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Un homme neuf (Troyes épisode Troyes = Troyes au carré)

Ma thébaïde est en outre, délicatesse subsidiaire du comité d’accueil, garnie des livres de tous les précédents occupants de cette résidence d’automne. Un bon mètre linéaire de livres à découvrir, toutes tailles et couleurs, albums, romans, j’ai de quoi lire un moment, et de quoi m’exclamer tant et plus « Comme c’est beau et riche et divers, la littérature jeunesse ! Quelles indécrottables andouilles, ceux qui la débinent et ne la lisent pas ! » – je lis, et comme souvent, les illustrateurs m’illuminent et m’émerveillent encore bien davantage que les écrivains, parce que leur talent m’est strictement étranger, limite phénomène paranormal. Je m’extasie sur le travail d’Anne Brouillard, Cécile Gambini, Renaud Perrin, Nicolas Bianco-Levrin, Peter Johansson, Anne Herbauts, John Lowe, Audrey Calleja, Hélène Riff, Géraldine Alibeu… et la dernière en date, qui était là l’an dernier, Clémence Pollet. Quels paysages, quels fantômes dans ces murs ! Les précédents hôtes du lieu étaient plus souvent hommes et femmes d’images que scribouilleurs, manifestement.

D’ailleurs je réalise que l’atelier dont je dispose est d’abord prévu à la mesure de graphistes : deux immenses tables sur tréteaux propres à déployer des tonnes de matériels divers, de quoi dessiner, bricoler, découper, repeindre, reculer, fabriquer, scanner, imprimer, filmer, que sais-je encore ? Je viens de trouver dans un placard une large plaque de plastique transparent et un gros sac de papier mâché en poudre, je ne savais même pas qu’un tel conditionnement existât, je croyais qu’on faisait du papier mâché en mâchant du papier. Un type dans mon genre, qui ne sait qu’écrire, occupe moins d’espace. J’ai pris mes aises : mon petit PC portable, un cahier, un dictionnaire, tout ceci occupe un petit sixième des plateaux à disposition. Il m’est arrivé de déclarer aux élèves lors de rencontres scolaires : « Une feuille, un stylo, la littérature est l’art le moins cher du monde. »

Oui, quand je me déplace dans les écoles, je parle d’art, ça m’arrive. De mon art, aussi. Ce qui, je suppose, fait de moi un artiste aux yeux crédules des enfants. Hélas cette notion d’artiste a de très anciennes querelles avec ma personne. Pas évident de faire le lien, tout le contraire d’une évidence, je tergiverse avec mes névrotiques scrupules, moi si limité et ignorant, tout nu, « artiste vous plaisantez, voyez je n’ai qu’une feuille et un stylo ». Sauf qu’ici, au pied du mur, le fait est, je ne suis rien d’autre, je n’ai pas le choix, il faut bien être quelque chose. Je me suis inscrit hier à la (très belle) médiathèque du grand Troyes, et pour la première fois (cf. l’article d’hier) de ma vie j’ai noté « écrivain » dans la rubrique profession d’un formulaire. Un homme neuf a signé, sans trembler.

Quoi qu’il en soit, j’ai consciencieusement ajouté sur l’étagère de l’atelier un assortiment de mes propres livres, ils ne déparent pas trop, ils sont beaux, ils seront mes fantômes quand je serai parti, je réordonne sur la planche l’alignement des volumes avec la douce satisfaction d’appartenir à quelque chose, ce qui ne m’arrive pas si souvent.

Sur une autre étagère du même pan de mur, on a obligeamment préparé pour moi quelques livres sur l’histoire locale, une liasse de programmes touristiques, et surtout deux dictionnaires, le Robert noms propres, le Robert langue française. Quel soulagement quand je les ai aperçus en entrant dans la pièce ! J’avais fait le voyage avec des kilos de livres, mais la mort dans l’âme j’avais renoncé à emporter des dictionnaires, ils me manquaient dès le voyage. Et voilà que cette magnifique paire de Robert m’attendait ici ! Illico je me sens chez moi !

Pendant que vous tirerez des conclusions sur ce calembour lacanien qui sans aucun doute en dit long sur mes rapports à ma mère, moi, j’écrirai. Écrivain il faut croire puisque j’écris.

Mais pour l’heure je m’en vais jeter un œil au festival des arts de la rue de Sainte-Savine. À demain.

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