tout pimpant, gorgé d’odeurs d’encres, et depuis j’en ai des bouffées de rires, je glousse comme un imbécile heureux, que je suis au fond. (Au fond de quoi ?) Et je cite à nouveau, par plaisir et par devoir, celui qui est, au minimum, co-auteur de ce livre : Patrick Villecourt, factotum et concepteur de ce livre-objet qui est le sien encore bien plus que le mien.

À présent, comme à chaque livre du FdT, je dois digérer la joie d’avoir fait le plus beau livre du monde, et m’employer à une tâche d’éditeur, que je ne suis guère au fond : le vendre. Ouïe, les ennuis commencent. Ennuis rigolos, parfois : j’ai vendu les premiers exemplaires ce week-end même sur mon stand du salon de Grenoble, j’ai testé les  réactions…  Une dame s’est exclamée devant mon stand, « Oh, IKEA ! », ça lui faisiat quelque chose, elle m’a expliqué, en anglais, que sa famille était partiellement suédoise, qu’elle avait travaillé pour IKEA, que ses enfants adoraient IKEA, qu’ils appelaient ça « The Big Blue House », et d’empoigner mon livre et de le brandir à la face de son môme, en poussette, à peine plus d’un an, « C’est quoi ça mon chéri ? Tu reconnais le logo, hein ? C’est quoi ?  Réponds à maman mon chéri ! Tu sais ce que c’est voyons ! C’est iiiii…. C’est iiiiiiiiiiiikkkkk…… C’est ikkkkkkkkééééééééé…. » Le gamin a fini par lâcher le mot magique, qu’on en finisse, j’étais plutôt embarrassé. En-deçà de tels cas limites d’émotivité, les badauds s’arrêtaient globalement perplexes (et exceptionnellement émerveillés) devant cette planche bizarre, inconcevable,  « Alors ça, donc, ces affiches, là, ce sont les épreuves de votre prochain ? les brouillons ? les extraits ? et il sort quand, celui-ci ? » Eh bien, il sort avant-hier, chère madame. Car vous avez devant vous le produit fini. (Ah, et par ailleurs, restituez-moi immédiatement cet exemplaire du Flux que vous avez glissé en douce dans votre sac, il s’agit d’un vrai livre, pas d’un prospectus, ni d’un catalogue, ni d’un produit promotionnel.)

Je m’occuperai demain des souscriptions. L’envoi par la poste est problématique : l’objet mesure 64 cms sur 45 (une fois monté, 14 x 19,5)… Soit je le plie pour le glisser dans le pli, ce qui est dommage parce que la feuille, dans l’idée, ne doit être profanée que par son lecteur (en outre pour faire simple les plis nécessaires à l’enveloppe ne correspondent pas aux plis préconnisés pour le montage de l’ouvrage), soit j’achète des tubes en carton, mais j’augmente ainsi très sensiblement les frais de port.

Bon, que cela ne vous empêche pas de commander

C’est moi, ou bien il y a comme une odeur de lapin crevé, là ?

22/03/2009 2 commentaires

lapin en suédois, c'est "kaniner", presque une anagramme avec trois consonnes en trop

Patrick Villecourt, a.k.a. Factotum-man, pour être homme de l’ombre, n’en est pas moins photographe, soit étymologiquement « écrivain de lumière ».

Le prochain livre extrait du Fond du Tiroir créditera, enfin, Patrick en tant que co-auteur à part entière (comme s’il n’avait rien fait sur les trois premiers), puisque ses photographies, ainsi que sa conception graphique, donneront à l’objet sa tenue, son fil, son liant, sa colonne vertébrale, ses grandes oreilles et ses yeux rouges, comme vous voudrez.

Mandaté par le FdT en vue de la confection de ce projet spécifique, Patrick s’en fut un beau matin en repérages sur le parking du magasin IKEA. Ce qu’il vit là-bas ? Du jaune, du bleu, et un lapin écrasé sur la chaussée. Attention, petit lapin ! Ne va pas acheter tes meubles chez IKEA ! Rentre vite dans ton terrier ! Ah, zut, trop tard…

Cette photo ne rentrait pas dans le livre, mais je l’ai trouvée belle quand même, oh, à sa façon, modeste et baudelairienne, tellement juste dans son propos qu’il vaut mieux en blaguer, enfin chacun ses goûts, alors je la publie sur le blog.

Et qu’est-il, au fait, ce quatrième Fond de tiroir qui sent bizarre ?

L’ouvrage s’intitule J’ai inauguré IKEA. Il coûte 4 euros, presque rien, parce que c’est un petit texte (à peine plus long que le Flux), mais voici, en vérité, un ouvrage fort curieux. Il vous sera livré figurez-vous en un paquet plat, sous la forme d’une seule feuille de très grand format et de très belles couleurs, complet de son mode d’emploi (pas en suédois) et de ses deux attaches parisiennes, que vous pourrez plier, couper, monter et lire confortablement à la maison, en poussant des jurons ad libitum si, le cas échéant, l’accompagnement de jurons agrémente avec profit votre pratique du bricolage téléguidé.

Le livre (appelons-le « livre », même si c’est pure convention) étant actuellement chez l’imprimeur, vous pouvez d’ores et déjà nous le commander. Pas ici, malheureux ! Rendez-vous là, plutôt ! Aucune odeur de bête crevée, chez nous !