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FMR

07/12/2012 un commentaire

La Librairie éphémère n’est pas un endroit mais un événement. Elle se tient deux fois l’an à la Halle Saint-Pierre (Paris 18e) à l’instigation d’Isabel Gautray de Passage Piétons éditions, et réunit des dizaines de petits (voire micro-) éditeurs, invisibles dans les librairies pérennes et autres échoppes en dur. De l’FMR pour livres SDF.

Non seulement la prochaine édition, qui aura lieu du 11 décembre au 6 janvier 2013, réservera un coin de table aux artisanales productions du Fond du tiroir, mais les visuels (affiche et flyers) ont le bon goût de mettre en avant une linogravure extraite de Double tranchant. Les épreuves réalisées par Jean-Pierre Blanpain pour ce sublime objet d’art seront en outre exposées sur place durant toute l’éphémerité de la Librairie. Vernissage jeudi 13 décembre 18 à 21h, sans moi pardon j’ai autre chose à faire, mais avec JPB himself, qui se fera un plaisir de se rendre disponible pour des dédicaces et plus si affinités. Surtout si vous l’abordez en lui déclarant : Au fait Jean-Pierre, puisque je vous tiens, sachez que j’ai été très touché par le dernier article publié sur votre blog, celui à propos de Montreuil, les livres pour enfants, mais les livres d’un côté et les enfants de l’autre hélas.

Quant à moi j’étais censé récupérer aujourd’hui Georgie-boy chez l’imprimeur, mais phoque godedème chiite et bladi elle ! J’en suis empêché par l’alerte orange et la neige partout-partout. J’abandonne George dans ses cartons et sur sa palette, je l’imagine tout seul dans les entrepôts des Impressions modernes, on éteint la lumière pour le week-end, j’espère qu’il sera sage et ne s’ennuiera pas trop, c’est difficile à dire, ce garçon n’a l’air de rien. Merci aux souscripteurs d’accepter mes excuses pour le délai, le livre ne leur sera posté que la semaine prochaine.

Mais ce n’est que partie remise ! Je ne risque pas de l’abandonner, celui-ci. Un livre naît pendant qu’un autre meurt (Heeey ! / Hooo !). Car une autre nouvelle tombe aujourd’hui, parallèle à la neige, et fait plus que jamais du Fond du tiroir mon unique éditeur : mon « best-seller » (tout est relatif) dans l’édition traditionnelle, Jean Ier le Posthume, est épuisé chez son éditeur, Thierry Magnier, qui ne souhaite pas le réimprimer vu les faibles ventes, et m’a proposé de me rendre les droits. Je ne sais pas du tout ce que je vais en faire (éditer ce livre au FdT ? ce serait absurde, mais je n’en serais pas à ma première absurdité), mais en tout état de cause une évidence m’explose à la figure : mon plan initial, qui visait une « carrière » avec un pied dans l’édition normale, et l’autre dans mon Tiroir, est un échec consommé. Désormais je suis intégralement sous le radar, et FMR.

Une bougie de plus pour Noël

01/12/2012 Aucun commentaire

Chacun en a fait l’expérience : il est difficile d’échapper au plus vieux media du monde. À l’approche de Noël, vous serez sans doute la cible et le réceptacle involontaire d’anciennes rumeurs ressuscitées chaque année dès les premiers frimas…

Il est possible, c’est arrivé à d’autre, autant vous y préparer, il est probable que ces jours-ci un « ami », une connaissance, un petit-malin-qui-en-sait-plus-long-que-vous, vous toise de haut dans la cour de recré (ou, pour les plus vieux, devant la machine à café) et vous déclare, une malice dans l’oeil et une nuance de cruauté dans l’autre, savourant l’effet de chacun de ses mots : « Le Fond du tiroir n’existe pas. C’est ton père déguisé. »

Halte à la paranoïa ! Ne croyez rien de ces fumeuses théories complotistes qui ébranleraient les esprits les plus sereins ! Comme si nous avions besoin d’une angoisse supplémentaire en ce monde anxiogène et la crise partout-partout… Allez sans crainte, le Fond du tiroir existe bel et bien, je suis idéalement placé pour le savoir, et pour vous en persuader il n’est de meilleur remède que de commander ses livres ! Notamment La Mèche, de Fabrice Vigne et Philippe Coudray, le livre de noël et des bougies, qui vous révélera pour un prix modique, ni plus ni moins, toute la vérité. Sur presque tout.

Le bon de commande, désormais riche de dix titres, est ici.

« La seule divinité raisonnable, je veux dire le hasard » (Albert Camus, La Chute)

26/11/2012 2 commentaires

Je sors de chez l’imprimeur. J’ai déposé là-bas les fichiers qui composent Lonesome George afin qu’ils se transforment en livre, ébloui comme au premier jour par le processus qui conduit de l’idée à l’objet. Je me souviens qu’Alan Moore prétend qu’écrivain et magicien sont une seule et même fonction, puisque dans les deux cas il s’agit de transformer la réalité en prononçant certains mots. Je n’ajouterai qu’un mot : Abracadabra.

Le hasard étant, selon Balzac, le plus grand romancier du monde, je ne doute pas qu’il en soit en outre le plus grand magicien. À mon retour de chez l’imprimeur, je trouve, comme par hasard, trois messages dans ma boîte. Trois fidèles lecteurs m’incitent à cliquer d’urgence sur ce lien. Je clique, et certes, je tire mon chapeau au destin : mon conte sur la tortue était mort en juin, en même temps que George ; il renaît et se multiplie (300 exemplaires) au moment précis où l’on découvre que le défunt, réputé solitaire, avait une tripotée de frangins. Simultanément, les premières souscriptions me parviennent par courrier (la première, comme d’habitude, est au nom de Yves).

Du reste, je suis de longue date dévot, convaincu de la toute puissance du hasard, ayant même publié un livre qui n’existe pas aux Éditions du pur hasard. À ne pas confondre avec les Éditions Aléatoires, qui n’existent pas non plus, et c’est dommage parce qu’on aimerait bien lire certains de leurs livres. Les Éditions Aléatoires, ou Irrégulières selon l’option choisie, ne sont qu’un site astucieux qui génère à la demande, avec vos seuls noms et prénom et selon un hasard numérique et miraculeux, des titres et des couvertures de livres qu’il ne vous reste plus qu’à écrire. Non seulement ce jeu de création de jolies vitrines ne donnant sur aucune arrière-boutique est très amusant, et propice à la rêverie, mais en plus il permet d’admirer comment le hasard fait bien les choses. J’ai tenté l’expérience, abracadabra, mon livre s’intitule Le doigts des tortues. Quel talent. (La vérité historique, mon beau souci, m’oblige à préciser que ce titre tortueux ne fut que la troisième réponse que me fit l’oracle. Il y aurait beaucoup à dire sur mon premier et mon deuxième tirages, et c’est pourquoi je n’en dirai rien. Je préfère ajouter qu’on peut trouver plein de variantes à ce jeu rigolo, comme faire écrire des livres à des gens connus. Mais attention, parfois ça cesse d’être rigolo.)

Sans lien explicite avec ce qui précède (débrouillez-vous pour l’implicite), un extrait d’interview d’Olivier Assayas à propos de son film Après mai, film reproduisant fidèlement les années 70, par conséquent un peu moche mais exaltant, contrairement aux années 80, super-moches et déprimantes.

Il y a un décalage dans le sens où, à l’époque, très peu de choses étaient accessibles. Elles étaient du coup extraordinairement précieuses. Aujourd’hui tout est accessible. (…) Il y a une autre opposition entre ces deux époques [celle évoquée par le film et la nôtre] : aujourd’hui, on croit à ce qui est majoritaire. C’est à dire que Stéphane Hessel ne vaut quelque chose que parce qu’il a vendu X millions d’exemplaires de son livre. Dans les années 1970, ce qui valorisait un ouvrage, c’était que très peu de personnes l’avaient lu, et qu’il y avait une complicité entre ces initiés. Pareil pour la musique, les journaux , la presse. Il y avait cette idée, cette foi dans la possibilité d’une minorité agissante.

Lonesome George(s)

19/11/2012 Aucun commentaire

Il y a quelques jours, j’ai croisé dans le bus une dame, très gentille, qui m’a abordé : « Vous êtes Fabrice Vigne, n’est-ce pas ? Je me souviens de vous, vous étiez venu présenter votre livre sur le suicide dans ma bibliothèque il y a… Oh, peut-être dix ans. Vous avez publié un deuxième livre, depuis ?  » Il arrive aussi qu’en cours de conversation, profitant d’un moment creux, un interlocuteur me demande, très bienveillant : « Et sinon, au fait, tu écris toujours ? » Je réponds toujours poliment, je suis un gars civil. Mais grince au tréfonds de moi la réponse que fit Louis Armstrong à un journaliste qui lui demandait de définir ce qu’était le swing : If you need to ask, you don’t need to know.

Oui, j’écris toujours, j’écris encore, j’écris parfois, je réécris. Mon nouveau livre est en vente par souscription dès aujourd’hui, et sera envoyé aux souscripteurs dès sa sortie de l’imprimerie dans une bonne quinzaine de jours. Il s’appelle Lonesome George(s). Il est imprimé à 300 exemplaires, coûte 9 euros, compte 32 pages plus une élégante jaquette à rabats et fenêtre, sa couverture et ses culs-de-lampe sont dessinés par Jean-Pierre Blanpain, et son ISBN, sans pareil à travers le vaste monde, est le plus sexy qu’on ait su voir, attention roulement de tambour s’il vous plaît, ISBN 978-2-9531876-6-3. Il est mon opus 13, finalisé deux mois après mon opus 14, Double tranchant, car nos chronologies sont moins plates que la ligne d’horizon observée à la jumelle en pleine mer un jour sans vent. On tombe parfois sur des os. J’ai dit adieu à mon factotum, et j’ai dû chercher une alternative – que fallait-il faire, privé de mon acolyte ? Un seul salut : Laurel s’enhardit.

D’autres questions ?

Non ? Alors je continue à soliloquer. Je précise que pour George(s), le FdT n’enverra pas de bon de souscription par courrier postal, mais seulement par mail à imprimer. Pardon d’avance à ceux que ce spam importunera. Je compatis : quant à moi je suis, tel que vous me voyez, fumasse, mon premier mail de la journée ayant été une sollicitation pour signer une pétition CONTRE le mariage homo. Qu’est-ce que j’ai fait juste ciel, dans quelle newsletter malpropre ai-je donc traîné, pour recevoir ce torchon ? Pourquoi pas un appel à départager Fillé et Copon, les Dupondt de l’UMP ! Quel foutu pays rance et moisi, celui qui mobilise une plus grosse manif pour renvoyer les homos en enfer que contre un aéroport inutile désastreux destructeur et offert à cette bande de racailles racketteurs de Vinci ! Qu’on leur foute donc la paix, aux homos ! Qu’ils le prennent et le gardent, le mariage, je le leur laisse, ils en ont plus besoin que moi puisque la société n’a visiblement toujours pas admis que leur couple était possible, moi on s’en fout de mon couple, je suis pacsé ne vous déplaise. Le mois dernier à Paris j’ai visité l’instructive expo Bêtes de sexe, consacrée à la sexualité des animaux. (Étaient notamment projetés les désopilants courts métrages d’Isabella Rossellini, Green porno). Là, j’ai appris que des pratiques homosexuelles étaient recensées chez 430 espèces (on ne sait pas si l’homo sapiens était inclus dans les statistiques). Voilà qui volatilise une fois pour toutes l’argument des cathos selon lequel l’homosexualité est contre-nature.

Allez tous en paix dans le giron notre mère nature, bienveillante et généreuse ! Hétéros et homos, embrassez-vous, et commandez ensemble et offrez-vous les uns les autres des tas de Lonesome George !

L’eschatologique est scatologique

14/11/2012 6 commentaires

La fin du monde ne manque pas de sel.

Le mois passé, à Troyes, alors que je faisais visiter l’expo Double tranchant à des collégiens, un môme a levé le doigt, saisi d’une révélation urgente à extérioriser : « Mais alors, m’sieur, votre livre, c’est sur la fin du monde, euh, je veux dire, sur la fin d’un monde » … Oui, oui, il avait raison. Son lapsus aussi.

Il y pense. Bien sûr, moi aussi j’y pense. La fin du monde est pour bientôt. J’ai beau savoir, ayant autrefois suivi un cursus universitaire sur le sujet, que « la fin du monde » n’est pas un agenda rationnel mais une vue de l’esprit, une Weltanschauung, une structure imaginaire nourrissant depuis la nuit des temps mythologies, religions, scénarios de cinéma, chansons d’amour ou blues, j’ai beau savoir que le terme permet de penser, je n’ai aucun doute, elle arrive.

Si l’on cherche les signes annonciateurs de la fin du monde, on les trouve, il n’y a qu’à se baisser. Par exemple, pas plus tard que ce matin, alors que j’avais employé deux fois le mots curiosité dans un paragraphe, j’ai interrogé la fonction Synonymes de mon traitement de texte (Word 2003, bientôt dix ans la version, c’est dire si les fins du monde se préparent à l’avance). Voici les suggestions de synonymes que j’ai obtenus pour curiosité : intérêt, gain, dividende, revenu, rapport, rente, annuité, commission, agio, escompte, arrérage, avantage, gratuité. La fin est proche, en vérité je vous le dit.

Sérieusement (?), je ne grossis point les rangs des illuminés obsessionnels complotistes vingt-deux-décembristes pullulants, qui escomptent que l’apocalypse adviendra le mois prochain au jour et à l’heure qu’on leur a indiqués, qui ajoutent à l’angoisse ambiante, non comme prophètes mais comme symptômes, parce qu’on les sent prêts ces cons à déclencher la fin eux-mêmes juste pour vérifier leurs prédictions auto-prédictives… Moi, la veille du 22 décembre je ne dormirai pas plus mal que les autres nuits, mais je suppose que cette clique folklorique sera quant à elle déçue, flouée, ma foi il lui restera à faire ce que font les témoins de Jéhovah depuis des lustres : une mise à jour, un ajournement perpétuel de « l’apocalypse que nous verrons de notre vivant », dès le 23 décembre ils annonceront que les calculs ont été refaits, que oups finalement les Mayas s’étaient gourés mais qu’en revanche on vient de révéler des documents mésopotamiens, zaïrois, aborigènes ou sri-lankais, très précis et très troublants, sur des événements fatals qui surviendront à brève échéance.

L’échéance est sans aucun doute rien moins que brève. Au mieux (au plus tard) : toute vie aura disparu sur terre d’ici trois milliards d’années, du fait de l’évaporation de l’atmosphère et des océans suite à l’augmentation de température de notre étoile nourricière, qui elle-même mourra en avalant tout le système solaire deux milliards d’années plus tard. Au pire (au plus tôt) : la voracité et l’inconscience des êtres humains, leur curiosité pour parler Microsoft, pourraient avoir précipité l’effondrement des écosystèmes planétaires dans un siècle, et ce n’est pas de la superstition mais du pessimisme raisonnable. Deux tiers, je dis bien deux tiers, des arbres de la planète sont menacés. Nous suivrons bientôt, c’est évident. N’importe, « bientôt » est une notion relative – un mois, un siècle, ou cinq milliards d’années, à l’échelle des galaxies tout ça c’est un peu la même chose, la terre disparaîtra et cela me fait de la peine parce que je l’aimais bien. Je suis un apocalyptique d’obédience non hystérique mais mélancolique, le-ténébreux-le-veuf-l’inconsolé, vivre dans un monde condamné me chagrine parce que la mort y est à l’oeuvre, lentement. L’eschatologie est scatologique parce que la fin du monde nous fait chier.

D’une cuirasse de tortue Hermès créa la lyre

06/11/2012 2 commentaires

(Hermès le dieu grec, j’entends, Hermès aux pieds ailés, patron des commerçants et des voleurs, pas la société de luxe qui sous-traite pour une bouchée de pain la couture de ses grotesques carrés de tissu dans les ateliers des prisons puis les revend aux bourgeois 350 euros.)

Une bonne grosse tortue… En voilà un beau héros de livre pour enfants, en route vers le succès planétaire voire une adaptation en dessin animé : George est une tortue non adolescente, non mutante, non ninja, et non mangeuse de pizza. Mais qui revient d’entre les morts.

Comme on le sait, la tortue géante des Galapagos Lonesome George est, sinon le sujet, du moins le totem d’un livre que j’ai écrit l’an dernier, pratiquement prêt à sortir mais annulé au dernier moment. Notamment, même si ce fut loin d’être la raison déterminante, parce que ce brave George est mort le 24 juin dernier. Or voilà quil pourrait revenir du séjour des morts, ressuscité par son ADN façon Jurassic Park. Cette Pâques tortuesque n’est toujours pas la raison déterminante des activités éditoriales au Fond du Tiroir, mais il se trouve que le livre est lui aussi ressuscité, parce que j’avais pris le soin d’en congeler l’ADN dans mon disque dur. Il sera prochainement disponible noir sur blanc et sur papier, ce qui fait que je désactive le lien qui, jusqu’à présent, permettait de lire gratuitement Lonesome George sur le blog. Tant pis pour ceux qui n’en ont pas profité, il leur faudra désormais s’acquitter de 9 euros pour lire ce qui n’est plus un texte mais un livre.

Et ensuite nous en aurons terminé pour de bon avec cette si bizarre et contrastée année 2012, et nous pourrons passer à autre chose, de l’air, de l’air.

En attendant le prochain opus, un œil sur la revue de presse du précédant : Double Tranchant a été lu et approuvé par une phalange d’excellents lecteurs qui ont eu l’amabilité d’en rendre compte sur leur blog ou média usuel. Mille grâces et reconnaissances à Jean-Louis Roux (dans Les Affiches), à Vanessa Curton, à Michèle Caron, et à Yves Mabon.

Au sujet de ce dernier : comme tout critique digne de ce nom, Yves me fait découvrir un aspect de ce livre que j’avais négligé. En l’occurrence, le caractère exclusivement masculin, voire viril, couillu, de la passion du couteau, substitut phallique parmi d’autres. Certes, j’aurais dû y penser tout seul, à force de blaguer avec Jean-Pierre sur notre « bipénis »… Yves me pose une question dont il connaît la réponse : « Connaissez-vous des maîtresses-coutelières ? » Hmm… Non, en effet. Mais comme les archétypes sexuels et sexués me pèsent sur les nerfs, et que je crois exceptionnels et archaïques les métiers non accessibles aux femmes (pape, grand rabbin, ayatollah, dalaï-lama), je ne m’avoue pas vaincu et je lance illico un appel à témoin. Un exemplaire de Double tranchant sera offert à la première maitresse-coutelière qui se manifestera ici. Je n’ai aucun doute sur son existence. De là à ce qu’elle trouve son chemin jusqu’à moi…

Le fonds (de pension) du tiroir (caisse)

02/11/2012 2 commentaires

Le Fond du tiroir étant une association, il convient d’en dresser régulièrement le bilan financier puis de le délivrer à tous les adhérents. J’ai en main la liste à jour des adhérents, je constate non sans quelque regret que vous n’en faites pas partie (ah ne jouez pas les innocents la main sur le coeur, n’aggravez pas votre cas vous êtes grotesque, « Mon Dieu est-ce possible j’ai donc omis de renouveler ma cotisation comment ai-je pu négliger »), mais je vous le donne tout de même ce bilan. Parlons argent.

Jusqu’à cette année, lors de chaque nouvelle publication, mon rêve d’autofinancement du FdT était systématiquement remis à plus tard, et il me fallait cracher au bassinet peu ou prou si je voulais vraiment que le livre existe. À titre indicatif, quand le FdT a réédité La Mèche en 2010, j’ai dû afin de boucler le budget de fabrication du livre pré-acheter environ 90 exemplaires et signer un chèque de 90 x 12 euros, moi Fabrice Vigne, au Fond du Tiroir, à charge pour moi de revendre de la main à la main ces 90 foutus exemplaires (aux dernières nouvelles, il m’en reste 12 à écouler avant d’être intégralement remboursé, or ça me plaît cette douzaine, on se console comme on peut, il se trouve que La Mèche est un livre sous le signe du 12).

Eh bien là, non ! La perfusion est conjurée, au cul la danseuse, eh oh y’a pas marqué mécène de moi-même. Grâce à une heureuse conjonction de trois facteurs : la co-édition raisonnée avec Jean-pierre Blanpain, une bourde de dernière minute qui a diminué drastiquement le tirage sans modifier le prix de revient par exemplaire, et surtout une excellente réponse à la souscription (nous misions sur 100 souscriptions, nous en avons reçu 97, autant dire que c’était gagné, merci à tous, merci 97 fois), Double tranchant, qui est pourtant le plus beau livre du Fond du tiroir (puisqu’il est le dernier en date) a pu être produit avec les fonds propres de l’association, sans que je ne débourse un centime.

Oh, la crise (partout-partout) c’est comme la guerre, elle ne peut se conjurer que temporairement, et j’ai le vague pressentiment qu’en 2013, lorsqu’il me faudra procéder à la réimpression dispendieuse de Double tranchant, cette fois-ci sans réserves financières ni souscription possible puisque mon réseau sera tari, je devrai à nouveau mettre la main au porte-monnaie…

Mais à court terme ces comptes sains ont des conséquences énormes : d’abord je suis de bonne humeur, ensuite je ne change pas mes jetons, je les pousse avec désinvolture sur le tapis, je remise tout sur le numéro 13, allez hop, tournez croupier, valsez martingale ! Tenez-vous bien, le FdT publie un nouveau livre dès le mois prochain, oui messieurs-dames.

Quel livre ? Celui qui a été abandonné au printemps dernier après moult péripéties, je ne résume pas les épisodes précédents, vous n’aviez qu’à suivre : Lonesome George, mais si, souvenez-vous, ce livre qui évoque au passage la fin du monde du 21 décembre prochain, et dont j’avais dit Ouais ouais soit je le fais avant le 21 décembre 2012 soit jamais, or c’était bien parti pour être jamais, il y a quelques mois le FdT m’apparaissait à l’article de la mort, l’annulation de ce livre entraînait avec lui la fin pure et simple de l’aventure, mais la vie est pleine de surprises.

Autant Double tranchant se voulait (et se révèle) objet d’art, majestueux qui se pose un peu là, beauté du geste en accord avec son sujet même, autant George sera un livre plus lâché, plus modeste, plus cheap (le prix de vente provisoire est 9 euros), plus d’actualité, plus petit, numérique, mais très beau quand même parce c’est plus fort que nous. Autre différence : pour celui-ci nous n’enverrons pas de souscription par courrier timbré (en lettre verte). Si le FdT dispose de votre adresse mail, vous recevrez dans quelques jours le bon de souscription par ce moyen. Et sinon ? Bah, si vous êtes parvenu jusqu’ici, vous trouverez bien le bon de commande en temps utile.

Procédons à présent au bilan carbone. Soucieux d’écologie, le FdT renonce définitivement à faire imprimer ses livres en Chine. Le précédent livre ainsi que le prochain sont tous les deux imprimés par les Impressions Modernes, en Ardèche, et nous en sommes contents.

Merci à Franck Prévot pour le titre de cet article.

Adieu, Troyes ! Adieu !

23/10/2012 un commentaire


J’ai reçu la preuve tout à l’heure, dans le métro parisien, que j’avais une sale gueule, oh je la vois d’ici, je la connais ma sale gueule, celle des jours où si je me croise dans le miroir je reconnais quelqu’un d’autre, je dis « bonjour papa », je l’imagine ma gueule dans le métro, empâtée, mal rasée, bajoues chiffonnées, nez qui coule, aisselles rances et toux crochue, paupières lourdes par le haut, bouche ouverte par le bas, et entre les deux le no man’s land des cernes comme des valoches à roulettes. Je termine autant que je suis terminé : je reviens, épuisé, de cinq jours au salon du livre de Troyes.

Je suis debout agrippé à la rampe, le métro roule, je suis entre deux gares, même pas la moitié du voyage, Paris n’est qu’une zone de transit souterraine. J’ai en plus de ma valise un gros et haut sac à dos dont je n’ai guère l’habitude (à pied dans les tunnels, je me suis retourné plusieurs fois, avec la sensation d’être suivi). Surgit dans la rame, une porte plus loin, un gars qui me ressemble, dépenaillé, veste en jeans, sac à dos, gueule à coucher dehors, émacié, des cicatrices sur le visage. Il se met à déclamer. « Je m’appelle Kevin, j’aurai 24 ans la semaine prochaine. À l’âge de seize ans j’ai commencé à dealer pour obéir à mon beau-père, sinon il était violent. Finalement j’ai arrêté de dealer, mais ça s’est mal fini, on m’a placé dans un foyer. Là, la drogue circulait encore. Je suis maintenant sorti du foyer, mais je ne sais pas où dormir. Croyez que je ne fais pas la manche par plaisir, chaque jour j’arrête lorsque j’atteins les 35 euros qui me payeront une chambre d’hôtel, le lit la douche, plus un peu pour manger, je veux juste que mon beau-père ne me retrouve pas, je vais passer parmi vous pour faire appel à votre solidarité. »

Son discours terminé, il arpente la rame, regardant le sol, un visage, le sol, un visage, le sol. Quand il arrive à mon niveau, il me dévisage en un éclair, ses yeux bleu pâle se branchent aux miens, il saisit instantanément d’après ma gueule qu’il ne faut rien attendre de moi puisque je suis autant en galère que lui. Pour me saluer en toute discrétion, sans s’arrêter de marcher il se cogne le cœur, puis du même poing me caresse l’épaule. Je murmure « Bonne chance… », il répond « Merci, vieux, toi aussi, reste au chaud », et il est déjà plus loin. Je réalise, avec une impression cousine de la honte, que je viens de faire appel à sa solidarité.

Putain, mon cas n’est pas si grave que ça, tout de même, je viens seulement de passer cinq jours dans un salon du livre, des plus chouettes, dense, gorgé de vie et d’êtres humains, et éreintant.

J’ai reçu là-bas de beaux vrais éclats de joie. Voir cette belle expo, cet accomplissement, souhaiter la pareille et bon vent à Elisa Gehin la résidente de cette année, discuter avec Jean-Pierre, retrouver Benoît (qui demeure, toutes catégories confondues, l’une des personnes que j’admire le plus dans ce milieu)… Les rencontres scolaires se sont passées à merveille et m’ont conforté dans l’idée que Double tranchant, projet pas spécialement ‘jeunesse’ vu de loin, ne demande qu’à le devenir si on l’accompagne. Pour qu’une chose soit ‘jeunesse’, il suffit de l’adresser à des jeunes. Les visites guidées que j’ai menées dans l’expo à l’attention des collégiens étaient toutes passionnantes, ils réagissaient au quart de poil coupé en quatre, les grands méchants troisièmes autant que les mignons petits sixièmes. Un moment rigolo : « Alors, regardez bien… Dans cette série de linogravures, Jean-Pierre a extrapolé mon texte et a représenté des scènes célèbres de l’Histoire, qui toutes ont un rapport avec les couteaux. Reconnaissez-vous ce personnage qui vient de se faire poignarder, sa plume encore en main ? Voyons, quel homme célèbre est mort dans sa baignoire ? » Un garçon au premier rang brandit sa main en aspirant bruyamment une grosse goulée d’air, et prend la parole avant que je la lui donne : « Claude François ! »

Certes, la curiosité des Troyens en général à l’égard de mon travail ne s’est pas sensiblement accrue depuis l’année dernière, puisque l’atelier d’écriture que j’avais soigneusement préparé fut finalement annulé, pour cause de zéro inscrits, mais je n’en garde pas de ressentiment, mon travail reste là, pour qui veut, et même si personne ne veut, je sais ce que j’ai fait et ce qui m’a fait. Et je le remise au Fond de mon tiroir : le texte rédigé pour l’occasion, censé tenir lieu d’introduction à cet atelier fantôme « Écrivons la mémoire des objets », restera lisible ici même, sous ce lien. Pour qui veut.

Comme une foule qui a trouvé un couteau

18/10/2012 Aucun commentaire

Jour de vent. Ma valise est bouclée, elle est lourde (40 ex. de Double tranchant multiplié par 300 grammes = 12 kilos), moi aussi. Je retourne à Troyes, c’est curieux, en sus de l’adrénaline j’en éprouve un peu de nostalgie, comme si tout était déjà passé, je dois confondre avec l’autre fois, je suis décidément un drôle de pistolet.

Alors que tout reste à faire. Outre les rencontres scolaires, les moments cruciaux autour de DT seront le vernissage de l’exposition vendredi 19 octobre à 18h (ci-dessus deux clichés, le dehors et le dedans de l’installation agencée par Sylvain), et l’atelier d’écriture que j’animerai à la médiathèque du Grand Troyes le samedi 20 octobre de 14h à 17h. Je n’ai pas l’habitude de cette sorte d’exercice, je ne suis pas tout à fait certain d’être capable de faire écrire mon prochain, j’ai pourtant accepté, je me suis creusé la tête pour bâtir une thématique en lien avec le livre et l’expo, avec la Maison de l’outil aussi. Finalement j’ai pensé à l’aura des objets, j’ai intitulé l’atelier Ceci a appartenu à un être humain, et me suis fendu de la note d’intention suivante :

Un objet. Un vieil objet. Qui traînerait chez vous depuis on ne sait quand. Depuis plusieurs générations. Un souvenir de quelque chose… Un outil unique fait à la main d’une personne. Un vêtement spécial? Un bibelot ramené d’un voyage ? Une montre ? Un vieux livre, jauni mais annoté ? Un dessin ? Un bijou ? Un objet fabriqué peut-être par un parent, un aïeul… « Ceci a appartenu à un être humain », voilà un magnifique début d’histoire. Dans un monde où les produits sont jetables, les objets, eux, renferment une mémoire, des émotions. Choisissez chez vous l’un de ces objets, et écoutez son histoire. Au besoin, inventez-là. Et venez l’écrire.

Et puis j’ai ajouté une citation de CLS que j’aime bien, mais elle n’a pas été retenue dans le programme, voici cette scène coupée bonus rien que pour vous :

Les hommes ne diffèrent, et même n’existent, que par leurs oeuvres. Elles seules apportent l’évidence qu’au cours des temps, parmi les hommes, quelque chose s’est réellement passé.
Claude Levi-Strauss, Regarder Ecouter Lire

Y’en aura pas pour tout le monde

12/10/2012 Aucun commentaire

JPB et moi-même sommes allés chercher hier le tirage de Double tranchant, sur le dos de la bête, en Ardèche (photo ci-dessus). C’est dingue, l’Ardèche, allez voir, c’est juste à côté sauf qu’il y fait beau.

Il fait super beau, tu veux dire. Double tranchant est un livre magnifique, j’en ris tout seul, mais à deux c’est mieux. Si je ne le vendais pas, je l’achèterais. Pendant tout le trajet de retour, sur l’autoroute, tressautant de joie je lorgnais les lignes pointillées sur la chaussée d’un oeil et d’une main, tandis que de l’autre et de l’autre j’admirais le livre dans le carton trésor posé sur le siège passager, et j’étais heureux. Je pense parfois à cette anecdote rapportée par Borges, je ne me souviens plus si c’est un souvenir, un poème, une fiction : J’étais dans le désert, je me suis accroupi, j’ai puisé dans ma main une poignée de sable, j’ai fait quelques pas, j’ai écarté les doigts, le sable s’est dispersé, et j’ai dit à haute voix : « Je viens de changer le visage du désert ». Je pense à cette anecdote parce que je continue de croire que faire un beau geste, un beau livre par exemple, c’est changer le visage du monde, qui est, faut bien l’avouer sans vexer personne, globalement disgracieux, faire un beau geste dans le désert, déplacer quelques grains de sable c’est faire de son mieux contre la mocheté du monde.

Il n’y en aura pas pour tout le monde, de la grâce à la valeur ajoutée : suite à une erreur  de l’imprimeur, le tirage est plus modeste que prévu, amputé d’un tiers, peinant à atteindre les 400 exemplaires.

Il n’y en aura pas pour tout le monde bis : les cent souscriptions initiales, bénéficiant d’un tiré à part original dédicacé par Jean-Pierre Blanpain, sont pratiquement toutes parties (nous venons d’attribuer le n° 91, et il en tombe tous les jours dans la boîte, dru, genre Gravelotte, merci mesdames et messieurs). Plus la peine d’utiliser le bon de souscription, c’est trop tard, fallait y penser avant, ah si j’avais su, ouais ouais, tout le monde dit ça dans le désert, si j’avais su, consolez-vous avec ce qui reste, or il vous reste à imprimer le bon de commande ordinaire afin de vous procurer la même chose mais sans extra, qui est déjà très bien.