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Bons baisers d’Annemasse

J’arrive.

J’achève mon mai surchargé, ma tournée VRP littéraire. Je défais mes valises, je recharge mes batteries, j’home sweet home.

Bilan chiffré de ma villégiature au Festival du livre jeunesse d’Annemasse : une semaine d’animations scolaires autour de mon petit Posthume à fond le planning (record absolu pour la journée du vendredi : j’ai fait face à 9 classes en cinq séances, de 8h du mat à 17h, puis table-ronde tout-public le soir, soit environ une dizaine d’heures debout sur le pont – j’explose les préconisations de la Charte allègrement, et de mon propre chef dois-je préciser afin de ne mettre personne en porte-à-faux), 28 classes au total, presque uniquement des 6e et des 5e, sauf des CM1-CM2 le dernier jour, soit un certain nombre d’occurrences de la question « Comment devient-on auteur » m’obligeant sans relâche à trouver des vérités au fond de mes variations, quelques 600 gamins, quelques adultes, des bibliothécaires très pros et charmantes (merci Nadine, Céline, Catherine, etceterine), des documentalistes désabusées, des libraires volubiles, des lecteurs, des non-lecteurs, des enfants épatés, des enfants blasés, de la pluie et du ciel gris et ensuite de la pluie, des tas de kilomètres en voiture pour passer d’un collège à l’autre (les lignes de crête et les paysages autour d’Annemasse sont superbes, alors que la ville est, au mieux, quelconque), quatre nuits d’hôtel et quatre jours de repas en cantine (beaucoup de frites, aucun fruit, le scorbut rôde), une dizaine d’auteurs alentour (collègues et parfois amis, salut Mathis), un débat ludique et étrange où les auteurs esquissent puis abandonnent une discussion sur la matière première des livres (des mots ? des idées ? des émotions ? qu’ai-je à dire là-dessus ? où suis-je ?), et durant lequel Bruno Gibert estime que ces questions sont mauvaises et que les seules correctes à lui poser seraient « Comment allez-vous ? Etes-vous heureux ? », enfin un salon sous chapiteau, presque dix livres vendus et dédicacés en quatre heures s’il vous plait – dont deux exemplaires de l’Echoppe.

Que dire ? J’aime et je sature, ces apparitions publiques m’usent et m’amusent, sont tout à la fois éreintantes et trop faciles. Je raconte aux enfants que ce que je voulais, moi, et dès longtemps, ce n’est pas « être auteur », mais « écrire », et que s’ils comprennent la nuance, ils ont saisi la moitié de ce que je peux leur apporter dans l’heure que nous passerons ensemble ; qu’écrire est difficile, qu’alors je suis tout seul avec mon stylo, ma cervelle et mes nerfs, et qu’il faut gratter et creuser et sculpter et fouailler et formuler et aboutir, et que c’est là l’enjeu, c’est là le but, c’est là l’envie viscérale, le risque de réussir ou échouer ; qu’en revanche « être auteur », c’est seulement ce que je suis en train de faire devant eux, mon show, pas désagréable, mais pas comparable, « être auteur » c’est juste être pris pour un auteur, fastoche, je ne suis pas très inquiet, j’y arriverai presque à coup sûr, même avec la neuvième classe de la journée. J’essaye de nouer un vrai contact à chaque fois, de ne pas me caricaturer, de ne pas réciter. Au bout de la semaine, forcément, c’est moins commode qu’au début.

« Etre auteur » est largement mieux payé qu’ « écrire ». C’est bizarre. Mais peut-être pas anormal, par les tristes temps qui courent.

Des anecdotes, des impressions ? Oui, bien sûr, plein.

Je cherche toujours à identifier, représentation après représentation, ce qui distingue une classe d’une autre, afin de n’avoir pas un souvenir unique, global et flou, qui me ferait croire qu »Annemasse c’est comme ceci » ou « comme cela ». Ainsi j’ai, comme jamais auparavant, perçu la différence entre les 6e et les 5e. J’exprime platement, et peut-être naïvement, ce que j’ai ressenti comme une révélation : au fil du compte à rebours, entre le six et le cinq, c’est tout l’abîme qui sépare l’enfance et l’adolescence. Les 6e sont encore spontanés et curieux, ils emplissent la salle par le premier rang ; les 5e sont déjà soupçonneux et ricaneurs, un peu ailleurs, et ils emplissent la salle en commençant par le dernier rang.

Autre hiatus, et pas moindre : les collèges publics et privés. On a beau se trouver, dans chacun de ces deux mondes, en face d’enfants, et savoir que tous les enfants sont comme le tien, les enfants ici et là n’ont pas le même rapport à l’argent, à la réussite, à l’avenir. Ceux du public rament, ils auront à se battre et se battent déjà ; ceux du privé sont souvent meilleurs élèves, mais sans trop se forcer (mentalité frontalière qu’un documentaliste m’a expliquée : à quoi bon foutre quoi que ce soit à l’école, puisque je peux comme papa et maman gagner ma vie en Suisse, quatre fois mieux qu’en France ?). Du coup, des nuances existent dans leurs réactions : quand je leur explique que « Non, je ne gagne pas ma vie avec mes livres, mais tant mieux, je ne les fais pas pour l’argent, je les fais pour quelque chose de plus important, car à part lorsqu’on a faim (et je n’ai pas faim), l’argent est la pire raison de faire quoi que ce soit, c’est avilissant », certes Je leur parle une langue étrangère des deux côtés de la guerre scolaire ; mais dans le public ils me prennent pour un fou, tandis que dans le privé ils me prennent pour un con.

Lors d’une rencontre avec une 5e, une fille assise au fond du CDI n’a pas dit un mot, et semblait même ne rien écouter. Après la sonnerie, quand tous déguerpissaient vite-vite, elle est passée devant moi et, toujours sans un mot, m’a remis ce qu’elle avait fait de cette heure-ci : un portrait de moi qui, pour ce que je sais de mon apparence, est étrangement ressemblant. Merci Mylène.

  1. 04/06/2008 à 23:28 | #1

    Ceci est tombé aujourd’hui dans ma boîte aux lettres. C’est peu finalement, mais il est agréable de penser qu’on a laissé quelque chose, et qu’on a emporté autre chose. Une « rencontre », oui.

    « Bonjour!
    Je me présente je suis Gaëlle de la classe de 6°3 du collége Michel
    Servet , où vous êtes venu !
    Ma classe et moi vous remercie d’être venu , pour répondre à nos questions.
    J ‘ai bien aimé votre livre  » Jean 1er le posthume ».
    Au revoir et encore merci!
    gaëlle et la 6° 3! »

  2. Tamimout
    05/06/2008 à 06:47 | #2

    Salut Fabrice ,

    Un petit mot perso pour te remercier d’une de ta venue au festival du livre d’Annemasse, t’as vu ça paye pas de mine comme ça mais ça vaut le coup !!! et de deux te remercier pour ce long commentaire que tu laisses sur ton blog concernant tes impressions …C’est précieux pour nous d’avoir des retours , surtout quand ils sont si joliment formulés

    Je confirme , le portrait est très ressemblant !!! bravo à Mylène si elle passe par là …

    Je te souhaite encore mille et une rencontres de ce type et te dis à une prochaine , pour un autre festival et pour encore d’autres livres ….

    A + collègue

  3. 06/06/2008 à 23:04 | #3

    « (…)des bibliothécaires très pros et charmantes (merci Nadine, Céline, Catherine, etceterine), des documentalistes désabusées,(…) »

    CORPORATISME EHONTE ; VIVENT LES C.D.I

    « documentalistes désabusées »

    FEMINISME OUTRANCIER

    Vivement le 20 juin…!
    Buznik

  4. 14/06/2008 à 10:47 | #4

    Je fais l’escargot, je bave en passant par là ! :-)
    Tout ça pour dire qu’encore une fois, je trouve très juste ta distinction entre « écrire » et « faire l’auteur », le second payant mieux que le premier comme chacun sait. Et j’aime bien ta façon très honnête de décrire tout ça. Chapeau (et même Chapi).

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