Accueil > En cours > La valise à la main (Troyes, épisode 1)

La valise à la main (Troyes, épisode 1)

Je me lève, je me gratte, j’ouvre les volets, il pleut. Je pense, « tiens, un temps de rentrée. »

Et je file à la gare, dans le jour naissant. Mais le train ne part pas. Sur les rails aussi il a plu, en masse. Des coulées de boue ont interrompu le trafic, mon TGV est arrivé avec trois heures de retard. J’ai donc lu La carte et le territoire de  Houellebecq pendant trois heures, je trouve spécialement judicieux de lire Houellebecq durant les heures de retard de la SNCF, comme s’il avait été inventé pour ça exactement.

Houellebecq me fait rire. J’ai cessé de le prendre tout-à-fait au sérieux depuis que j’ai repéré ses tics, comme on fait en classe d’un prof. Son tic le plus flagrant est me semble-t-il de multiplier les tournures qui amoindrissent systématiquement ce qu’il est en train de dire, relativisant en continu son discours, comme quelqu’un qui regarde ailleurs pendant qu’il vous serre la main. Surtout quand il assène une idée générale : pas une page, parfois pas une phrase, qui ne soit minée par son « pratiquement », « plus ou moins », « en quelque sorte », « globalement », « la plupart du temps », « un peu », « généralement », « en réalité » (deux occurrences dans le même paragraphe page 89), « vaguement », « malgré tout », etc. L’insistance de ces croche-pattes rhétoriques produit un style ironique que l’on pourrait qualifier de déballonné (l’usage aussi des italiques joue chez lui ce rôle de dénégation obscurément veule du discours prononcé), presque toujours très amusant. Exemple : « Jed était familier des principaux dogmes de la foi catholique – alors que ses contemporains en savaient en général un peu moins sur la vie de Jésus que sur celle de Spiderman. » Admirer le double salto qui le fait juxtaposer d’un seul souffle « en général » et « un peu moins ».

N’importe, Houellebecq me fait rire. Et en général, ce qu’il dit reste intéressant malgré l’ironie, ou à cause d’elle. (Auto-)Portrait de l’artiste au travail, en quelque sorte en-résidence : « Pendant presque six mois Jed sortit très peu de chez lui, sinon pour une promenade quotidienne à l’hypermarché Casino du boulevard Vincent-Auriol (…) il se rendit compte qu’il n’avait pas prononcé une parole depuis presque un mois, à part le « non » qu’il répétait tous les jours à la caissière (rarement la même, il est vrai) qui lui demandait s’il avait la carte Club Casino. » Puis, quelques chapitres plus tard, la scène se passe à présent en Irlande: « Bien qu’on soit dimanche, le centre commercial voisin était ouvert ; il acheta une bouteille de whisky local, la caissière qui s’appelait Magda lui demanda s’il avait la carte de fidélité Dunnes Store. »

Okay, je ferme le bouquin, j’entre en gare de Troyes.

Je descends du train avec armes et bagages. Amélie et Michèle m’attendent, m’accueillent, me fêtent. Première provision de sourires. Ma valise roule. Pas d’armes, en fait, dans mes bagages. Essentiellement des livres. Mais aussi un petit pot pour faire pousser des trèfles (spéciale dédicace à Cathy Karle). Et je pense, tout droit sur le quai, à l’un des plus beaux livres jamais écrits sur les migrants, Là où vont nos pères de Shaun Tan. Livre d’ailleurs non écrit, à proprement parler, seulement dessiné, puisqu’il est muet. Parce que quand on arrive, on se tait et on regarde. Je parle juste un peu, des coulées de boue. Houellebecq je le tais, je le garde pour le blog.

Je prends mes quartiers. Je suis chez moi, d’une certaine manière. Je suis tout excité. À demain.

  1. fred paronuzzi
    01/09/2011 à 21:20 | #1

    Cool ! Te souhaite plein de belles choses… j’attends la suite avec impatience, ne nous oublie pas ! bises

  2. 01/09/2011 à 22:57 | #2

    je te lirai dans le train Paris Nice demain. je pense à toi et des bises frangin

  3. 08/09/2011 à 21:31 | #3

    mais au fait, il l’a ou non la carte Dunnes sotre?!

  4. Vincent Karle
    21/09/2011 à 15:46 | #4

    Yo
    Je sors de ma réserve et tente de rattraper mon retard chronicotroyen-fondutiroiresque en commençant par ta dédicace à Cathy : merci pour elle, et heureux que ton trèfle s’acclimate – si tu voyais la tête du mien… (je lui tirerai le portrait 1 de ces 4, comme de juste).
    Sinon j’ai repris le boulot, ah c’est un peu vide sans toi ici…
    Travaille bien.
    Yo Man (comme ils disent dans The Wire – tiens on attaque la saison 4, merci encore)
    (ps : fais gaffe qu’il ne perde pas une feuille et ne devienne un trèfle à troyes feuilles – et hop, me voilà en lice pour la vanne la plus pourrie)

  1. Pas encore de trackbacks

*