Finalement, ce sera une trilogie. Après Goya : Monstres et merveilles créé en 2022 (voir ici)… Après Chagall : L’Ange à la fenêtre créé en 2023 (et dont la tournée se poursuit : toutes les dates ici)… Le trio Christine Antoine/Bernard Commandeur/Fabrice Vigne prépare pour 2025 son troisième spectacle biographico-musico-politico-pictural, intitulé Courbet : Je n’ai jamais eu d’autres maîtres que la nature et mon sentiment. C’est une bonne nouvelle ! Alors pourquoi cette mine de désespéré, s’il vous plaît ?
Plus je me documente, plus je me passionne pour le personnage. Quel type stupéfiant ! Quel punk !
En échantillon, juste une anecdote : en 1870, Courbet refuse avec fracas la légion d’honneur parce qu’il désavoue le gouvernement (COURBET PRÉCURSEUR DE JACQUES TARDI !)* et dans la foulée s’engage dans la Commune, ce qui lui vaudra beaucoup d’ennuis : pour fuir le harcèlement politique subi dans son propre pays il passera les dernières années de sa vie au bord du lac Léman (COURBET PRÉCURSEUR DE CHARLIE CHAPLIN !), où, alcoolique, il continue d’insulter l’académie locale en passant sous ses fenêtres et ce faisant d’insulter l’académisme (COURBET PRÉCURSEUR DE CHARLES BUKOWSKI !), où, également, il tente de retrouver quelque chose de nouveau à dire sur la nature (illustration ci-dessous : Vue du lac Léman, COURBET PRÉCURSEUR DE L’IMPRESSIONNISME !), voilà qu’il se fait arrêter par la police suisse parce qu’il se baigne tout nu dans le lac (COURBET PRÉCURSEUR DE PHILIPPE KATERINE !).
Comme avec les deux précédents, en rédigeant le texte du spectacle je m’emballe pour la vie et l’oeuvre du peintre, et tout spécialement pour son rapport avec la politique : Goya, Courbet, Chagall, chacun a pris son époque en pleine tronche, et de cette violence du réel il fit ce qu’il put. Ces quelques mots, il en fit ce qu’il put, sont le vrai moteur des biographies que je rédige. En ce qui concerne Gustave Courbet, le principe de réalité politique qui a embrasé sa vie n’est autre que la Commune de Paris. Oh, j’ai de quoi dire. Il est possible que la bande son du spectacle comprenne La semaine sanglante, La Canaille ou Elle n’est pas morte.
* Rappelons que la légion d’honneur est, en revanche, portée avec force gratitude envers la France par des héros du peuple, ayant une autre conception de la dignité, tels que Bernard Arnault, Vladimir Poutine, Bachar al-Assad, Mohammed ben Nayef, Ali Bongo, Harvey Weinstein, Jeff Bezos, Abdel Fattah al-Sissi, Didier Lallemant, Patrick Pouyanné, Thierry Ardisson, Michel Houellebecq, Gérard Depardieu… Et ça, c’est pour les vivants. S’il fallait collectionner les morts glorieux qui ont arboré le pin’s à la boutonnière, il faudrait citer Adolphe Thiers, Mussolini, Maurice Papon, Manuel Noriega, Franco, Ceaucescu, Bokassa, Ben Ali, Jacques Servier, André Tullard et évidemment Philippe Pétain. Que des cadors.
(Illustrations : j’ai demandé à une intelligence artificielle une image représentant « Bashō, le grand maître du haïku japonais, jouant du ukulélé sous un cerisier en fleur. » Oui, Bashō a six doigts, comme tous les japonais jouant du ukulélé.)
Comme nous l’a dit approximativement un ami après un concert de Marie Mazille et moi-même : « On n’est jamais déçu, avec vous. On sait que ce sera débile mais on est tout de même surpris par la manière. » C’est le plus beau compliment que nous avons jamais reçu. Donc ! Nouvelle aventure surprenante du Débile-Duo ! Marie invente un nouveau jeu, me demande si je veux jouer, je dis oui avant même d’avoir entendu la suite, comment dire non. Marie crée des mots valises et des expressions à tiroir, à base de jeux de mots terrifiants et d’à-peu-près éhontés. Je réceptionne et je suis chargé de donner à chacun de ces « mots que nous avons inventés et dont le besoin se faisait généralement sentir » une définition acceptable. (Car ainsi, pour vous révéler le secret, notre duo fonctionne, au fond très traditionnellement : un Auguste fantaisiste met le bazar, un clown blanc réintroduit un peu d’ordre dans le chaos et fait mine que tout est normal.) Feu.
Un connastère : monastère où toutes les nonnes sont systématiquement abruties par une discipline dictatoriale.
Un carambariolage : délit consistant à s’introduire par effraction dans un domicile privé et à repeindre tous les murs de couleurs criardes.
Un appétit de Doisneau : envie de pratiquer l’art très vite rassasiée, et dissipée dès le premier déclic, dès la première image.
Oui-Oui l’ourson : jouet qu’autrefois on déposait sur les tablettes arrière des voitures, ours en peluche dont la tête montée sur ressort hochait au gré des cahots de la route.
Charles-se-Magne : célèbre « message personnel » diffusé sur Radio Londres le 14 juin 1944, avertissant de façon cryptée que de Gaulle a bien posé le pied en Normandie et qu’il est en route pour Paris.
Hercule poireaute : proverbe signifiant que même les personnes les plus courageuses hésitent devant une épreuve trop épineuse. Allusion à l’attitude d’Hercule qui, après avoir accompli onze de ses travaux, se reposa avant d’entamer le douzième, le plus difficile, la descente aux enfers. Il prononça alors devant la porte des enfers ces paroles immortelles : « J’y vais ou j’y vais pas ? ».
La nuit tous les ch’tis sont gras : polar publié en 2008 par Quinquin Bodard, la star des écrivains de Roubaix, qui raconte une enquête de police particulièrement délicate. Le seul indice révélé par la vidéosurveillance est que l’assassin est obèse. Mais que faire de cette piste puisque le meurtre a eu lieu dans le Nord-Pas-de-Calais où une personne sur quatre est atteinte d’obésité ? Heureusement, l’assassin a laissé des traces de maroilles…
Le petit pou sait que le petit pouce hait : proverbe signifiant que l’on trouve toujours plus fort que soi et que nos vies tiennent à un cheveu. Allusion au fait qu’un pou se promenant paisiblement sur un cuir chevelu peut se faire exterminer en un clin d’œil, sans avoir rien vu venir, par le passage d’un pouce rageur, pourvu d’un ongle tranchant, et ainsi le destin s’abat et qu’y pouvons-nous, pauvres créatures ? Rien. C’est la vie. Une seconde on est vivant, la suivante on est mort. On est quand même peu de chose.
L’heureux narre et le corps beau : proposition morale audacieuse contrecarrant le cliché selon lequel « les gens heureux n’ont pas d’histoires » . Eh bien, si ! Lorsqu’on est heureux, on peut raconter, le bonheur est même une disposition très favorable à la narration ! En revanche, ce sont plutôt les gens beaux qui, se contentant d’être posés là et jouissant de leur propre beauté, n’ont rien à raconter. Rien d’intéressant, du moins. C’est du reste la leçon du conte Riquet à la Houppe.
Lady de Nantes : surnom moqueur, brièvement donné à la duchesse Anne de Bretagne (1477-1514), au moment où la presse people colportait les ragots sur ses prochaines fiançailles avec le roi d’Angleterre Edouard V. Des manifestations populaires devant son château de Nantes, au cri de « Pas d’alliance avec les rosbifs », ont mis un terme au projet de mariage. Cette rupture de noces est un évènement historique demeuré célèbre sous le nom de révocation de Lady de Nantes.
La bille ne fait pas le moine : proverbe qui rappelle qu’il ne faut pas rentrer dans les ordres si l’on sort à peine des jeux de cours de récréation. Variante ! La bile ne fait pas le moine : proverbe qui rappelle qu’il ne faut pas rentrer dans les ordres sur un coup de colère.
Un haïku-lélé : genre poétique traditionnel japonais célébrant, en 17 pieds répartis sur trois vers, la nature, l’évanescence du monde, le passage des saisons, et la musique hawaïenne. Exemple fameux tel qu’écrit par le grand maître Bashō : « Au bord de l’étang/Une grenouille qui plonge/Guitare hawaïenne. »
Un haïku-cikuça : genre poétique traditionnel japonais célébrant, en 17 pieds répartis sur trois vers, la nature, l’évanescence du monde, le passage des saisons, et l’indécision. Exemple fameux tel qu’écrit par le grand maître Bashō : « Au bord de l’étang/Une grenouille qui plonge/Je reste ou je pars. »
Un Haï-couille : genre poétique traditionnel japonais, célébrant, en 17 pieds répartis sur trois vers, la nature, l’évanescence du monde, le passage des saisons, et une paire de couilles. Exemple fameux tel qu’écrit par le grand maître Bashō : « Au bord de l’étang/Une grenouille qui plonge/Et j’ai froid aux couilles. »
Un fesse-maker : complément médical ou alimentaire promettant un regain de libido mais ne réussissant, parfois, qu’à enfler la couche de graisse à l’arrière-train. (Exemples : Viagra, gingembre, chocolat, fruits de mer…)
Un tire-messe : terroriste islamiste faisant un carton à la Kalashnikov sur une église le dimanche en fin de matinée.
Le tiroir-fesse : département du Fond du Tiroir entièrement dédié à la pornographie (exemple : Trois filles de leur mère).
La fesse de minuit : métaphore qui désigne l’heure où les corps emmêlés des vieux amants, autrefois carrosse, se transforme en citrouille. Blette, en plus.
Le palinceste : logique sociale fataliste selon laquelle une personne abusée sexuellement dans son enfance par un membre de sa famille, devient agresseur sexuel à son tour, et ainsi un nouveau drame recouvre l’ancien.
Un mic mackintosh : confusion ou quiproquo engendré lorsque, pendant une visioconférence sur Mac, on ne parvient pas à éteindre son micro.
La gratatouille : recette traditionnelle des Hautes-Alpes, dans laquelle les légumes, trop rares en montagne, sont remplacés par des orties.
La carte vitam æternam : certificat d’immortalité décerné par l’administration française, à condition d’avoir cotisé au denier du culte à tous les trimestres durant sa carrière, de fournir l’attestation du contrôle technique de son âme révisée tous les 20 000 kms, et d’être à jour, le cas échéant, de ses démarches de don d’âme. Comme l’État, en dépit de ces précautions, ne saurait garantir tout-à-fait la vie éternelle, il est fortement recommandé de souscrire, en sus, à une mutuelle, afin de préparer son immortalité par capitalisation.
Loire-Désir : appellation médiatique, inventée par un spécialiste en communication chevronné, du jumelage entre les communes de Loire-sur-Rhône (département du Rhône, région Auvergne-Rhône-Alpes) et de Saint-Désir (département du Calvados, région Normandie). Depuis que ce jumelage a été officialisé par un vin d’honneur réunissant les deux fanfares municipales, les maires des deux communes, très régulièrement agressés physiquement ou verbalement, et empêchés de monter sur scène, ne cessent de publier dans la presse des démentis : non, ils ne sont pour rien dans la mort de l’actrice Marie Trintignant.
Le ku-klux-klandestin : immigrant, souvent à peau noir, entré illégalement sur le territoire des États-Unis, qui a trouvé refuge sous l’uniforme du Ku-Klux-Klan (longue robe blanche et cagoule à sommet pointu) afin de ne pas se faire importuner par tous ces cons de racistes.
La période chose de Picasso : maturité artistique de Picasso durant laquelle celui-ci ne pouvait plus se contenter de peindre des tableaux, mais éprouvait le besoin de fabriquer des objets (sculpture, céramique, tapisseries, macramé, vannerie, broderie, poterie, bracelets de couleur pour aller au bal…). En réalité, comme Picasso a été mûr très tôt et très longtemps, sa période chose a débuté quand il avait 20 ans et s’est achevée à sa mort à 91 ans.
Une piste d’atterri-stage : promesse formulée à un(e) jeune stagiaire qu’on exploite gratuitement, en lui faisant miroiter que grâce à cette expérience formidable et bénévole, il pourra voler de ses propres ailes et ensuite se poser où bon lui semble. La réalité est souvent moins rose, les stagiaires parfois se crashent et on parle alors de « piste d’atterri-sképéril ».
Mirliton Matin, rubrique « nos retraités sont actifs » ! Un ex-maître nageur prend désormais soin des noyers… Leur fait-il le bouche-à-bouche ?
La retraite est parfois le moment d’inverser La vapeur Abattre sa routine, et envoyer valser Ses valeurs Pour tendre enfin, à son miroir, à son passé, Son majeur. Ainsi de ce métier, trop longtemps exercé : Professeur De natation – autrement dit, sans finasser, Maît’nageur ! Profession admirable et souvent, on le sait, De grand cœur, Car couronnée d’un noble et superbe énoncé : « Sauveteur » . Dominique pourtant s’en est débarrassé Sans douceur. Porter ce sacerdoce, il en avait assez ! Cet honneur Tout humble et tout humide, comme il le haïssait ! Voici l’heure De cesser de sauver et plutôt de bosser En cueilleur, De sortir du bassin et de se rehausser Vers les fleurs. Pas n’importe lesquelles : celles qui ont poussé En hauteur, Aux branches des noyers ! Dominique se sait Nuciculteur. « Noyers, ah, fleurissez ! Noyés, disparaissez ! » Quel farceur ! Reconversion rêvée, culot récompensé Producteur Vie à la noix que Dominique s’est tracée Bien meilleure Pied de nez au destin, jeu de mot balancé Au malheur ! À Dominique, tous nos vœux sont adressés Au bonheur ! Faut-il tirer une morale nuancée ? Et ta sœur ?
Le doux ronron du chat le soir au coin de l’âtre ? C’est bon pour le moral, conseillent les psychiatres. La ronron-thérapie consol’ du ciel grisâtre. Pourtant point trop n’en faut ! Et l’on pourrait débattre Du taux de décibels après quoi : faut décroître Sinon l’effet s’inverse et l’on vire acariâtre. Le record actuel est anglais : 54. Quel boucan ! Mon avis : ce matou, qu’on le châtre ! (Non, c’est une femelle… En ce cas, qu’on l’emplâtre.)
TROIS
Mirliton Matin, rubrique amusons-nous avec Google les jours de pluie ! (sur une idée de Marie Mazille)
Méthode : 1) Proposer au moteur de recherche Google un début de question, en l’occurrence : « Pourquoi faut-il… » 2) Lire toutes les solutions suggérées par le remplissage automatique de Google qui devine les mots avant même que vous ne les ayez pensés, vous connait mieux que vous ne vous connaissez, et n’aime rien tant que finir vos phrases à votre place. 3) Mirlitonner à loisir et traduire en vers délicats cette guirlande d’angoisses, manifestement communes.
Pourquoi faut-il optimiser La gestion de chaîne logistique ? Pourquoi faut-il sans plus tarder Investir dans le photovoltaïque ? Pourquoi faut-il économiser Chaque goutte des ressources hydriques ? Pourquoi faut-il sans hésiter Réparer les feins hydrauliques ? Pourquoi faut-il savoir compter Quand on offre des roses qui piquent ? Pourquoi faut-il imaginer Sisyphe heureux, philosophique ? Pourquoi faut-il trier ses déchets, Est-ce vraiment écologique ? Pourquoi faut-il les lentilles rincer Quelle en est l’exacte technique ? Pourquoi le passeport est obligé Pour visiter les Britanniques ? Pourquoi respirer par le nez Même quand on est en public ? Pourquoi faut-il obliger à voter Pour s’impliquer en politique ? (Il parait qu’c’est ce qui se fait Outre-Quiévrain, dans la Belgique) Pourquoi faut-il se faire enlever Les dents de sagesse en clinique ? Pourquoi faut-il manger du lait Quand on prend des antibiotiques ? Pourquoi garder les yeux fermés Pendant un baiser romantique ? Puis, pourquoi faut-il uriner Après un quart d’heure érotique ? Mais pourquoi faut-il transpirer Quand on est fiévreux, frénétique ? Et pourquoi faudrait-il travailler Victimes de l’idéologique ? Pourquoi faut-il sans cesse penser Alors que Google est si pratique ?
QUATRE
Mirliton Matin, rubrique le vent de l’amour ! (fait divers et mirliton monorime)
Pour la Saint Valentin je t’offrirai mon cœur
Et je m’apprêterai pour toi mon âme sœur.
Toi, que m’offriras-tu ? Un gros bouquet de fleurs ?
Un dîner aux chandelles, un coffret de douceurs ?
Un bijou chatoyant de feux et de couleurs
Et qui révèlerait de mes joues la rougeur ?
Tu me courtiseras en flattant ma valeur
Tu seras mon héros, mon roi, mon empereur
J’attendrai ce moment avec grâce et ferveur
Ce serait bien de joie si me venaient des pleurs
Alors toute la nuit on jouerait au docteur
Puis nous reposerions en mêlant nos chaleurs
Comme à la fin d’un conte, ainsi nous vivrons heur-
Eux et nous aurons beaucoup de successeurs.
Mais attention à toi si jamais par malheur Tu oubliais le jour, le mois, la date et l’heure ! Faut être con, indifférent, ou Alzheimer ! Imbécile ! Abruti ! Salaud ! Crétin ! Loser ! Je t’en foutrai des Valentins baratineurs ! Je te castagnerai à coups d’aspirateur ! L’outil du grand ménage et de l’instinct vengeur ! J’aspirerai ta rate et la cuirai au beurre J’aspirerai ton foie, riant de tes douleurs J’aspirerai tes yeux découpés au cutter J’aspirerai ta queue, la jetant au mixeur Et pour finir j’aspirerai ton vilain cœur.
Le puzzle est en miettes, je suis seul face à lui. Vingt mille pièces en vrac et je le reconstruis. Je commence le jour, je continue la nuit. Puis tous les autres jours avec soleil ou pluie.
Il est mon obsession, mon sablier enfui Il s’accroît à mesure que mon temps réduit Il est l’incarnation de ce qu’au fond je suis Moi aussi en morceaux, j’assemble mon ennui.
SIX
En voulez-vous encore de nos beaux mirlitons ? C’est preuve de bon goût, nous vous félicitons ! Les annales sont là, à la portée d’un clic, Ensuite ici, et un peu là, très cher public.
Parfois on voit une image Par surprise On voit un visage On voit le passage On voit le sillage On voit le ravage On sent l’âge On résiste On hésite à faire le lien On doute pour la forme On se demande ce qu’il a fallu oublier Entre temps Pour s’offrir ce luxe Se voir dans l’image Comme un autre Un éloigné de la famille Se reconnaître sans en revenir A-t-on vraiment été cette personne ? Cette personne froissée Cette boule de papier Cette peine On a envie de la consoler Lui dire que ça ira Une main sur son épaule Ou même l’embrasser Si elle permet T’inquiète Ça ira Crois-moi Je le sais Je peux pas tout t’expliquer Je peux pas tout te dire mais Crois-moi Je suis bien placé Ça finira par aller.
J’ai donné mon premier atelier d’écriture de la saison. Le thème imposé par la prochaine Nuit de la lecture était le corps.
Je reproduis ici les consignes que j’ai proposées, pour ceux qui veulent jouer à la maison.
1. Choisir son camp avec Molière. Dans les Femmes savantes (1672), Molière dit tout en quelques vers sur l’attitude que chacun peut entretenir vis à vis son corps. L’intellectuelle Philaminte, qui vise à devenir un pur esprit, dit dédaigneusement « Le corps, cette guenille ». Son mari Chrysale, plus terre-à-terre, rétorque « Oui mon corps c’est moi-même et j’en veux prendre soin. Guenille si l’on veut ! Ma guenille m’est chère. »
Chrysale Je vis de bonne soupe, et non de beau langage. Vaugelas n’apprend point à bien faire un potage ; Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots, En cuisine peut-être auraient été des sots. Philaminte Que ce discours grossier terriblement assomme ! Et quelle indignité pour ce qui s’appelle homme, D’être baissé sans cesse aux soins matériels, Au lieu de se hausser vers les spirituels ! Le corps, cette guenille, est-il d’une importance, D’un prix à mériter seulement qu’on y pense ? Et ne devons-nous pas laisser cela bien loin ? Chrysale Oui, mon corps est moi-même, et j’en veux prendre soin : Guenille, si l’on veut ; ma guenille m’est chère. Bélise Le corps avec l’esprit fait figure, mon frère ; Mais, si vous en croyez tout le monde savant L’esprit doit sur le corps prendre le pas devant. Les femmes savantes, acte II, scène 7
À vous de choisir : êtes-vous plutôt Chrysale ou plutôt Philaminte ? Commencez un texte par « Mon corps c’est moi et » ou bien par « Le corps, cette guenille » et voyez où cela vous mène. Faites les deux, si vous avez le temps et/ou le sens de la dialectique.
2. Le morceau choisi Choisissez une pièce détachée dans votre corps. Soit un membre, soit un recoin de peau, soit un organe (visible ou invisible), soit un « signe particulier » (grain de beauté, tatouage, cicatrice, voire prothèse, par exemple une paire de lunettes), et racontez son histoire. Quand l’avez-vous remarqué ? Quand avez-vous commencé à lui accorder un soin particulier ? Jusqu’à quel point vous identifiez-vous à lui ? L’aimez-vous ? Le détestez-vous ? Etes-vous en paix ou en guerre avec lui ? Comment avez-vous grandi ou vieilli ensemble ? Si l’écriture personnelle et introspective vous est difficile, vous avez bien sûr le droit de transformer l’exercice en fiction. Optionnel : ladite pièce détachée peut parler à la première personne.
3. La litanie des sens avec Françoise Héritier Dans son bref ouvrage Le sel de la vie (2012), Françoise Héritier dresse une liste de quelques 80 pages de petits moments sensoriels qui font que « la vie vaut d’être vécu » . Ils sont livrés au lecteur sans ordre, sans hiérarchie, à la fois très intimes et très universels, dans la tradition de Sei Shōnagon. Je vous propose un exercice un peu plus méthodique. Enumérons les cinq sens, classés depuis le plus lointain jusqu’au plus intérieur (1 la vue, 2 l’ouïe, 3 l’odorat, 4 le toucher, 5 le goût). Pour chacun des cinq, vous reconstituerez un bon et un mauvais souvenir sensoriel. Ce souvenir peut être survenu une seule fois dans votre vie, ou être quotidien (par exemple vous pouvez décrire un coin de rue devant lequel vous passez chaque matin et auquel vous êtes très attaché). Votre liste doit donc contenir au minimum dix entrées, mais vous avez le droit d’aller bien au-delà, et vous pouvez même (chez vous) écrire à votre tour 80 pages.
Le sel de la vie, Françoise Héritier, pp. 39 et suivantes :
« …faire siffler un brin d’herbe entre ses doigts et ses lèvres, écouter dans la nuit du fond du lit le carillon Westminster qui augmente à chaque quart d’heure la durée de sa ritournelle dans la cuisine de Bodelio, entendre la vache de Moelan, voir un grand stampede dans un western, caresser la peau douce et flétrie des mains d’une vieille dame, appeler sa mère « ma petite mère », sa fille « mon trésor », son mari « mon coeur » et ressentir pleinement la justesse de ces appellations, dîner aux Bons Enfants dans une cour enclavée, savourer une histoire drôle rabbinique, chanter avec jean Gabin « Quand on s’promène au bord de l’eau », savoir prononcer correctement le nom de la ville de Cunlhat, ouvrir une lettre le coeur battant, être dehors quand le diable marie ses filles (What ? oh pardon ! sous une giboulée par beau temps), prédire qu’il pleuvra le lendemain à la position des rayons du soleil couchant, donner solennellement du « Monsieur » à un adolescent, écouter la voie sucrée de Rina Ketty attendant « le retour » et celle, piquante, de Mireille sur « le petit chemin », tomber en extase devant une couleur si juste, sautiller avec Charles Trénet et regarder avec Yves Montand les jambes de la demoiselle sur une balançoire, appeler avec un frémissement interne par son prénom quelqu’un que l’on vénère et qui vous en a prié, s’éveiller dans Paris avec Jacques Dutronc, lécher consciencieusement le fond des plats, s’asseoir au soleil à Rome piazza Navona en février et manger une salade de roquette avec un verre d’orvietto, faire se refléter sous le menton le jaune des boutons d’or, manger du raisin pris directement à la treille sur la façade d’une maison, voir de grosse gouttes d’eau s’écraser sur le sol ou un immense arc-en-ciel ou une lumière lointaine dans la nuit noire ou une étoile filante ou silencieusement passer très haut une capsule spatiale, avoir une tirelire, surprendre un animal qui vaque à ses affaires, sentir la densité d’un silence attentif, entrer dans la parole comme on entre dans l’arène, trouver enfin le mot juste, attendre un coup de fil, s’attrister parce que les galets perdent leurs belles couleurs en séchant, avoir le fantasme d’une grande maison à volets verts située à une croisée de chemins au coeur d’une forêt, admirer un grand perron doté de deux élégantes volées de marches ou des roses trémières opulentes ou un toit de tuiles vernissées, chanter à capella et à l’unisson, vibrer au timbre d’une voix, recevoir en pleine figure des ressemblances troublantes et agir avec le nouveau venu comme une ancienne connaissance, se parler à soi-même in petto, garder fidèlement une certaine idée de ceux que l’on a aimés, recevoir les épreuves d’un nouveau livre, manger des rayons de miel sauvage récolté par enfumage, croquer des radis, faire des compotes de pomme et des tartes à la pâte brisée, boire du cidre frais, coucher à la belle étoile, admirer le travail de nuit des termites sur des chaussures oubliées sur le sol, boire à la calebasse de la bière de mil chaude en passant à son voisin, faire un long voyage sur piste sans crever un pneu, entrevoir au bout du couloir la démarche de grand héron pressé et les pans de la blouse blanche du patron que l’on attend dans son service à l’hôpital et se sentir réconforté, empli de joie et de bien-être, aimer tout de la vie sur le terrain, même l’inconfort, nouer conversation facilement, assumer ses détestations, garder les vaches, tirer du vin nouveau, regarder les mains expertes de son médecin qui sait identifier le mal du bout des doigts, faire un bon mot ingénument et ne s’en rendre compte qu’à l’hilarité des autres, descendre en voiture un jour la rue de Belleville d’un trait, aller chez le coiffeur, se faire une manucure… »
Vers 1990, à une époque où je savais à peine me raser, j’ai écrit le scénario d’une bande dessinée intitulée Projet: Street Spirits (notez qu’il n’y a pas d’espace avant les deux points, pour faire plus américain, comme dans Mission: Impossible).
Il s’agissait d’une histoire de super-héros, plus ou moins parodique, que je me figurais archi- « de notre temps » puisque j’y décrivais le super-héroïsme comme une pure opération de communication.
Quoique connaissant par cœur les comics Marvel, l’influence que je revendiquais était plutôt une certaine tradition de la bande dessinée franco-belge, ironique, spirituelle, vacharde au besoin, un art du dialogue allant de Goscinny et Delporte jusqu’à Yann. Je faisais en somme du super-héros « à la française » parce que déjà à l’époque je pressentais que c’est en mélangeant qu’on invente.
Le lecteur français (nous ne nous adressions bien sûr qu’à lui) pouvait ainsi débusquer au fil des pages certaines références très locales : par exemple le maire de la ville s’appelait Pear et sa tronche dessinée en forme de poire était calquée sur la fameuse caricature du roi Louis-Philippe par Charles Philipon, parce qu’une poire blette me semblait une métaphore universelle des hommes de pouvoir, de quelque côté de l’Atlantique qu’on se trouve…
En revanche, j’avais dessiné le logo de la série en plagiant éhontément les titrailles en volumes de l’Américain Will Eisner, que je n’ai jamais cessé d’admirer, le titre lui-même constituant un transparent hommage au Spirit, ce faux super-héros, véritable être humain.
Avec le dessinateur, qui était un pote de lycée, nous avons réalisé trois épisodes – j’avais des synopsis pour douze, c’était un joli nombre douze, c’était comme Watchmen, j’ai pas mal gambergé sur la suite qui devait mettre en scène le seul adversaire que j’imaginais à la hauteur d’une opération marketing : le leader charismatique d’une secte (j’ai toujours adoré les leaders charismatiques de sectes), décrit comme une autre opération marketing réussi… Mais ainsi vivent et meurent les ambitions juvéniles : nous nous en sommes tenus à ces trois premiers épisodes, que nous avons photocopiés, agrafés, et vendus à la sauvette. Ce fanzine (vive le Do It Yourself !) était en somme notre premier « livre » , pour moi autant que pour lui, qui depuis a publié ailleurs ses propres BD.
Mais voilà-t-y pas que près de 35 ans plus tard, et sans me consulter, cet enfoiré que j’ai perdu de vue publie dans mon dos une réédition des Street Spirits ! Mis au pied du mur, je considère que cet objet est, ni plus ni moins, un livre pirate, un bootleg, une contrefaçon. Ce qui sans doute ne m’empêchera pas de commander un exemplaire pour le relire.
De mémoire, il me semble que ce travail de jeunesse, sans être déshonorant, était un peu amateur, non dénué de clichés. Surtout, il risque de paraître dérisoire et dépassé à notre époque, noyée qu’elle est sous les récits de super-héros, plus ou moins parodiques (voire trash, façon The Boys), ET sous les opérations de communication.
Sinon on peut aussi écouter Street Spirit de Radiohead qui date de la même époque (1995) et rêver qu’il s’agit de la bande originale du livre. Le clip de cette chanson, beau et cafardeux, est signé Jonathan Glazer, qui sera bien plus tard l’auteur d’un des films les plus fous et les plus stupéfiants jamais tournés, Under the skin. Quel rapport ? Bah, on a tous des oeuvres de jeunesses planquées dans un recoin du www.
Oh oh, c’est quoi cette odeur ? On vient d’observer près de Nancy l’éclosion de la plus grosse fleur du monde ! Fleur rare et fragile mais disproportionnée, qui s’appelle Pénis de titan, et qui pue, mais qui pue, que c’en est affreux-affreux. Il n’en fallait pas davantage pour ressusciter brièvement et en pleine canicule Mirliton Matin. (Pour mémoire, les annales de MM, média éphémère, sont consultables ici.)
Une (autre) charogne Hommage à Charles Baudelaire
Surnommée « Pénis de titan », La plus énorme fleur au monde N’en éclot que tous les cent ans Dans une puanteur immonde.
L’Amorphophallus titanum (De son aimable nom latin) Déploie un répugnant arôme La protégeant des importuns.
Trois mètres, un quintal… La géante
Schlingue à mort la viande pourrie !
Et cette exhalaison puissante
Est sa seule coquetterie.
En disciples de Baudelaire, Nous sentons cette fleur du mal Empoisonner notre atmosphère, Toxique ainsi que sont les mâles.
Tout en voilant son nez, le fier Botaniste-accoucheur se navre Que sa fleur née dans la bruyère Ait un autre surnom : « Fleur-cadavre » .
Aussi retenons « Pénis » ! Et la leçon :
Chers messieurs, la taille ne fait pas tout.
Mieux vaut minuscule qui fleure bon
Que titanesque refoulant l’égout.
Oyez, oyez, oh yeah ! Dès le premier janvier Adviendra le Grand Soir Dans le Fond du Tiroir : Marie Mazille et moi Lançons, pour tout le mois, Un nouveau quotidien ! Le « Mirliton matin » Un média poétique Musical sans musique Qui traitera l’actu Hors des sentiers battus Rimaillera les faits Pour les réenchanter ! (Ceci en prévision De notre création D’un concert en duo Qui aura lieu bientôt : Le vinteussept janvier.) Oyez, oyez, oh yeah !
« Mon beau sapin, roi des forêts au vent fétide ! Une épine corrompt la magie de noël : Des branches du Nordmann tombent les pesticides Et nous les savourons en guise de cocktail. »
Jour 1
1er janvier, MIRLITON MATIN ! Demandez MIRLITON MATIN ! Le quotidien qui vous enchante et qui paraît quand ça lui chante ! Le quotidien qui vous emballe et qui fait vibrer les timbales ! Le quotidien qui vous enivre et qui vous cause comme un livre ! Le quotidien qui rime ailleurs et qui devient bouquet de fleurs ! Le quotidien qui prend l’actu et lui colle une plume dans l’flux !
Lors, que puiserons-nous dans le remugle immonde Des actualités qui encombrent le monde ? George Santos est un sensationnel vantard Nouveau champion poids lourd du cynique bobard Fringante incarnation du futur politique Qui nous vient (forcément) de New York, Amérique. Enfoncés, les Contras, l’Irangate de Ronald… Dépassée, la fable « armes massives » Bush Junior… Relégués, tous les tweets vérolés du Donald… Le boniment ricain a un nouveau cador ! Il s’appelle George Santos et il ment tellement bien Qu’on ne peut croir’ ni ce qu’il dit ni son contraire Il ment comme il respire, il ment pour tout, pour rien Sur ses parents, sur son argent, sur sa carrière… Sur sa vie sexuelle : il jure qu’il est gay Si cela lui rapporte un électeur de plus ! La vérité est morte ! Et chacun peut briguer Un mandat d’imposteur car toute honte est bue. Ce jeune homme ambitieux, politicien ultime Assure qu’il n’a fait que ce que d’autres font Falsifier son CV pour un job… Pas un crime ! Puisqu’il vous dit que l’important est qu’il soit bon.
Jour 2
Mirliton Matin vous souhaite une bonne journée et une bonne année ! L’info du jour est très intéressante, preuve en est qu’elle est puisée dans Ça m’intéresse. 1 « Tes yeux sont si profonds que j’en perds la mémoire » Ainsi parlait, à son Elsa, Louis Aragon Qui, même s’il était un stalinien notoire, Était, grâce à l’amour, rendu un peu moins con ! 2 Attention aux dangers méconnus de l’orgasme ! On désire bien sûr ce vibrant choc nerveux Qui nous secoue la fibre et l’âme et l’enthousiasme Mais nous rend amnésique avant que d’être vieux
1 Pauvre champion cycliste qui, sans ex-aequo Et peut-être non plus sans anabolisants, Avec pour seule came un peu de proseco, Passe d’une heure de gloire à un drame cuisant ! 2 C’est-il assez ballot d’échouer si près du but A trop la secouer on triomphe sans gloire Lors que notre champion aurait pu mieux boire En penchant de côté son jéroboam en rut
Jour 4
Mirliton Matin, rubrique politique française ! Parfois l’actu s’offre comme un cadeau : le discours de nouvel an d’Emmanuel Macron, pour incongru et scandaleux qu’il fût, comprenait cette question de pure rhétorique, faussement naïve… mais qui, à peine remaniée, forme un délicieux alexandrin : « Qui aurait pu prévoir la crise climatique ? » Oui, il l’a dit. Il a osé. Avec une telle matière première, rédiger le reste du poème n’était plus que formalité pour l’équipe de professionnels chevronnés de Mirliton Matin :
« Qui aurait pu prévoir la crise climatique » ? La France compatit à l’effroi de Manu. Nous qui ignorions tout ! L’instant serait critique ? L’info est stupéfiante et nous tombons des nues ! Car depuis quarante ans, seuls quelques scientifiques (Tous amish, marginaux, gauchistes malvenus) Clament que le climat atteint un seuil critique ! Les autres, les sérieux, ont toujours soutenu Que tout va pour le mieux ! La ré-ale politik Rassure les marchés, et chaque revenu De la croissance augmente les ruisseaux de fric Pour sauver la Planète et tout son contenu ! Le réveil est brutal et l’aveu, poétique. Terminée la bamboche, tas de parvenus ! Le président élu de notre République Nous prendrait-il pour une bande d’ingénus ?
Ce qui est bon pour nous ne l’est pas pour les bêtes. Nos orgies ne sont pas pour les chiens, ni nos tables. Chocolats interdits aux clebs pendant les fêtes ! Car Médor risquerait un trépas lamentable. Son maître, quant à lui : uniquement diabète, Surpoids, indigestion, plaisir un peu coupable.
1 L’œuvre lente de Cage, dont le prénom est John Dure, c’est étonnant, six-cent trente et neuf ans. Un accord chaque année et tout l’orgue en résonne. Allah, dit le Coran, couronne les patients. 2 Ça ne vous suffit pas, un chant de 107 ans ? Nous avons trouvé mieux : six siècles et des poussières ! Concerto pour têtus et pour leurs descendants Qui à leur tour seront retournés en poussière.
Jour 7
Mirliton Matin, rubrique faits divers : alerte à la bombe à l’hôpital de Toulon après l’admission d’un octogénaire s’étant introduit un obus dans le rectum ! Les deux envoyés très spéciaux de M.M., Marie Mazille et Fabrice Vigne, ont immédiatement été dépêchés sur le lieu du drame afin d’enquêter sur cette délicate affaire. Chacun, en toute indépendance, en a promptement rapporté (c’est ce que font les reporters) un papier. Nous les publions tels quels, mais par pudeur et discrétion, nous ne dévoilerons pas à nos lecteurs qui a écrit quoi. Peut-être devinerez-vous ?… La première bonne réponse gagne un abonnement à vie à Mirliton Matin ! 1 Jouer au trou d’obus avec son trou de balle Est séduisant, mais périlleux. Avertissement ! N’essayez pas chez vous ! Il peut être fatal De s’introduire un projectile au fondement. 2 Un peu de vaseline sur un obus Vous débouche la pine et puis le cul Pas d’âge pour essayer certains objets Pour vos quatre-vingts ans c’est excitant Un obus dans le trou le fait plus grand Oui ! Allons-y gaiement si ça nous plaît ! Et si c’est pour faire plai- sir à Grand-mère Enfilons-lui direct un réverbère
Jour 8
Mirliton Matin, chronique criminelle ! « La police drogue la ville » ? Cette nouvelle littéralement stupéfiante valait bien un quatrain, sans doute.
Les flics croyant bien faire brûlent trois tonnes de shit Aux abords d’une agglo comptant deux millions d’âmes Reste à verbaliser tous ces toxicos, vite ! On n’est pas mieux servi que par sa propre came.
Jour 9
« Mirliton Dimanche-Voici-Gala-Closer » ! Par milliers, ou millions, je ne sais plus, je n’ai pas recompté ce matin, les lecteurs de Mirliton Matin nous réclament une rubrique people. Nous vous avons entendu ! Notre reporterre ventre-à-terre Marie Mazille a réagi à chaud au coming-out de l’acteur Wentworth Miller, acteur vedette de la série Prison Break.
Le jour où j’ai découvert que Wentworth était homosexuel.
Wentworth Miller ? Homosexuel ? Oh, doux Jésus, oh Sainte vierge ! Quelle abominable nouvelle Prions, chères sœurs, prions le ciel Pour que ça ne soit que lubie Un si bel homme, Ah ! quel gâchis ! Moi qui, presque toutes les nuits Rêvais de son cul, de sa verge !
Par solidarité, Fabrice Vigne a rédigé une réponse qui vient de tomber des téléscripteurs (ou des fax, je ne sais plus, je n’ai pas vérifié ce matin) de l’Agence France-Presse.
Console-toi Marie, voici ma sympathie Je partage, sais-tu, ta profonde détresse ! Depuis toujours je suis dingo d’Anna Calvi Et mon coeur saigne : elle préfère les gonzesses
Peut-être connais-tu New-York city Un ? C’est un tableau carré du fameux Mondrian Inspiré d’un décor graphique et citadin Composé de carrés bleus, rouges, jaunes et blancs Exposé depuis plus de soixante-dix-sept ans Dans une galerie au cœur de Düsseldorf. C’est Suzanne Meyer (immense commissaire) Qui a compris soudain, en faisant le poirier Que ce tableau était (on ne peut le nier) Accroché à l’envers (mon dieu ! la catastrorphe !)
1 Faites un petit effort sur les zygomatiques Étirez-moi ces muscles ! Mieux que ça je vous prie Vous sortirez grandis de cette gymnastique Par un sourire comme jamais on n’a souri. 2 L’info ne date pas d’hier mais de M. de la Bruyère : « Rions avant que d’être heureux, de peur de mourir sans avoir ri » C’est le sourire qui rend heureux, non le contraire Un sourire forcé… puis un vrai c’est promis. 3 Brassens, citant Pascal, se moquait des curés Pérorant un moyen d’atteindre l’éternel : « Faites semblant de croire, et bientôt vous croirez ! » À notre époque à peine moins irrationnelle L’équivalent de ce conseil s’appellerait « Manuel de Développement Personnel »
Des savants prestigieux (et cités par Biba) Déconseillent toujours de rappeler son ex Car cette humiliation accroit le célibat Au lieu de garantir une partie de sexe Même si votre moral reste désespérément bas Ne le rappelez jamais sous aucun prétexe !
Jour 13
Mirliton Matin, rubrique Monde de l’éducation !
Et attention ! Aujourd’hui la rédaction de MM fait du zèle. Le fait divers du jour est tellement inspirant que nous en tirons non un modeste quatrain mais un vaste poème épique en 31 alexandrins, conçu selon une versification particulièrement sophistiquée : rimes quadruples, en -Ac, -Ic, -Ec, -Oc. Ayant constaté la nature rythmique et percussive de ce texte, nous avons songé que sa finalité idéale serait de devenir un rap. Mesdames et messieurs, nous avons le plaisir de vous annoncer que ce rap sera créé sur scène le 27 janvier prochain (les détails viendront). Car Mirliton Matin n’a peur de rien, tels les grands reporters qui lui servent de modèle, Albert Londres ou Jack London (qui portent du reste presque le même nom).
Grande stupeur au collège Georges Charpak ! Le prof d’histoire encourage les travaux pratiques Invitant les élèves à la bibliothèque À se munir d’objets racontant les époques… Ce matin-là l’objet choisi faisait tic-tac Un obus de 14 enclenche la panique ! « C’était à mon grand-père » , se défend le blanc-bec Insouciant de la peur que sa bombe provoque : 700 élèves évacués de la baraque ! Une alerte à la bombe, on appelle les flics Peu s’en faut qu’on lançât un nouveau plan ORSEC Le préfet, les pompiers sécurisent le bloc Le pays aux abois : un terroriste attaque !?!? Plus de peur que de mal : l’artefact historique N’était plus en état d’engendrer des obsèques. Mais il ne faudrait pas minimiser le choc Car il y a de quoi rendre paranoïaque… Pour la prochaine fois, un cours sur l’Amérique Chacun apporterait arc, flèches, poignard aztèque Et l’on se scalperait à coups de tomahawk ? Le collège aujourd’hui c’est n’importe nawac ! Laissons les professeurs faire œuvre pédagogique Je sais bien que chacun doit gagner son bifteck On dit qu’il y a beaucoup d’enseignants sous médocs Mais si ça les retient de distribuer des claques… Tenir… jusqu’à la fin… palmes académiques… « Pense aux enfants ! À ta mission ! Et à ton chèque ! À Samuel Paty sans faire dans ton froc ! » A-t-on le droit de l’dire sans passer pour réac ? Ton métier a changé, ainsi que ton public Je tire mon chapeau, je bois à ta santé, mec !
La vidéo se regarde ici, sauf il n’y a rien à regarder, c’est une image fixe, vous pouvez faire autre chose en même temps, la vaisselle, le ménage, un tableau impressionniste, ou un chèque d’arrhes pour votre stage libellé à Mydriase.
C’est le printemps c’est le printemps C’est le stage de printemps Ran tan plan tambour battant Viens boire un petit coup de… rouge !
Raphnin Maurel et ses ritournelles Vous apprennent le diato en ribambelle Des polkas, des scottish des bourrées, des tangos, En ré dièse en colargol, en mi bémol en do Au refrain : C’est le printemps c’est le printemps…
Si tu veux dev’nir un as de l’accompagnement Meilleur que Gershwin ou Michel Legrand Choisis Milleret, Reboud, Quéré Ces gars sont très forts en si en ré Au refrain : C’est le printemps c’est le printemps
Que tu sois baryton, bar-man ou soprano Que tu joues du pipo, du banjo, du piano Que ton nom soit Rodrigo, Roberto, Pinocchio Inscris-toi chez Piccolo saxo et Botasso Au refrain : C’est le printemps c’est le printemps…
Si quand tu chantes au diato tu te perds et tu t’égares Que le do sus neuf te laisse hagard Que tu confonds les bémols et les bécarres Précipite-toi chez Jean-Marc Rohart Au refrain : C’est le printemps c’est le printemps…
Si tu veux faire des chansons petit patapon Trouver des rimes en ronron en bonbon en pompon Fabrice Vigne et Marie Mazille T’apprendront tout tout tout avec un stylo bille Au refrain ad. lib.
Je ne prendrai pas de pincettes Pour te refiler la recette D’un mémorable cinq-à-sept Pour un orgasme jeu, match, et set Si tu veux partir en sucette Dire adieu à ta vie d’ascète Exploser comme un Exocet Jouir comme une boule à facettes En quadrichromie, en offset Comme un jackpot crache les piécettes Facile : tu gardes tes chaussettes
Comme le Titanic fonçant sur un Iceberg, Le monde et l’Allemagne avalent le carbone Et recrachent l’émeute. Survient Greta Thunberg ! Peut-elle faire de ’23 une année bonne ?
Couplet 1 Je crois que c’est mon tour ? d’accord bonjour docteur Je ne viens pas pour moi, c’est pour un d’mes amis Figurez-vous qu’il souffre d’un étrange malheur Il croit qu’il est un autre, il croit qu’il n’est pas lui Il joue la comédie même s’il n’est pas acteur Il a tout usurpé, il n’a aucun génie Il ne mérite rien, ni statut ni honneur On se trompe sur lui, il vit dans le déni Il n’a que profité du hasard, d’une erreur Pour en arriver là il a toujours menti Il doit tout, son travail ou ses affaires de cœur À des malentendus ! Imaginez sa vie…
Refrain Je ne suis pas ce que l’on croit Je ne suis pas celui qu’on dit Le costume est trop grand pour moi En dedans je suis tout petit Faire semblant c’est du tracas Mais je l’ai fait toute ma vie Et j’aggrave encore mon cas À chaque fois que je souris La vérité éclatera Sur ce qu’au fond de moi je suis Le monde entier dénoncera L’incroyable supercherie J’irai me cacher comme un rat Et j’attendrai que l’on m’oublie
Couplet 2 Pour couronner le tout, il a sans arrêt peur Il craint qu’on le démasque, il craint d’être démis Lorsqu’on l’appellera un mystificateur J’ai fait quelques recherches sur internet la nuit Ah oui c’est vrai docteur je prends l’affaire à coeur J’ai appris que son cas fait partie des manies Qui sont référencées par des grands professeurs On a même donné un nom à sa maladie Elle a pour nom de code « Syndrome de l’imposteur » Enfin je n’en sais rien, je répète ce qu’on dit Pouvez-vous faire quelque chose pour moi docteur ? Euh non pardon bien sûr, je veux dire mon ami ?
Fabrice Vigne se sentant assez peu concerné par ce scoop (voici, en toute transparence et sans forfanterie, la liste complète de ses voitures successives : une R5, une 2 CV et trois Twingos), c’est Marie Mazille qui se colle au poème du jour :
Ferrari ou Bugatti ? Tout petit petit zizi Si tu roules à trois-cent-dix ? Tout petit petit pénis Fonce en Hennessey Venon ? Zizi vraiment pas très long Frime en Tuatara Jaguar ? Microscopique, ton dard Mais… Mini-Cooper, Coccinelle ? Considérable chandelle Quatre-ailes ou bien deux-chevaux ? Rocco rocco Sifredo Trottinette ou bicyclette ? Enormissime quéquette Patins à roulette ou mob ? Trois mètres de long, ton zob
Il fait beau, il fait froid, on arpente la rue On dégourdit ses jambes et son pouvoir : on marche Notre 49.3 est l’allée parcourue. Parce que c’est nous, pas lui, la « République en marche »
La méritocratie dans toute sa splendeur ! La fille aînée du roi devient reine à son heure Il est si beau de triompher grâce à sa sueur Humblement nous souhaitons à nos puissants seigneurs Opulence et santé, réussite et bonheur (Ils vécurent heureux et eurent l’argent du beurre)
La championne d’échecs ne sera plus voilée La reine prend le roi ! Dehors les phallocrates ! Sous le fichu, la liberté est contrôlée Un beau jour les mollahs seront échec et mat
Deux loups, ouh-ouh, ouh-ouuh Deux loups sont entrés dans l’Isère En passant par Saint-Martin-d’Hères Deux loups sont entrés dans l’Isère Oh, tu peux rire, charmant Albert Deux loups sont entrés dans l’Isère
Dieu nous est apparu, or c’est une déesse ! L’origine du monde : un beau sexe carmin On ne voit que devant mais on rêve à ses fesses À ses seins, à sa bouche, à ses yeux, à ses mains Révisons en urgence et la Bible et la messe Vivent les bacchanales, rites gréco-romains !
(Ce gros plan permet même les plus fous espoirs : En plus que d’être femme, Dieu est peut-être noire ?)
J’ai vu. L’âme erre… Jeu laid ! J’ai vu l’amer, je l’ai. G., vue là. Merge l’est. J’Ève… Hue, mère ! « Je » lait. [vers psychanalytique] Jé, vůle âme « R ». Je l’est [un autre. vers rimbaldien] Jet – vue la maire, geule, haie [vers politique] Gève, hue, lame, aire, jeu, lai J’ai vu l’amère gelée… J’ai vu la mer geler.
Précision pédagogique apportée par notre envoyée spéciale Marie Mazille :
Voilà qui permet d’apprendre quatre mots (minimum). – Jé : sonde de jonc pour dégorger les tuyaux/synonyme de rotin. – Vůle : volonté, bienveillance. Du vieux slave vola qui donne le polonais wola et l’anglais will. – Lai : Petit poème narratif, en vers octosyllabique, inspiré de sujets sérieux ou passionnés, empruntés le plus souvent à d’anciennes légendes. – Geule : variante rare de Gole ou de Gueule, pour désigner une bouche, un collet ou une parole.
Quoi qu’est c’qu’elle a ma gueule / Oh ce mortel ennui L’un se prend pour Gainsbarre et l’autre pour Jonnhy Tous deux sont voisins proches et pourtant ennemis Paul souvent se déguise, Norbert se travestit Un beau jour c’est le drame car Paul Dupuis Se saisit d’une hache et Norbert d’une scie Le combat est sanglant en fin d’après d’après-midi Ils agonisent en chœur sur leurs paillassons gris Sans s’être dit bonjour pendant vingt ans et d’mi
Onésime et Élisée commencent alors à me parler De tous les gens formidables qu’ils ont rencontrés Bien sûr ils ont aussi croisé quelques salauds C’était souvent des chefs dans le boulot
Bérengère Cournut, Élise sur les chemins
C’est reparti (ça recommence demain) ! Marimazille et moi-même nous taquinons à coups d’idées de chansons. Marie puise son inspiration dans des infos à la une du web, notamment scientifiques mais exclusivement saugrenues.
Puisque nul n’arrête la marche du progrès scientifique, ce coup-ci Marie me transfère une autre révélation fracassante qui vient secouer le milieu académique international : la formule du connard idéal (de l’asshole, en VO) vient d’être mise au jour par une équipe de chercheurs de l’université de Georgie. Certes, cette définition rigoureuse et méthodique du connard manquait à chacun de nous, qui employons cette insulte de façon si désinvolte ; une chanson pour chroniquer l’événement, aussi. OK, je m’y colle, je sens bien que si je n’écris pas cette chanson personne ne le fera et on ne saura pas ce qui nous manque. À nouveau en alexandrins à rime unique, -ard, comme Fond du Tiroir, par exemple.
De la vulgarisation ? Oui, mais de la vulgarisation de mirliton !
Intro Les progrès de la science sont tellement rapides (ah non au temps pour moi, mon erreur est stupide ! J’ai confondu avec une chanson en “-ide” Désolé, je reprends pour éviter le bide…) 1 Les progrès de la science sont tellement bonnards Qu’on a élucidé dans un laboratoire Grâce à des savants fous et à tout leur bazar Éprouvettes, cornues, alambic et sonar Le vrai portrait-robot en mode opératoire La formule chimique du parfait connard ! (gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !) 2 Tu m’as bien entendu ! C’est pas un canular Si tu ne me crois pas attends que je te narre Quand j’aurai terminé tu seras moins ignare Enfin tu pourras dire “Je sors du brouillard” Sans même avoir besoin de brancher ton radar Tu sauras repérer le plus parfait connard ! (gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !) 3 Hommage soit rendu à ces brillants thésards Qui consacrent leur vie à des questions bizarres Et grâce à leur recherche augmentent le savoir Universel car oui la science est un art Venons-en au sujet : au fait et pour mémoire A quoi ressemble-t-il notre fameux connard ? (gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !) 4 Selon les statistiques, sources contradictoires, Le profil idéal serait multistandard : Ton ex qui t’a déçu en quittant ton plumard Ou bien ton actuel qui manque encor’ d’égards Ou bien un harceleur qui te suit dans le noir En bref il est tout près, derrière toi un connard ! (gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !) 5 Quoi d’autre ? Un chefaillon qui t’en aura fait voir En jouissant d’exhiber son infime pouvoir Un gougnafier sans gêne, un mesquin, un avare Un gros bâtard qui a forcé sur le pinard Ou un ancien ami qui te plante un poignard En répétant partout que c’est toi le connard (gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !) 6 Un dépressif qui t’a pris pour son déversoir Un religieux qui te bénit à l’ostensoir Un omniscient et ses maudits airs péremptoires Un cruel qui fait mal pour rien et puis se marre Un bavard, un tocard, voire un raton-lavoir Alerte on est cernés, au secours, des connards ! (gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !) 7 T’en veux encore ? L’escroc qui t’aura pris pour poire Ou un voisin bruyant, sa femme et ses moutards Un manipulateur et son art oratoire Cousin relou, beau-frère réac, tonton Gérard Enfin tu m’as compris, panel aléatoire La conclusion s’impose, partout est le connard. (gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !) 8 Mais attention car tout le monde (ou la plupart) Est susceptible un jour, de l’enfant au vieillard De correspondre peu ou prou à ce lascar Toi-même tu devrais vérifier tôt ou tard Si un de ces matins et comme par hasard Il n’apparaîtrait pas au fond de ton miroir (gare au connard dans ton placard ! gare au connard dans ton placard !)
J’ai été frappé, il y a quelques jours, par une image. Par des milliers d’images, bien sûr. Mais par une image. Celle-ci.
L’image satellite de la colonne de 65 kilomètres de chars russes en route pour Kiev. Colonne qui paraît-il est restée à l’arrêt plusieurs jours pour cause de panne d’essence, détail qui serait comique, quoiqu’un peu invraisemblable, si nous étions en train de regarder un film, un film pacifiste parodiant la guerre, genre On a perdu la 7e compagnie de l’armée russe, ah ah non mais c’est un peu gros quand même, où vont-il chercher toutes ces conneries. Enfin la colonne est repartie, l’image est restée. Elle est restée comme l’emblème, la parabole de la catastrophe en marche, inexorable, lente, patiente, promesse de destruction, de feu et de sang. La mort en panne d’essence. La force de frappe rétinienne.
Je ne dors pas bien. Oh, cela ne date pas de cette semaine ou de Poutine. Je ne dors pas bien et je remâche des mots et des images, parfois pendant le sommeil, parfois même pas. Je mâche en veillant, je rêve sans dormir.
Sans dormir, j’ai rêvé plusieurs nuits de cette colonne de chars d’assaut, collée à ma cervelle, mais je l’ai rêvée dématérialisée des montagnes d’Ukraine et rematérialisée par magie, téléportée en un claquement de doigt, au-dessus de l’océan. Tiens, par exemple, à la verticale de la Fosse des Mariannes, 11000 mètres d’abysse. Je voyais, je vous jure que je voyais comme je vous vois, les chars d’assaut au-dessus de la mer, un à un surgis juste au-dessus de la surface vibrante de l’eau, flottant une fraction de seconde hébétée puis plouf adieu suivant, gloub gloub gros bouillon, les militaires ayant à peine le temps de sentir la résistance de l’eau, et pas du tout celui de comprendre ce qui leur arrive. Qui est incompréhensible, du reste. On ne choisit pas les visions nées de ses insomnies.
Puis, le matin, la journée, le soir, la re-nuit, j’avais cette image en tête, image délivrée par mon phosphore un peu mou et non par l’Internet, pas plus vraie pour autant : Un char d’assaut sur l’océan.
Je trouvais que les mots sonnaient bien, Un char d’assaut sur l’océan, l’octosyllabe est charpenté, le début d’un poème ou d’une chanson, j’ai fini par tenter quelques quatrains en fixant le plafond, histoire de poser des mots sur ce que je voyais :
Un tank à la fosse commune Ou dans la poubelle je-trie Ou téléporté sur la lune Enfin au diable ou en débris
Un char d’assaut sur l’océan Un char Dassault ou de l’Oural Une armée réduite à néant Noyée avec son général
Un char d’assaut sur l’océan Deux tanks envoyés à la baille Trois chars dans le gouffre béant Quatre blindés quelques médailles
Cinq chars six chars et la culbute S’en vont salir les fonds marins Leurs tourbillons se répercutent Tout mollement et plus plus rien
Dix chars vingt chars une colonne Prend son virage à angle droit Cent chars tombés dans le canyon La gravité reprend ses droits
Mille chars jetés dans la flotte À queue-leu-leu gros éléphants Leurs artilleurs et leurs pilotes Les pauvres, ce sont des enfants
La colonne au fond de la fosse Des Mariannes en caniveau Mon songe creux, mon idée fausse Précipité dans mon cerveau
Cohorte avalée par la mer Conflit englouti par les flots Je suis rattrapé par l’amer Par le réveil par la radio.
Enfin, à force de triturer l’image, cette nuit elle a fini par m’apparaître incontestable. Je n’avais plus aucun doute : je n’ai rien inventé, tout était là avant moi, le char sur l’océan est une image ancienne, archaïque même, tout le monde l’a formulée un jour ou l’autre, n’est-ce pas ? Stéréotype, cliché, poncif. Ce qui fait que, très logiquement (on fait de ces choses quand on ne dort pas), j’ai tapé sur Google « un char sur l’océan » pour vérifier méthodiquement toutes les sources historiques qui ne manqueraient pas d’éclore, afin que des images extérieures attestent les intérieures.
J’ai reçu en retour le char de Neptune :
C’était totalement hors sujet. Finalement, après de longs et patients recoupements sur Google Image, la photo la plus fidèle à l’idée que je m’en faisais avant de la connaître était celle-ci :
Il s’agit d’un reportage en Thaïlande datant de 2018. Vingt-cinq carcasses de chars d’assaut T69 ont été précipités dans la mer, ainsi que de nombreux wagons et camions-poubelles désaffectés, dans le but de créer un récif retenant les poissons, qui permettrait aux pêcheurs locaux de remplir un peu leurs filets, amaigris pour cause de surexploitation.
Ah, bon. Les Thaïlandais ne le sauront jamais mais c’était ma vision.
Éditeur et blogueur depuis avril 2008.
Treize livres au catalogue. Deux épuisés, onze en vente. Tous remarquables, achetez-les en lot.
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