Archive

Articles taggués ‘Cinéma’

La coupe de cheveux de Nicolas Hulot sauvera-t-elle le monde ?

07/06/2025 Aucun commentaire

Vu le dernier Mission: Impossible.
J’espère vivement que, vrai de vrai, c’est le dernier, parce que celui-ci est complètement con.
Si j’ai bien compris, l’ennemi suprême est une IA, mais pas celle qu’on croit : plutôt celle qui a écrit le scénario.
En gros : un tiers de logorrhée amphigourique incompréhensible ; un tiers d’invraisemblances, incohérences et MacGuffins divers aboutissant systématiquement aux mêmes gimmicks (on dénombre quatre ou cinq occurrences du compte à rebours égrené pendant que Tom Cruise court) ; enfin un tiers de flashbacks qui renouent maladroitement les fils de la saga (la vengeance du fils de Jim Phelps, sérieux ?) et desservent plutôt ce film-ci parce qu’on se rappelle vaguement ce qu’on avait aimé dans certains des précédents.
Une scène pourtant, je l’avoue, m’a saisi et a accompli la possible mission d’accélérer mon rythme cardiaque : celle du sous-marin. Je me suis laissé faire un instant dans mon fauteuil et y ai trouvé de l’inédit cinématographique – notamment parce qu’enfin on était dans le monde du silence, on n’avait plus à subir leurs laïus idiots.
Scène finalement métonymique, de même que les cabrioles aériennes, du problème fondamental : ce film est hors-sol.
Déconnecté, contrairement à la série d’espionnage éponyme créée en pleine guerre froide, des véritables enjeux géopolitiques contemporains.
Le seul héritage sensible que les films ont apparemment reçu de la vieille série télé si peu spectaculaire est l’absence absolue de psychologisation des protagonistes de la Mission: Impossible Force. Sauf que dans les années 60, cette froideur psychologique était un parti pris narratif très fort pour décrire des personnages professionnellement déshumanisés, menant une guerre psychologique, jouant avec les failles de leurs ennemis… Tandis qu’en 2025 « Ethan Hunt » n’a tout simplement aucune personnalité, aucune intériorité, aucune motivation, aucun affre, aucun affect (à part quelques principes mécaniques et dévitalisés, répétés à l’envi : « Prends soin de ton équipe », « Tu travailles pour les inconnus »), aucun passé et aucun avenir puisqu’il est identique depuis 30 ans. Il n’existe pas. Comment s’intéresser huit fois à un personnage qui n’existe pas ?
Aussi, je préfère mille fois un bon film Marvel (il en existe de mauvais, je parle ici des bons) dont l’atout a toujours été l’empathie qu’on éprouve pour les personnages, l’attachement aux paysages psychologiques qu’ils dessinent, l’identification aux aventures toutes psychiques qu’ils traversent sous prétexte de métaphores surnaturelles. Ainsi, le dernier en date, Thunderbolts*, était excellent, parce que son véritable sujet caché était la bipolarité, et que ce qu’il en montrait de noirceur était plus poignant que le témoignage de Nicolas Demorand.

Le sang et les femmes

12/05/2025 Aucun commentaire
Photo glanée sur Sciences & Avenir
©ALDEN CHADWICK/FLICKR/CREATIVE COMMONS

Sac disposable pour celles qui saignent
(j’ai des teignes)

Serge Gainsbourg, Les locataires
  • UN

Moi dont l’heure est globalement passée (je suis un homme blanc hétéro de plus de 50 ans), j’ai un peu de mal à savoir si je suis déconstruit ou si ce travail-là reste à faire, j’ai des doutes dans la mesure où j’ai toujours rechigné à me construire. Dès ma plus tendre enfance et surtout ma plus rugueuse adolescence, parmi ce que l’on m’inculquait je flairais en permanence des injonctions suspectes, des loucheries discutables, notamment sur les rôles genrés (non non non, je ne veux pas jouer au foot, j’ai plutôt envie de faire un collier de perles, merci).

Quoi qu’il en soit, j’ai suivi l’an dernier une passionnante formation afin de devenir le référent VHSS (violences et harcèlements sexistes et sexuels) de la structure que j’ai l’honneur de présider, formation durant laquelle j’ai appris ou ré-appris bien des choses, en me foutant bien de savoir si les apprendre me construisait ou me déconstruisait.

Parmi ces choses : il convient de garder en tête que l’énonciation de tout préjugé attribuant une caractéristique psychologique à l’un des deux sexes est toujours une assignation, par conséquent toujours une violence, Y COMPRIS SI CE PRÉJUGÉ EST POSITIF.

Par exemple. J’ai toujours tendance à partir du principe que les femmes ont nettement plus de qualités que les hommes (elles sont plus intelligentes, plus justes, plus mesurées, plus généreuses, plus spirituelles, plus courageuses… Au fait c’est l’année de mes 18 ans que Renaud a créé sa chanson Miss Maggie sur laquelle je n’ai jamais changé d’avis : elle est géniale). Eh, bien, malgré toutes les anecdotes que je pourrais donner pour démontrer la supériorité des femmes en arguant qu’il s’agit de mon expérience, il s’agit malgré tout d’un préjugé en moi, pur et simple. Préjugé que Renaud et moi-même ferions mieux de garder pour nous. Ou de déconstruire peut-être : car des hommes, y en a des bien, et des femmes, y en a des mauvaises, ah, oui, c’est vrai. Il suffit de s’en souvenir, le temps de tourner sept fois sa langue avant de proférer.

Je réalise que dans toutes les histoires que j’ai écrites, et que j’écris encore, les filles sont plus malines, plus dégourdies que les garçons, c’est dire si les préjugés sont chevillés en moi et voilà sans doute un indice de l’état modeste de ma déconstruction.

Existe-t-il des différences réelles, profondes, objectives, entre les hommes et les femmes ? Oui, bien sûr, mais elles ne sont pas psychologiques, elles sont physiques. Pourtant, en chaque être humain, le physique induit le psychologique, la frontière est poreuse, nous sommes des corps et non des purs esprits, et ici le casse-tête commence : le sang.

Je me souviens d’un jour où je donnais mon sang, et je devisais paisiblement avec l’infirmière qui me siphonnait (avec mon consentement). Elle me dit : « Oui, ça arrive, on voit parfois des gens tourner de l’oeil. Mais ce sont pratiquement toujours des hommes. Les femmes sont plus dures à cuire lorsque le sang coule, elles ont l’habitude, elles voient leur sang couler une fois par mois, elles endurent…« 

Son argument m’a immédiatement convaincu et je l’ai répété maintes fois. Mais est-il licite ? Est-ce un préjugé ou non, fût-il positif ? Cette infirmière énonçait-elle des caractéristiques physiques ou psychologiques ?
Ah, comme c’est compliqué.
Puisque je ne trancherai pas ici, parlons plutôt d’autre chose ! Souhaitons la bienvenue au nouveau pape fraichement émoulu !
En son honneur, consultons ce que dit la Bible à propos de ce flux menstruel qui constitue une préoccupation pendant la moitié de la vie pour la moitié de l’humanité ! (soit, résultat de l’équation : les règles = 1/4 de la vie humaine)

« L’Éternel parla à Moïse et à Aaron, et dit : […] [soulignons, c’est important, que Dieu en personne nous parle]
La femme qui aura un écoulement de sang restera sept jours dans la souillure de ses règles.
Si quelqu’un la touche, il sera impur jusqu’au soir.
Tout lit sur lequel elle couchera pendant ses règles sera impur et tout objet sur lequel elle s’assiéra sera impur.
Si quelqu’un touche son lit, il lavera ses vêtements, se lavera dans l’eau et sera impur jusqu’au soir.
Si quelqu’un touche un objet sur lequel elle s’est assise, il lavera ses vêtements, se lavera dans l’eau et sera impur jusqu’au soir.
S’il y a quelque chose sur le lit ou l’objet sur lequel elle s’est assise, celui qui y touchera sera impur jusqu’au soir.
Si un homme couche avec elle, si la souillure des règles de cette femme vient sur lui, il sera impur pendant sept jours et tout lit sur lequel il couchera sera impur.
La femme qui aura un écoulement de sang pendant plusieurs jours en dehors de ses règles, ou dont les règles dureront plus que d’habitude, sera impure pendant toute la période de son écoulement, comme pendant ses règles. »
(Lévitique, 15, 9-25)

Quel incroyable tombereau de conneries ! Ces superstitieuses débilités seraient désopilantes si l’on ne se souvenait avec angoisse que de nombreuses personnes sur terre tiennent la Bible, non pour un réservoir d’histoires, un recueil de contes traditionnels diversement subtils et riches d’enseignements, mais pour un guide pratique !
Cette obsession patriarcale de l’impureté des femmes (partagée évidemment par les deux autres monothéismes, dans la Torah qui comprend le même Lévitique, et dans le Coran, sourate 2, verset 222), impureté notamment prouvée par les règles, est une source éminemment toxique de tous les préjugés genrés que nous subissons depuis 2000 ans. Il serait temps de l’assécher – je veux dire la source des préjugés, pas le sang.
En quoi le sang qui sort de nos corps serait-il autre chose que purement naturel ? (« Si vous nous piquez, ne saignerons-nous pas ? » Shakespeare, Le Marchand de Venise)

  • DEUX

The Substance de Coralie Fargeat restera peut-être mon film de 2024. J’ai lu et entendu ici ou là bien des réserves, des « mais », des « tout de même », des « quel mauvais goût », des « c’est écoeurant », des « trop c’est trop ». Trop de quoi ? De sang, manifestement. C’est vrai qu’elles sont pénibles ces femmes qui saignent, elles en foutent partout, elles éclaboussent, elles ne savent pas rester à leur place, elles sont impures (voir ci-dessus).

Quant à moi je n’ai pas trouvé qu’il y avait une goutte de trop. Ce film est tout simplement ce que j’espère du cinéma. La poésie par l’image en mouvement, le choc visuel qu’on attend dans la scène suivante, qu’on désire, qu’on redoute… et qui pourtant nous prend sans qu’on l’ait vu venir, un objet à la fois unique esthétiquement et indispensable sociologiquement, mais qui pour autant ne se laissera réduire ni à son esthétique ni à sa sociologie. Double critère. Définition tellement générale de l’oeuvre d’art ou de la beauté que je pourrais affirmer aussi bien que c’est ce que je recherche dans les livres. Ou dans la vie. Alors je précise et contextualise.

* Grand A, je tente de décrire ce que j’ai compris de l’esthétique de ce film : l’excès des années 70, fondu puis moulé dans la rage (féministe, mais pas que) de 2024, pour une fable morale et punk, originale mais au fond traditionnelle, qui emprunte ses archaïsmes à Kubrick (oh cette obsession géométrique), à De Palma, mais aussi à Freaks, au Portrait de Dorian Gray, à la Métamorphose de K., ou à Cendrillon ou à n’importe quel conte qui nous avertit que l’aiguille tourne (Je suis en retard en retard dit le lapin blanc), voire à la Bible (je suis persuadé que la scène de Sue et les actionnaires dans le couloir procède de Suzanne et les vieillards et que c’est même l’origine du prénom du personnage).

* Grand B, je tente de décrire ce que j’ai compris de la sociologie de ce film : notre époque entière est dedans.Le patriarcat toujours lui éléphant couillu dans la pièce, mais aussi les mass media, l’industrie du divertissement pascalien, l’âgisme (étant d’un âge avancé, je me prends dans la figure la leçon que ce film balance dans la gueule des vieux : ne vous comparez pas aux jeunes, Y COMPRIS au jeune que vous étiez – mais la leçon est réversible car, si les vieux ont leur jeune intérieur, l’inverse est vrai aussi, implacable métaphore du film), la chirurgie esthétique, le riche business de la peur de mourir, la folie transhumaniste, le corps-marchandise des femmes – et surtout la colère. Tout ça. Plus une mèche. Boum.


Je viens de rattraper en DVD Revenge, premier film de la réalisatrice, réalisé sept ans avant The Substance.

Les deux films forment un magistral et cohérent diptyque sur l’objectivation du corps des femmes par les hommes, qui ne peut que finir dans l’horreur et l’hémoglobine… Ce premier volet est toutefois plus simple, plus linéaire (c’est « seulement » une histoire de vengeance exécutée jusqu’au bout), plus série B, moins riche du point du vue imaginaire. Mais tout aussi abouti formellement. Images magnifiques et atroces, à la limite du soutenable, avec flots de sang bien gore, notamment grâce au CinémaScope, à la lumière, au désert, et au peyotl.
Quel dommage que Coralie Fargeat ne fasse un film que tous les sept ans.

  • TROIS

OUIN OUIN BOOGIE
Paroles et interprétation : Chloé Delaume
Musique : Eric « Elvis » Simonet
Extrait de l’album « Sentiments Négatifs » (2024, Dokidoki Éditions)

Mon nom est cité parmi les remerciements dans le générique de fin du clip sanglant.

… alors que je n’ai rien foutu du tout, c’est uniquement parce qu’il y a quelques mois, j’ai filé une poignée d’euros en souscription pour que le tournage ait lieu. Ben franchement, tout l’honneur est pour moi, c’est moi qui remercie, voilà encore une bonne claque sur le museau des porcs. Bravo les filles !

Un dimanche après-midi d’avril sur la Butte Montmartre

28/04/2025 Aucun commentaire

Dernier jour à Paname, 1

Comme nous sommes dimanche, jour des morts, et qu’il faisait beau, je suis allé me promener dans un cimetière. Je connaissais déjà (un peu) le Père Lachaise et Montparnasse, donc j’ai opté pour celui de Montmartre, au pif.

J’ai rendu hommage en m’inclinant, la main sur le coeur, sur quelques cher(e)s disparu(e)s : Berlioz (tombe noire et grave comme un requiem), Truffaut (tombe noire aussi mais très sobre), Rivette (tombe grise et encore plus sobre, effacée, très difficile à trouver, m’étonne pas de lui, toujours le goût du caché), Stendhal (tombe gravée en italien, Milanese soi-disant, ah ah tu parles, je citais déjà cette tombe menteuse il y a 25 ans sans l’avoir jamais vue dans ma nouvelle Lorsque je m’appelais Jean), les soeurs Boulanger et les frères Goncourt, H.-G. Clouzot, Siné (le plus beau sépulcre de Paris sans conteste, pierre tombale en forme de cactus et de doigt d’honneur : Mourir ? Plutôt crever !, tombe qu’il partage d’ailleurs en colloc non seulement avec sa femme Catherine mais aussi avec Delfeil de Ton, tous deux toujours de ce monde mais leurs noms sont déjà inscrits et patientent), Jeanne Moreau, Claire Brétecher, Daniel Darc, Offenbach…

Et puis, lorsqu’en fin de parcours je suis passé devant la tombe de Fred Chichin, j’ai vu une petite vieille accroupie devant le marbre. Je me suis dit ah merde, jamais tranquille, on ne peut donc pas se recueillir tout seul un dimanche, qu’est-ce qu’elle fabrique la vioque, elle en a pour longtemps… Sauf que… Mais ! Mais merde ! Mais oui ! C’est Catherine Ringer ! Putain Catherine Ringer en train d’arroser et de tailler un rosier sur la tombe de Fred Chichin ! Il n’y a pas que moi pour qui dimanche est le jour des morts !

La dame s’est retournée sur moi et sur les autres badauds en goguette nécrologique, elle nous a regardés, nous a souri et s’est campée dans cette pose qu’on lui connait et qu’on admire, cette pose de fierté, prête à en découdre, menton levé, mains sur les hanches. Je suppose qu’elle aurais volontiers discuté mais je me suis abstenu de la déranger, j’avais la larme à l’oeil. Ces deux-là, je les ai vus deux fois sur scène, à vingt ans d’écart et ce sont parmi les meilleurs concerts de ma vie. La première fois c’était « Les Rita Mitsouko », et la seconde « Catherine Ringer [veuve] chante les Rita Mitsouko ». Et là, c’était comme une troisième et dernière fois, quelle fidélité tous les deux, et moi aussi finalement. Je n’ai pas pris de photo, il y a des limites, j’ai écrasé ma larme et je suis sorti discrètement du cimetière.

Addendum : la scène narrée ci-dessus a eu lieu le 28 avril 2025. Or, selon Wikipedia, « Frédéric Alexis Alphonse Chichin est né à Clichy et déclaré né le 1er mai 1954 alors qu’il a vu le jour le 29 avril 1954 (quelques sources indiquent même le 28 avril 1954) ».

Dernier jour à Paname, 2

Puisque j’étais à Montmartre, et comme il faisait toujours beau, j’ai encore sillonné la Butte de haut en bas et du nord au sud, en crachant mentalement (pfouah c’est malin je m’en suis mis partout dans le cerveau) sur l’ignoble Sacré Coeur, insulte à la Commune, triomphe de l’obscurantisme et de la haine de la liberté, à chaque fois que sa pointe honnie dépassait à l’horizon.

J’ai arpenté l’avenue Junot, émaillée de plaques commémoratives : ici ont habité Tristan Tzara, Pierre Dac, Edith Piaf, Gen Paul, Prévert, Nougaro, ici a été tourné (soi-disant mais le numéro 21 n’existe plus) L’assassin habite au 21 tout au bout la place a changé de nom et s’appelle désormais « Place Marcel Aymé » avec un beau passe-muraille en bronze (Marcel Aymé habitait donc place Marcel Aymé ? Ah ben c’est comme le professeur Choron alors ?)…

Et puis, à l’endroit où l’avenue Junot croise la rue Girardon, au numéro 4 de celle-ci, il n’y a pas de plaque « Ici a vécu Louis Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline, écrivain et médecin. De ces fenêtres il a décrit les bombardements sur Paris dans le roman Féérie pour une autre fois. Ici ont été dérobées de nombreuses liasses de manuscrits qui ne sont réapparues qu’en 2021″.

En revanche, un graffiti artisanal très imparfaitement effacé, encore presque lisible, nous informe : « Ici s’aimèrent Louis-Ferdinand Céline et Lucette Almansor ».

Il suffit de tourner le coin et quelques pas plus loin, de l’autre côté de la porte, une plaque bien entretenue nous rappelle : « Le 23 octobre 1943, s’est tenu clandestinement dans cet immeuble, la première réunion du comité parisien de la Libération de Paris, coordinateur de la Résistance parisienne… »
Ceci aussi, Céline le raconte dans Féérie (ou bien est-ce dans Maudits soupirs ?), il entend certaines choses dans l’appartement voisin, il va être temps pour lui de se faire la malle…

Tomber de Bob en Judy

25/04/2025 Aucun commentaire
Laura Palmer chuchote à l’oreille de Dale Cooper le secret suprême

Ce dimanche est mis en ligne sur Youtube le premier épisode d’une nouvelle série d’émissions produite par Pacôme Thiellement pour Blast : La fin de la télévision, qui prend explicitement la suite de la désormais close La fin du film où l’on trouvait un épisode, déjà palpitant, consacré à Mulholland Drive.

Tout-seigneur-tout-honneur : le premier épisode de cette célébration d’un art en déclin (est-ce bien ainsi qu’il faut entendre le titre générique ?) est consacré à la série des séries. Il s’intitule : Le secret de Twin Peaks. À la faveur d’un séjour à Paname, je l’ai vu il y a quelques jours, en avant-première, dans une vraie salle de cinéma en présence de l’auguste Pacôme himself.

L’émission débute par une hyperbole que d’aucuns pourraient juger inconvenante et impossible à digérer. Mais pas moi, moi ça va, moi j’encaisse et opine :

Twin Peaks n’est pas qu’une série télé, c’est l’oeuvre d’art la plus importante de ces cinquante dernières années.

La méthode de Thiellement (sa démarche, sa discipline, son yoga), qui produit des gerbes d’étincelles à perte de vue lorsqu’il l’applique à l’Histoire de France (L’empire n’a jamais pris fin) demeure ici inchangée : il se dit exégète – ni historien ni critique. C’est-à-dire qu’il raconte, puis interprète. Tout en voix off ou face caméra, il ajoute l’intuition à l’érudition (n’était-ce pas, du reste, la caractéristique de l’agent Dale Cooper ?). Il accumule les faits puis tire entre eux des fils et des flèches, en une multitude de signaux comme ceux dont les enquêteurs des séries télé recouvrent leurs murs. Il révèle ou invente (c’est pareil) les liens qui manquaient, il met au grand jour les tendances lourdes ensevelies sous la surface des longues durées. Bref, il donne du sens.

Or, en ce qui concerne le chef d’oeuvre ultime de David Lynch, Twin Peaks (1990-2017), dont le coeur palpitant est l’apparemment si abscons épisode 8 de la saison 3, donner du sens est salutaire. Ne serait-ce que pour clouer le bec à tout esthète paresseux qui se contenterait de prétendre que Lynch ça ne s’explique pas, ça se ressent et puis c’est tout (entendons-nous bien : il n’y a aucun mal à être un esthète paresseux… mais on peut aller un peu plus loin). Thiellement ajoute du sens sans rien gâcher du mystère ni de la beauté – au contraire, en les augmentant.

Alors, qu’est-ce que ça veut dire, tout ça ? Twin Peaks aurait donc un sens, en plus de sa poésie fulgurante ? Oui : et, de surcroît, un sens utile, un sens pratique. Une éthique. De la munition psychique pour nous aider non seulement à penser mais à agir. En plus d’être un whodunit, une série policière, un thriller, une série fantastique, une série de science-fiction, une sitcom, une romance, une série expérimentale, un bloc de poésie pure, et à peu près tout ce qu’on voudra… Twin Peaks est en fin de compte une série politique.

Alerte au spoïl : ci-dessous je partage ce qui, ce soir-là dans mon fauteuil bleu de cinéma, constitua mon illumination, mon plus grand choc, ma découverte princeps. Quiconque préfèrerait s’initier par ses propres moyens, en regardant à son tour les images de Thiellement ou a fortiori celles de Lynch, est invité à interrompre sa lecture ici.

Pour mémoire et pour clore ce préambule, je précise qu’outre la découverte majeure détaillée dès le prochain paragraphe, j’ai reçu, toujours dans mon fauteuil bleu, un certain nombre de découvertes mineures,
– dont celle-ci : Twin Peaks, oeuvre télévisuelle, parle bel et bien de la télévision en tant que monde-miroir, mais à un endroit inattendu et caché, dans la Loge Noire, qui reproduit derrière le rideau rouge un dispositif de talk-show (simulacre d’intérieur confortable, fauteuils, hôte et invités, intermèdes musicaux et dansés…) ;
– dont celle-là : Non mais c’est pas possible de proférer une ânerie pareille quel connard ce Quentin Tarantino ;
– et dont cette autre : au moment des questions-réponses avec la salle, une jeune femme exprimant une susceptibilité bien de son (de notre) époque a déclaré, je cite, La façon dont le viol de Laura Palmer est filmée dans Fire walk with me m’a gênée et m’a parue très problématique, on ne peut plus aujourd’hui érotiser le viol de cette façon – ce à quoi Pacôme a répondu sans se démonter que non, désolé, il ne voyait aucune érotisation dans cette scène de viol qui avait le grand mérite de montrer enfin l’horreur qu’on pressent depuis le début de la série ; je suis entièrement d’accord avec lui, je pense que montrer le mal n’est pas faire son apologie (malentendu sempiternel), je pense aussi que seul un maboul chez qui le mal est déjà fait banderait en regardant cette scène, et ce débat utile m’a rappelé une chose sur moi-même : certes, par principe je me rangerai toujours du côte des « woke » parce que les « antiwoke » sont décidément trop cons et ont fait leur temps, plusieurs sens à cette expression… Toutefois, de temps en temps, ce n’est tout simplement pas le sujet.


Au long des deux premières saisons de Twin Peaks, le mal est incarné par la figure inoubliable, démoniaque et ricanante de Bob, qui rôde sur la terre et dans les âmes pour répandre le sang, la peur, la douleur et le chagrin, ingrédients de la substance dont il se repaît, le Garmonbozia. Bob est une abstraction, une pulsion, il est le meurtre, le viol, la folie, l’horreur. Bob, c’est le mal que font les hommes, ainsi que le diagnostique très justement Albert Rosenfeld, le médecin légiste du FBI, interprété par feu Miguel Ferrer, quelque part dans la saison 2. Le Fond du Tiroir a déjà glosé sur Bob, ici.

Pourtant, lorsque Twin Peaks revient en 2017 pour une saison 3, ou plutôt lorsque nous retournons à Twin Peaks, Bob a disparu. Est-ce à dire que le mal n’existe plus ? Certainement pas. Le mal a seulement changé de forme. Selon une logique finalement très conforme aux contraintes industrielles, compatible avec le cahier des charges à l’oeuvre dans la production des séries télé à rallonge (aussi surprenant que cela paraisse, Lynch joue le jeu !), le passage d’une saison à l’autre est marqué par un changement de main antagonist (ennemi principal), le nouveau se révélant encore plus redoutable que l’ancien, encore plus coriace, impitoyable et invincible. Bob était le mal en liberté ? Las ! Nous tombons de Bob en Judy.

Judy, entité énigmatique citée dès le film Twin Peaks: Fire Walk with me (1992), reste invisible. Elle est pourtant partout, insidieuse et omnipotente. Bob était le mal que font les hommes les yeux ouverts (il était par exemple Leland Palmer, le père de Laura)… Judy est bien pire : elle est le mal que les hommes laissent faire les yeux fermés (elle est par exemple Sarah Palmer, la mère de Laura). Il suffit de jeter un oeil par la fenêtre, dans les journaux ou, surtout, à l’intérieur de soi pour constater que le mal qu’on laisse faire est infiniment plus vaste que le mal que l’on fait, réellement. On aura beau plaider qu’on n’a rien fait de mal (on a un alibi en béton, on est resté devant la télé à regarder des séries) pourtant le désastre en cours est plus grand que sous l’effet de ce que l’on a fait. Judy est une démone bien plus puissante que Bob.

Ne rien faire alors que quelque part, sous notre fenêtre, dans notre journal ou à l’intérieur de soi, on tue et on viole, voilà l’authentique mal absolu à côté duquel tuer ou violer réellement n’est qu’une manifestation contingente, folklorique, un épiphénomène.

Le personnage de Dale Cooper, beaucoup plus intéressant et tragique à la fin de la série qu’au début, incarne quant à lui cette nécessité, cette volonté suprême de faire plutôt que de ne rien faire, de faire jusqu’au sacrifice de soi ou en tout cas au sacrifice de toute gratification, de toute récompense, de toute certitude d’avoir fait le bien. Le véritable héros ne saura jamais qu’il a fait le bien, il aura fait tout court, sans se préoccuper du fruit de ses actions. D’ailleurs « Un héros, c’est celui qui fait ce qu’il peut. Les autres ne le font pas. » (Romain Rolland) Je me le tiens pour dit. Je fais.

Si Lynch et son co-scénariste Mark Frost ont besoin d’exégètes c’est qu’ils ont créé une mythologie : Bob et Judy sont comme tous les autres dieux ou démons de toutes les cosmogonies que les humains, partout, toujours, ont inventées pour parler d’eux-mêmes (ceci est valable aussi pour les trois monothéismes, évidemment). Peu importe qu’ils n’existent pas réellement, puisqu’ils existent en tant que symboles, en tant que métaphores, en tant que forces métaphysiques, en tant que produits de notre psyché. Or les symboles et les métaphores sont agissants, ils ont des effets en retour sur notre psyché. Nous ne pouvons que constater les effets du mal que les hommes font, et ceux du mal que les hommes laissent faire. Appelons-les Bob & Judy, ou bien appelons les nos vices et nos veuleries, aucune importance : ils sont là.


Ce qu’ils ont fait de l’écologie

01/04/2025 Aucun commentaire
D'argent et de sang de Xavier Giannoli, Frédéric Planchon (2023) - Unifrance

Une série télévisée ordinaire, donc médiocre, a pour effet, peut-être même pour fonction, de vous avachir, de vous écraser sans pitié au fond du canapé, cerveau en veille, dans l’attente que votre vie passe au fil des saisons. Servitude volontaire, anesthésie nerveuse et divertissement pascalien. Cette apathie physique, intellectuelle et civique devant l’écran constitue un tel standard industriel qu’il ne faudrait forcer qu’un tout petit peu sur le complotisme pour envisager qu’elle profite à quelqu’un ou à quelque chose.

En revanche, une série télévisée d’exception se reconnaît au réveil qu’elle fait sonner en nous, alarme !, alarme !, à la pulsion qu’elle fait naître, à l’injonction de se lever séance tenante, de hurler sa rage, sa colère, son indignation ou son écoeurement, de quitter son canap, de sortir dans la rue foutre le feu, pendre les banquiers avec les tripes des législateurs et faire enfin la révolution.
D’argent et de sang, par Xavier Giannoli, est une série d’exception.

Série produite, filmée et montée à l’américaine – naturellement par là je veux dire, non à la Donald Trump, mais à la David Simon : un art de la narration, de l’idée incarnée, de la longue durée qui mise sur l’intelligence du spectateur, et le choix d’un sujet, d’un fil rouge, d’un phénomène global (chez David Simon, par exemple : le trafic de drogue) qui traverse toutes les couches de la société comme autant de cadres romanesques, avec vue en coupe des causes, des effets, et, oui, pour le coup, c’est bien ça, de l’argent, et du sang.

Mais série avant tout prodigieusement pédagogique.
Citoyenne, pour ainsi dire.
Grâce à elle, enfin on entrave quelque chose à la fabuleuse fraude à la TVA carbone, aux machineries et machinations de l’arnaque du siècle qui entre 2008 et 2009 a fait partir en fumée 6 milliards d’euros en Europe, dont 1,6 aux frais de l’État français, tes impôts et les miens.

C’est ce mélange de deux énergies, celle du film d’action implacable avec personnages solides et casting au poil, et celle du lent didactisme politique, qui donne envie de la faire, la putain de révolution.
La source de cette série archi-documentée n’est pas un roman mais une enquête parue sous le même titre, signée Fabrice Arfi, le même admirable journaliste-pédagogue-héros-lanceur d’alerte grâce à qui se tient ces jours-ci le procès de Nicolas Sarkozy, aigrefin président qui finança sa campagne électorale grâce aux dessous de tables d’un dictateur. Merci Fabrice Arfi. Heureusement qu’il y a des gens qui bossent en France.

Giannoli a réalisé cette série d’auteur (le cliché facile voudrait que ce n’est pas une série mais un film de dix heures) auréolé du succès d’Illusions perdues, film certes éminemment politique. Pour ma part j’ai beaucoup repensé à un de ses précédents films, plus modeste mais, à sa mesure, très impressionnant : À l’origine avec François Cluzet, déjà l’histoire d’un escroc et de l’effet que ses tromperies avaient sur une communauté. Mais, alors, le magouilleur était touchant, piégé dans son piège, pris dans sa mythomanie comme dans un rêve (cf. aussi Marguerite du même Giannoli, autre variation sur une dingue hors sol mais relativement inoffensive, dont le délire était pittoresque, attendrissant, contagieux). Avec la bande organisée des margoulins du carbone, on atteint toutefois une toute autre dimension dans l’obscénité, dans le cynisme, dans l’appât du gain, dans la gabegie, dans le laissez-faire-laissez-passer, pendant que notre maison brûle, comme disait l’autre, qui n’était pas le dernier des hypocrites.

Le message essentiel, la leçon que l’on retient après le générique de fin ?
Voilà ce qu’ils ont fait de l’écologie : un marché.
Un marché libre et non faussé, béni par l’Union européenne et par tous les chantres du libéralisme sans frein, sans foi ni loi, sans pays ni contrôle.
Une libre entreprise.
Une bourse.
Une place financière.
Une bonne affaire.
Le marché : pensée unique, main invisible, et réciproquement.
La taxe carbone, le droit à polluer monnayé, devient une opportunité financière à ne pas louper, une invitation à se goinfrer, et non une sanction raisonnée, un impératif de survie collective, une urgence pour sauver la vie sur terre. Étonnez-vous que le marché attire les escrocs, que le marché tourne mal. Sacra auri fames et suicide global, argent roi et destruction de la vie.

Ce qu’ils ont fait de l’écologie ? Mais qui, ils, à la fin ?
Allez, on balance. Vincent Lindon balance.
Dans l’avant-dernier épisode, le personnage joué par Lindon, tenace et marmoréen chef du Service National de Douane Judiciaire (personnage fictif mais synthèse de plusieurs enquêteurs et, au passage, bis repetita : heureusement qu’il y a des gens qui bossent en France) entend l’un des suspects qu’il a mis sur écoute parler de lui : C’est un malade, il en veut à la terre entière. Il se lance dans un monologue extraordinaire, qui explicite ce qu’est la terre entière, qui énumère les responsables du plus infime magouilleur des rues aux plus puissants politiques des ministères, petites frappes de Belleville, grands bourgeois du 16e, en passant par tous les corrompus, tous les ignorants que l’ignorance arrange, tous les traders et brokers et gérants de paille, une longue chaîne de complicités, entre ceux qui votent des lois béantes de failles et ceux qui s’y engouffrent un continuum de vulgarité matérialiste et irresponsable. Éructant calmement, Lindon fait précéder chaque maillon, chaque catégorie de coupables, par la formule J’en veux à… Ce martèlement par anaphore est aussi puissant et aussi édifiant qu’une autre énumération, célèbre, qui, j’en suis certain, a servi de modèle littéraire à Giannoli : J’accuse de Zola. Étudie-t-on encore au collège, comme lorsque j’étais collégien, le J’accuse de Zola ? M’étonnerait. On devrait. On devrait aussi étudier le J’en veux à… de Giannoli. On devrait tant de choses. On devrait faire la révolution, tant qu’on y est.

Un des bienfaits collatéraux de la série est la découverte (pour moi) de l’imparable chanson du générique, N.E.M., conçue étonnamment six ans plus tôt mais qui lui va comme un gant sur mesure, énergie synchrone. Chanson signée Las Aves, un groupe toulousain qui sonne comme le Bronx. Concept innovant : toulousonx. C’est en mélangeant qu’on invente.

Sur le même hallucinant sujet de la fraude à la TVA carbone, le toujours imprévisible et versatile Guillaume Nicloux avait quant à lui réalisé un documentaire, Les rois de l’arnaque (sur Netflix), où l’on découvrait les véritables noms et visages des protagonistes d’Argent et de sang. Ainsi, Alain Fitoussi, dit Fitouss l’ Élégant, incarné avec brio dans la série par Ramzy Bedia, s’appelle en réalité Mardoché Mouly, dit Marco l’Élégant. Or Mouly est encore plus vedette, encore plus filou, mytho, grande gueule, éhonté et charismatique que Fitoussi. Mouly, le vrai, a même écrit une chanson bling-bling où il vante ses exploits. Giannoli n’a pas osé évoquer cette chanson dans sa série, et on le comprend, elle n’aurait pas été crédible. On découvre pourtant que certaines des anecdotes les plus outrancières et glaçantes de la série (la banane avec la peau…) sont bel et bien authentiques.
Même si le film de Nicloux (2021) précède de deux ans la série de Giannoli (2023-2024), je recommande de les regarder dans le même ordre que moi, fiction d’abord, doc ensuite, histoire de vérifier l’adage, la vérité dépasse la fiction.

Au-delà de l’adage, ce qui est terrible avec la réalité c’est surtout qu’elle n’a pas de générique de fin. Derniers rebondissement en date : Arnaud Mimran (« Jérôme Attias » dans la série) sera jugé pour trois morts parmi ses proches ; Marco Mouly s’est de nouveau fait arrêter dimanche 30 mars 2025 à Rome, à sa descente d’avion, notamment pour ne pas avoir déclaré les droits d’auteur de son autobiographie !

De quelle réalité parlez-vous ? (1/2)

30/12/2024 Aucun commentaire

Dernier rattrapage en DVD de l’année : Reality de Tina Satter (2023).
Dernier gros choc rétinien, également.
Film unique en son genre, au dispositif radical et intrépide.

Le 3 juin 2017, Reality Winner (« Gagneuse de réalité » quel nom incroyable, purement conceptuel ! il est pourtant authentique…) est arrêtée chez elle par le FBI qui met un temps fou à lui révéler ce qui lui est reproché : elle est accusée d’avoir fait fuiter un document confidentiel suggérant l’ingérence de la Russie lors de la première élection de Trump, en 2016.

Le dialogue entre Reality et les agents fédéraux, d’une durée de près de deux heures, a été enregistré sur place, et le film est tout simplement (?) la mise en scène de ce verbatim, n’inventant pas un seul mot mais, en revanche, de multiples et fascinants stratagèmes de thriller en huis-clos.

Cependant, le plus troublant pour moi dans ce film qui repose sur un effet de réel absolu, est son aspect lynchien, c’est-à-dire absolument irréel.
Car le réel n’est qu’apparences, couche après couches, rideaux de velours et de fumée.
À mille lieues du rythme trépidant et codifié des films d’espionnage hollywoodiens, les hésitations, les lenteurs, les maladresses, les embarras qui émaillent les paroles, les étranges échanges entre les « personnages » qui s’étirent en perpétuels travaux d’approche, qui seraient burlesques s’ils n’étaient si inquiétants, comme s’ils ne parlaient pas la même langue et abordaient chacun par une face différente une vérité qu’aucun d’entre eux ne connaîtra tout à fait… ont l’air de sortir tout droit de Twin Peaks.

Alors, la révélation m’est venue.
Le monde est devenu Twin Peaks.
David Lynch a gagné.
Il a contaminé le réel.
Pas seulement le cinéma : le réel.
Ou du moins, il a contaminé la façon de le regarder, la seule façon d’avoir accès à lui : accès bancal, irrationnel, anxieux, absurde, drôle dans le meilleur des cas – sinon menaçant.
David Lynch le voyant, poète et prophète a révélé (a pressenti) la bizarrerie du réel en sorte que le réel sonne et sonnera désormais bizarre « à la Lynch ».

Je suis fort chagrin depuis que j’ai appris que David Lynch, fumeur depuis 60 ou 70 ans environ (je me souviens de cette réplique autobiographique dans Sailor & Lula : « Sailor, à quel âge as-tu fumé ta première Marlboro ? – Euh, je crois que j’avais 4 ans » ) est atteint d’un emphysème pulmonaire, qu’il ne respire plus qu’assisté par une bouteille d’oxygène, et qu’il ne réalisera plus de film. D’un autre côté, il n’a plus besoin de réaliser des films puisqu’il a réalisé le monde.

Voilà pour moi la leçon essentiel de ce Reality qui parle effectivement de reality, à l’époque trumpienne de la post-vérité, des faits alternatifs et de l’oppression technologico-policière. Usuellement, pour nous comprendre les uns les autres comme si cela était possible, nous qualifions notre époque de « trumpienne » mais si ça ne tenait qu’à moi nous dirions évidemment lynchienne, histoire de rendre à César.

Addendum du 16 janvier 2025 : aujourd’hui Los Angeles est en flammes et David Lynch est mort. Qu’il ait succombé aux mégafeux léchant Mulholland Drive ou aux décennies de tabagie revient au même, il a été consumé. Nous ne pouvons dire qu’une prière pour lui : Fire, walk with him.

Fond de l’oeil

05/12/2024 Aucun commentaire

Quelques nouvelles de ma paire de rétines et de son régime alimentaire.

– Dernière grosse claque de rattrapage en DVD : La bête de Bertrand Bonello (2023). Exceptionnel. Envoûtant, brutal, profond et même à triple fond, lent pendant, lent après, nécessite de conserver en soi pour laisser grandir. Là, il grandit comac. Regret de l’avoir manqué en salle, l’effet en eût été plus fort. Suite d’images splendides mais piégées. Labyrinthe mental qui fait penser à Lynch, Cronenberg ou Marker (les photos noir et blanc de Paris sous catastrophe font penser à la Jetée). Point commun inattendu avec Apocalypse Now : il s’agit de l’adaptation d’une nouvelle du XIXe siècle (en l’occurence, Henry James) pour mieux parler de nous, de notre époque et même de notre futur, de ce que nous avons fait du/au temps. Je suis tellement emballé que je vais jusqu’à trouver ici Léa Seydoux géniale alors qu’elle a plutôt tendance à m’exaspérer (la dernière fois que je l’avais vue c’était dans France de Bruno Dumont, insupportable).

– Dernier film vu en salle (pas le choix, c’est celui que j’ai projeté au village lundi dernier) : Monsieur Aznavour de Mehdi Idir et Grand Corps Malade. Tout ce que je déteste dans les biopics était rassemblé là : l’impression de lire une page Wikipedia transformée en simulacre par un algorithme, la reconstitution d’images pieuses et de moments-clef d’une légende dorée, un acteur-titre dont la performance se résume à un numéro d’imitation farci de prothèses… À chaque biopic, les deux mêmes lancinantes questions : primo y’a-t-il un point de vue ou bien le sujet (la biographie) suffit-il à tenir lieu de point de vue (c’est le cas dans l’immense majorité des biopics) ? Secundo, à quoi ça sert ? À quoi bon contrefaire en moins bien ce qui est disponible « en vrai » sur Youtube, si ce n’est pour flatter un besoin infantile de faire bouger sur grand écran une idole morte tout en l’estampillant de l’argument commercial de la nouveauté ?
Bon, et puis, tout de même, on ne peut pas lui enlever ça, un biopic est l’occasion de réécouter quelques bonnes chansons. Aznavour en a écrit quelques unes. Un seul moment m’a touché et fait perler une larme, la scène consacrée à Comme ils disent (déjà : il s’agit de ma chanson préférée d’Aznavour, quelle justesse et quel culot monstre de l’avoir écrite et interprétée), où le focus est intelligemment porté non sur Aznavour lui-même mais sur ceux qui l’écoutent.

– Dernier film vu en salle (mais en le choisissant, et en payant ma place à l’entrée) : The Substance de Coralie Fargeat. Oh la la. J’en suis à peine revenu. Tout ce que je recherche au cinéma était rassemblé là : la poésie par l’image en mouvement, le choc visuel qu’on attend dans la scène suivante, qu’on désire, qu’on redoute, et qui pourtant nous prend sans qu’on l’ait vu venir, un objet à la fois unique esthétiquement et indispensable sociologiquement mais qui ne se puisse réduire ni à son esthétique ni à sa sociologie. Double critère. Définition tellement générale de l’oeuvre d’art ou de la beauté que je pourrais affirmer aussi bien que c’est ce que je recherche dans les livres. Ou dans un auditorium. Ou dans la rue. Ou dans la vie.
* Je tente de nommer son esthétique : Du neuf avec du vieux. L’outrance, sans peur du mauvais goût, propre aux années 70 fondue puis moulée dans la rage (féministe, mais pas que) de 2024, pour un conte moral punk, qui emprunte ses archaïsmes à Kubrick (oh cette obsession géométrique), à De Palma, mais aussi à Freaks, au Portrait de Dorian Gray ou à Cendrillon ou à n’importe quel conte qui nous avertit que l’aiguille tourne (« Je suis en retard en retard » dit le lapin blanc), voire à la Bible (je suis certain que la scène de Sue et les actionnaires dans le couloir procède de Suzanne et les vieillards et que c’est même l’origine du prénom du personnage).
* Je tente de nommer sa sociologie : les mass media, l’âgisme, la chirurgie esthétique, le riche business de la peur de mourir, la folie transhumaniste, le corps-marchandise des femmes – et surtout la colère. Tout ça. Plus une mèche. Boum.
* Conclusion à titre très personnel. Sans préjuger de la façon dont les jeunes recevrons ce film, moi qui suis vieux j’identifie la morale ainsi : il est toujours malsain de se comparer aux autres (alors que la société de consommation ne nous incite qu’à cela), Y COMPRIS et peut-être surtout de se comparer à cet autre soi-même que nous étions autrefois. Je me le tiens pour dit.

– Dernière série formidable qui m’a fait palpiter les sept chakras, qui a rempli haut la main les deux critères socio-esthétiques sus-mentionnés et dont l’ampleur romanesque et thématique (encore une histoire d’emprise, de gourou, de folie collective, comme j’aime – et en outre, dans son 3e épisode, un éloge de Chantons sous la pluie en tant qu’accès populaire à la joie et à la beauté, comme j’aime) m’a semblé mériter qu’on s’avachisse une dizaine d’heures durant dans un canapé : La Mesias sur Arte, du duo espagnol Los Javis, « les deux Xavier » soit Javier Ambrossi et Javier Calvo.
Série exceptionnelle en ce qu’elle est tenue de bout en bout et pourtant surprenante à chacune de ses bifurcations (deux ou trois par épisode), nous emmenant sur un terrain sans cesse nouveau contrairement au tout-venant du fast-food à binge-watcher, tellement cousu de fil blanc qu’on pourrait l’écrire soi-même. Cela rend Las Mesias spécialement difficile à résumer.
Disons au moins que La Mesias se traduit par La Messie, petit indice sur le synopsis, qui est bien plus original et perturbant que la série Netflix de 2020 intitulée Messiah.
Sinon il y a aussi Le Messie de Haendel mais pratiquement ça n’a rien à voir.

– Dernière vidéo Youtube à m’avoir aiguisé en pointe l’oeil et le cerveau.
Avez-vous trois quarts d’heure ?
Qui a trois quarts d’heure en nos temps d’attention dévorée ?
Nos temps sont ceux des choix que l’on fait des trois quarts d’heure suivants. À quel écran en fera-t-on offrande ?
J’ai pris trois quarts d’heure ce matin pour regarder une vidéo du youtubeur nommé Ego, consacrée au jeu Universal Paperclips.
Et même un peu plus de trois quarts d’heure tant j’ai souvent mis en pause voire reculé pour être bien certain que je comprenais (le gars parle extrêmement vite, je le soupçonne d’utiliser une accélération numérique de sa voix, il se donne donc lui-même à entendre comme augmenté technologiquement).
Merci, c’est passionnant. Et terrorisant.
C’est à propos de l’Intelligence Artificielle, et du capitalisme – soit : la pratique, et l’idéologie. Ou : la main, et le cerveau.
Dans ce jeu, tout commence par un trombone. Non, je ne parle pas de musique, hélas. Tout commence par un trombone, le matériel de bureau le plus frêle, infime, négligeable et bon marché, bout de fil de fer tordu à la limite du ridicule. Le principe du jeu est de fabriquer, stocker, et vendre un trombone, puis dix, puis cent, puis des milliards de trombones. Jusqu’à la fin du monde. Ce jeu de simulation économique est une déclinaison ludique du principe du maximisateur de trombones selon Nick Bostrom. Et le résultat est terrifiant : une répétition générale du capitalisme, si diabolique qu’à côté le Monopoly est un aimable bac à sable pour les moins de trois ans. Tout est dirigé pour maximiser l’industrie du trombone, jusqu’à ce que l’univers soit dévoré ainsi que nos attentions de trois quarts d’heure. L’IA entre en jeu ici, séduisant accessoire qui va prendre le pas sur nous, robot qui conformément à son étymologie travaille à notre place.

Et soudain, je réalise que tout, je veux dire toutes ces idées, tous ces avertissements sur la folie rationnelle, sur la perfection frelatée, figuraient déjà dans 2001: l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick en 1968.
La déshumanisation par trop de rationalisation, l’ordinateur que par mégarde nous avons antopomorphisé au point de s’adresser à lui comme à une personne, l’imprévisible désalignement de l’algorithme, les dangereuses illusions de la vallée de l’étrange, l’IA qui prend la confiance (l’emballement de l’IA dans Universal Paperclips se fait à coups de points de confiance qu’on peut s’offrir au fur et à mesure) et suit coûte que coûte la consigne donnée par les humains jusqu’à sacrifier les humains… Le destin de l’humanité résumé à un outil qui tourne mal. Un os jeté en l’air ? Un trombone, aussi bien.
Une phrase clef dans la vidéo d’Ego pourrait être le pitch même de 2001 : « Une IA peut apprendre à tromper même quand ses créateurs ne le voulaient pas. »
Quel film génial, décidément, quel tournant !
Allez, tiens, pour ne pas tout à fait désespérer je continue de croire, mais je ne le prouverai pas, c’est une foi seulement, que l’invention majeure de l’histoire humaine est le cinéma, pas l’IA. Parce que la poésie et la métaphysique dans 2001, inépuisables, la lenteur, la contemplation, la rêverie, l’inconscient en plus de la stricte raison consciente… ne peuvent pas (encore) être générés par IA.
J’aime aussi comment la vidéo d’Ego se termine en se couchant sur le sol pour rêver en regardant les étoiles, pour se demander si une vie existe, loin là-bas, autre que celle que nous sommes en train de saloper.

– Ah, et à propos de trombone, bien sûr : le meilleur film de trombone que j’ai vu ces temps-ci est En fanfare d’Emmanuel Courcol, sur les conseils de nombreuses personnes qui ne se connaissent pas entre elles. Merci du fond du coeur à tous et toutes.
Fait rare, la salle a applaudi pendant le générique de fin. Moi aussi, mais c’était surtout pour cacher que j’étais en larmes.
Film sans défaut. Et en tout cas sans faute de goût : film sur la fraternité mais sans niaiserie, mélodrame mais sans pathos, comédie mais sans facilité, film d’acteurs mais sans brio gratuit (par comparaison, Tar de Todd Field avec Cate Blanchett, autre film sur un(e) chef d’orchestre que j’avais adoré, était une pure outrance), film social mais sans condescendance ni angélisme ni mépris de classe, film politique mais tout discrètement (se glisse même une allusion sur les territoires désolés conquis par le RN, mais très fine, il faut tendre l’oreille pour la choper : « Si tu étais resté ici tu t’appellerais pas Thibaut, tu aurais un prénom normal, je sais pas, moi, Jordan » )… et surtout film musical extrêmement bien composé, arrangé, dirigé, harmonieux, juste et accordé.
Film sur ce que nous font réellement Aznavour, Dalida, Miles Davis ou Ravel, plus pertinent que les récents biopics sur Aznavour, Dalida, Miles Davis ou Ravel. Pour rappel : le genre du biopic est au cinéma ce que le musée Grévin est au Louvre.
Moi qui ai joué à la fois dans une harmonie en pays minier, et dans un orchestre symphonique, j’ai tout trouvé crédible (à part pour le trombone : lorsqu’on filme Jimmy en solo et en gros plan, on voit bien que ses positions c’est n’importe quoi, mais bon, pas grave du tout).

– Dernier court-métrage qui m’a enthousiasmé : Une femme comme moi de Johanna Bedeau, reprenant en quelque sorte ou inversant le dispositif d’Une sale histoire d’Eustache, en demandant à des actrices d’interpréter le verbatim de femmes anonymes qui témoignent.

– Dernier documentaire qui m’a convaincu (non, qui m’a rappelé, ce sera suffisant) que le documentaire était une forme cinématographique majeure : John Zorn I/II/III de Mathieu Amalric, soit 3 h et 11 mns d’attention à la création, qui est un état d’esprit bien davantage qu’un événement. Regarder Zorn travailler et se dire qu’il est vivant, ça console que Zappa soit mort.

– Dernière bande-annonce (à part The Substance) qui m’a donné envie de retourner au cinéma aussi vite que possible : Planète B d’Aude-Léa Rapin, qui sort dans trois semaines. De la SF française, peut-être bien un gros nanar, mais tant pis j’irai quoi qu’il arrive, « on verra bien » et c’est le cas de le dire, parce que la toute première image de la bande-annonce montre les trois tours de l’île verte à Grenoble, on voit chez moi, ah ! Coucou depuis ma fenêtre ! Enfin quelqu’un pour s’emparer de l’énorme potentiel romanesque et fantastique de cette architecture extravagante ! (Certes, en 2022 on apercevait déjà les trois tours dans un autre film, qui était toutefois beaucoup plus centré sur l’hôtel de police en vis à vis.)

Conclusion irréfragable, impossible à renverser contrairement au premier gouvernement venu ou à je ne sais quel Premier ministre : vive le cinéma.


Post-Scriptum quelques jours plus tard :

Vu Planète B d’Aude Léa Rapin en avant-première, présenté par la réalisatrice.
France, 2039 : le pays est devenu policier, liberticide, verrouillé, répressif surtout envers les écoterroristes et les migrants-esclaves, la population plonge dans le chaos et la tech. Les détenus purgent leur peine préventive dans une réalité virtuelle, Planète B, prison pour leur esprit pendant que leur corps est dans le coma. La déréalisation technologique, même faite en surface de plage, de palmiers et de ciel bleu, nous prépare un cachot bien atroce et bien inhumain, à mi-chemin entre le Village du Prisonnier et « l’enfer-c’est-les-autres » de Sartre. Pourquoi pas.
En termes de cinéma de genre (ici, de la SF politisée) réalisée par une femme française (cumul de deux handicaps notoires), Planète B est un cran en-dessous de The Substance. Un peu trop long et démonstratif pour empoigner par surprise les nerfs en plus de l’intellect. Cependant quelques très belles trouvailles visuelles, notamment un usage inédit de la nuit américaine pour signifier les changements brutaux jour/nuit dans le monde virtuel.
Après la projection, la réalisatrice, micro en main, répond à une question de la salle : pourquoi avoir filmé à Grenoble ? Eh bien parce que, dit-elle, la ville est bizarre, photogénique, structurée et cernée par les montagnes « comme Sarajevo » et truffée de recoins mystérieux et romanesques, « que même vous, Grenoblois, ne connaissez pas » . Voire ! Une scène du film se déroule dans le centre de tri Athanor, décor industriel assourdissant, coulisse et envers de notre mode de vie et en cela politique par lui-même, que j’ai reconnu au premier coup d’oeil : j’en avais fait autrefois la visite et tiré des observations fort proches de l’anticipation socio-économico-environnementale. Rediffusion au Fond du Tiroir.

Rien ne sera plus jamais comme avant

24/10/2024 Aucun commentaire
Ne dirait-on pas que les deux dernières reines se regardent dans les yeux, d’un monde à l’autre ?

Rien à voir.
Non, mais : ab, so, lu, ment, rien à voir !

D’un côté : La dernière reine (2022), bande dessinée que Jean-Marc Rochette a présentée comme l’ultime qu’il réalisera jamais, car désormais il ne fera plus que de la peinture.
Oeuvre singulière, magnifique, romanesque et d’autant plus poignante qu’on sait qu’elle restera la toute dernière de son genre. Mais au juste, de quoi parle-t-elle ?
Des violences de la guerre et de la société répercutées sur un petit nombre de personnages, particulièrement un homme et une femme qui mettront du temps à devenir un couple (mais le deviendront-il jamais vraiment ?), évoluant dans un pays âpre, sauvage et sans pitié, à une époque révolue mais pourtant pas si lointaine ; et lorsqu’à la fin de l’histoire, la dernière reine du titre, en dépit de sa force, de sa splendeur et de sa liberté, accomplit son destin et trouve la mort, le lecteur est envahi par le sentiment du tragique, celui qui nous avertit qu’en même temps que le personnage, quelque chose a disparu à jamais, et rien ne sera plus comme avant. Mais la légende de la reine commence : pour la postérité, La dernière reine devient le nom d’une oeuvre d’art.

De l’autre côté : La dernière reine (2023), film algérien en costumes, coréalisé par Adila Bendimerad et Damien Ounouri, débordant généreusement de deux magnificences : celle d’un passé mythique fait de bruit et de fureur qui pourrait rendre des points à Sophocle, à Shakespeare, à Racine ou à Game of Thrones, et celle d’une cinématographie nationale peu connue et sinistrée (le FDATIC, Fonds algérien de développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographique, ayant hélas été dissous peu après la production du film).
Oeuvre singulière, magnifique, romanesque et d’autant plus poignante qu’on sait qu’elle restera la toute dernière de son genre. Mais au juste, de quoi parle-t-elle ?
Des violences de la guerre et de la société répercutées sur un petit nombre de personnages, particulièrement un homme et une femme qui mettront du temps à devenir un couple (mais le deviendront-il jamais vraiment ?), évoluant dans un pays âpre, sauvage et sans pitié, à une époque révolue mais pourtant pas si lointaine ; et lorsqu’à la fin de l’histoire, la dernière reine du titre, en dépit de sa force, de sa splendeur et de sa liberté, accomplit son destin et trouve la mort, le lecteur est envahi par le sentiment du tragique, celui qui nous avertit qu’en même temps que le personnage, quelque chose a disparu à jamais, et rien ne sera plus comme avant. Mais la légende de la reine commence : pour la postérité, La dernière reine devient le nom d’une oeuvre d’art.

Rien à voir entre les deux, rien du tout je te dis, c’est dingue cette pure coïncidence de titres, ou alors c’est moi qui fais une rechute d’apophénie.

Dans le même registre d’oeuvres qui ne savent pas liées entre elles mais qui n’ont rien à voir non plus, on pourra cliquer ici (Manifesto/Le Manifeste) ou bien là (affaires Laura Palmer & Grégory Villemin).

Peut contenir des sulfites

15/10/2024 2 commentaires

Cet été, comme je me trouvais en vadrouille en Amérique du Nord, je suis tombé chez un caviste sur une bouteille de Francis Coppola. Quoique le prix de ce Cabernet-Sauvignon californien fût assez élevé, je n’ai pas hésité une seconde, pour la dégustation, pour la curiosité mais aussi pour la blague : me voici co-producteur de Megalopolis, ah-ah, tchin-tchin !

Hier soir, ma qualité de mécène au coude levé n’ayant pas été reconnue au point de me valoir une invitation à une projection privée, j’ai payé ma place de cinéma, et je l’ai enfin vu de mes yeux, ce Megalopolis qu’on attend depuis 40 ans.

Je m’en faisais une joie, car l’opiniâtreté est une vertu artistique que je loue au-dessus de presque toutes (40 ans, mazette !), et parce que la première scène, offerte en guise de bande-annonce, m’avait ébloui.

Eh, ben.
Quel pinard d’aigreur.
Un bouquet prometteur et long en bouche sans doute, mais il pique très vite et il n’est pas commode à digérer, il m’a travaillé toute la nuit.
Foin de métaphore oenologique, autant l’avouer explicitement : je n’ai pas compris de quoi parlait ce film, à part de l’hubris de son auteur mis en abyme.
Je ne serai capable ni de le résumer, ni d’avancer une hypothèse quant à sa signification. Je doute du reste que les acteurs en sachent plus long que moi et quant à Coppola lui-même, je ne mettrais pas ma tête à couper.

Certes, quelques images sont splendides (d’autres font long feu et révèlent une esthétique pubarde un peu datée), certaines scènes sont fulgurantes et de pur cinéma, c’est-à-dire des visions d’une profonde poésie rétinienne (oh la la ces statues qui s’affaissent), et nombreuses sont celles qui, à la même hauteur que le prologue, auraient pu tenir lieu d’alléchante bande-annonce…
Le problème est peut-être là, l’oeuvre manque plus qu’elle n’est manquée, la promesse n’est pas tenue : les personnages sont si nébuleux (et encore ! nébuleux seulement si on leur fait crédit d’être un peu plus complexes que les lieux communs qu’ils arborent en façade : l’architecte est forcément un génie incompris, le maire forcément un corrompu mais sentimental, et la fille bof c’est juste une fille), l’histoire est si décousue, les images même magnifiques sont si fugitives et sans conséquence sur la suite du récit, le film enfin est si incohérent, écrit et raturé sans doute dans le désordre, au fil de l’inspiration du génie plénipotentiaire, que la succession de tous ces moments, fussent-ils époustouflants, ne parvient jamais à créer un tout, on dirait une mise bout-à-bout de séduisantes bandes-annonces d’un film qui n’existe pas.

Mon espoir était de retrouver le flamboyant lyrisme et l’âpreté de mes films préférés de Coppola. Las ! J’ai ressenti en lieu et place la même perplexité que face à celui de ses films que j’aime le moins, Coup de coeur (One from the Heart, 1984), qui était déjà un caprice ruineux, une longue catastrophe boursoufflée, une expérience inconséquente et tape-à-l’oeil – je me souviens d’une formule définitive de Serge Daney pour qualifier ce film-ci, qui pourrait être recyclée pour ce film-là : « C’est Au théâtre ce soir filmé par la NASA » soit des moyens pharaoniques qui forment autant qu’ils dissimulent un machin lourdaud, clichetonneux et aussi vite ringard que moderne. La montagne, et la souris.
Pire encore que du Coppola : la grandiloquence kitsch de Megalopolis m’a évoqué du Baz Luhrmann, en moins divertissant.

Moi qui ai quelquefois donné dans l’auto-édition dans le but de me dispenser d’éditeur et de rester fidèle à ma vision, j’en tire une leçon subsidiaire sur l’orgueil, et un avertissement. Coppola s’est passé de grand studio hollywoodien et de producteur, pour n’en faire qu’à sa tête… Lorsqu’on regarde le résultat les yeux dans les yeux, on se dit qu’avoir un interlocuteur, du genre qui te dit ça c’est bien ça c’est pas bien, se révèle parfois salutaire.
Tel quel, aucun producteur n’a voulu s’impliquer dans Megalopolis et peut-être que ce n’est pas une injustice.

En revanche et par comparaison, le Cabernet-Sauvignon de Coppola était tout-à-fait acceptable, très tenu et structuré.

Triangle d’or

25/09/2024 un commentaire

Aujourd’hui au Fond du Tiroir, dans la série La publicité c’est de la merde :

J’attends le bus.
Comme il n’arrive pas, mon regard se détourne et divague ailleurs que sur la chaussée ou dans le caniveau. Je me laisse piéger dans la publicité sous vitre, plus grande que moi, à l’intérieur de l’abri.
Un visage de femme marqué d’un triangle d’or, pointe en bas, haut de près d’un mètre de hauteur, me regarde dans les yeux. Le visage de la géante est posé, sûr de lui, quoiqu’un peu défraîchi, ridé, et on distingue même un léger duvet au-dessus des lèvres discrètement peintes en rose. Et ce triangle jaune comme un tatouage tribal.
Le slogan :

Avec la crème anti-âge, resculptez en un mois votre triangle de jeunesse !

Je vois parfaitement clair dans leur jeu.
J’ai compris ce qu’étaient ce triangle et ces lèvres poilues. Il s’agit évidemment d’une publicité pour une opération promettant la restauration de la virginité, en un mois seulement.
Je pense à Hitchcock, qui parlait de certaine catégorie d’actrices portant leur sexe sur le visage.
Je pense aussi au film Emmanuelle d’Audrey Diwan qui sort aujourd’hui même, je me demande si j’ai vraiment envie de le voir, sans doute que oui puisque Noémie Merlant est ma préférée actrice.
Je me souviens qu’Emmanuelle, plus gros succès en salle de 1974 (loin devant Céline et Julie vont en bateau de Rivette, qui plaida au moins aussi fort pour l’émancipation des femmes) possédait DÉJÀ une suite : dès 1975, forcément, était tourné Emmanuelle l’antivierge (de même que dès 1960, un an après la publication du premier roman, l’autrice Emmanuelle Arsan utilisa ce titre-là pour un tome deux).
Je me demande si Sylvia Kristel utilisait une crème anti-âge.
Enfin mon bus arrive.