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Articles taggués ‘Dr. Haricot’

Lettre très recommandée

20/06/2022 Aucun commentaire

Lorsqu’on écrit une lettre, surtout à des affranchis, voire à des timbrés, un accusé de réception fait toujours plaisir.
Une note parue sur « Les Notes » à propos de ma Lettre ouverte au Dr. Haricot de la Faculté de Médecine de Paris (toujours en vente chez le Réalgar).

Voilà qui fait un retour de presse sur le Haricot ! Et toujours zéro pour Ainsi parlait Nanabozo. Comme dit Houellebecq (quand il ne dit pas de conneries) « il y a plus de différence entre zéro et un lecteur qu’entre un lecteur et un million de lecteurs ».

« Lettre ouverte » dans la lettre que j’ouvre

26/02/2022 un commentaire

Ce matin au courrier, une lettre estampillée à Saint-Étienne… Oh, joie, c’est donc le Réalgar qui m’envoie mes exemplaires de la Lettre ouverte au Dr. Haricot, de la faculté de médecine de Paris. Mon opus 21, réédition entièrement remaniée de mon opus 12 (palindrome !).

Je constate que la fébrilité en décachetant le pli est toujours celle de la première fois, j’en déchire presque, d’impatience de toucher l’objet. Pardi, j’ai écrit un texte et soudain le texte est devenu du papier imprimé orné d’un numéro d’ISBN (9782491560386 en l’occurrence) à la disposition de tout lecteur curieux, je ne me lasse pas de ce miracle, vive le matériel ne serait-ce que parce qu’on n’ôtera jamais l’emballage d’un livre numérique.

Mon livre au titre le plus long, 22 pieds tout de même, est cependant l’un de mes plus brefs textes. L’un des moins chers également (à l’exception évidemment de J’ai inauguré IKEA – 4 euros, et Le Flux – 3 euros, prix imbattables et conseillés par le Fond du Tiroir).

Réclamez-le à votre libraire, ou à un autre ! Et profitez-en pour découvrir les nombreux autres titres de la collection Lettre Ouverte du Réalgar.

Et de quoi cause-t-elle, cette jolie plaquette grise dénuée de nom d’auteur sur la couve, ou de quatrième de couverture prémâchant la lecture ? Qui est donc ce Dr. Haricot ? Toutes les explications ici.

Céline n’avait pas menti (Cancel la Cancel, 4/5)

18/09/2021 Aucun commentaire
« La volonté du roi Krogold », légende médiévale. Manuscrit de Louis-Ferdinand Céline disparu en 1944. Retrouvé en 2021. Illustré par Jacques Tardi en 1991 (extrait de « Mort à Crédit », éd. Futuropolis).

On ne se débarrasse pas de Louis-Ferdinand Céline. Il reste là, tapi dans un coin du paysage littéraire, toujours monstrueux mais toujours génial. Toujours génial mais toujours monstrueux.

Diable sur ressort, voilà qu’en 2021, soixante ans après sa mort, il fait à nouveau l’actualité. Cet été a ressurgi un mètre cube de ses manuscrits que l’on croyait perdus à jamais : Casse-Pipe, qui aurait dû être un roman de l’ampleur de Voyage au bout de la nuit ou de Mort à Crédit mais dont on ne connait jusqu’à présent que quelques maigres chapitres rescapés ; un autre récit intitulé Londres qui pourrait bien être le fantomatique Guignol’s Band 3 ; sa « légende médiévale » intitulée la Volonté du Roi Krogold ; etc.

Cette découverte est la nouvelle la plus fracassante de l’année. Après le rapport du GIEC, naturellement. Après la chute de Kaboul, aussi. Attends… Après les incendies caniculaires, après la mise en plass du pass sanitaire de mes deux doses et son exigence impérative dans les médiathèques mais pas dans les églises, après l’expédition dans l’espace de connards de milliardaires ayant trop salopé la Terre pour la juger encore digne d’eux, après la délicieuse déroute électorale du RN, après la flippante déroute électorale générale, après Joséphine Baker panthéonisée… Bon, admettons qu’il y a treize nouvelles fracassantes à la douzaine. Mais celle-ci ! Comme elle fracasse ! Je suis fracassé ! Céline n’avait donc pas menti ! (sur ce point, du moins.)

Lorsque je travaillais sur Céline et sa réception, il y a une petite trentaine d’années, entiché jusqu’à l’obsession je dévorais tout, y compris biographies et correspondances où sans relâche il braillait comme un putois offensé contre les crimes dont il été accablé, parmi lesquels le vol et sans doute la destruction des fameux manuscrits, en 1944, alors qu’il fuyait l’épuration, d’abord via Sigmaringen en compagnie du gouvernement pétainiste en déroute, puis avec sa femme et son chat jusqu’au Danemark. Mais la mythomanie, le mensonge et, au minimum, l’hyperbole étant chevillés au cœur du personnage, fallait-il le croire ? Ce pan de l’œuvre escamoté n’était-il que l’une de ses légendes personnelles ? Faute de le croire sur parole, on rêvait : je me souviens qu’avec un camarade étudiant aussi obnubilé que moi, nous nous montions le bourrichon, Allez c’est juré on s’y colle toi et moi, on va mener l’enquête, on va la retrouver nous autres cette Volonté du Roi Krogold ! Et combien d’autres comme nous, voir par exemple le témoignage d’Émile Brami.

« Trésor je l’affirme ! De ces romans, tonnerre de dieu, que la littérature française en est appauvrie pour toujours ! La preuve qu’ils les ont brûlés, trois manuscrits presque, les justiciers épurateurs ravageurs ! Pas laissés un atome de cendres !», écrivait Céline dans Maudits soupirs pour une autre fois, comme le rappelle sur son blog sur son blog Jean-Pierre Thibaudat, dernier dépositaire de ces 6000 feuillets, qu’il a gardés au secret pendant 15 ans avant, enfin, d’en faire état – histoire rocambolesque.

Je me réjouis déjà des heures de lecture qui m’attendent, là-bas, dans les années à venir, lorsque les chamailleries entre ayants-droit seront résolues. Toutefois, cette réapparition miraculeuse prend place à une époque singulière, qui est celle de la cancel culture (pour ceux qui se demandaient où je voulais en venir et ne voyaient pas le rapport). Et la conjonction me pousse à certaine prise de conscience.

Céline est essentiellement infréquentable, et pour d’excellentes raisons. Ses trois pamphlets antisémites (Bagatelles pour un massacre, 1937 ; L’école des cadavres, 1938 ; Les beaux draps, 1941) sont des ignominies, je ne parle pas par ouï-dire, je les ai lus. Ils sont impardonnables et (jusque-là tout est normal) impardonnés. Ils ont valu à leur auteur la condamnation, la prison, l’exil, la disgrâce, ainsi que, accessoirement, la subtilisation pour 60 ans d’un mètre cube de manuscrits en 1944.

Pour autant, il y a trente ans déjà, la position de principe, si banale, « Céline est antisémite donc je boycotte Voyage au bout de la nuit, je ne lirai jamais cette ordure » m’apparaissait comme une profonde injustice parce que ce livre gigantesque N’EST PAS antisémite, contrairement à son auteur. Or, aujourd’hui, je vois des injustices de même nature partout où se pose mon regard, les injustices sont systématisées, elles sont théorisées, elles s’appellent cancel culture et #DisruptTexts, et je réalise avec stupéfaction que le cas monstrueux de Céline était ni plus ni moins qu’un prototype, les procès qu’on lui intentait (je parle ici des procès moraux, de la justice expéditive des citoyens en réseau) étaient en somme l’avant-garde.

En gros, la logique « c’est un salaud antisémite, il faut supprimer ses livres » a fait tache d’huile, est devenu un modèle de pensée engendrant au fil des ans et par émulation aussi bien « Roman Polanski est un salaud pédophile, il faut empêcher le public de voir son dernier film » que « J.K. Rowling est une salope transphobe, mort à Harry Potter » . Nous pouvons tirer des polémiques sur Céline d’insoupçonnés avertissements pour notre temps.

La pensée construite et complexe reste sur le carreau, la nuance meurt : chacun est essentialisé, blanc ou noir, gentil ou méchant, cancelleur ou cancellé. Les anathèmes et les appels à autodafé interdisent tout accès à la culture et toute possibilité d’aller vérifier soi-même sur pièces – on découvre alors que la culture et la nuance étaient finalement des synonymes. D’ailleurs, André Malraux, qui fut le premier ministre de la Culture de la Ve République était aussi une sorte de ministre de la Nuance quand il écrivait « Si Céline est sans doute un pauvre type, c’est certainement un grand écrivain » (1). Pauvre type et grand écrivain, en voilà de la nuance de base : deux cases juxtaposées, comment les concilier, de la matière à pensée totalement anachronique, inconcevable aujourd’hui.

Et à présent, un peu de promo et de bande-annonce.

En parfait opportuniste tel que vous me connaissez, j’ai profité de cet été pour réécrire de fond en comble le mini-livre que j’ai consacré à Céline, publié autrefois aux courageuses éditions pré#carré et aux bons soins de M. Hervé Bougel (excellente personne au demeurant) : Lettre au Dr. Haricot de la Faculté de Médecine de Paris. Cette lettre reparaîtra en avril prochain, revue et abondamment augmentée, aux courageuses éditions Le Réalgar et aux bons soins de M. Daniel Damart (excellente personne au demeurant). Car en plus d’être opportuniste je suis toujours obséquieux avec mes éditeurs (tel que vous me connaissez).

Ce livre, bien loin de faire l’impasse sur les affaires, ne manquera pas de s’interroger sur l’effet que Céline produit chez son lecteur, et se donnera notamment la peine d’aller interroger un lecteur juif de Céline. Ce livre prend tout Céline, mais par le petit bout de la lorgnette, par une anecdote, une simple page extraite de son œuvre que je monte en graine, une micro-énigme littéraire que je m’efforce de résoudre, infime mais infiniment révélatrice : pourquoi, dans la dernière scène de D’un Château l’autre (1957), Céline se fait-il interpeler par une vieille excitée sous le nom de Docteur Haricot ?

J’énumère méthodiquement treize hypothèses sur l’origine du sobriquet, treize pistes pour explorer treize recoins céliniens. Pourquoi ce nombre treize ? Pour raison d’arcane majeure, sans doute. Mais, puisque vous êtes ici et moi aussi, je veux bien vous en délivrer une quatorzième au pied levé. Considérez ce qui suit comme une scène coupée.

Lorsqu’il se ré-établit en tant que médecin à son retour en France en 1951, Céline est très affaibli, amaigri par les privations, l’exil et la prison. Son visage est émacié, son corps décharné. Or la taille haricot vert est une image argotique qui désignait cette sorte de silhouette. Et, incidemment, quinze ans plus tôt on trouvait cette métaphore employée par un docteur au détour d’un passage de Mort à Crédit (1936). Dans ce passage, Ferdinand raconte justement comment il est devenu médecin, en prenant exemple sur la pratique peu scrupuleuse, cynique et cependant compassionnelle (tu la sens, là, la nuance ? les deux cases à juxtaposer ? attrape si tu peux !) de son aîné, son cousin Gustin Sabayot. Je recopie ce passage à votre attention, et ce faisant je ris tout haut. N.B. : on a évidemment le droit de détester cette littérature, et de déployer force anathèmes contre elle ; mais l’argument lutte contre l’antisémitisme n’a pas ici de pertinence, ce serait une manipulation rhétorique de catégorie whataboutisme.

Gustin Sabayot, sans lui faire de tort, je peux bien répéter quand même qu’il s’arrachait pas les cheveux à propos des diagnostics. C’est sur les nuages qu’il s’orientait.
En quittant de chez lui il regardait d’abord tout en haut : «Ferdinand, qu’il me faisait, aujourd’hui ça sera sûrement des Rhumatismes ! Cent sous !»… Il lisait tout ça dans le ciel. Il se trompait jamais de beaucoup puisqu’il connaissait à fond la température et les tempéraments divers.
– «Ah ! voilà un coup de canicule après les fraîcheurs ! Retiens ! C’est du calomel tu peux le dire déjà ! La jaunisse est au fond de l’air ! Le vent a tourné… Nord sur l’Ouest ! Froid sur Averse !… C’est de la bronchite pendant quinze jours ! C’est même pas la peine qu’ils se dépiautent ! … Si c’est moi qui commandais, je ferais les ordonnances dans mon lit !… Au fond Ferdinand dès qu’ils viennent c’est des bavardages !… Pour ceux qui en font commerce encore ça s’explique… mais nous autres ?… au Mois ?… À quoi ça rime ?… je les soignerais moi sans les voir tiens les pilons ! D’ici même ! Ils en étoufferont ni plus ni moins ! Ils vomiront pas davantage, ils seront pas moins jaunes, ni moins rouges, ni moins pâles, ni moins cons… C’est la vie !…» Pour avoir raison Gustin, il avait vraiment raison.
– «Tu les crois malades ?… Ça gémit… ça rote… ça titube… ça pustule… Tu veux vider ta salle d’attente ? Instantanément ? même de ceux qui s’en étranglent à se ramoner les glaviots ?… Propose un coup de cinéma !… un apéro gratuit en face !… tu vas voir combien qu’il t’en reste… S’ils viennent te relancer c’est d’abord parce qu’ils s’emmerdent. T’en vois pas un la veille des fêtes… Aux malheureux, retiens mon avis, c’est l’occupation qui manque, c’est pas la santé… Ce qu’ils veulent c’est que tu les distrayes, les émoustilles, les intrigues avec leurs renvois… leurs gaz… leurs craquements… que tu leur découvres des rapports… des fièvres… des gargouillages… des inédits !… Que tu t’étendes… que tu te passionnes… C’est pour ça que t’as des diplômes… Ah ! s’amuser avec sa mort tout pendant qu’il la fabrique, ça c’est tout l’Homme, Ferdinand ! Ils la garderont leur chaude-pisse, leur vérole, tous leurs tubercules. Ils en ont besoin ! Et leur vessie bien baveuse, le rectum en feu, tout ça n’a pas d’importance ! Mais si tu te donnes assez de mal, si tu sais les passionner, ils t’attendront pour mourir, c’est ta récompense ! Ils te relanceront jusqu’au bout. »
Quand la pluie revenait un coup entre les cheminées de l’usine électrique : «Ferdinand ! qu’il m’annonçait, voilà les sciatiques !… S’il en vient pas dix aujourd’hui, je peux rendre mon papelard au Doyen!» Mais quand la suie rabattait vers nous de l’Est, qu’est le versant le plus sec, par-dessus les fours Bitronnelle, il s’écrasait une suie sur le nez : «Je veux être enculé ! tu m’entends ! si cette nuit même les pleurétiques crachent pas leurs caillots ! Merde à Dieu !… Je serai encore réveillé vingt fois !…»
Des soirs, il simplifiait tout. Il montait sur l’escabeau devant la colossale armoire aux échantillons. C’était la distribution directe, gratuite et pas solennelle de la pharmacie…
– «Vous avez des palpitations ? vous l’Haricot vert ? qu’il demandait à la miteuse. – J’en ai pas !… – Vous avez pas des aigreurs ?… Et des pertes ?… – Si ! un petit peu… – Alors prenez de ça où je pense… dans deux litres d’eau… ça vous fera un bien énorme !… Et les jointures ? Elles vous font mal !… Vous avez pas d’hémorroïdes ? Et à la selle on y va ?… Voilà des suppositoires Pepet !… Des vers aussi ? Avez remarqué ?… Tenez vingt-cinq gouttes miroboles… Au coucher !…»

En coda, un dessin d’actualité de Willem :

Willem, Charlie Hebdo, 18 août 2021

(1) – Lettre d’André Malraux à Claude Gallimard, 26 mai 1951. Malraux intercède pour que la maison Gallimard réédite les romans d’avant-guerre de Céline.

« Mon cher Claude,
Je crois que Céline a une grande envie de passer chez vous ; je crois par ailleurs que ce qu’on lui reprochait sur le plan personnel était faux ; et, sur le plan littéraire, l’amnistie semble maintenant certaine, quel que soit le résultat des élections.
Inutile de vous dire que je m’en fous complètement, car je crois qu’il m’a naguère couvert d’injures (que je n’ai d’ailleurs pas lues…). Mais si c’est sans doute un pauvre type, c’est certainement un grand écrivain. Donc, si vous voulez que je vous le fasse parachuter, dites-le-moi.
Bien à vous,
Malraux »

Frondaison (Troyes épisode 39)

09/10/2011 2 commentaires

Je n’irai pas voter aux primaires socialos. D’abord je suis trop loin de mon bureau de vote, je ne vais tout de même pas me cogner six heures de train pour l’ambigu plaisir, tarifé un euro, de jurer sur l’honneur que « j’adhère aux valeurs de la gauche » . Ensuite je ne suis pas convaincu de la pertinence (à part médiatique, bien sûr) d’habiller en scrutin national une opération interne d’habitude exclusivement réservée aux adhérents d’un parti. Pourquoi pas un référendum à un euro où l’on inviterait tout citoyen français en mesure de signer un papelard, et même moi, de décider si Marine Le Pen est un meilleur candidat que Bruno Gollnisch ? Si on me demandait mon avis, je dirais que c’est de la démocratie mal placée, présentée comme innovante par un parti un peu déboussolé, mais on ne me demande pas mon avis, je suis d’ailleurs mal placé pour le donner, je n’irai pas voter.

Plutôt que de cet événement peu excitant, parlons d’antisémitisme – mais c’est lié, attendez voir.

Pourquoi ? Parce que j’évoque régulièrement ici le Dr. Haricot, L.F. Céline, et, inévitablement, l’antisémitisme. Or, je détesterais donner l’impression, sous couvert de belles lettres, de relativiser, banaliser, nuancer jamais ce racisme spécial, cette peste millénaire. Soyons clairs : j’aime Céline, con et sublime ; je salue fraternellement les Juifs du monde entier, je les aime aussi (sauf certains sionistes, question politique et non raciale). Car les Juifs sont des hommes, donc ils sont cons et sublimes, comme vous et moi. Et je signale que le parvis de la médiathèque de Troyes que je foule quotidiennement s’appelle Esplanade Salomon de Troyes dit Rachi, afin d’honorer un honnête homme du moyen-âge, rabbin, savant, poète et vigneron, humain con et sublime.

Je ne pensais pas ressentir un jour le besoin de donner une justification aussi plate… Je m’y emploie parce que je prends conscience que l’antisémitisme est sacrément vivace en France, signe évident de la mauvaise santé morale de ce foutu patelin. Voici le rapport avec les élections de la bande de primaires socialistes.

De même que, comme je le racontais avant-hier, Google désinforme ses usagers en suggérant un lien entre les mots « Corbier » et « mort », de même lorsque l’on cherche des renseignements sur Hollande, Google propose « François Hollande juif » . J’en reste ahuri, et pour tout dire terrifié. L’heure est grave, il me semble, question peste millénaire. (Lire aussi ce qu’écrit Joann Sfar sur son blog.)

Resterait à expliquer pourquoi cet article s’intitule Frondaison. Eh bien, parce que Frondaison est un très joli mot, que je n’avais jamais écrit de ma vie. Il était temps. Celui-ci, c’est fait, au suivant, la langue française compte environ 100 000 mots. Parmi lesquels un certain nombre au Londonomètre du jour. Je viens d’achever une jolie bricole intitulée Lonesome G..

Hygiénisme et crime de guerre (Troyes épisode 36)

06/10/2011 Aucun commentaire

Ci-dessous un échange de mail avec Mano Gentil, dont il vous faudra lire sans faute l’effroyable prochain roman, Pavillon 19, à paraître quelque part en 2012 (mise à jour : le roman est finalement paru début 2013 sous le titre Le berceau de la honte), je vous garantis que c’est un gros morceau, j’ai eu l’honneur de le découvrir sur manuscrit car je suis dans ses petits papiers, expression idéalement adéquate. En attendant que ce nouveau volume soit disponible en librairie pour la vaine multitude ainsi que pour vous, sans vous commander vous feriez bien de lire toutes affaires cessantes (oui, immédiatement, laissez tomber ce blog, n’allez pas au-delà de cette phrase, d’ailleurs elle est trop longue, éteignez l’ordinateur, lisez plutôt des livres) Le Photographe, roman suffisamment fort pour qu’une fois ingéré il vous repête en tête, de loin en loin, en fonction de l’actualité. Bref. Ci-dessous un échange de mail avec Mano Gentil. Elle titre son message Née en 1961, comprenne qui pourra.

Très cher Fabrice,
J’ai attendu jusqu’à ce jour pour lire ta lettre adressée au Docteur Haricot. Je ne sais pas pourquoi avoir tardé autant. Peut-être sans le savoir, envie de la lire quasiment un an après , jour pour jour, que tu l’aies écrite.
J’admire ta science et ton écriture. Cette intimité avec Céline me laisse entrevoir les vides que j’ai encore à combler. Pourtant de cet écrivain, je n’ai jamais rien voulu savoir. J’ai lu, un point c’est tout. Et au fond de moi, j’ai toujours pensé qu’il en voulait plus à lui même qu’à l’humanité. Pour moi, il se sentait condamné à vie et pour ce, il lui fallait taper sur quelqu’un. Alors pourquoi pas le Juif? Après tout, humain qu’il était, quoi de plus humain que la faiblesse et la facilité en un temps où il n’était pas le seul à avoir donné « un statut » aux Juifs!
Pour moi, il était également un humoriste, certes cynique, mais tellement drôle. J’ai dernièrement visionné des entretiens entre lui et ceux qui cherchaient à débusquer la bête curieuse. Ils ne les a pas roulés, il leur a donné à voir!
J’espère ne pas te décevoir avec ma vision superficielle qui a cependant l’avantage de ne pas être celle d’un mouton. Ce qui est bien meilleur pour le haricot.
Je t’embrasse et ne peux m’empêcher de te dire encore Bravo.
Mano

Chère Mano
Eh, bien, en voilà un message qui me requinque de bon matin ! Mieux qu’un café + jus d’orange.
Le savais-tu, je suis à Troyes, en résidence d’écriture, fort seul en règle générale, et mes mises en route du matin sont un peu laborieuses. Sauf aujourd’hui.
Merci Mano.
Ta vision nest pas si superficielle que ça puisque, ayant lu Céline de la cave au grenier, je tombe finalement sur la même analyse : l’antisémitisme de Céline est un symptôme de son désespoir. Symptôme fort malvenu sous l’Occupation, ou l’antisémitisme cesse (pour toujours, semble-t-il) d’être une simple opinion stupide, pour devenir complicité de crime de guerre. Céline a une certaine vision des hommes, en gros il ne les aime pas, même s’il a de la tendresse pour eux en tant que médecin (« je suis devenu médecin parce qu’il n’y a que quand ils sont malades que les hommes cessent d’être méchants »), et dans ses romans il sublime cette misanthropie mélangée, il en fait la pâte de sa littérature, aucun lecteur ne peut s’en remettre. Cette misanthropie est, disons, métaphysique, parce qu’elle regarde l’humanité en général ; mais elle devient criminelle entre 1937 et 1941 parce qu’elle précise sa cible. Les trois livres publiés dans cet intervalle ne disent plus, soudain, « l’homme est mauvais » mais « le Juif est mauvais », comme si Céline avait enfin identifié le problème, diagnostiqué en docteur la maladie. C’est mystérieux et écoeurant depuis 70 ans.
Bon, et comment vas-tu ? Raconte un peu. Il est prêt à sortir, ton roman ? Non sans liens, d’ailleurs : une autre édifiante histoire de médecine et d’antisémitisme…
Tu connais cette blague sur l’écrivain qui parle de lui, encore de lui, toujours de lui, qui saoule son interlocuteur pendant une demi-heure puis finalement dit : « Mais assez parlé de moi. Parlons un peu de vous. Qu’avez-vous pensé de mon dernier livre ? » Il paraît que c’est une anecdote authentique mais je ne sais pas à qui elle est attribuée.
Bises
Fabrice

La suite de cette conversation privée, où nous avons parlé de nous et de nos livres, ne vous concerne pas, vaine multitude. Parlons un peu de vous. Que pensez-vous de ce que nous pensons ?

Un italien introverti pense avec les mains (Troyes, épisode 5)

05/09/2011 2 commentaires

Donc, j’écris. Je profite de cette conjonction extraordinaire, rarissime : Je peux écrire/J’ai envie d’écrire/Je sais quoi écrire. J’ai des fourmis plein les doigts, j’attaque on verra bien. « Il faut rater, s’y remettre, et rater mieux » (Beckett). Je viens d’entamer, dans la joie je vous jure, quatre mois de ratages, meilleurs à chaque fois.

Je suis en mesure de vous délivrer deux exemples circonstanciés de meilleurs ratages. Un : Hervé Bougel vient de republier ma Lettre ouverte au Dr. Haricot, de la Faculté de Médecine de Paris. J’ai sauté sur l’occasion du retirage pour remanier de la tête aux pieds et augmenter légèrement ce texte (vous n’avez pas encore cette délicate plaquette ? Commandez la nouvelle version sur le catalogue du pré#carré ; vous l’avez déjà ? Achetez-la pour comparer, c’est intéressant aussi)… Hervé, dont je salue la compréhension et même la complaisance (sans aucun doute facilitées parce qu’il écrit aussi, il sait de l’intérieur le bordel, tous les éditeurs ne savent pas) a donc été contraint de refaire de A à Z la maquette de l’opuscule. Je lui ai promis que, désormais, je ne le lirai plus jamais, puisque la relecture entraîne, fatalement, désir sans fin de retouches. En douce, j’ai tout de même jeté un œil… Plus fort que moi, un vice… Et je vois bien une phrase de traviole… Verrue, là… Tant pis, je me la garde…

Deux : attention, l’histoire qui suit est spécialement cruelle, et je ne la raconte pas sans quelque accablement. Comme on le sait, le Fond du tiroir a republié en 2010 La Mèche, mon livre-de-père-noël épuisé depuis lurette chez son éditeur initial. Trop heureux, là encore, d’amender un texte très bon mais perfectible, j’ai révisé chaque page, chaque phrase, chaque mot. Au passage j’étais satisfait d’avoir débusqué et éradiqué une vilaine coquille, une tache de moins, plaisir des yeux… Patrick Villecourt le Factote-Homme et moi-même étions très fiers, nous avions bien travaillé ! Nous délivrions la version définitive, impeccable (= dénuée de péché) de cet ouvrage chéri ! Las… Le jour où l’imprimeur nous a remis le tirage, la première personne, oui, la toute première personne à qui tout jovial j’ai donné à admirer l’ouvrage s’est exclamée : « Mais… Attends voir… C’est quoi, là, ce mot en quatrième de couverture ? » C’est quoi ? C’est quoi !? C’est une coquille que nous avions AJOUTÉE à la relecture bordel de merde ! J’en deviendrais grossier de rage ! Le mieux est l’ennemi de quoi, dit-on ? C’est mon ennemi personnel, oui ! Salaud de mieux ! Ah, je ne peux même pas vous spécifier la bourde, elle m’écœure trop, vous n’avez qu’à aller vérifier sur votre exemplaire, septième ligne de la cat’ de couv’

Conclusion : il est temps pour moi d’écrire des nouveaux livres au lieu de relire les vieux. Il est temps aussi que je détaille sous vos yeux les six pains sur ma planche. Oui, six : j’ai l’ambition mégalomane d’avancer et peut-être d’achever durant cette résidence six chantiers d’écriture, celui bien sûr que j’ai présenté dans le dossier de candidature à la résidence, et cinq autres en souffrance.

Une fougasse, une miche, un pavé de campagne un peu trop cuit, un gressin, une couronne, et bien sûr un bâtard.

 Vous voilà bien avancés. Et pour le monsieur ce sera ?

Fraises ! Fraises ! Voilà des fraises pas cher !

01/03/2011 2 commentaires

Chic, c’est bientôt le temps des fraises. Le printemps trépigne aux portes. Puisque Louis-Ferdinand Céline, que l’on peut apercevoir dans le document ci-dessus, jouant au figurant dans un film de son ami Jacques Deval (unique apparition filmée de Céline avant-guerre), a été retiré des célébrations officielles de l’année, en lieu et place fêtons le printemps. C’est permis, oui ?

Céline écrivait dans Mort à Crédit « La Seine a gelé cette année-là. Je suis né en mai. C’est moi le printemps. »

Céline est mort depuis 50 printemps, voilà qui s’arrose. Aujourd’hui même paraît la plaquette que j’ai rédigée à son sujet ou à son encontre, lettre ouverte en son honneur ou pour sa conjuration, je ne sais plus, Dr. Haricot de la faculté de médecine de Paris, aux éditions du Pré#Carré. Les souscripteurs la recevront dans quelques jours.

Ça a débuté comme ça – increvable formule magique, incipit de conteur, incantation pour un nouveau départ, signal de redémarrage de la roue, rien ne va plus, ou retour de bâton, attention les bourgeons, beau slogan pour le printemps.

Ça a débuté comme ça – la première ligne de ma lettre au docteur est : « Cher Docteur Haricot, Je pense à vous souvent. Vous êtes mort, mais vous bougez encore. »

Ah, docteur, comme il est difficile, une fois qu’on vous a lu, d’écrire sans faire lever votre fantôme ! Tiens, à cet instant même par exemple, au moment de fixer le titre de mon épître… Sera-ce « Docteur Haricot » ?… ou plutôt « Dr Haricot » ? Bien sûr, que c’est important ! Vous le saviez bien, qui disiez, quand vous révisiez vos manuscrits, « Chaque virgule me passionne ». Lorsque parut votre roman mutilé Casse-Pipe, vous fîtes une scène au correcteur qui s’était permis de rajouter un « s » dans le titre : « Je tiens beaucoup à Casse-Pipe, sans s à Pipe. Je ne sais pas pourquoi , par goût. Casse Pipes : ça ferait NRF ». (L’éditeur du livre était, cela va sans dire, la NRF.) Et vous ajoutiez à l’attention de votre secrétaire : « J’y tiens. Ainsi soit-il. Que les Jean-Foutre respectent mes textes, et merde du reste ! » Et c’est ainsi qu’on pense à vous quand on ajoute ou qu’on ôte une lettre.

Hommage, pas hommage, lâchetés politiques, précautions oratoires, dialectiques en veux-tu, embarras précieux, thuriféraires aux entournures… Tous ces verbiages mien compris vous auraient sans doute fait rire. Rions donc, et mangeons des fraises.

« Vous avez Professeur Y, soit dit sans vouloir vous vexer, la gueule d’être intelligent ! Dialecticien, même !… Vous fréquentez la jeunesse, forcément ! que vous devez lui bourrer la caisse !… Vous devez même être casuistique ! je parie ! Plus casuistique qu’Abélard ! à la mode, donc !… »


Oh oui Ferdinand, fais-moi peur !

30/01/2011 2 commentaires

Si vous êtes dans les petits papiers du Fond du Tiroir, vous avez déjà reçu le courriel ci-dessous, rédigé façon spam pour rire. Pourquoi un tel exercice de style ?

Primo parce que j’aime bien les spams. Je lis consciencieusement ceux que je reçois, du moins lorsque je ne reçois rien d’autre, ça me fait toujours un écho du monde, et quel écho. J’aime les spams. Je l’avoue franchement, j’aime leur roublardise pataude comme un gyrophare posé sur un piège à loup, j’aime leur irréductible absurdité qui rappelle l’étymologie montypythonnienne du mot spam, j’aime même leur débilité candide, symptôme de la dégradation fatale à l’oeuvre dans la « communication » moderne… Suis-je pervers ? Les spams m’émeuvent très sincèrement, j’y perçois une certaine poésie désespéréehouellebecquienne en quelque sorte.

Secundo parce que, comme toujours, à l’heure d’annoncer publiquement quelque évènement me concernant, l’idée même de la publicité me dégoutte à un point tel que j’enrobe névrotiquement ma réclame au sein d’une quasi-illisible satire anti-réclame… On s’amuse comme on peut. Si le Fond du Tiroir disposait d’un directeur marketing, je me serais fait virer depuis lurette. Heureusement, c’est moi le patron. Or donc voici ce que, dans un premier temps, j’ai envoyé à tout mon carnet d’adresse :

Bonjour cher ami de mon coeur.
Je est une Russe jeune de 21 années et je est joyeuse de fait ta connaissante.
C’est tout a fait un réel plaisire pour moi de t’écrire car mon plus grand désire est de faire des connaissantes et de partager mes idées avec d’autres.
Je ne fume pas et je voudrais corresprondre avec tu parce que je…

Oups ! Pardon ! Ce n’est pas ça du tout ! Au temps pour moi, le message ci-dessus ne vous était pas destiné, j’ai mélangé mes fiches ! J’escomptais vous soutirer du pognon pour un tout autre prétexte. Pour des livres, comme d’hab. Je reprends.

Vous êtes toujours là ? Si vous n’avez pas encore classé ce mail en « indésirable » d’un clic distrait, sachez que : Rome n’est plus dans Rome, et le Fond n’est plus dans le tiroir. Je m’exporte dans un pays frère. En effet, ma prochaine publication n’adviendra pas sous l’enseigne maison « Le Fond du tiroir », mais sous celle du Pré#Carré de mon estimé confrère Hervé Bougel.

A paraître, donc, en mars prochain : une élégante plaquette intitulée « Dr. Haricot, de la Faculté de médecine de Paris » au sein de la série « Un pas à la fois » qui, selon la présentation de l’éditeur, est « une collection de lettres adressées par des auteurs à d’autres auteurs ». À qui écrirais-je ? Au Dr haricot, bien sûr. Soit un écrivain-médecin dont il convient de se méfier parce qu’il sait faire rire. Il ne s’agit pas de François Rabelais, mais d’un rude tricard dont on ne fêtera pas le cinquantenaire de la disparition, sous prétexte que ça énerve Serge Klarsfeld, et que ça émeut Frédéric Mitterrand (le même Frédéric Mitterrand qui, toute bonne conscience politique dehors, déclarait il y a peu « La Tunisie, une dictature ? Allons allons c’est très exagéré… »). C’est bon, vous voyez qui ?

L’objet est à commander (6 euros franco de port) auprès du Pré#Carré… ou au Fond du tiroir.

Par ailleurs, toujours dans le registre « Le Fond du tiroir hors les murs », vous êtes invités à admirer l’affiche ci-jointe conçue par le trop rare (c’est de ma faute, c’est moi qui ne lui donne pas assez de boulot) Patrick « Factotum » Villecourt et à assister en masse, si vous êtes dans le coin, au lugubre spectacle que ce poster promeut : « Fais-moi peur ! saison 2 », vendredi 18 février 20h30, auditorium l’Odyssée d’Eybens, avec les élèves du CRC d’Eybens, entrée libre, composition et direction musicale : Olivier Destephany / lectures : moi-même en personne et de noir vêtu. Au programme : Bram Stoker, E. A. Poe, Maupassant, Lovecraft, Joseph Delaney. Et vous pages pervers, courez au cimetière, prévenez de ma part mes amis nécrophages que ce soir nous sommes attendus dans les marécages.

En revanche, si vous avez lu ce long message jusqu’au bout uniquement émoustillé par la perspective d’une jeune femme russe honnête et fidèle pour une relation épistolaire suivie et peut-être davantage, un jour, qui sait, voyez plutôt ici.

Si vous voulez que je vous réponds dans l’immédiat à mon adresse personnelle fvigne(arobase)fonddutiroir.com, je serai heureuse de te lire ta réponse mon amour à très bientôt. (Je est non fumeuse blonde.)
Fabrice « Irina » Vigne

… Ensuite, lorsqu’un destinataire de ce pseudo pourriel mordait à l’hameçon et me répondait d’un petit mot, je ferrais, comme les vrais ! J’amorçais la seconde étape, le ton plus direct, la demande explicite, et j’envoyais même la photo d’Irina. Qu’est-ce que je suis marrant.

Merci cher [Coller ici l’adresse de l’interlocuteur] !
Je très contente de ton message. Tu est quelqu’un avec quoi j’adore
discuter de mes idées et d’autres choses ! Je t’envoies ici ma photo (cf.
pièce-ajoutée
), j’espère qu’elle à ton goût ! Malheureusemente ma mère est
rès malade et j’est besoin de 10000 roubles pour l’opérer. Donne-moi vite
ton numéro de carte bleue pour que je puisse la soigner !
Tenderement,
Irina

Et une fois que j’ai fini de rire, je regarde à nouveau la photo de cette fille qui existe à peine, que je ventriloquise, et je reste perplexe. Qui est-elle, au juste ? Un roman à écrire, comme on dit.

Dr Haricot, de la faculté de médecine de Paris

18/01/2011 2 commentaires

C’est peu dire que j’aime les éditions du Pré#Carré (« Visitez leur blog ! Il est très intéressant ! »). J’aime les gens têtus, d’abord. Ceux qui façonnent leur propre liberté et tant-pis-pour-leur-gueule, ensuite. Ceux qui oeuvrent pour rendre le monde un peu moins tarte, enfin. Le gars Hervé Bougel est de ces trois catégories. Écrivain tourmenté et cependant rigolo (je recommande chaleureusement ses Pommarins, édités aux Carnets du dessert de lune), il est aussi depuis une quinzaine d’années cet éditeur de poésie farouchement indépendant et autocratiquement exigeant, qui imprime, coud et couvre à la main ses petites plaquettes chéries. Mon genre de beauté.

Entre le Fond du Tiroir et le Pré#Carré existent non seulement de solides liens de camaraderie et de fraternité (dans certains milieux interlopes, on nous surnomme « la rhubarbe » et « le séné », je vous laisse extrapoler qui est quoi), mais également des livres, nés de nos complicités. Deux opus du FdT sont ainsi fortement redevables à leur glorieux aîné. Le saviez-vous ? Le Flux fut d’abord conçu pour être publié dans un ouvrage collectif (jamais achevé) du Pré#Carré, tandis qu’ABC Mademoiselle n’existe que parce qu’Hervé eut le bon goût de me présenter mademoiselle Marilyne Mangione.

Depuis longtemps, je rêvais de publier un petit quelque chose au Pré#Carré (certains se fantasment chez Gallimard ou au Seuil, chacun son truc). C’est chose faite, dans la série « Un pas à la fois » qui, selon la présentation de l’éditeur, est « une collection de lettres adressées par des auteurs à d’autres auteurs, sous un format enveloppe. Imprimées sur papier ivoire, reliées par un brin de rafia, elles sont proposées dans une enveloppe de couleur.»

Hervé me propose un beau jour : « Si tu devais écrire une lettre à un écrivain que tu admires, ce serait à qui ? »

Ce serait au Dr haricot, bien sûr. Ceux qui ne voient pas de qui je parle n’ont pas lu D’un château l’autre, et tant pis pour eux.

L’élégante épître intitulée Dr Haricot, de la faculté de médecine de Paris, en souscription sous ce lien, paraîtra sous pli discret au mois de mars.

Rien à voir, mais le flux d’informations est tel qu’on mélange fatalement carpe et lapin. Bon appétit ! L’actualité du monde étant globalement sinistre, je me fais un devoir de relayer sur mon blog au moins une bonne nouvelle.

« Le style ? C’est l’homme même ! » (Céline)

23/11/2009 Aucun commentaire

Vas-y Ferdine, on t'écoute

« À bas le style » ? C’est un-peu-court-jeune-homme, même en provenance de Picasso. Je n’allais tout de même pas me laisser dire ça sans broncher !

Pour le pur plaisir de la dialectique, j’oppose Céline à Picasso, parce que les jours se suivent et ne se ressemblent pas, mais peuvent se chamailler. Ils vont se gêner.

Rappelons tout de même, pour contextualiser la démonstration, que Louis-Ferdinand Céline après-guerre se définit exclusivement comme « homme à style » afin de dénigrer la « littérature à idées ». Cette position est stratégique : elle sert à désavouer implicitement (car il ne le fera jamais explicitement) certaines « idées » qu’il aura trop défendues avant-guerre…

« Alors voilà : pour tout dire, je regarde les romans de mes contemporains, je me dis : « ça signifie déjà du travail, mais du travail inutile. » Voilà ce que j’en pense. Parce qu’ils ne sont pas à la mesure de l’époque, ni dans le ton de l’époque (…)

Il faut tenir compte que le roman, puisque c’est là-dessus qu’on me demande de donner ma pensée, le roman n’a plus la mission qu’il avait : il n’est plus un organe d’information. Du temps de Balzac, on apprenait la vie d’un médecin de campagne dans Balzac. Du temps de Flaubert, la vie de l’adultère dans Bovary, etc., etc. Maintenant, nous sommes renseignés sur tous ces chapitres, énormément renseignés : et par la presse, et par les tribunaux, et par la télévision, et par les enquêtes médico-sociales. Oh ! Il y en a des histoires, avec des documents, des photographies… Il n’y a plus besoin de tout ça. Je crois que le rôle documentaire, et même psychologique, du roman est terminé, voilà mon impression. Et alors, qu’est-ce qu’il lui reste ? Et bien, il ne lui reste pas grand chose, il lui reste le style. (…)

Je dis que ce que l’on fait, ce sont des romans inutiles, parce que ce qui compte, c’est le style, et le style, personne ne veut s’y plier. Ça demande énormément de travail, et les gens ne sont pas travailleurs (…)

Eh bien, des styles, il n’y en a pas beaucoup dans une époque, vous savez. Sans être bien prétentieux il n’y en pas beaucoup. Il y en a trois ou quatre par génération – il faut dire la vérité, parce que, si je ne la dis pas, personne ne la dira. (…)

Je reviens à [mon] style. Ce style, il est fait d’une certaine façon de forcer les phrases à sortir légèrement de leur signification habituelle, de les sortir des gonds pour ainsi dire, les déplacer, et forcer ainsi le lecteur à lui-même déplacer son sens. Mais très légèrement ! Oh ! Très légèrement ! Parce que tout ça, si vous faites lourd, n’est-ce-pas, c’est une gaffe, c’est la gaffe. Ça demande donc énormément de recul, de sensibilité. C’est très difficile à faire, parce qu’il faut tourner autour. Autour de quoi ? Autour de l’émotion. (…)

[Mais] les Français sont soudés. Ils sont soudés au style Voltaire, qui était une jolie forme d’ailleurs, qui fut copié par Bourget, par Anatole France, et puis finalement par tout le monde. (…)

La France a passé l’âge de changer d’habitude. Il est donc très certain, presque certain, qu’elle ne va pas changer de style pour me faire plaisir. Alors moi, je gratouillerai toujours dans mes perfectionnements, mes raffinements, mais ça ne sert à rien du tout. On continuera toujours à publier du Bourget, de l’Anatole France, de la phrase bien filée, etc. Donc c’est un coup pour la gloire, c’est vraiment de la vanité. J’en suis au désespoir moi-même et, je vous prie, avec beaucoup de mal. Ceci dit, je n’ai plus qu’à me retirer. Je n’ai plus grand chose à dire. Non… Non… Je vous remercie. Ça va comme ça. Je crois. »

Extrait de Louis-Ferdinand Céline vous parle, monologue enregistré en octobre 1957 et publié sur disque microsillon dans la collection « Leur œuvre, leur voix » (Festival, 1958), réédité dans le coffret Anthologie Céline (Frémeaux et associés, 2000).


Encore une citation sur ce blog ? Eh oui, encore. J’aime ça. D’ailleurs, en voici une autre : « Une citation est commode pour parler en public. Une citation est une béquille pour timide. Et je m’y connais, en béquille. » (Fabrice Vigne, Les Giètes, ed. Thierry-Magnier, 2007, p. 132)

Bon. Sinon, si vous êtes là, ce n’est pas seulement pour que je vous fasse part de mes lectures. Vous avez peut-être la gentillesse d’attendre de mes nouvelles ? Eh bien, j’ai la grippa (d’Aubigné), figurez-vous. Oui, LA grippa. Pour une fois que je rencontre quelqu’un dont on parle dans les journaux. C’est d’un commun ! D’un vulgaire ! J’en suis malade une seconde fois. J’aurais pu chopper un truc super-rare,  un mal inconnu et bizarre, mais non, j’attrape la maladie à la mode, celle qui se refile dans le métro,  les cours de récré, devant les guichets ou dans les files d’attente des centres de vaccination. Le plus rageant, c’est que je dois annuler mon voyage à Paris, le colloque à la BNF où j’étais censé exposer mon petit artisanat, le salon de Montreuil… Le docteur m’a dit : « C’est vous qui voyez, mais si vous intervenez en public, ce sera avec le masque »…