Archive

Articles taggués ‘Jean II le Bon (séquelle)’

Nos lecteurs rectifient d’eux-mêmes

24/05/2021 un commentaire

Un monsieur m’aborde. Il souhaite me parler de l’un de mes livres. Je vous en prie, volontiers, je vous écoute. L’expérience est rare, la plupart du temps agréable, aujourd’hui carrément exceptionnelle puisque le livre dont ce monsieur souhaite m’entretenir est celui dont personne ne me parle jamais : Jean II le Bon, séquelle (Thierry-Magnier, 2010). Roman qui s’est soldé par un bide absolu, mon fiasco le plus retentissant (si l’on excepte naturellement ceux parus au Fond du Tiroir), disparu depuis longtemps, pilonné par l’éditeur, introuvable mais heureusement non cherché, cancellé y compris sur la page qui m’est consacrée chez Thierry-Magnier, oublié comme s’il n’avait jamais existé.

Cinq ans plus tôt, j’avais publié Jean Ier le Posthume, roman historique, de nos jours tout aussi épuisé que son frère mais qui en son temps avait rencontré un petit succès, à ma mesure. Des lecteurs venaient m’en parler, c’est pour dire. J’avais pensé : J’ai réussi mon coup, j’ai trouvé la bonne formule, le bon dosage entre le divertissement et la profondeur, la tradition et l’originalité. Tiens, et si j’écrivais la suite ? Je n’ai pas épuisé le sujet, j’ai envie de le mettre cul-par-dessus-tête pour voir ce qui se cache en-dessous. Puisque cinq ans ont passé, je vais prendre les personnages cinq ans plus tard, ils ne seront plus des enfants mais des ados, ils se poseront les mêmes questions fondamentales, sur eux, sur le monde qui les entoure, sur le geste de création, mais forcément les réponses seront différentes… Jean Ier était un livre sur l’enfance et la prédestination sociale, Jean II sera le contraire, un livre sur l’adolescence et le libre arbitre !

Mon idée géniale était complètement pourrie : j’avais oublié que la littérature jeunesse est segmentée, l’on écrit soit un livre pour enfants, soit un livre pour ados, mais un livre pour ados qui serait la suite d’un livre pour enfants, ça n’existe pas. La preuve. Peu après, une conversation avec une grande dame de la littérature jeunesse, à juste titre aimée de tous et de moi-même (promue entre temps chevalière de la Légion d’honneur) avait enfoncé le clou : mon livre ne serait pas lu parce qu’il était illisible. Je m’étais fait une raison, je m’efforcerais d’oublier Jean II le bon, séquelle, comme tout le monde.

Or aujourd’hui ce monsieur m’aborde et me déclare ce que personne ne m’a jamais déclaré : « J’ai lu votre diptyque, Jean Ier et Jean II. Je vous avoue que le premier m’a un peu laissé sur ma faim, un peu court et superficiel… Mais le second ! Bravo, formidable ! Cette fois tout y est ! »

Ah, bon ? Ben ça. Il en faut pour tous les goûts.

Il ouvre le livre sous mes yeux et ajoute : « Toutefois je me suis permis de corriger une petite erreur, voyez, j’ai ajouté ici une note au crayon… »

Page 198 :

ELSA – Décidément, les guerres ne sont pas seulement horribles, elles sont grotesques.
STAN (sentencieux) – « Honni soit qui mal y pense. »
ARTHUR – Pardon ?
STAN – « Honni soit qui mal y pense. » Notre ennemi juré, Édouard II, a fondé le plus prestigieux ordre de chevalerie, le seul en tout cas encore en activité au XXIe siècle. Et la devise de cet ordre, c’est : Honni soit qui mal y pense, c’est-à-dire tant pis pour celui, ou celle (lourd regard à Elsa), qui voit le mal partout.

Refermant le volume, ce lecteur pointu me précise en souriant, tout en élégance et magnanimité : « Il s’agit manifestement d’une coquille, puisque, comme vous le savez, le fondateur de l’Ordre de la Jarretière n’est pas Édouard II mais bien sûr Édouard III, en 1348, le jour de la Saint-George. »

Il en faut pour tous les goûts, y compris pour ceux des véritables amateurs de romans historiques, ceux qui en savent plus long que les auteurs sur les époques convoquées et vérifient qu’on ne profère pas d’âneries ! Merci infiniment pour votre lecture et votre opinion, cher monsieur !

Suite à cet échange, j’ai relu la page incriminée ainsi que d’autres extraits du roman perdu. Et j’ai aimé. Et j’ai été frappé par ce qui m’avait échappé jusqu’à présent.

Après le four de Jean II et l’arrêt de commercialisation de Jean Ier, j’étais persuadé que Magnier ne publierait plus jamais aucun de mes livres, que notre histoire en commun était achevée. Aussi, qu’il accepte l’an dernier, si longtemps après, mon Ainsi parlait Nanabozo m’avait été une sacrée surprise. Or plus je relis, plus je compare, plus la logique me semble évidente, Nanabozo avait sa place naturelle chez Magnier, comme les deux autres. Car il s’agit au fond d’une trilogie. Cette scène où une fille, plus intelligente que les garçons, fustige et moque l’un deux parce qu’il est fasciné par la guerre… Et celui-ci qui observe en silence les conversations des autres, et qui est peut-être bien le personnage principal… Les trois écoliers de Jean Ier, les trois collégiens de Jean II, sont devenus les onze lycéens de Nanabozo. Constante dans chacun des volumes, je les observe dans le stress de leur dernière année, juste avant le grand saut vers l’inconnu : ils sont en CM2 dans Jean Ier, en 3e dans Jean II, en terminale dans Nanabozo. Même pas déçu par mes propres répétition, je reconnais leurs caractères, qui se sont déployés, amplifiés, multipliés. J’ai juste changé les noms et je suis allé encore plus loin, quinze ans plus tard.

Maintenant que je l’ai saisi, l’aspect trilogie est tellement évident que divers signes me sautent aux yeux. La couverture du premier volume, Jean Ier le Posthume, ne mettait-elle pas en scène le personnage principal en train de jouer aux indiens, en tailleur devant son tipi ? Tout était déjà là !

Et je relève, page 93 de Jean II le Bon, séquelle, un dialogue qui, vu d’ici, m’apparaît bizarrement prophétique : oui, à l’évidence, écrire un troisième tome était impossible, sauf à changer de sujet… Sauf à aborder les papes…

ELSA (haussant les sourcils) – En tout cas, au moins une bonne nouvelle, une fois qu’on aura réglé le compte de ce « Jean »-ci le Second, on aura fait le tour de la question : il n’y a que deux « Jean » parmi les rois de France. On évite le risque de faire un jour un « Jean III le Quelque-chose », et tant mieux parce que les séquelles de séquelles, c’est pire que tout.
STAN – Des rois de France, peut-être, mais je te signale que si on regarde les papes, des « Jean » il en vient jusqu’au XXIII…
ELSA – Des papes ?! Pas question ! Les papes ce sont des vieux réacs anti-préservatifs, anti-avortements, et anti-homosexuels ! Tout ça pour nous inciter à faire des enfants, plein d’enfants, onze enfants, toujours plus d’enfants. Moi, je vous préviens, j’aurai jamais d’enfants.
STAN (fasciné) – Je vois pas du tout pourquoi tu nous préviens de ça …

Je me sens ce matin encouragé, optimiste, réconcilié, merci encore, monsieur. Quand bien même Nanabozo serait un bide sans appel (il s’avère que d’ores et déjà, quelques-uns de mes fidèles lecteurs, voire de mes amis, ont décroché, déçus, estimant ce livre pénible et illisible), peut-être qu’un de ces jours, une de ces années, un lecteur m’abordera et me dira en confidence : « Formidable ! Il en faut pour tous les goûts, même le mien. »

Excelsior ! (devise de l’État de New York)

12/11/2018 un commentaire
J’ai publié deux romans, aujourd’hui épuisés, où je tâchais de mettre en scène, pour rire mais pas seulement, le processus de l’écriture. Ces deux romans racontaient l’aventure de l’écriture en tant que jeu d’enfant, puis en tant qu’affre d’adolescent : Jean Ier le Posthume, roman historique (2005) et Jean II le Bon, séquelle (2010).
 
Les trois protagonistes de ces romans étaient des mini-écrivains qui découvraient tout, en l’écrivant : le monde, l’effort, l’art, la joie, eux-mêmes, les autres, au fur et à mesure et en même temps que moi. Parmi eux, celui qui incarnait la joyeuse et démiurgique toute-puissance de l’imagination se prénommait Stan.
 
Il s’agissait d’un hommage à Stan Lee, scénariste américain de bandes dessinées (1).
 
Durant les années 70 et 80, je lisais goulûment les comics Marvel, traduits et un peu caviardés dans Strange et autres périodiques des éditions Lug. Très tôt, j’avais remarqué que la pleine page (« splash page ») par laquelle s’ouvrait chaque épisode mentionnait dans un cartouche « Scénario : Stan Lee ». Par cette répétition m’était révélée, à l’âge de 8 ans, la notion d’ « auteur ». (Juste à la ligne en dessous dans le même cartouche, l’énumération des dessinateurs me révélait quant à elle la notion de style et affinait mon sens esthétique, puisque je m’exerçais à reconnaître dès le premier coup d’œil Jack Kirby à ses déflagrations cosmiques toujours plus anguleuses, Steve Ditko à ses angoisses kaléidoscopiques et aériennes, John Buscema à sa grâce expressionniste et mélancolique, Jim Steranko à son psychédélisme noir, Neal Adams à son « réalisme » hachuré et transpirant, John Romita à son énergie de prolo devenu hippie, Gene Colan à son clair-obscur poétique de série B… Je ne cite que quelques artistes majeurs alors que j’étais capable d’identifier y compris les suiveurs, les petits maîtres imitateurs des grands – toutefois c’est là l’histoire de ma sensibilité au trait, différente de celle que je veux raconter, la sensibilité aux mots.)
 
Stan Lee l’auteur, donc : l’être à la base de tout, cité en premier comme si le protocole était un indice. Je m’émerveillais, d’une part, que les histoires qui me faisaient rêver eussent besoin que quelqu’un les écrive ; d’autre part que ce quelqu’un portât souvent le même nom – quel extraordinaire pouvoir avait donc ce type unique, ce Stan qui par la seule force de son imagination et de sa machine à écrire, créait, animait, peuplait et dialoguait des mondes (ah, les dialogues, son talent le plus évident… qu’elles étaient donc drôles ces interminables palabres à la fois épiques et bouffones, y compris en plein cœur d’une baston qui rasait un pâté de maison, alors que tous les belligérants devraient être essoufflés et haletants). C’était décidé ! Je prêtais serment sur ma pile de Strange ! Je serais Stan Lee ou rien ! Car à l’époque, j’ignorais qui était Chateaubriand.
 
Peu après, disons, vers 9 ans, je remarquai autre chose : les épisodes s’égrainaient et les cartouches des splash pages spécifiaient de moins en moins « Scénario : Stan Lee » , délivrant à la place d’autres noms d’auteurs auxquels je me familiarisais rapidement, l’écriture aussi avait un style. Manifestement, le démiurge en chef s’éloignait de la terre et déléguait à ses disciples le soin de poursuivre ses sagas. En revanche, tous les épisodes de toutes les séries commençaient par un même cartouche, comme une enseigne au néon : « STAN LEE PRÉSENTE… » Qu’est-ce à dire ? En deux fois plus haut que n’importe qui son nom s’étalait (je m’voyais déjà…), à la place d’honneur du générique même lorsqu’il n’avait rien fichu ! Ainsi m’était révélée une seconde figure, pratiquement aussi importante que celle de l’auteur : le patron de presse un peu bluffeur, l’éditeur un peu exploiteur, le producteur un peu filou, le publicitaire un peu mégalo (car, afin de donner un visage au culte de sa personnalité, nous était fréquemment exhibée l’icône de son sourire, sa moustache, ses lunettes, son air satisfait), le visage humain du bizness, la vedette bankable un peu warholienne qui faisait de son propre nom une marque standard afin de s’approprier l’œuvre des autres au sein d’un empire industriel.
Il faut un peu casser l’ambiance de l’hommage nécrologique en rappelant que Stan the Man était controversé et que j’étais sensible à la controverse, puisqu’elle émanait d’autres génies que j’admirais éperdument, Kirby en premier lieu. Dans les années 70, Jack Kirby, lassé de ne pas toucher sa part de droits d’auteur, aigri de voir toutes ses créations pour Marvel mises au crédit seulement de leur dialoguiste, passait à la concurrence et inventait pour DC le personnage puant de Funky Flashman, caricature de tu-sais-qui, beau parleur, profiteur, veule, hypocrite, manipulateur, arriviste, bonimenteur, égocentrique… et barbu. Funky Flashman (on remarque la double initiale, parodiant un tic d’écriture de Stan Lee : Peter Parker, Matt Murdoch, Otto Octavius, Reed Richards, Bruce Banner, Stephen Strange, Scott Summers, JJ Jameson…) était l’ennemi de Mister Miracle, l’artiste de l’évasion, projection transparente de Kirby les personne, évadé de Marvel. Stan n’a jamais réagi officiellement à cette attaque, qui a le même parfum que les règlements de compte post-Beatles Lennon/McCartney par chansons interposées, Ram/How do you sleep etc. Il n’empêche que c’est à cette époque que Stan Lee a rasé sa barbe, conservant seulement la moustache, et le portrait barbu qui surplombe le présent article, signé Jean-Yves Mitton et qui identifiait Stan pour toute une génération de petits lecteurs français, perdait toute actualité et réalité avant même de paraître.
 
Trêve de chipoteries mesquines. Stan Lee est mort aujourd’hui lundi 12 novembre 2018, à l’âge de 95 ans.
 
J’adresse à son fantôme toute ma gratitude, et quasiment tout mon respect.
————-
(1) – Seconde référence plus subtile pour les gourmands, attention nous embrayons sur le niveau deux, sur l’hommage à double-fond : au détour d’une scène de l’un de mes deux romans, le lecteur apprend que « Stan » est en réalité le diminutif de Stanislas. Or ce prénom-ci était celui du papa de René Goscinny, que ce dernier utilisera parfois comme pseudonyme pour signer les pages d’actualité de Pilote (mâtin, quel journal !). Stan Lee et Goscinny, le Ricain et le Franco-Belge (Argentin), et voilà réunis dans le même prénom mes deux premiers modèles d’écrivains.

À bas le travail

09/02/2012 Aucun commentaire

Des titres.
Des billets.
De l’or.
Et les grandes richesses, alors,
Et tout ce que les grandes richesses sont dans la vie,
Femmes, tableaux, chevaux, châteaux, tables servies,
Tout, j’ai tout, tout ce que je veux.
J’ai tout, tout ce qu’ils n’ont pas,
Alors comment est-ce qu’il se fait que ces autres choses ne soient pas à moi ?
Quand tout l’air sent bon comme ça.
Seulement l’odeur n’entre pas.
Les seules choses qui font besoin
Et tout mon argent ne me sert à rien, parce qu’elles ne coûtent rien.
Elles ne peuvent pas s’acheter.
C’est pas la nourriture qui compte, c’est l’appétit.
Charles-Ferdinand Ramuz, L’Histoire du soldat, 1917

(Cet article est dédié au taquin Fred P.)

Ouf. Le léger doute qui m’assaillait lors du précédent post est dissipé : j’ai finalement peu en commun avec Nicolas Sarkozy. Le 24 janvier dernier, l’excité en chef souhaitait en ces termes la bonne année aux acteurs de la culture : « Est-ce que l’on respecte ce qui est gratuit ? Non ! » Ben voyons. Respect = thune. C’est vrai, comment respecter un quelconque minable qui n’affiche pas sa réussite commerciale à même son poignet, surtout passé 50 ans ? Le pénible histrion de la bling aura donc incarné jusqu’au bout (courage, on le voit, le bout) l’immonde mépris pour ce qui est gratuit (le bénévolat ? pouah ! Les relations sociales désintéressées, s’il en reste ? Laissez-moi ricaner ! Et le dévouement, l’altruisme, le rêve ? L’amour ? Toutes ces valeurs ringardes ne finiront pas au caca-rente, alors du balai), et par extension pour toute activité à but non lucratif. Les services publics en général, tout s’explique, l’éducation en particulier. Ainsi que, donc, la culture. Le cynique a cru flatter le monde de la culture en le galvanisant, pour tout voeu, sur l’air « Vous êtes bankable ! » , sur l’air « … pour gagner plus ! » en somme, car il n’en connait guère d’autre.

Gloire au gratuit ! C’est beau, un coucher de soleil. C’est gratuit. Respect. J’ai la furieuse envie de ne plus célébrer, n’aimer, ne préconiser, que ce qui est gratuit. Le don, le contre-don, le potlatch, le sacrifice, le partage, le prêt, le téléchargement sub-légal, c’est ta tournée ? la prochaine est pour moi, n’importe quoi plutôt que la vente. J’en ai nourri fugitivement la tentation de distribuer gratos tous mes stocks de livres, allez pfuit, tout doit disparaître, marre de ces cartons dans mon garage, mais je me suis retenu à temps, me suis calmé, il me pousserait à la faute l’affreux jogger, mes livres restent en vente, achetez-les. J’ai trouvé un autre dérivatif : cette semaine, je viens de me payer le luxe de refuser une offre d’emploi. J’ai reçu ça :

Bonjour,
Dans le cadre du Forum des métiers (voir pièce jointe), on nous a contacté pour savoir si un écrivain pouvait témoigner de son métier : nous avons pensé à vous, seriez-vous disponible ?
Ces rencontres sont prévues les 8 et 9 mars, Salle Emile Allais, Savoie Technolac.
Nous sommes persuadés que votre contribution lors de ce forum pourra apporter aux jeunes un éclairage sur le métier d’écrivain, ainsi qu’une ouverture possible aux côtés d’activités professionnelles plus, oserais-je dire, « lisibles » ?
Pouvez-vous me tenir au courant quant à votre disponibilité ?
Merci beaucoup !
Cordialement,
XXXX
Chargée des relations internationales
Chargée des relations avec les établissements scolaires et universitaires

J’ai rédigé d’abord une réponse bien sentie :

Bonjour
Je vous remercie d’avoir pensé à moi.
Mais je ne suis pas certain d’être la personne la mieux indiquée pour présenter à des collégiens mon travail d’écrivain ou d’éditeur en termes de débouchés professionnels. Je suis très loin de vivre (« vivre » au sens financier) grâce aux livres que j’écris. Quant à ceux que j’édite, non seulement ne me rapportent-ils rien, mais ils me coûtent. J’ai récemment été rattrapé par le réalisme économique, et j’occupe désormais un emploi salarié à plein temps – très heureux d’avoir cette chance, alors que le chômage progresse encore. C’est cet emploi, et non mes livres, que je considère comme « mon métier », et d’ailleurs c’est lui qui occupera mon temps les 8 et 9 mars prochains. Mes travaux littéraires sont donc distincts de mon « métier », et cependant pas moins importants (euphémisme), parce qu’il n’y a pas que le métier, dans la vie. Voilà, je le crains, le genre de discours que je serais susceptible de tenir à ces collégiens, et que les organisateurs du Forum des métiers seraient fondés à juger contre-productifs !
Du reste, pour ne pas m’en tenir à mon cas personnel, je lis dans votre prospectus qu’il s’agit d’exposer aux jeunes « les métiers dans lesquels les différents secteurs recrutent », or je ne sache pas que le secteur du livre soit particulièrement porteur ces temps-ci, et je crois que je serais envahi par un sentiment de supercherie si je devais vanter à des élèves de 3e les perspectives alléchantes du marché de l’édition (-3% de livres vendus en 2011 en France par rapport à 2010)…
Voilà pourquoi je regrette de devoir décliner votre pourtant sympathique proposition. En revanche, j’entrevois une autre façon de contribuer : j’aurais envie, en toute compassion, de conseiller aux adolescents perplexes, incités toujours plus tôt à réfléchir à leur avenir professionnel, pressés par l’école, par les parents, par les conseillers d’orientation, par toute une société anxiogène, de se détendre un moment, de réfléchir et de prendre du recul, de rire un peu, en lisant mon roman Jean II le Bon, séquelle, qui parle précisément de cela.
Bien cordialement,
Fabrice Vigne

… Et puis finalement, j’ai changé d’avis, je me suis contenté de répondre : « Navré, je ne suis pas disponible ». Reçu aucune réaction. Suivant.

Franchement (Troyes épisode 77)

28/11/2011 Aucun commentaire

Puisqu’on parle de style, franchement, quand je me relis, je trouve que j’abuse des adverbes.

Allez, au lit, ça peut pu durer, ce soir faut qu’je me couche tôt.

Faire simple (Troyes épisode 57)

08/11/2011 Aucun commentaire

J’avais offert mon roman Jean II le Bon, séquelle à Susie Morgenstern, pour des raisons sentimentales expliquées ici. Un an plus tard, je passe, entre un salonduliv et une rencontre scolaire dans la bonne ville du Gua, quelques heures charmantes en compagnie de la délicieuse Susie, bloc de générosité, de tendresse et de bonne humeur qui rend plus agréable votre journée et, grosso-modo, votre vie. Elle trouve finalement l’occasion de m’en parler, de ce Jean II, qui lui a été un pensum. Elle semble triste d’être déçue, ou réciproquement. Elle qui avait tant aimé TS, ou Les Giètes, ou même La Mèche (alors qu’elle déteste Noël), aujourd’hui elle enfile des gants, saisit des pincettes, et prend toutes les précautions pour m’avouer sans me blesser que ce livre-là, non, elle n’a pas pu.

– Mais Fabrice, c’est bien trop alambiqué pour ce qu’il s’y passe. Aucun ado ne parle comme tes personnages, tu les fais parler comme des agrégés de lettres, c’est du pur intellectualisme, moi je décroche, je n’y prends pas de plaisir… Ou alors, tu aurais dû prévenir, préciser qu’ils étaient élèves dans une école de surdoués… Personne chez ton éditeur n’est là pour freiner tes penchants ?
– Il faut croire que si, puisque mon manuscrit suivant n’a pas passé la rampe. Mais, une école de surdoués ? Euh, ben non, ce n’est pas ça du tout… Je le sais bien, Susie, qu’ils ne ressemblent pas à des vrais enfants, à des vrais ados, à des vrais dialogues, ça fait même partie du plan. Contrairement à d’autres de mes livres, dans Jean Ier et II je ne cherche pas du tout le réalisme. Le modèle originel de ces deux romans, au fond, c’est Enid Blyton, c’est le Club des cinq, ce sont des enfants qui, de façon pas le moins du monde réaliste, partent à l’aventure. Si l’on y réfléchit une seconde, il est à peu près aussi crédible que le Club des cinq coure à la chasse aux voleurs et aux faux-monnayeurs, que mon trio se mette à discuter sémiotique de l’image et analyse génétique du texte dans la cour de récré. Mes héros partent à l’aventure aussi, sauf que c’est une aventure intellectuelle.
– C’est TROP intellectuel. Tu es intelligent, mais si tu n’es qu’intelligent, tu ne pourras pas écrire un livre qu’on lit avec plaisir. Laisse-toi aller ! Sois simple ! J’aimerais te faire travailler dans un atelier d’écriture, et tu n’aurais qu’une seule consigne : sois simple. Tiens, prends Marc Lévy, par exemple… Attends, non, pardon, pas Marc Lévy tout de même, c’est trop bête. Mais tu vois, c’est cette direction… Sauf si tu ne vises que la postérité.
– Bah, non, je ne vise pas ça non plus. Quand je suis déprimé je doute de la postérité du livre en général. Alors, la postérité des miens…

Je gamberge sur cette conversation. Je ne peux la balayer d’un revers de manche. Les conseils des pros sont toujours bons à prendre, surtout lorsqu’ils sont dispensés avec bienveillance (Susie m’aime bien, et elle souhaiterait sincèrement, quoique naïvement, me voir écrire un best-seller), mais je ne tiens pas à être simple à tout prix. Je suis ravi si je le suis, quand je le suis, et comme tout le monde je suis fâché si on ne prend pas de plaisir en me lisant ; pour autant je n’ai pas envie de me fixer la simplicité comme but à atteindre. Je suis sûr, ceci je le sais en tant que lecteur, qu’il n’y a pas que la simplicité qui donne du plaisir. J’adore Susie, j’aime certains de ses livres, elle est un écrivain naturel et débordant, parce que son talent se confond avec sa générosité, mais je ne peux ni ne veux écrire comme elle. Chacun écrit comme il peut, voilà le secret, et on peine à faire aboyer un chat.

Dans la gueule du crocodile

20/07/2011 Aucun commentaire

La maison Magnier vient de relever les compteurs. J’ai reçu mes droits (et quelques gauches aussi, mais je me suis toujours relevé avant le knockout), ainsi que mes chiffres de vente. Pas Byzance. Mon Jean II dernier né s’est écoulé à quelques centaines d’exemplaires, presque dix fois moins que son aîné Jean Ier. Un score qui, fabuleux si l’éditeur était le Fond du Tiroir, est médiocre chez Magnier, maison sérieuse. J’ai dans l’idée que ma prose n’intéressera jamais qu’une poignée de curieux, mais 5000 curieux, c’était mieux que 500, mieux pas seulement pour moi, aussi pour la curiosité en général. Une sorte de bide. Mon audience peaudechagrine. Cela me fait-il de la peine ? Hélas, un petit peu. J’aimerais avoir la trempe de répondre « pas du tout ». J’ai toujours préféré ce qui ne se mesure pas, les lettres aux chiffres, la qualité à la quantité, je ne suis pas hanté par l’ambition du gros tirage (sinon je n’en serai pas là, cf. tous les épisodes précédents), j’ai tout au contraire le goût du livre secret imprimé à trois exemplaires… Mais voilà : je réponds « un petit peu » quand même. Je suis au regret d’être à peine lu. Il me reste à espérer que les quelques personnes qui ont lu ce livre l’ont aimé, mais de cela on n’est jamais certain, les relevés annuels de l’éditeur ne mentionnent pas cette option.

Si j’étais malhonnête, s’il me fallait vraiment esquiver la blessure narcissique, je pourrais tenter de jouer la globalité de la crise, faire endosser la mévente à la conjoncture partout-partout, le panier de la ménagère, la Grèce, l’euro, Moody’s, l’iPad, le changement de paradigme, la fin des humanités (en attendant celle de l’humanité), le siècle des lueurs et des cristaux liquides, le gougnafierisme pantocrator, la télé-réalité, le blingomètre à zéro, Frédéric Lefebvre en majesté, cujus regio ejus religio et le crocodile Lacoste…

Je lis dans les Inrocks de la semaine dernière (car il est conseillé de lire cette feuille en léger différé afin de neutraliser son horripilant sens du buzz) un déprimant article annoncé en couve sous le titre « Pourquoi le livre ne se vend plus ». Nous voilà beaux : la fin de l’imprimé est avérée, fait objectif, donnée aussi aisément calculable qu’un relevé annuel de droits. Reste seulement à en identifier les causes, besogne de médecin légiste.

L’analyse d’Olivier Rubinstein, ex-directeur des éditions Denoël, est spécialement lumineuse :

Ce qui se dit sur le nivellement par le bas, sur la disparition du livre en tant que symbole social, me semble de plus en plus prégnant. J’ai lu récemment un entretien du patron de Lacoste. À la question sur son livre de chevet, il a répondu ‘Jamais de livres’. Il y a dix ans, le même patron aurait dit ‘Je relis Proust’, même s’il ne l’a jamais lu. Aujourd’hui, on peut afficher sans complexe qu’on se fiche des livres. Avant, même un politique devait parler de livres – on a vu ce que ça a donné avec Frédéric Lefebvre et son Zadig et Voltaire.

Je crois que j’y penserai désormais chaque fois que je croiserai un bourgeois bien né ou un lascar de quartier (car ils ont tant en commun) arborant un croco sur le poitrail. Bête immonde toi-même ! Et à part ça ? Eh ben, ça va. S’il s’passe quequ’chose on vous l’dira.

À ma place (2)

15/12/2010 un commentaire

Anne-laure Cognet vient de publier une aimable recension, enthousiaste et spirituelle (je n’en attendais pas moins de sa part, car voici une fille spirituelle et enthousiaste) de ma Séquelle, dans la dernière livraison de Livre & lire, feuille de chou de l’ARALD. Merci Anne-Laure.

Cependant, je suis mu en cette vallée de larmes par d’autres affects que les satisfactions d’orgueil et les réconforts égotistes (Oui ! J’existe ! C’est enfin prouvé ! On parle de moi dans la presse ! J’apparais donc je suis ! Et pis Fanny médiatique !), car incidemment, et même subrepticement, je me trouve davantage touché par une autre colonne du même canard. Je résonne d’autres mots.

Le poète Michel Thion que j’ai un peu côtoyé jadis – car nous trempâmes de conserve dans le marigot à nénuphars des éditions Castells – signe à son tour l’édito mensuel, rubrique intitulée je-vous-le-donne-en-mille « Les écrivains à leur place« , et confiée par roulement aux plus divers teneurs de plume rhonalpins. L’honneur de garnir cette colonne m’échut aussi, en mon temps. (Tiens, au fait, je relis la vieille page du blog écrite à cette occasion, et vous signale que j’y avais lancé un jeu-concours qui, faute d’avoir été élucidé, court toujours…)

Le texte de Thion évoque le vécu et le travail d’un poète, à coups de verbes à l’infinitif comme des touches impressionnistes.

Écrire avec une gomme au lieu d’un crayon.
Chuchoter dans la brume.
Souffler sur les cicatrices.
Dormir du sommeil de l’éveillé.

Etc… Voilà le poète, sa vie son œuvre. Et tout ceci pour qui ? Pour quoi ? Pour quand ?

Attendre sereinement le jour où quelqu’un demandera :
« y a-t-il un poète dans l’avion ? »
Boire le souffle du soleil.
Le regarder en face, en devenir aveugle un instant rouge sang, et puis, au moment où la vue revient par bribes, par éclairs sombres, écrire au milieu des larmes.

Eh bien, voilà. C’est ça. J’ai l’impression que ce jour est arrivé pour moi, je me suis levé au milieu de l’avion et j’ai dit bien haut « Moi, je sais écrire ! Euh… Un peu… Je ferai de mon mieux ».  C’était vendredi dernier.

Voilà ce qui s’est passé : ma grand-mère est morte. La dernière survivante de mes grands-parents, une génération entière qui s’abolit, pfuit, circulez, au suivant. Sa fin était attendue, plus de peine que de surprise, l’agonie fut longue, mais tout de même nous tenions à elle comme à quelque chose qui nous unissait. Et puis, en ce qui me concerne, c’est  bien elle, ma grand-mère maternelle, qui m’a appris le mot Giètes, son sens propre, son sens métaphysique, tous ses sens venus de loin, c’est dire si je lui dois. Il m’a été donné de voir et de décrire sa mort alors qu’elle était en vie, c’est même la toute première page de l’Échoppe enténébrée.

Elle meurt. On me demande de lire un texte pendant les obsèques. J’écris un texte. Je pleure beaucoup en l’écrivant.

Ma grand-mère m’a beaucoup appris. Elle m’a enseigné des mots, des expressions, des jeux, des anecdotes qui pouvaient servir de modèles ou d’exemples, des recettes de cuisine, des chansons, des façons de regarder le monde… bref des moyens de comprendre la vie. Pour le dire simplement, elle m’a appris à vivre.

Merci.

En 1998, j’ai décidé de l’interviewer méthodiquement. J’ai recueilli sa parole, j’ai laissé le magnéto tourner et je l’ai enregistrée, elle m’a raconté sa vie pendant des heures, des dizaines d’heures peut-être. Puis, j’ai retranscrit tous ces dialogues sur papier. Je suis très heureux d’avoir accompli ce travail, d’avoir couché sur le papier son existence, pour en conserver une trace, et la partager. Je relis ce texte de temps en temps. C’est ce que j’ai fait à nouveau hier, pour chercher ce que je pourrais vous lire aujourd’hui, et de nouveau, j’ai ri, et j’ai pleuré, j’entendais sa voix puisque c’était ses mots.

Les phrases que j’ai choisi de mettre en exergue de ce texte donnaient leur sens global à ma démarche. Ces phrases m’ont fait comprendre que j’accomplissais ce travail d’archivage de sa parole pour ses descendants, petits-enfants et arrière-petits-enfants :

« Ce qui me fait le plus plaisir, c’est cette entente que vous avez encore, les deux garçons et les trois filles, moi ça me fait plaisir vois-tu… Parce que s’il y avait eu une séparation entre vous, ben c’était pas normal, puisque vous êtes tous venus ici… »

Voilà, exprimé très simplement, son enseignement le plus profond : « vous êtes tous venus ici », nous sommes tous venus « chez la Paulette », nous avons tous profité d’elle en tant que pilier de la famille et même du monde, de son sens du partage, de sa convivialité sans manières, et sa maison était non seulement le lieu mais le symbole de la famille, de son unité.

Cet endroit où nous vivons tous, où nous passons au moins, où nous nous retrouvons, où les uns grandissent, où les autres vieillissent, et où l’on s’embrasse. Nous avons eu cela en commun : la Paulette. Nous avons eu de la chance.

Ma grand-mère a vécu la chose la plus horrible qui peut advenir à un être humain. Elle a perdu un de ses enfants. Son fils René, mon oncle, est mort en 1985. J’ai envie d’évoquer ce moment-là.

Nous étions tous réunis, dans sa maison, à nouveau, comme nous l’avions été, comme nous le serions encore, mais il manquait quelqu’un. Comment réagir ? Moi, j’étais adolescent, je ne savais pas quoi faire d’autant de peine, je ne supportais pas cette douleur en chacun, et je me suis enfui. Oh, pas bien loin, je me suis seulement réfugié dans ma chambre, et je n’en suis pas sorti. Longtemps après, des heures au moins, j’ai entendu les pas de ma grand-mère dans l’escalier. C’est elle qui montait jusqu’à moi.

Elle a ouvert ma porte, et elle est tombée dans mes bras, en pleurant. Elle me disait : « Mais qu’est-ce que tu fais là, tout seul ? Enfin ! Ce n’est pas possible, de rester là seul, dans un moment pareil ! Il faut que tu reviennes, il faut que tu redescendes ! On a besoin d’être ensemble ! On a besoin les uns des autres ! J’ai besoin de toi. Descends, viens, viens avec moi. Tu es mon bâton de vieillesse… »

Je pleurais autant qu’elle, nous pleurions l’un dans l’autre, mais je savais qu’elle avait raison. Elle me ramenait du côté de la vie, et pour la vie à venir je ne pouvais pas rester tout seul. Nous sommes redescendus ensemble, pour pleurer avec les autres. Manger avec les autres. Et rire aussi, puisqu’il faut bien rire. La famille continuait à vivre, et c’était bien dans cette maison que cela se passait, entre vivants.

Voilà peut-être la leçon la plus importante que j’ai retenue de ma grand-mère, et que je voulais partager avec vous aujourd’hui : face à la mort, il n’y a rien d’autre à faire, littéralement rien de mieux pour les vivants, que de continuer à vivre ensemble, à pleurer ensemble, à rire ensemble, et à se serrer les coudes.

Je lis ce texte le jour de l’enterrement. Tout le monde pleure dans la chapelle, sauf moi.  Moi, yeux secs, je lis, je suis là pour ça. Pour moi, la catharsis était derrière. J’avais déjà écrit au milieu des larmes. J’étais le poète dans l’avion. Tous ces gens en ceintures de sécurité sur leurs prie-dieux me regardaient faire la démonstration des gestes qui sauvent. J’étais à ma place.

Après la cérémonie, je discute avec le mari de ma cousine. Il est garagiste. « J’ai beaucoup aimé ce que tu as lu dans la chapelle tout à l’heure. J’ai trouvé ça émouvant.
– Ah, oui ? merci.
– Je ne saurais pas faire ça, moi. Avec tous mes outils… (Il est garagiste et très bricoleur. Il sait, comme on dit, tout faire. Mais pas ce que j’ai fait.)
– J’ai beaucoup de respect pour tes outils.
– J’ai beaucoup de respect pour tes mots. »

Chacun à sa place et qui respecte l’autre. Dialogue simple, limpide et beau, comme une utopie réalisée, comme une réponse au voeu exprimé avec émotion mais sans pathos par Emmanuel Bove dans Mémoires d’un homme singulier : « Je n’ai rien demandé à l’existence d’extraordinaire. Je n’ai demandé qu’une seule chose. Elle m’a toujours été refusée. J’ai lutté pour l’obtenir, vraiment. Cette chose, mes semblables l’ont sans la chercher. Cette chose n’est ni l’argent, ni l’amitié, ni la gloire. C’est une place parmi les hommes, une place à moi, une place qu’ils reconnaîtraient comme mienne sans l’envier, puisqu’elle n’aurait rien d’enviable. Elle ne se distinguerait pas de celles qu’ils occupent. Elle serait tout simplement respectable. »

Ou bien, comme dans la scène de Spartacus de Kubrick, où l’esclave rebelle Kirk Douglas inspecte sa troupe de guerriers, et avise les trop beaux habits de cour du poète en fuite, Tony Curtis.

– Et toi, quel était ton travail ?
– J’étais poète et chanteur.
– Poète et chanteur ? Mais… Quel était ton travail ?
– C’était mon travail. Je… Je jonglais, aussi.
– Tu jonglais ? Et que faisais-tu d’autre ?
– Je faisais aussi de la magie…

Je grenouille dans le bénitier

23/10/2010 un commentaire

C’est étrange, tout de même. Le premier media qui aura rendu compte de Jean II le Bon est RCF, le réseau des radios chrétiennes… Ils ne se sont donc pas aperçu que je diffamais grave le pape en la page 93 de cet ouvrage pédagogique ?

Non, la vérité, c’est que RCF est une radio certes confessionnelle, mais pas spécialement propagandiste, et qu’on y entend toutes sortes de choses intéressantes sans rapport avec la choucroute bénie. C’est ainsi que j’ai été interviouvé par Melle Vanessa Curton (oui, bon, ça ira, les blagues fastoches sur les noms de famille) qui se trouve être une excellente chroniqueuse littéraire, puisque elle lit les livres, et nous n’avons pas abordé la page 93.

Je grenouille dans le micro, je bafouille certes, mais j’éclaire de mon mieux ce livre, merci Vanessa (salve 1). Le résultat est à écouter ici. Ou alors à lire là, partiellement retranscrit sur blog, merci Vanessa (salve 2 – car il s’agit bien d’un roman sur la répétition).

Un peu d’amour, un peu de vulgarité, un peu d’envie de tout casser

19/10/2010 4 commentaires

Un peu de tout en somme, comme la vie. Par quoi commencer ?

1) Par l’envie de tout casser, tiens.

L’increvable, incorruptible, le politiquement incorrect Bob Siné est toujours aussi énervant, et j’aime me faire énerver par lui.

J’aimais bien Siné semant sa zone dans Charlie Hebdo… (Mais Philippe Val l’a viré.)

J’aimais bien Siné semant sa zone dans Siné Hebdo… (Mais j’avoue qu’à part les éditos du bonhomme, je ne lisais guère son canard – je m’y étais abonné par principe… Bon, il n’existe plus.)

J’adore la zone semée en long  large et travers dans l’autobiographie de Siné, Ma vie mon oeuvre mon cul, un feu d’artifice d’une extraordinaire liberté, un chef d’œuvre dans son genre, et au fond un genre à lui tout seul.

J’aime Siné quand il sème sa zone en plein jazz

Et j’aime toujours Siné, à présent qu’il sème sa zone sur Internet. Il sème, je récolte. Je trie, tout de même. Mais globalement, je me marre quand il commente l’époque. Je prélève par exemple ce commentaire dans sa zone de cette semaine :

Le groupe LVMH, dirigé par Bernard Arnaud, ami intime de Sarko-la-peste, vient d’accueillir deux petites nouvelles au sein de son conseil d’administration : Bernadette Chirac, bombardée « ambassadrice du luxe » (sic) et Florence Woerth, nommée au conseil de surveillance de la société Hermès, filiale de LVMH. Florence Woerth recevra 400000 € par an, Bernadette seulement 65000. Est-ce que vous avez comme moi, chers lecteurs, parfois des envies de tout casser ?

Bien sûr que je l’ai, l’envie, et Siné me la fouette chaque semaine. Il est démago ? De mauvais goût ? Vulgaire ? Ah, tout est affaire d’échelle : il l’est beaucoup moins que la clique au pouvoir, Sarko-Woerth-Chirac-Arnaud (ce dernier étant peut-être le plus influent en France, alors qu’il n’a pas été élu), qui nous explique qu’il faut trimer deux ans de plus et de l’autre main continue tout raide de toucher ses dividendes au beau milieu de la crise partout-partout (dans la rue, sur les routes, dans les lycées, dans les cités, dans les stations services…).

2) Vulgarité, justement. On change de genre, on change de blog, mais pas de sujet : où placer le curseur de la vulgarité ?

Je reçois la revue de presse hebdomadaire du CRILJ, Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse. Je lis chaque lundi cette documentation, soit attentivement, soit distraitement… jamais avec passion. Jusqu’à ce jour ! Jusqu’à un certain article, déniché et froidement retransmis par le CRILJ comme si de rien n’était, un article intitulé Censurer les livres pour enfants ?. D’ordinaire, l’essentiel du courrier du CRILJ est constitué d’échos professionnels et savants, notamment les programmes de tous ces colloques qui décortiquent savamment les œuvres pour la jeunesse, le CRILJ appelle à communication, et donne rendez-vous pour discuter entre gens de bonne compagnie du pourquoi et du comment des livres pour enfants, il distribue en somme les horaires des messes et prêche les convaincus. Cet article-là ? Rien à voir ! Un autre son de cloche tout à fait ! Une vraie douche froide ! Allez donc voir le blog en question

Censurer les livres pour enfants ? est un redoutable cas d’école qui m’a mis en rogne comme rarement, un concentré d’a priori et de conventions qu’on supposait d’arrière garde… Une conception « édifiante » du livre jeunesse qu’on croyait d’avant la guerre (laquelle ?)… Voir dans le délicieux album pour touts-petits Ma culotte d’Alan Mets un dangereux fauteur de »vulgarité » et de « style texto », quelle énormité ! Quelle ignorance ! Ce livre date de 1997, alors que le « style texto » n’existait même pas ! Autant voir du SMS dans la première phrase de Zazie dans le métro (1959) : « Doukipudonktan ? » Roman d’une grande vulgarité, au reste.

Ainsi, ce révoltant article, apologie de la censure, est salutaire puisqu’il nous réveille, il nous rappelle que la bataille de la littérature jeunesse contre la bien-pensance n’est jamais gagnée. On finirait par l’oublier, à force de rester confortablement entre soi, dans certains milieux, parmi les récipiendaires du courrier du CRILJ, dans la communauté des « bibliothécaires jeunesse », salons jeunesses, auteurs jeunesse…, tous ces milieux qui n’en font qu’un et qui prennent la « littérature jeunesse » au sérieux et lui consacrent imaginez un peu, des colloques. Dans la société « réelle », les livres pour enfants ne sont pas des objets culturels ! Ils sont des outils d’élevage, et la moraline fait encore rage quand il s’agit d’autoriser ou pas des enfants à ouvrir des livres. Dans la vraie vie, des parents corrigent les livres au Tipp-Ex pour protéger les enfants de la vulgarité.

Vive la vulgarité, nom de Dieu ! Et vive Siné ! Ah comme l’envie me prend, parfois, plus sûrement encore que celle de tout casser, de me gorger, de m’enivrer de gros mots ! Merde à toutes les censures !

3) Allons, terminons par l’amour, s’il vous plaît. Vous allez voir, je ne perds pas de vue mon sujet du jour : où est la vulgarité ?

J’ai adressé à Susie Morgenstern un exemplaire de mon roman Jean II le Bon. Je le lui ai dédicacé en ces termes (je réécris de mémoire) :

Chère Susie, j’ai le plaisir de t’offrir ce livre, parce que j’ai eu une pensée pour toi en l’écrivant, vers la fin, à l’avant-dernier chapitre. Je me rendais compte que j’étais en train de composer une apologie de l’amour, et j’avais peur d’être concon, cul-cul, gnan-gnan. [NDLR : Peur d’être vulgaire, en quelque sorte.] Mais soudain je me suis souvenu : « Ah, mais Susie le fait bien ! Elle fait l’apologie de l’amour dans chacun de ses livres ! C’est son grand sujet, presque son seul, et elle n’est JAMAIS ridicule ! Alors, allons-y… » Et j’ai terminé mon livre. Susie, je t’aime !
Fabrice

Par retour de courrier, l’adorable Susie m’adressait un adorable accusé de réception :

Oh Fabrice ! Je t’aime aussi. Il ne faut jamais avoir peur d’être cucul. J’en suis la reine !
Merci et je t’embrasse très fort,
Susie

Et c’est ainsi que l’amour sauvera le monde de la vulgarité. Et de la crise partout-partout.

(Est-ce que je crois à ce que je viens d’écrire ? Euh… Bon, déjà, je l’écris, c’est un début.)

Faux jumeaux

10/09/2010 Aucun commentaire

Première (et sans aucun doute dernière) fois que cela m’arrive : deux livres me sont nés la même semaine. Je double-faire-part-de-naissance et j’ai l’honneur, après une grossesse longue de trois ans, car il fallait bien ça, de vous tonitruer la venue au monde de Jean II le Bon (qui, en plus de son état civil, a reçu dans la famille le tendre sobriquet de « la Séquelle ») aux éditions Thierry-Magnier, en vente dans ce qu’il reste de bonnes librairies ; et de La Mèche (surnom affectueux : « C’est à cette heure-ci que tu reviens à la maison ? ») aux éditions le Fond du Tiroir, et en conséquence disponible presque exclusivement par correspondance ici même.

Je n’aurai aucun mal à distinguer ces faux jumeaux nés de deux lits différents, et pourtant, si je les regarde attentivement, leur air de famille me saute aux yeux. Tout deux ont le faciès taillé en clair-obscur, et arborent sur leur devant, comme un congénital grain de beauté, des personnages en pied, dont les ombres portées révèlent une personnalité alternative… Ah, c’est qu’il s’en passe, des choses, à l’ombre… Slogan possible pour le FdT.