Le verre à moitié (Troyes, épisode 50)
Le verre (de Champagne) est à moitié vide, mais on s’en fiche parce qu’il est à moitié plein, comme la lune ce soir, ou le contraire, je suis à mi-parcours, premier novembre, j’entame en trombe et à demi-mouillé le troisième des quatre mois de ma résidence.
Dire « je n’ai pas vu le temps passer » serait injuste, je l’ai bien vu passer ce grand couillon, mais à des vitesses très changeantes, comme s’il jouait en quelque endroit caché d’un commutateur on/off. C’est très curieux à observer, je passe par des phases de relâchement absolu où le temps s’étire et où les idées nagent en eaux profondes, et d’autres où tout se précipite, se bouscule, halète, devient concret noir sur blanc. Les chantiers avancent dans le désordre. Je ne les ordonne pas. Je présume que cette expérience spéciale du temps est l’essence de la résidence d’écriture, la chance elle-même. Chaque jour je regarde le ginkgo, branche après branche les feuilles jaunissent, en commençant par les bords et en dévorant le vert jusqu’au coeur de chaque écu. C’est beau et c’est triste.
Le saviez-vous ? L’étymologie de Troyes est civitas tricassium, soit la ville des Tricasses, et n’a donc strictement rien à voir avec la ville de Troie, siège d’une guerre et guerre d’un siège, qui tire son nom du héros mythique Tros, pas davantage qu’avec le prénom anglais Troy, qui quant à lui provient du gaélique Troightheach signifiant fantassin. En revanche, et cela devient amusant, la ville de Troie, où périrent tant de fantassins, est l’origine étymologique de la truie, puisque le cochon farci était autrefois plaisamment nommé Porcus Trojannus, par allusion au cheval de Troie dont les entrailles étaient également bien remplies. J’ai croisé un cochon à Troyes il y a quelques jours, il n’était pas comestible. Au musée de Vauluisant se dresse un impressionnant Saint-Antoine de pierre du XVIe siècle, entre un lion et un cochon, dont le cartel nous précise qu’ils « observent le saint avec admiration ».
Bref. Moitié plein. Comme une demi-truie, disons.
Commentaires récents