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Archives pour 12/2011

La dernière fois que j’ai été jeune (Troyes épisode 100)

31/12/2011 un commentaire

Je respire l’air de 2011 pour la dernière fois.

L’adieu à la comète. Un autre livre que je n’écrirai pas. J’avais ébauché une nouvelle dont le héros comptait, traquait, collectionnait obsessionnellement, puis provoquait, ses dernières fois, monomanie moins glamour que les premières. Il dressait des listes : la dernière fois que je suis allé à l’école, la dernière fois que je me suis fait opérer de l’appendicite, la dernière fois que j’ai mangé une andouillette, la dernière fois que j’ai pleuré, la dernière fois que je me suis mis en maillot de bain, la dernière fois que j’ai fumé, la dernière fois que j’ai été amoureux, la dernière fois que j’ai vu mon père. (La dernière fois que j’ai joué les Giètes.) La phrase qui inaugurait ses listes était : « J’ai vu passer dans le ciel la comète de Halley le 9 février 1986. Elle reviendra le 28 juillet 2061, mais je ne serai plus là. » Ensuite, fatalement, les événements derniers étaient de moins en moins exceptionnels à mesure que le récit progressait : ma dernière année bissextile, mon dernier automne, mon dernier dimanche, ma dernière heure… L’idée ne volait pas haut, ne pouvait que très mal finir, mais je continue de trouver beau ce titre, L’adieu à la comète, peut-être m’en servirai-je pour autre chose.

Une ultime fois, j’adresse un grand merci à l’équipe de Lecture et loisirs qui a permis mon automne à Troyes. Normalement, je reviens en octobre prochain…

Merci aussi à ceux qui auront suivi ce feuilleton depuis son premier épisode. Ce blog aujourd’hui tire sa révérence, baille, se gratte, vous fait coucou, époussette ses étagères de livres, et lentement se replie au fond de son tiroir pour une hibernation dont le terme n’est pas fixé à l’avance. A priori, il ne se réveillera que pour annoncer la sortie d’un livre. Le délai est donc incertain.

Bonne année dernière. Portez-vous bien, happy few. Gardez en tête que la crise est partout-partout mais pas pour tout le monde pareil, et que la fortune cumulée des 250 terriens les plus riches équivaut à celle des trois milliards les plus pauvres. Et aux présidentielles, votez René Dumont qui boit un verre d’eau comme si c’était la dernière fois.

Sous ce lien, j’arpente une dernière fois les rues de Troyes. Sous cet autre, je raccroche un tableau et les gants (élégant). Des adieux en images qui bougent.

Comme une plume d’ange dans l’état des lieux (Troyes épisode 99)

30/12/2011 un commentaire

Le temps est venu de faire le ménage, laisser l’endroit dans l’état dans lequel j’aurais aimé le trouver en entrant (je précise qu’en entrant j’ai trouvé l’état impeccable), disparaître comme si je n’étais même jamais venu. Je restituerai tout à l’heure les clefs et le vélo. Le temps des bilans, alors, aussi ?

Non. Pour le bilan j’attendrai d’avoir fait le ménage aussi à l’intérieur de mon ciboulot. Provisoirement, je peux certifier que j’ai avancé, ciboulot compris, moins que je n’espérais, mais j’espérais peut-être trop. Je continuerai ce que j’ai débuté, ailleurs, autrement, dans d’autres conditions. En attendant une synthèse raisonnée, je n’ai de ce séjour de quatre mois à Troyes qu’une accumulation informelle de joies et de frustrations. En voulez-vous une de chaque, à titre d’échantillon ?

J’ai été, je ne le cache pas, un peu affecté par le bide radical essuyé par la représentation troyenne de la lecture musicale de mes Giètes – malgré toute la prévention et la délicatesse d’Amélie, qui n’a cessé de m’avertir que ce spectacle était atypique dans une programmation jeunesse, qu’il fallait s’attendre à une audience restreinte, qu’elle en était désolée pour moi… Tristounette jauge : quatre spectateurs à la séance dite « tout public », quatre pour tout public, pas bézef. Comme, entre temps, j’ai eu moultes preuves de la curiosité culturelle des Troyens, je n’ai pu m’empêcher de garder en bouche le goût amer du rendez-vous manqué. Voilà pour la frustration.

Mais voici la joie. Quelques semaines plus tard je rencontre par hasard une dame, que je ne connais pas, qui me connaît, qui me déclare : « Ah comme je suis contente de vous revoir ! Je n’avais pas eu l’occasion de vous dire à quel point votre spectacle m’a bouleversée ! C’est un très beau texte, et très bien interprété, c’est drôle, c’est émouvant, et c’est vrai quand même, bravo, un grand moment. En plus, vous avez une si belle voix. »

Ah, bon ? Je n’en demandais pas tant, le coup de la belle voix on ne me l’avait encore jamais fait. Bon, alors je suis comblé, pour un moment : une seule personne (sur quatre) accuse réception, cela suffit pour prendre du sens… Comme pour mes livres : je ne rêve pas de gros tirages, j’espère au fond la réception d’un seul, un que je ne connaitrais pas et qui viendrait me le dire, un seul lecteur mais un bon, un yann-garavel. Je suis d’accord avec Nougaro : qu’un seul humain te croie, et ce monde malheureux s’ouvrira au monde de la joie, qu’un seul humain te croie avec ta plume d’ange.

Encore un peu de tourisme avant d’oublier (Troyes épisode 98)

29/12/2011 Aucun commentaire

Oui, oui, on le saura, le temps ne passe pas, il nous passe.

Il en aura passé le bougre, en quatre mois ! Merci à Franck pour le lien vers ce saisissant diaporama de l’actualité 2011. Vous verrez, vous n’avez pas le choix, vous verrez. Regarde de tous tes yeux, regarde ! Certaines photos sont atroces, d’autres émouvantes, d’autres encore les deux à la fois (n° 25). La beauté prend de drôles de routes. Et le monde est littéralement à feu et à sang, on flippe sévère. Où étais-je, moi, pendant que le monde brûlait ? Insoucieux de tous les équipages, j’écrivais ne vous déplaise, à Troyes, tour d’ivoire, thébaïde, bienheureux en somme, loin de l’actualité même lorsqu’elle fait plaisir (par exemple quand la justice française accomplit enfin son boulot). Je faisais même un peu de tourisme.

Avant que je n’oublie… Il aurait fallu que j’écrive, que je décrive tous les endroits singuliers découverts ici, que je serve à cela, au moins, quelques notes à vif, encore un petit souvenir, un lieu-dit remarquable, la mémoire par ci, vite, par là ! Je n’aurais pu tout dire, on ne force pas une plage à rentrer dans un tablier, mais j’aurais pu par exemple faire l’éloge du stupéfiant jubé de la Madeleine, jamais vu une chose pareille depuis que que j’ai l’âge de comprendre à quoi servent les églises. Ou, mieux encore, de l’apothicairerie, lieu extraordinaire de rencontre entre la science et l’imagination, et qui laisse entrevoir qu’elles sont une seule et même chose chose, soigner un malade était de toute façon un peu sorcier, c’était avant la Sécurité Sociale. Le sang de dragon faisait partie des ingrédients ordinaires de la pharmacopée, et cela ne choquait personne, à l’époque. Ainsi que du bézoard, du crâne humain réduit en poudre (les pendus irlandais étaient pour cet usage particulièrement prisés), des pierres précieuses, des racines, Pierre Pomet faisait autorité.

N’empêche, mon attraction touristique troyenne favorite demeure la Maison de l’outil. Oh, oui, je reviendrai, promis, je reviendrai jouer, je poserai mes couteaux sur la table.

Cette fois mon vieux Spip je crois que c’en est fait de nous (Troyes épisode 97)

27/12/2011 un commentaire

Quand même, dans cette volonté bien humaine de chercher prétexte à vivre, il y a deux trucs que je n’ai pas encore dits (…) : c’est, tôt le matin, lire d’un coup tout Thomas Bernhard (…) Ou alors, indéfiniment, dans les pins parasols devant la maison, regarder, ébloui, chahuter les écureuils. Alors, là, vraiment, c’est bien de la vie qu’il s’agit, oui.
Pierre Autin-Grenier, Toute une vie bien ratée, p. 56

Je sais bien que prolonger les adieux, ce n’est pas prolonger la présence, ce n’est que prolonger les adieux. Mais il y a quelques jours, l’écureuil du ginkgo a fait en courant le tour de mes fenêtres, il a retrouvé un gland à l’endroit où je l’avais planqué au moins un mois plus tôt, derrière le mentonnet où se replie la clenche… Et le petit animal est resté là, à quarante centimètres de moi derrière la vitre, pendant deux bonnes minutes, sur le rebord de la fenêtre qui fait face à mon ordinateur, à grignoter son gland. Je ne bougeais plus, je ne l’avais encore jamais vu si près ni si longtemps. Je suis sûr, parce que je suis sentimental et donc irrationnel, état psychologique propre aux adieux, qu’il est venu me dire au revoir

Sous ce lien, un documentaire animalier : la vie sauvage vue de ma fenêtre.

Rien à voir, ou alors peut-être que si mais je ne saisis pas : j’ai rêvé cette nuit un drôle de sketch qu’on aurait dit sponsorisé par le ministère de l’Intérieur, de l’Identité nationale et des Charters : j’avais reçu la mission d’éduquer un groupe de personnes, hommes et femmes hétéroclites et taciturnes. Nous nous retrouvions tous debout sur ce qui pourrait bien être une scène de théâtre, et je devais inventer quelque chose, exercice, animation, jeu de rôles, afin de socialiser ces inconnus vaguement inquiétants. Je leur fixai cet objectif, explicite comme une règle du jeu : Rentrez en contact avec un étranger. Et non pas une, non pas deux, mais trois fois, mon expérience échouait dans le sang : ils revenaient avec le cadavre d’une personne qu’ils avaient assassinée dans la rue. Usual suspects : le premier était un Arabe, le deuxième un Noir, le troisième un Anglais (avec à la main un guide touristique), je vous jure que je n’invente rien, même si j’invente tout. Ils me ramenaient, m’offraient en quelque sorte, leurs victimes étripées voire un peu grignotées en chemin (s’il y a un rapport avec l’écureuil il se trouve ici), ils avaient en outre tué dans la foulée une femme de leur propre groupe, à ce que j’ai compris parce qu’elle s’était mise à pleurer, et moi je me désespérais, je les disputais comme je pouvais, j’essayais de leur expliquer que ce n’était pas des manières, j’ai fini par me réveiller, il était temps.

À l’arrache (Troyes épisode 96)

25/12/2011 un commentaire

I’ve seen, oh ! Blue skies ! Through the tears in my eyes… And I realize I’m going home. Tel un confiseur j’ai effectué un bref aller-retour de Noël en famille, puis je reviens à Troyes quelques derniers jours pour, littéralement, plier bagage et vider les lieux.

Et qu’emporterai-je sinon des souvenirs ? Qu’ai-je accompli ici, où en sont mes manuscrits, que sont devenues mes ambitions initiales, qu’ai-je raté de mieux ?

Je fais le compte de toute une saison, londonomètre affolé :
– J’ai achevé une nouvelle, peut-être pour enfants (quoique je me demande lesquels), en tout cas très clairement d’inspiration écologiste, intitulée Lonesome G., dont aucun des éditeurs approchés ne veut. Je l’éditerai peut-être en 2012 au Fond du Tiroir, si j’ai l’argent et si je parviens à réveiller mon factotum.
– J’ai concrétisé un texte que je méditais depuis un an et qui, par hasard et la force des choses est devenu éminemment troyen. Cette histoire nommé Double tranchant prend actuellement du relief, de la couleur (rouge), en cours d’enluminure aux bons soins de JPB, et fera l’an prochain l’objet d’une publication et/ou d’une exposition.
– J’aurai tant que j’ai pu avancé mon gros oeuvre, le bazar intitulé L’arbre et le bâton… Mais je ne l’ai pas achevé, hélas. Quand j’entreprends une chose simple, elle devient systématiquement compliquée, or cette fois-ci j’ai entrepris une chose compliquée dès l’origine, pas étonnant qu’elle réclame encore une somme de boulot difficilement évaluable.
– Je n’ai quasiment pas touché à mon poème épique, La légende du monde. Mais j’ai poursuivi larmes aux yeux la lecture de son modèle, La légende des siècles.
– Et puis le blog, s’il vous plaît. L’alimenter quotidiennement fut une expérience d’écriture fort intéressante.

Et après ? Quittant Troyes, je tâcherai l’an qui vient de conserver par inertie quelque chose du mouvement insufflé, même si je sais que plus jamais je ne bénéficierai de ce temps offert à la création, de ce privilège, de l’écureuil. Ce sera moins facile. Nous verrons. Moi qui suis en principe dur d’oreille aux bons conseils, je retiens pourtant cette leçon de sagesse élémentaire qui me fut délivrée un jour par un homme de goût : « Si jamais tu as des choses à écrire, tu les écriras, quelles que soient les conditions. Et si tu n’as rien à écrire, tu n’écriras pas, quelles que soient les conditions, et ce ne sera pas grave » . C’était sans doute un jour où je me plaignais sur l’air « Je n’ai pas le temps d’écrire », mais à lui, on ne la fait pas.

L’homme le plus important du XXe siècle (Troyes épisode 95)

21/12/2011 3 commentaires

Je m’en voudrais de gâcher la magie de noël, mais suspendez un moment vos emplettes je vous prie, jute le temps de réfléchir à ma question, devinette de pur divertissement, jeu de société… Qui est, selon vous, l’homme le plus important du XXe siècle ? Le plus célèbre, ou celui qui aura le plus influencé la vie des êtres humains, celui qui pourrait résumer à lui tout seul l’esprit de cent ans révolus ? Celui qui aura laissé une trace telle que, dans mille ans, les historiens baptiseront « le siècle d’Untel » celui dont vous et moi sommes natifs, comme ils disent « de Périclès » pour désigner le Ve siècle avant Djizeuss ?

Pour ma part, ma réponse aurait été spontanément : Adolf Hitler. (Et croyez que cela ne me fait pas plaisir, j’aurais préféré répondre Gandhi ou Nelson Mandela ou Charlie Chaplin, hélas il faut se rendre à l’évidence, on sait qui sert de maudit mètre étalon dans les conversations.)

Mais finalement, aujourd’hui, après lecture du livre Propaganda, j’ai plutôt envie de répondre Edward Bernays.

Axiome : toute publicité est de la merde. Corollaire : tous les publicitaires sont des marchands de merde. Aucune exception. Si on commence à chipoter oui mais des publicités y’en a des bien, y’en a qui sont cool ou sympas, y’en a pour la bonne cause, oh et puis cette créativité artistique, on ne s’en sort plus, on perd de vue le principe initial, le bourrage de mou, refusons le mensonge y compris pour la bonne cause. De la merde.

Comment en est-on arrivés là ? À cette merde partout-partout, je veux dire ? Merde en 4 par 3 dans les rues, merde en pop up sur les écrans, sur les papiers, sur les ondes, dans les paroles échangées, dans les paroles industrielles, dans les paroles politiques, dans tous les interstices des cerveaux disponibles, la publicité dans chaque recoin de la vie sociale, la société devenue globalement publicitaire et nous persuadant que le seul rapport possible à autrui est publicitaire, nous avons tous quelque chose à vendre, mon gars apprends à faire ta propre pub en rédigeant ton CV, ce sera plus utile que ce qu’on t’enseigne à l’école, sois plus malin que les autres, si quelque chose dysfonctionne dans le tissu social rassurez-vous c’est seulement un problème de communication, adressez-vous à mon chargé de com qui vous expliquera tout comme il faut… Ne vous inquiétez pas, on va vous raconter, consommez d’un côté, et vendez-vous de l’autre, gagnant-gagnant, tout va bien, vous êtes en de bonnes mains, le Président lui-même a été à bonne école, il est fils d’un marchand de merde. Publicité partout, vérité nulle part, on marche dans la merde à chaque pas, et l’on trouve toute cette merde normale.

Comment en est-on arrivé là ? Edward Bernays (1891-1995, 104 ans la vieille crapule), neveu de Sigmund Freud, après avoir pragmatiquement retenu de la psychanalyse ce qui pouvait faire tourner les affaires (l’économie de marché ou la toute puissance du Ça) est l’inventeur de la publicité moderne, dite public relations, et par conséquent de notre époque. Il est le gourou et le prototype des Mad men. Son premier coup d’éclat à été de vendre la Première Guerre mondiale à l’opinion américaine (les USA s’engagent dans le conflit en 1917). Puis il a vendu avec le même professionnalisme des produits manufacturés, des hommes politiques (le peu populaire président Coolidge), des produits culturels (la popularité de Caruso ou Nijinski, c’est lui), des habitudes de consommation (la tabagie féminine), des innovations technologiques… et, autosatisfait comme un marchand de merde, a candidement théorisé ses exploits dans un livre pas du tout occulte, ni tabou, disponible partout, facile à lire, convaincant (il connaît son métier) : Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie (excellente préface de Normand Baillargeon).

Il a bien fallu un siècle, cent quatre ans même, pour que le monde en soit totalement changé, et nous donne envie de chercher ailleurs. Edward Bernays est l’homme le plus important du XXe siècle. (Et croyez bien que cela ne me fait pas plus plaisir que si j’avais répondu Adolf Hitler.) Siècle de merde, pardonnez-moi, CQFD, et le XXIe bien entamé n’arrange rien.

Le solstice est pour cette nuit. Je vous souhaite une bonne journée la plus noire. Tenez bon.

C’est bien parce que c’est vous et que Noël approche (Troyes épisode 94)

20/12/2011 2 commentaires

Ouvrant les yeux ce matin, je fermai le rideau sur un thriller anxiogène dont il ne me reste que des bribes. Mon rêve tournait autour d’un empoisonnement criminel, et d’une femme mystérieuse, empoisonnée ou empoisonneuse, je ne me souviens pas, qui se nommait Clomédia Archipel. Patronyme invraisemblable et connoté, gentiment biscornu comme dans un roman d’Amélie Nothomb. Clomédia Archipel, femme fatale. Je constate, un peu perturbé, que mon cerveau, de nuit, fonctionne à la façon de celui de Nothomb, de jour.

Autre image nocturne : c’est bien parce que c’est vous et que Noël approche, je vous régale ci-dessus avec une linogravure composée par Jean-Pierre Blanpain pour notre projet commun Double-tranchantJe ne voulais rien en dévoiler avant d’être sûr que ce projet aboutisse. Je ne suis toujours pas certain d’où-quand-comment, mais comme la médiathèque de Troyes est partante, la concrétisation sous forme d’expo est désormais en bonne voie – par conséquent je vous régale, profitez. Voyez comme elle est trop mignonne, la famille cro-magnonne. Si tout se passe bien, l’inauguration aura lieu en octobre 2012, pendant le prochain salon du livre de Troyes.

Je n’épiloguerai pas, je ne veux pas tout éventer d’un coup, je ne montrerai rien d’autre avant l’an prochain, je ne vous expliquerai même pas en quoi les dessins que JPB m’envoie au compte-goutte sont à la fois magnifiquement fidèles et fertilement infidèles à mes mots, mais je peux au moins dire ma joie : quel cadeau il me fait. J’avais déjà éprouvé cet immense plaisir avec la Mèche et Philippe Coudray, et aussi, d’une autre façon, en oeuvrant avec un musicien : on écrit un texte, on le confie à un artiste qu’on aime et en qui on a confiance, et il ne reste q’à voir ce qu’il en fait, on reçoit sa vision en boomerang, au mieux on comprend enfin ce qu’on a écrit. Merci mon vieux. Ces allers-retours des idées dans des formes neuves me consoleraient presque de ne pas savoir dessiner.

Orgueil et narcissisme (Troyes épisode 93)

18/12/2011 un commentaire

Je me rends compte que le temps est devenu le sujet principal de ce blog. Pas principalement le temps qu’il fait, mais lui aussi. La première neige est tombée chez moi ce matin, je ne la vois pas, je m’informe, mes montagnes me manquent. Ici, le vent a soufflé très fort ces derniers jours. Une tempête depuis sa fenêtre est un spectacle extraordinaire, et la phrase « Je vois la tempête » sonne faux comme le souvenir d’un rêve, une tempête ne se voit pas, ce n’est que de l’air qui passe, on ne voit que des arbres qui se penchent sur nous. On voit l’invisible seulement par ses manifestations, et c’est peut-être pour cela que le mot est identique faute de mieux, le temps. Voir une âme, pareil, une âme n’existe pas beaucoup, mais on la devine faute de la voir, elle est une manière de parler, on se comprend. (Une amie, lectrice de ce blog, a remarqué que depuis mon isolement j’abusais du vocabulaire mystique, thébaïde, etc. Eh, oh, y’a pas marqué Soubirous, je n’ai expérimenté aucune révélation. Dieu reste exclusivement une métaphore. Je crois dans la toute-puissance des métaphores.)

Orgueil et narcissisme, ce n’est pas un titre de Jane Austen, c’est le sujet de réflexion de cette nuit.

Une amie, une autre, qu’est-ce que vous croyez, j’ai beaucoup d’amies, m’a fait l’honneur de me donner à lire un album pour enfants qu’elle et son illustrateur ont composé il y a plus de dix ans mais qui est resté inédit. Je comprends parfaitement qu’une histoire à laquelle on tient reste dix ans dans notre tête ou notre tiroir et y murisse (ou pourrisse) en même temps que nous, encore le temps qui joue, toujours.

Or en me présentant ce livre qu’elle se décide enfin à soumettre aux éditeurs, elle m’écrit ceci qui me choque profondément : « J’y crois, même si c’est sans prétention, j’espère que tu n’as rien contre ». S’ensuit un dialogue où je me risque à redéfinir et réhabiliter l’orgueil, péché capital, rien que ça.

Bien sûr que si, j’ai quelque chose contre l’absence de prétention. Il ne faut jamais dire « c’est sans prétention » ! Parce qu’il faut au moins prétendre faire un bon lire. J’espère que tu ne dis pas « c’est sans prétention » quand tu démarches un éditeur ? Je serais éditeur je ne te répondrais même pas !

(…)

Oh ben non ! Jamais je ne dirai ça pour eux ! Tu as mis le doigt sur quelque chose d’important chez moi : l’absence totale d’orgueil et de narcissisme ! J’essaie de ne pas le laisser transparaître auprès des éditeurs… Je suis bonne comédienne quand il faut.

(…)

Je ne crois qu’à moitié à ton absence d’orgueil. Peut-être est-ce parce que j’en suis moi-même bouffi, mais je ne parviens pas à imaginer comment quiconque peut créer sans orgueil. Pour moi c’est lié à la création elle-même : créer consiste à avoir suffisamment envie qu’une chose existe pour la faire exister, et dans ce contexte l’orgueil n’est pas autre chose qu’un autre nom pour la passion. Cela autorise tout le reste : avoir envie, croire en ce qu’on fait, le faire, et le défendre. Vive l’orgueil, si tu veux mon avis. Le narcissisme, c’est autre chose, ne pas confondre, c’est même tout le contraire… Pas indispensable du tout, celui-ci, et peut-être même nuisible. L’orgueil, c’est avoir une haute idée de ce qu’on fait (et alors on crée aussi librement que possible) tandis que le narcissisme, c’est avoir une haute idée de soi-même (et puisqu’on est content de soi, en somme on est complet, on n’a plus besoin de créer quoi que ce soit).

Ensuite la conversation prend un tour plus personnel, et ne vous regarde plus.

Dans l’enfer des magasins d’usine (Troyes épisode 92)

15/12/2011 un commentaire

Edouard Levé écrit dans son Autoportrait : « Pour me rassurer, si je suis perdu dans une ville étrangère, je vais au supermarché, c’est un endroit familier » . Oui, je connais et expérimente cette louche familiarité, mais non sans bouffées de chaleur. Les grandes surfaces commerciales m’angoissent. Or, elles sont l’une des spécialités de Troyes : la ville est encore plus célèbre pour ses trois gigantesques zones de magasins d’usine que pour son andouillette. Malgré mon urticaire, je ne pouvais faire autrement qu’aller les voir de près, après tout c’est pile mon sujet d’étude.

Je m’attendais, dix jours avant Noël, à une cohue extraordinaire, une marée humaine indescriptible, un avant-goût de l’enfer et de ses cohortes de damnés passant la porte, per me si va tra la perduta gente… Et puis non, en fait, pas trop, parkings clairsemés, boutiques semi-désertes. Tiens. La crise partout-partout, par conséquent ici aussi. Ce qui m’a frappé davantage que la relative affluence, c’est l’architecture du lieu. Cet amas de logos est agencé comme un village de vacances, ou un parc à thème, avec animations perpétuelles, décorations qui clignotent, sourires professionnels, facilité d’entrée, difficulté de sortie. On quitte un endroit, on est orienté vers le même en face, « Pensez aux 40 boutiques de l’autre côté de la rue » , on est surveillé, on aura du mal à fuir le Village.

J’avais emporté de quoi écrire, on ne sait jamais, comme pour IKEA, si quelque chose devait venir sur place… Mais rien de spécial. Traverser l’enfer pour n’y gagner qu’un peu plus soif, comme dit Céline.

Plutôt que s’entasser dans ces camps de rééducation qui sauveront coûte que coûte le pays, son euro à poil ras, sa croissance dépressive, son ministre du Budget (ah, tiens, à propos du ministre du Budget et de la Consommation de masse, n’espérez pas voir le spectacle de Michèle Laroque à Troyes, les 2200 places pour les deux séances se sont vendues en quelques heures), et ses andouillettes AAAAA labellisées Moody’s, autant recourir à la vente par correspondance. Et puisqu’on en parle veuillez prendre à présent connaissance de mon spam d’hiver, que vous avez peut-être reçu par mail, mais peut-être pas, parce que je l’ai envoyé au petit bonheur et pas à vous :

Le Fond du Tiroir vous souhaite une bonne Saint-Glinglin !

Non, c’est pour déconner. En fait, Le Fond du Tiroir vous souhaite un joyeux noël, comme tout le monde, pardon.

Et en outre vous signale, au cas où vous n’auriez pas encore achevé vos corvées de cadeaux, que son catalogue fourmille de livres chics, bon marché et cependant de bon goût.
Téléchargez ici le bon de commande.

Puis imprimez ou recopiez à la main (en vous dispensant de reproduire tout le baratin), et choisissez le cadeau qui comblera de plaisir celui ou celle à qui vous ferez la bise à côté du sapin. Le Fond du tiroir ? Un succès garanti triple AH du fond de la gorge par les agences de notation les plus sérieuses et les moins corrompues !

* Pour la frangine qui aime lire des nouvelles parce que c’est moins long que les romans et franchement c’est une motivation suffisante : offrez sans hésiter le recueil Voulez-vous effacer/archiver ces messages ?
* Pour le neveu altermondialiste et bricoleur : le livre en kit-à-monter-soi-même, ludique et pédagogique, J’ai inauguré IKEA pour jouer à se moquer des franchises d’ameublement suédoises et globalisées.
* Pour le tonton né en 1969 : le mini-livre Le Flux s’impose. No comment. Il vous remerciera plus tard.
* Pour la cousine qui est toujours célibataire et bientôt catherinette : ABC Mademoiselle, livre d’art et de sensualité pour tous, mais SURTOUT pour les cousines toujours célibataires et bientôt catherinettes.
* Pour la grand-mère qui s’est endormie avant la bûche : L’échoppe enténébrée afin de faire de beaux rêves.
* Pour le petit dernier qui, depuis qu’il a appris à lire, commence a trouver cette histoire de père noël trop chelou, ce serait les parents qui attendent qu’on roupille pour poser les paquets que ça ne l’étonnerait pas : La Mèche, bien sûr, conte de noël terriblement (quoique perpétuellement) de circonstance.
* Pour le cousin intello à lunettes qui relit une fois par an La vie mode d’emploi de Georges Perec afin d’en percer tous les mystères : Ce qui stimule ma racontouze, un (presque) inédit dudit Georges Perec qui explique (presque) tout.
* …

Après, vous pouvez intervertir comme vous le sentez, la Mèche pour le tonton, le Flux pour la cousine, ABC Melle pour la grand-mère, je ne sais pas, je ne connais pas votre famille.

Le Fond du tiroir vous souhaite de bonnes prises de tête de fin d’année, et il prend la vôtre juste le temps de vous embrasser affectueusement.

Ne pas désespérer bille-en-tête (Troyes épisode 91)

14/12/2011 Aucun commentaire

Rêvé cette nuit : je courais un marathon, lesté d’un hélicon en bandoulière. Essayez, vous verrez comme c’est commode. Il y a là l’influence de la corrida de Noël de Troyes que j’ai vue, pantois, traverser les rues en courant la semaine dernière… Pour le reste, comprend qui peut.

Tic, tac, tic, tac, le ginkgo n’a plus de feuilles et la fin de ma résidence approche comme un platane vu depuis un accident de la route. Je commence à me faire à l’idée, pourtant cousue de fil blanc, que je partirai avant d’avoir terminé tout ce que j’ai entrepris. Les yeux plus gros que le coeur. Avancer coûte que coûte, ne pas se retourner. J’ai un certain nombre de pages derrière moi, elles ne suffisent pas, j’en ai davantage devant. Si je regarde ce qui est fait, je me dis que rien n’est fait. Tout reste à faire tout l’temps.

Pier Paolo Pasolini expliquait la recherche picturale dont témoignent ses films par sa passion première : la peinture de la renaissance. Il vouait une grande admiration à Giotto, et s’était réservé dans le Décaméron (1971) un rôle mince mais capital, celui d’un peintre, élève du maître toscan. Le peintre incarné par Pasolini sert de fil rouge à ce film à sketches : entre chaque conte, on le retrouve dans son chantier, au fond d’une église, juché sur l’échafaudage. Concentré, minutieux, intense, il avance couleur après couleur dans l’accomplissement de sa fresque. L’épilogue du film dévoile le chef d’oeuvre enfin terminé : les artisans rient, les peintres se congratulent, les moines sonnent les cloches, tous font la fête, à votre santé ! Seul le maître d’oeuvre, Pasolini en personne, reste perdu dans ses pensées, étranger à la joie, perplexe face à ce qui n’est finalement qu’un mur peint, a fresco, mais un mur quand même. Il murmure « À quoi bon réaliser une oeuvre, quand il est si beau de de la rêver » , brutale dernière phrase du film. FINE.

Encore une histoire mélancolique et édifiante, dédiée à Yann G.