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Retour au lycée

(Premier épisode d’une série de trois, ou quatre, on verra.)

Chaque année, bon an mal an, j’accomplis avec constance, curiosité et scrupule, quatre ou cinq rencontres scolaires dans des lycées, et presque autant dans des collèges. Je n’en suis pas encore blasé. Pour la plupart, ces interventions ont lieu dans le cadre du dispositif SOPRANO de l’ARALD (et voilà une occasion supplémentaire de remercier la Région Rhône-Alpes pour son soutien, ah c’est vrai, je la remercie très sincèrement la Région, on s’étonne du taux d’abstention aux élections régionales, il me semble que la raison en est que personne ne sait à quoi elle sert, cette pauvre Région – or, moi, je sais : la région soutient la Littérature, merci la Région), et portent sur TS, qui, quoique mon plus vieux livre, et l’unique paru « pour adultes », demeure le plus à même de chatouiller un public ado – pas à un paradoxe près, on ne reviendra pas là-dessus.

Exception notable : c’est avec Les Giètes pour prétexte qu’a eu lieu l’une de mes dernières incursions marquantes en lycée. Un lycée pro, BEP « service aux personnes », m’avait invité au motif que ces jeunes filles (seulement trois garçons dans les rangs) se destinaient aux métiers type « assistance aux personnes âgées ». J’ai parlé d’assistance aux personnes, comme requis, puis de mille autres choses. Très bon souvenir, première et unique fois que je passais avec une même classe toute une journée, pleine de rebondissement… Comme je présentais à la classe mes autres livres, j’exposais la genèse de J’ai inauguré IKEA : « Moi, IKEA, je n’aime pas ça, ça me fait même peur. Il faut toujours écrire sur ce qui nous fait peur. L’une des origines de ce livre, c’est que j’ai lu dans un article qu’un Européen sur six était conçu dans un lit IKEA. J’en ai eu le sang glacé. »
Une élève, un doigt en l’air : « Ben… Je comprends pas pourquoi… Franchement, pas de quoi avoir peur, m’sieur… »
Une autre, qui engueule la première : « Mais si ! Attends, c’est dégoûtant ! Nous, on y dort, après, dans ce lit ! » (rires)
Je ne vois pas comment je pourrais en venir à me lasser des rencontres scolaires.

Pourquoi conservè-je un tel goût pour ces interventions publiques, alors que certains auteurs, plus connus que moi, plus aguerris, plus prolifiques, voire plus talentueux (ou les quatre à la fois : Jean-François Chabas), en ont soupé et déclinent systématiquement toute invitation en milieu scolaire ?

Bon, faisons immédiatement un sort au tabou phynancier : intervenir en classe est, en toute franchise, intéressant du point de vue numéraire. Lorsque je fais respecter les tarifs de la Charte des auteurs jeunesse, je gagne en trois ou quatre jours d’intervention l’équivalent des droits d’auteurs perçus pour un roman qui m’aura demandé un an de travail ou davantage. Easy money.

Mais je vous prie de ne pas me croire vénal, ni capable de prostituer la parole que je viens délivrer là. Comme j’ai eu l’occasion de le déclarer, précisément à une classe de collège, « Je ne fais rien pour l’argent. À part lorsqu’on a faim (et je n’ai pas faim), l’argent est la pire raison de faire quoi que ce soit, c’est avilissant ».

La vérité est que ces moments d’intervention, de confrontation, de remise en question sur le métier, je les aime.

J’aime être là, j’aime donner mon show un brin narcissique à ces jeunes gens, j’aime échanger avec eux, j’aime leur donner à rire, à s’émouvoir, à réfléchir, j’aime trouver en direct des réponses neuves à des vieilles questions. J’aime ce contact direct, de la même façon que j’adore me retrouver sur scène pour mon spectacle musical adapté des Giètes, et vive le spectacle vivant, la mise en présence en chair et os, en-cet-en-endroit-en-cet-instant, de celui qui dit et de celui qui écoute, strictement le contraire de l’expérience littéraire.

J’aime tout cela ; mais aussi, je crois sincèrement qu’il est important de s’y consacrer. On me jugera prêcheur, naïf ou bien-pensant, tant pis, je ne vais pas m’excuser d’avoir des convictions : j’estime que faire ces rencontres, c’est faire le bien, c’est une mission d’intérêt général, parce que je crois dur comme fer à l’éducation, en général, c’est même l’intime tréfonds de ma fibre politique. Si j’ai des réserves sur les missions édificatrices de la ‘littérature jeunesse’, en revanche je trouve tout naturel de venir en personne édifier la belle jeunesse, en leur parlant littérature tout court. J’ai dit tout récemment l’attachement que je porte aux actions qui construisent le lien entre livre et lecteur. C’est une idée générale, d’accord, mais pragmatique.

Quand ces rencontres se passent bien, j’en ressors heureux, épuisé, vidé et pourtant rechargé à bloc d’émotions en boucle, plein en outre d’un respect renouvelé pour les profs, accomplissant ceci à longueur de journée, à longueur d’année, pour une rétribution bien plus modeste. Et puis, parfois, ces rencontres se passent mal, comme un rendez-vous qu’on manque. Alors, je sors de l’enceinte scolaire perplexe, désemparé, anxieux, et juste malheureux…

(Ne manquez pas le prochain épisode, demain ou après-demain sur cet écran : Le livre par terre.)

  1. Yann
    08/04/2010 à 18:59 | #1

    Après une telle déclaration, tu as gagné ton billet pour St Laurent du Pont (l’année prochaine ou la suivante, selon le phynancement).

  2. 15/04/2010 à 17:43 | #2

    ahahah le coup du lit ikea franchement…c’est génial!!

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