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Françoise Caouaille (Troyes épisode 54)

05/11/2011 un commentaire

Je viens de relire intégralement un livre que j’avais acheté mais seulement diagonalisé, l’extraordinaire Autoportrait d’Edouard Levé, sans doute ce qui peut se faire de mieux (d’)après les diverses autobiographies expérimentales de Georges Perec (à l’exception peut-être des Reconnaissances de dettes).

Je n’ai pas, je le regrette, réussi à le lire d’une seule traite, m’arrêtant parfois plusieurs minutes sur une phrase qui me donnait à penser : « J’écris peut-être ce livre pour ne plus avoir à parler », qui est comme une autre formulation de la première phrase de mon premier livre. Ou celle-ci : « Je fais des photographies parce que je n’ai pas vraiment envie de changer les choses. » Qu’est-ce qu’il veut dire ? Je ne lis pas cette phrase de la même façon à présent que je connais son travail de photographe. Je relève en outre une erreur qui m’avait échappé la première fois, dans la phrase « Une amie qui comprenait mal l’anglais entendait C’est quelque chose au lieu de Set in your shoes dans la chanson Boogie Wonderland. » Il se trompe de chanson d’Earth Wind & Fire, on entend ces mots non dans Boogie Wonderland mais dans Let’s groove.

Pendant ce temps, même si on ne regarde plus, Fukushima continue d’esquinter le Japon et, via l’océan, le monde. La Belgique vient de décider la fermeture de ses deux centrales nucléaires (sept réacteurs en activité). L’Allemagne aussi s’est engagée vers la sortie. La France non, mais peu importe ! Que nos voisins allemands et belges ne s’inquiètent pas, il n’y a pas de frontières qui tiennent, ils bénéficieront de notre, heu, comment dire, de notre énergie bon marché. La Grèce, qui a d’autres chats à fouetter, n’a pas l’intention de se convertir au nucléaire.

(Londonomètre : ah, non, aujourd’hui je n’écris pas, je me donne en spectacle. Bon anniversaire, Tof.) 

Foireux (Troyes épisode 53)

04/11/2011 Aucun commentaire

Je poursuis mon travail de documentation pour un livre fort compliqué intitulé L’arbre et le bâton.

Je passe des heures en bibliothèque, car je continue par acte de foi à considérer que tout ne se trouve pas sur le net. Je consulte et annote des ouvrages sur le Paraguay, mais aussi sur les indiens Guarani, sur les contes d’Amérique du sud, sur les arbres, sur le feu, et sur l’économie de la grande distribution.

Et voilà que sur ce dernier chapitre, je suis soudain frappé de stupéfaction. Le Que-sais-je ? intitulé Les centres commerciaux (Jean-Luc Koehl, PUF, 1990) s’ouvre sur un concis et saisissant télescopage historique :

Le centre commercial, certainement l’expression la plus achevée de notre civilisation de consommation et de loisirs [est l’] héritier d’une tradition marchande née avec les premières foires de Champagne.

Pardon ? Foire d’où dites-vous ? Toujours friand de hasards, coïncidences, et autres synchronicités, j’attendais l’indice qui relierait d’un pont ces deux événements a priori distincts : ma présence au cœur de la Champagne, et le projet de livre qui m’a valu cette résidence, livre qui tourne autour d’une catastrophe en plein centre commercial.

Je suis sur le pont, merci. Comme me le rappelait récemment Hervé Bougel, plein d’à propos quoiqu’avec un léger flou sur l’auteur exact de la citation, le hasard ne favorise que les esprits préparés.

(Londonomètre : a bunch, dude.)

Le verre à moitié (Troyes, épisode 50)

01/11/2011 Aucun commentaire

Le verre (de Champagne) est à moitié vide, mais on s’en fiche parce qu’il est à moitié plein, comme la lune ce soir, ou le contraire, je suis à mi-parcours, premier novembre, j’entame en trombe et à demi-mouillé le troisième des quatre mois de ma résidence.

Dire « je n’ai pas vu le temps passer » serait injuste, je l’ai bien vu passer ce grand couillon, mais à des vitesses très changeantes, comme s’il jouait en quelque endroit caché d’un commutateur on/off. C’est très curieux à observer, je passe par des phases de relâchement absolu où le temps s’étire et où les idées nagent en eaux profondes, et d’autres où tout se précipite, se bouscule, halète, devient concret noir sur blanc. Les chantiers avancent dans le désordre. Je ne les ordonne pas. Je présume que cette expérience spéciale du temps est l’essence de la résidence d’écriture, la chance elle-même. Chaque jour je regarde le ginkgo, branche après branche les feuilles jaunissent, en commençant par les bords et en dévorant le vert jusqu’au coeur de chaque écu. C’est beau et c’est triste.

Le saviez-vous ? L’étymologie de Troyes est civitas tricassium, soit la ville des Tricasses, et n’a donc strictement rien à voir avec la ville de Troie, siège d’une guerre et guerre d’un siège, qui tire son nom du héros mythique Tros, pas davantage qu’avec le prénom anglais Troy, qui quant à lui provient du gaélique Troightheach signifiant fantassin. En revanche, et cela devient amusant, la ville de Troie, où périrent tant de fantassins, est l’origine étymologique de la truie, puisque le cochon farci était autrefois plaisamment nommé Porcus Trojannus, par allusion au cheval de Troie dont les entrailles étaient également bien remplies. J’ai croisé un cochon à Troyes il y a quelques jours, il n’était pas comestible. Au musée de Vauluisant se dresse un impressionnant Saint-Antoine de pierre du XVIe siècle, entre un lion et un cochon, dont le cartel nous précise qu’ils « observent le saint avec admiration ».

Bref. Moitié plein. Comme une demi-truie, disons.

Marlon viendra et il mettra mes pendules à l’heure (Troyes épisode 49)

30/10/2011 2 commentaires

Il me causera un grand chagrin, le ministre qui, pour se faire remarquer, décrètera que 35 ans de bébés et de bovins perturbés dans leurs biorythmes c’est largement suffisant, et qui supprimera d’un trait de plume dans son cabinet (ici je me retiens de verser dans l’humour scatologique facile au sujet de ce qui nous tombe sur la tête depuis les cabinets des ministres) les changements d’heure semestriels.

J’adore les changements d’heure, en mars et en octobre. J’ai toujours aimé cette altération brutale dans la mesure de ce qui semble une donnée naturelle, objective, immuable : l’écoulement du Flux. Dès l’enfance, et naturellement sans en rien théoriser solidement, je comprenais obscurément cette variation comme une faille dans le système, un aveu : décaler aussi aisément l’heure de lever et de coucher d’un peuple de soixante millions d’individus est la preuve que le temps qui passe n’est pas notre temps, c’est seulement le temps conditionné socialement par des habitudes, des conventions, des codes partagés, et des ministres. De quoi vous dégoûter à jamais de lire l’heure sur le moindre cadran, leur heure, leur sale heure qui nous expédie à l’école ou au turbin. Tout marmot, j’expérimentais ainsi une prise de conscience pré-anarchiste, à la faveur d’une grande aiguille tournée en bourrique sur 360° tous les six mois. C’est dire à quel point je regretterais qu’un ministre prive les enfants de ce pays de leur chance de connaître pareille révélation, déclic anarchoïde qui un jour, de fil en aiguille de montre, allez savoir ce que deviennent les taches d’huile sur les ailes des papillons, finirait par renverser tous les cabinets de ministres.

Le spectacle adapté des Giètes, où il n’est pratiquement pas question d’autre chose que du temps qui passe, et qui par conséquent s’articule autour d’une scène clef où l’on remet toutes les pendules à l’heure un dimanche matin de changement d’heure, sera donné pour la dernière fois samedi prochain, à 11 heures du matin (heure d’hiver), à Vizille. Le spectacle est gratuit mais il est prudent de réserver auprès de la médiathèque, au 04 76 78 86 43. Ce spectacle, créé sur un coin de table il y a trois ans et demi avec Christophe Sacchettini, aura connu une longévité inespérée, et m’aura procuré bien du bonheur. Celle-ci sera la bonne, quoiqu’en vraie diva j’ai déjà annoncé plusieurs fois la der des ders.

Je baigne dans l’art (Troyes épisode 48)

28/10/2011 Aucun commentaire

Je suis dans l’art comme un boulanger est dans le pétrin. La résidence qui m’héberge se trouve au premier étage du centre culturel Passages, qui se flatte d’être le seul centre d’art contemporain de l’Aube, et je croise là quotidiennement, pas forcément de l’art (à part de temps en temps, quand je jette un oeil furtif à travers les fenêtres des ateliers), mais au moins des artistes. Parfois l’on me dit : « C’est toi le résident du Salon du livre ? Tu es illustrateur, alors ? » Eh bien, non, pas tout à fait.

La semaine dernière avait lieu le vernissage d’une exposition commune de Hélène Juillet et Thomas Dupouy. Pour la première fois j’ai vu le Ginkgo bondé et béni par diverses huiles institutionnelles. Je ne suis certes pas féru d’art contemporain, très ignorant, seulement curieux de ce qui se passe, croyant-mais-pas-pratiquant – en tout cas réjoui d’être de cette messe-ci, communiant une flûte de champagne à la main, tout à la fois discrètement présent (comme pour profiter de l’émulation créatrice) et totalement décalé (pièce rapportée dans ce milieu relativement homogène qu’est l’Art), et au fond c’est ma position favorite, passager presque clandestin, de fortune. J’étais invité en tant que voisin-du-dessus, ce qui me valait l’amusante impression d’accueillir une expo chez moi. Alors qu’en réalité c’est le contraire : c’est moi qui suis de Passages et invité par l’expo.

Parmi les résidents du centre, celle avec qui m’est devenue la plus familière est Nadine Monnin, artiste polymorphe et singulier, mais semble-t-il surtout photographe. Elle s’est d’ailleurs montrée très intéressée par ceux de mes livres qui s’ornent de photos (les Giètes et IKEA), mais de mon côté j’ignore pour l’essentiel ce qu’elle fabrique. Je peux seulement témoigner que mes fenêtres donnent sur les siennes, et régulièrement je la vois la nuit, minuit, une heure, deux heures du matin, assise à son bureau, feuilletant de mystérieux albums, prenant des notes, tandis qu’ici je fais un peu de même, je cogite en coulisse des complots nocturnes. Au moment même où j’écris ces lignes, je regarde à travers la cour, je vérifie, oui oui elle est bien là, assise à son bureau, et sa présence me fait un peu le même effet que celle de l’écureuil, je suis content d’avoir des voisins, ce lieu est habité comme on dit des maisons qui ont vécu. Mais, contrairement à l’écureuil que je ne réussis pas à approcher, Nadine n’est pas un animal sauvage et il faudra bien qu’elle me parle prochainement de ce qu’elle fait, au juste.

(Londonomètre : en berne. Ces derniers jours, j’ai surtout écrit quantité de mails, hélas. J’ai cherché en vain un éditeur pour une bricole que j’ai écrite pour Magnier et que Magnier a déclinée. Chercher un éditeur est fastidieux en maudit, bonjour mon nom est Fabrice Vigne, j’ai écrit ça, en voulez-vous ? Non. J’espérais ne plus consacrer mon énergie à de telles démarches depuis le Fond du Tiroir, seulement voilà, je ne peux pas tout placer au Fond du Tiroir.)

Elle a chaud au cul (Troyes épisode 46)

22/10/2011 Aucun commentaire

Des vilains mots dans la littérature jeunesse. On en est encore à parler de ça ? Eh, oui. Une amie, bibliothécaire à Versailles (admettons que cette anecdote ne pourrait peut-être pas avoir lieu n’importe où), s’est vu demander expressément par une enseignante de supprimer d’une liste de romans prescrits le livre Nanouk et moi de Florence Seyvos. Pourquoi donc ? Ce roman ne doit pourtant pas être bien dangereux, on est chez l’Ecole des loisirs, pas dans la collec Exprim‘ de Sarbacane. Parce que le mot bite figure à l’intérieur.

Horreur ! Cachez cette bite que je ne saurais voir dans un roman jeunesse ! Les bites n’existent pas avant l’âge légal, il est interdit d’en parler, vous leur donneriez des idées. L’Ecole des loisirs, repaire de pornographes ! Pourrisseurs d’âmes innocentes ! À qui se fier, ils cachaient bien leur jeu l’Ecole des loisirs, ces érotomanes avançaient masqués derrière les excellents Calinours de Frédéric Stehr. Il est trop tard à présent, la jeunesse est corrompue et pleine de bites, il ne faut plus s’étonner de la crise que nous traversons, de la perte annoncée de notre cher triple A, orgueil de la nation, ou de la prochaine guerre civile.

Soyons sérieux. Parfois, lors d’une rencontre scolaire, un élève me demande tout étonné pourquoi j’écris des gros mots dans mes livres (dans le Posthume ou TS, principalement). Le fait est qu’on en trouve quelques-uns (mais pas bite, tout de même, j’ai des limites, des tabous, je ne suis pas si dévergondé qu’un auteur de l’Ecole des loisirs). Je m’explique très volontiers : en littérature (et par conséquent en littérature jeunesse, ne venez pas me chercher avec ça), ce qui compte, c’est la recherche du mot juste. Or il arrive parfois, je suis certain de ce que j’avance, j’ai des exemples, que le mot juste soit : merde. Il ne faut pas écrire merde à tout bout de champ pour le plaisir, même si indéniablement ce plaisir existe, mais il ne faut pas s’interdire de l’écrire si jamais les circonstances font de lui le mot juste. De même que, pour la même raison, il ne faut pas s’interdire d’employer un mot rare et précieux.

Une critique de Jean Ier le Posthume roman historique parue sur Internet m’avait beaucoup fait rire en 2006. Je viens de la relire et j’en ris encore : le prescripteur, que j’imagine soucieux de la bonne éducation de ses enfants, commence sa notule sur le ton bienveillant de l’éloge, original, intéressant, drôle, tendre… Puis, patatras, il conclut tristement Mais le langage familier est une véritable déception. J’éclate à nouveau de rire en recopiant sa phrase (je ne dis pas ça pour la frime, je vous tiens au courant authentiquement de ce qui se joue au-dessus de mon clavier, je ris). Je lui ai fait de la peine avec mes vilains mots. Langage familier mon oeil. La langue dans le Posthume ne saurait être familière à quiconque puisqu’elle est totalement artificielle, vous ne trouverez personne dans la vraie vie qui parle ainsi, parce que c’est un livre et pas la vraie vie, et pour le coup un livre qui cherche les mots justes, fussent-ils de registre savant, spécialisé, amphigourique OU ordurier.

Le personnage d’Elsa, dans le Posthume puis davantage encore dans sa Séquelle, prononce parfois dans une même phrase, d’abord un mot savant à connotation intellectuelle et usité, selon les résultats de minutieux sondages d’opinion, par environ un collégien sur trois millions, puis une bonne grossièreté des familles (enfin, je m’entends, pas des familles versaillaises). Dans les deux cas, c’est le mot juste et puis c’est tout. Elle aime bien ce genre de mélange, Elsa. Et moi j’aime bien Elsa. Cette emmerdeuse.

À quoi bon calculer la durée d’un sourire (Troyes épisode 45)

19/10/2011 4 commentaires

Je souffle, le salon de Troyes s’est achevé hier. Six jours plus tôt j’étais content qu’il démarre, et puis là je suis content qu’il se termine (finalement je suis toujours content, pas difficile le gars), parce que j’ai eu ma dose. Ce salon est sans aucun doute l’un des plus beaux de ma carrière de salonnard (gens charmants, organisation fluide, public pléthorique, bouffe trois étoiles etc., merci à toutes les petites mains), mais il n’empêche que cinq jours pleins, cinq jours de brouhaha et de rencontres, c’est éprouvant. Ou alors c’est parce que je vieillis. Je deviens scheik, comme disait l’autre.

Les rencontres scolaires se sont révélées fertiles, je pense particulièrement à une classe de 2de qui avait non seulement lu, mais très bien lu, Les Giètes, ce livre difficile, et avait des choses à dire à son sujet, nous avons donc causé ensemble d’histoire, de politique, de littérature, de nos rapports respectifs à nos vieux – dans ce cas la « rencontre » devient un vrai échange, on reçoit autant qu’on donne (l’autre classe, qui, deux jours plus tard à pourtant vu le spectacle, était beaucoup moins motivée et réceptive, tant pis, on prend ce qui vient, c’est le principe).

De mon côté, parce qu’il faut bien aussi penser à ce que j’ai à offrir, et aux mômes qui me voient débarquer en se disant eux aussi « on prend ce qui vient », la seule rencontre que j’ai foirée, et j’en suis sincèrement déçu comme d’un rendez-vous manqué, c’est celle à l’école de l’hôpital. J’avais beau être prévenu que le groupe serait imprévisible tant en nombre qu’en âge, je n’ai pas vraiment su m’y prendre face à ces enfants empêchés, coincés pour deux jours ou six mois dans une classe encore plus hétéroclite qu’une classe unique de campagne… J’ai eu du mal à trouver des mots qui s’adresseraient aussi bien à une ado de 14 ans qu’à un petit garçon de 6 ans et demi, n’ayant en commun qu’une santé en berne, alors au bout du compte je n’ai à peu près rien dit. Notre rencontre maladroite a tourné court, nous avons gentiment pris le goûter ensemble mais je doute de leur avoir apporté quoi que ce soit. L’instit a tenté de relancer : « Vous n’avez pas une question à poser à Fabrice pour savoir comment on fait un livre ? » Le garçonnet de 6 ans, des bandages couvrant tout le bras et la main droites, et traînant son goutte-à-goutte par déambulateur : « Oui, moi, j’ai une question. Comment on fait pour écrire un livre si on peut pas se servir de sa main ? » Glups. Ben… Euh… Tu peux dicter, tu peux taper sur un clavier avec l’autre main, tu peux parler au lieu d’écrire, tu peux écrire dans ta tête en attendant le moment où tu pourras à nouveau le faire noir sur blanc… Mais, je reconnais, rien de tout cela n’est facile. Pardon.

Comme d’habitude, sur le salon lui-même mon bilan comptable est piteux (j’ai peu signé, une vingtaine de bouquins en cinq jours), sans proportion avec le bilan humain qui, lui, est très précieux : le plus grand plaisir reste le voisinage de stand, l’apprivoisement mutuel (je l’ai vérifié bien souvent). J’ai retrouvé des-que-je-connais (Anne Jonas, Franck Prévot, Jean-Marie Defossez, François Place, les impayables duettistes Bernard et Roca, Yann Degruel), et découvert des-que-je-ne-connais-pas-mais-je-ne-demande-qu’à-faire-connaissance. Je me souviendrai de mes conversations avec Ramona Badescu (et ce qu’elle m’a raconté restera, pour moi, l’histoire la plus extraordinaire de ce salon, ah, je vous jure, mais je ne vous en révèlerai rien, cette histoire lui appartient), avec Frédéric Kessler, avec Serge Bloch (LE Serge Bloch), avec Kris Di-Giacomo, avec Clémence Pollet (précédente résidente), avec Max Ducos (quel gars étonnant ce Max Ducos, gentleman minutieux et élégant, qui cache dans son carton à noirs desseins des facettes légèrement plus trash), avec Benoît Charlat (lui aussi stupéfiant, extra-terrestre), avec Rolland Auda, et même avec Anne Fine, charmante et rigolote tendance pince-sans-rire comme une anglaise, d’ailleurs elle est anglaise, et j’ai eu l’honneur de lui servir d’interprète avec mon louzi inegliche aksinte, lors de son interview pour la télé locale. Sans oublier deux auteurs en simple visite sur le salon : Jean-Philippe Blondel et Vincent Karle.

Et voilà, rideau, salut la compagnie, je retourne au silence, à la solitude, à l’écureuil, et je vais essayer d’écrire un peu. Le vent souffle, les feuilles volent, la pluie tombe enfin et le ginkgo jaunit, je me remets au travail.

Mais comment mesurer la hauteur d’un frisson
À quoi bon calculer la durée d’un sourire
Les plaisirs entrevus et qu’on voudrait décrire
N’existent déjà plus et n’ont d’autre leçon.
(Galoube, un jour où il avait le bourdon.)

Pour nous consoler, voici un nouveau jeu concours, a priori destiné exclusivement aux quatre Troyens parmi les onze lecteurs de ce blog : le premier de vous quatre qui localisera la rue où j’ai pris la photo ci-dessus gagne un Flux ou un J’ai inauguré IKEA, au choix.

Gloire à Cyrus le Grand (Troyes épisode 44)

17/10/2011 Aucun commentaire

En hommage à mon frère persan qui devrait me rendre visite sous peu dans la thébaïde, je célèbre aujourd’hui, et vous invite à célébrer avec moi, les 2250 ans de la Déclaration des Droits de l’Homme, édictée par l’empereur Cyrus II dit le Grand. C’est en effet le 17 octobre -539 (on ne s’en doute pas, mais les années négatives eurent aussi leur 17 octobre, et il nous faut un petit effort de pensée pour déterminer que la veille du premier janvier de l’an 1 n’est autre que le 31 décembre, et non le 1er janvier, de l’an -1, vous suivez ?), c’est un 17 octobre donc qu’à la suite de sa victoire sur Babylone, Cyrus proclama, sous la forme d’un cylindre d’argile gravé de caractères akkadiens cunéiformes, quelques libertés essentielles dont celle du culte et du déplacement, et la promesse de régner pacifiquement et équitablement.

Depuis 2250 ans, les Déclarations des Droits de l’Homme se sont succédées sur la surface de la planète, les plus célèbres en 1789, 1793, 1948, et nous ne sommes, globalement, pas beaucoup plus avancés, les hommes tuent et maltraitent et vendent et violent et bafouent les hommes. La seule chose qui a changé entre temps, c’est que les Français sont persuadés d’avoir inventé le concept.

Ce n’est pas qu’on en vient à douter (Troyes épisode 43)

13/10/2011 Aucun commentaire

(Cette nuit, j’étais allongé sur le toit d’un camping-car conduit par Jacques Tati période Trafic, je m’agrippais pour ne pas tomber, mais ça va, il conduisait doucement.)

Hier soir, alors que je marchais dans la rue, me préparant aux imminentes rencontres scolaires dont sera fait le Salon du livre de Troyes, réfléchissant plus précisément à la question la plus bizarre qu’on m’ait jamais posée pendant une semblable rencontre, j’ai vu un cadavre d’oiseau gisant sur le trottoir. Je peux préciser le lieu, ça n’a pas d’importance, le temps qu’on vérifie il ne sera plus là, il aura été jeté à l’aube par un personnel de la voirie ou sitôt après mon passage par un simple citoyen, un riverain, moi je n’ai touché à rien, je précise le lieu parce qu’ainsi mon récit prend de plus grands airs de vérité, c’était rue des Tilleuls, côté pair, à Saint-André-les-Vergers. Je me suis arrêté devant cet amas de matière qui autrefois volait et je l’ai longuement regardé. Était-ce un pigeon ? Je n’en suis pas sûr. Je suis si peu savant en sciences naturelles que par facilité je pourrais bien prendre un oiseau quelconque et gris pour un pigeon, et mon ignorance soudain, maintenant qu’il est trop tard, est comme une insulte à sa dépouille, pardon l’oiseau, tu t’en fous, tu as raison, tu ne savais même pas que les humains t’avaient attribué  un nom. Son bec était cassé, les deux moitiés, dont l’une détachée de la tête, formant un angle étrange par rapport à l’oeil fixe, ses minuscules viscères rosâtres avaient sali son plumage, ces serpentins débordaient à la fois sur ses ailes et par côté, à même le sol, mélangés au noir crasseux du bitume, ça faisait comme les graines d’un fruit, une figue trop mûre par exemple, et tout le corps était très plat. C’est la platitude finalement qui m’a intrigué, je me suis penché dans l’illusion de lui redonner du relief, j’ai fait le tour deux fois pour tenter de comprendre ce qui s’était passé, dans quelles circonstances, par quel enchaînement de causes et d’effets devient-on plat. J’ai d’abord formulé l’hypothèse qu’une roue de voiture l’avait aplati et que, pour une raison ou une autre (projeté, ou déplacé à la main, mais dans quel but ?), ce n’était qu’une fois mort et partiellement vidé qu’il avait effectué le trajet de la chaussée au trottoir. Mais comment avait-il pu se laisser aussi bêtement surprendre par la roue ? Les voitures ici ne roulent pas si vite, il aurait eu tout le temps de réagir. J’ai ensuite réalisé que mon scénario ne fonctionnait pas. Si l’oiseau avait été déplacé de la chaussée au trottoir une fois écrasé, pourquoi les deux moitiés de son bec, désolidarisées, se retrouvaient encore côte à côte ? Non, il fallait admettre qu’il s’était fait aplatir à cet endroit même. Comment ? Pourquoi ? Peut-être qu’un véhicule avait roulé sur le trottoir. Ou bien c’était autre chose qui, tombant du ciel, l’avait saisi. J’ai levé les yeux sur la façade de la maison, toutes les fenêtres étaient éteintes.

La question la plus zarb qu’on m’ait jamais posée lors d’une rencontre scolaire est « Est-ce que vous êtes de la famille d’Avril Lavigne ? » Ce n’est pas qu’on en vient à douter, c’est qu’on n’a pas cessé de douter une seule seconde. On ne s’habitue pas, puisqu’il faut faire avec. Quarante-quatre jours, quarante-quatre articles. Et ce n’est pas tous les jours dimanche, sauf en semaine. Le premier qui me traite d’usurpateur je lui ! je lui ! je lui paye une bière. Je me comprends. Jusqu’à ce que je ne me comprenne plus.

Une certitude au moins, le salon du livre de Troyes débute aujourd’hui, et m’occupera, l’esprit avec, jusqu’à lundi prochain. Je m’en excite à bon compte, une parenthèse s’ouvre dans la parenthèse, plus le temps de penser aux viscères de pigeon, toute la place aux questions des jeunes gens. Le blog marque une pause, et ne redeviendra quotidien que la semaine prochaine. Ou jamais. On verra.

Vous savez ce qu’elle vous dit l’auto-édition ? (Troyes épisode 42)

12/10/2011 un commentaire

Une mise au point saisonnière. J’autoédite. Cela signifie que j’écris un livre, puis que je le conçois, le rêve et le pense, le mets en page, l’imprime, le vends. Je ne suis pas un maillon, je suis toute la chaîne. (Je précise encore, je précise toujours, que je ne ferais rien de tout cela si j’étais réellement seul, et que les livres du Fond du Tiroir doivent la moitié de leur ADN à leur co-géniteur, Patrick ‘Factotum’ Villecourt.)

L’auto-édition a mauvaise presse. Elle reste, dans les esprits, une édition de seconde catégorie, une édition par défaut, à la marge du champ littéraire. Elle n’est pas passée à travers le filtre de l’Éditeur, qui seul a le pouvoir de valider la dignité d’un texte. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de ce filtre éditorial, qui parmi les masses de volumes imprimés avec ou sans ISBN, départage à l’usage des réseaux commerciaux mais aussi des mentalités, les livres qui existent et ceux qui n’existent pas. (Notons que cette emprise symbolique de l’intermédiaire-accoucheur est moindre dans le champ de la musique, où l’on louera tel album auto-produit en admirant le fait qu’un musicien soit simultanément créateur et metteur en forme.)

On renifle de loin l’auto-édité, on le soupçonne, souvent à juste titre hélas, de publier lui-même son livre inexistant parce qu’il a échoué à le faire exister ailleurs, chez un vrai, et on le regarde avec condescendance bricoler à toute force et à la va-vite des bouquins nases et mal fichus, farcis de coquilles et de clichés, juste parce qu’il fait partie de ces malheureux naïfs qui croient qu’ils vont exister un peu plus (c’est un vain leurre, on vient de le voir, ils n’existent pas et ne le savent pas) s’ils voient un jour leur blase sur la couverture d’un objet parallélépipèdique imprimé (fantasme très courant qui ne me semble pas refluer socialement, alors même que le livre lui-même est un objet symboliquement en perte de vitesse).

Je ne nie pas que l’auto-édition soit ce purgatoire mal famé des auteurs frustrés et des livres ni faits ni à faire – il m’est arrivé de participer à des salons d’auto-édités, oh putain la misère, bonne chance à tous, les gars. Pourtant elle est aussi autre chose, digne d’intérêt, de respect, de passion, au minimum d’une curiosité élémentaire : elle est un geste radical et libre qui consiste à séparer sa création des tuyaux et robinets de l’industrie du divertissement, et assumer pleinement la réalisation et la défense de son travail.

Benoît Jacques est un modèle représentatif de cette attitude : Benoît auto-édite des livres magnifiques qui ne ressemblent qu’à lui parce qu’il aurait l’impression de se trahir chez un autre éditeur, et l’admiration que j’ai pour Benoît Jacques Books m’a aiguillonné dès les prémices du Fond du Tiroir. J’ai pu également évoquer dans ces colonnes le cas de l’énergumène Marc-Édouard Nabe, ou de l’une de mes idoles permanentes, Alan Moore… Mais il en existe d’innombrables, pas si bien cachés que ça, qui ne demanderaient qu’à être découverts.

Alors je découvre. J’en tiens un bon, aujourd’hui : David de Thuin. DDT est un dessinateur de bandes dessinées animalières post-Macherot qui produit beaucoup, édite ici et là (Dupuis, Casterman, Bayard), mais qui a ressenti le besoin, en plus de ses séries chez les éditeurs à filtre, de publier des volumes plus intimes à l’enseigne David de Thuin éditeur.

Dans Interne (deux tomes parus) le dessinateur compulsif livre sa vie, donc ses dessins, sous une forme hybride, à la fois bloc-note quotidien et laboratoire spatio-temporel, où des ébauches narratives abandonnées quinze ans plus tôt voisinent avec des photos du ciel, et des nouvelles de ses chats. On découvre surtout, page à page, mot d’enfant après aventure minuscule, la vie familiale de DDT, ainsi que ses relations avec le monde extérieur, plus ou moins loin. L’homme est un peu poète, donc gentiment inadapté social, prompt à inventer un proverbe pour quitter un fâcheux ou renoncer à telle compagnie pour se précipiter dans la forêt regarder la couleur des feuilles. Rien de comparable avec le Journal de Fabrice Neaud qui reste, me semble-t-il, le chef-d’oeuvre de l’autobiographie dessinée, mais ce journal-ci, tout en douceur, est rudement attachant. L’ensemble aurait pu s’appeler Les petits riens, mais le titre était déjà pris par Lewis Trondheim, qui donne, en un rien plus vachard, dans le même créneau de l’autobio anecdotique et animalière.

Les gags les plus drôles ne dépareraient pas une bonne sitcom (DDT par-dessus l’épaule de sa fille en train de dessiner : « Ah ! Ah ! Il est marrant, ton bonhomme ! Quelle tête de gros con avec sa moustache ! » Réponse, évidemment :  » C’est toi. Et maintenant je vais dessiner maman »), mais ce qui fait la saveur particulière d’Interne est que DDT ne cherche pas à être drôle à tout prix, il est juste là, il nous raconte une anecdote seulement pour que lui et nous ne la laissions pas perdre tout de suite. Je vous convie, plutôt je vous offre, à lire une planche que j’aime tout particulièrement, vous allez voir, elle est magnifique, il ne s’y passe strictement rien (cliquez dessus pour l’agrandir, débrouillez-vous pour rentrer dans le ciel).

Autre dialogue : « Papa ! Tu viens jouer avec moi ?
– Pas maintenant. Plus tard. T’as qu’à jouer tout seul ! Quand moi j’étais petit, tu n’es jamais venu jouer avec moi, toi.
– Mais… Je pouvais pas… J’étais mort. »

L’un dans l’autre, c’est frais comme un courant d’air, jeune même à 40 ans, tendre et coloré, c’est touchant comme une photo de famille qui ne serait pas posée, c’est prodigieusement vivant. Ça mérite d’être lu, et c’est auto-édité. Si vous commandez les livres sur son site, l’auteur vous propose très gentiment une dédicace. Vous savez ce qu’elle vous dit l’auto-édition ? Elle vous dit bonjour.

(Londonomètre : pas énorme en quantité, mais alors en qualité, si vous saviez.)