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L’eschatologique est scatologique

La fin du monde ne manque pas de sel.

Le mois passé, à Troyes, alors que je faisais visiter l’expo Double tranchant à des collégiens, un môme a levé le doigt, saisi d’une révélation urgente à extérioriser : « Mais alors, m’sieur, votre livre, c’est sur la fin du monde, euh, je veux dire, sur la fin d’un monde » … Oui, oui, il avait raison. Son lapsus aussi.

Il y pense. Bien sûr, moi aussi j’y pense. La fin du monde est pour bientôt. J’ai beau savoir, ayant autrefois suivi un cursus universitaire sur le sujet, que « la fin du monde » n’est pas un agenda rationnel mais une vue de l’esprit, une Weltanschauung, une structure imaginaire nourrissant depuis la nuit des temps mythologies, religions, scénarios de cinéma, chansons d’amour ou blues, j’ai beau savoir que le terme permet de penser, je n’ai aucun doute, elle arrive.

Si l’on cherche les signes annonciateurs de la fin du monde, on les trouve, il n’y a qu’à se baisser. Par exemple, pas plus tard que ce matin, alors que j’avais employé deux fois le mots curiosité dans un paragraphe, j’ai interrogé la fonction Synonymes de mon traitement de texte (Word 2003, bientôt dix ans la version, c’est dire si les fins du monde se préparent à l’avance). Voici les suggestions de synonymes que j’ai obtenus pour curiosité : intérêt, gain, dividende, revenu, rapport, rente, annuité, commission, agio, escompte, arrérage, avantage, gratuité. La fin est proche, en vérité je vous le dit.

Sérieusement (?), je ne grossis point les rangs des illuminés obsessionnels complotistes vingt-deux-décembristes pullulants, qui escomptent que l’apocalypse adviendra le mois prochain au jour et à l’heure qu’on leur a indiqués, qui ajoutent à l’angoisse ambiante, non comme prophètes mais comme symptômes, parce qu’on les sent prêts ces cons à déclencher la fin eux-mêmes juste pour vérifier leurs prédictions auto-prédictives… Moi, la veille du 22 décembre je ne dormirai pas plus mal que les autres nuits, mais je suppose que cette clique folklorique sera quant à elle déçue, flouée, ma foi il lui restera à faire ce que font les témoins de Jéhovah depuis des lustres : une mise à jour, un ajournement perpétuel de « l’apocalypse que nous verrons de notre vivant », dès le 23 décembre ils annonceront que les calculs ont été refaits, que oups finalement les Mayas s’étaient gourés mais qu’en revanche on vient de révéler des documents mésopotamiens, zaïrois, aborigènes ou sri-lankais, très précis et très troublants, sur des événements fatals qui surviendront à brève échéance.

L’échéance est sans aucun doute rien moins que brève. Au mieux (au plus tard) : toute vie aura disparu sur terre d’ici trois milliards d’années, du fait de l’évaporation de l’atmosphère et des océans suite à l’augmentation de température de notre étoile nourricière, qui elle-même mourra en avalant tout le système solaire deux milliards d’années plus tard. Au pire (au plus tôt) : la voracité et l’inconscience des êtres humains, leur curiosité pour parler Microsoft, pourraient avoir précipité l’effondrement des écosystèmes planétaires dans un siècle, et ce n’est pas de la superstition mais du pessimisme raisonnable. Deux tiers, je dis bien deux tiers, des arbres de la planète sont menacés. Nous suivrons bientôt, c’est évident. N’importe, « bientôt » est une notion relative – un mois, un siècle, ou cinq milliards d’années, à l’échelle des galaxies tout ça c’est un peu la même chose, la terre disparaîtra et cela me fait de la peine parce que je l’aimais bien. Je suis un apocalyptique d’obédience non hystérique mais mélancolique, le-ténébreux-le-veuf-l’inconsolé, vivre dans un monde condamné me chagrine parce que la mort y est à l’oeuvre, lentement. L’eschatologie est scatologique parce que la fin du monde nous fait chier.

  1. f paronuzzi
    14/11/2012 à 22:14 | #1

    Moi, je trouve les chroniques de ce blog de plus en plus classes. Je le dis comme je le pense. C’est tout.

  2. Hamid
    15/11/2012 à 00:29 | #2

    Salut Fabrice,
    Ton article est fort intéressant, comme d’habitude, bravo !!! Juste un TRUC : la fin du monde selon les Mayas est prévu pour le 21 décembre et non pas le 22 ! Un jour plus tôt ! Alors, faut s’y préparer tout de même à cette fin du monde… Je suis sûr que tu vas écrire d’autres articles avant la fin du monde… Courage mon frère…

  3. Mehdi
    15/11/2012 à 01:39 | #3

    Le titre m’aura intrigué jusqu’au bout. Et puis … plouf !

    Quelques remarques :
    – Sous Word 2013, même punition (peut être pire, sauf si tu nous as épargné :  » indiscrétion,désir, ambition, appétence, … j’en passe et des meilleures).
    – Superbe détournement de l’étiquette du « sel fin de Guérande ». C’est bien vu !
    – La structure de cette phrase me ravi (d’un point de vu grammaticale) –>  » la terre disparaîtra et cela me fait de la peine parce que je l’aimais bien ».

  4. helseban
    19/11/2012 à 17:52 | #4

    la fin de notre monde le 21/12/12 ? ce n’est pas possible : on fete noel ensemble le 28 !!!
    eschatologique ? direction dico…

  5. Nadia ROMAN
    21/11/2012 à 16:06 | #5

    dis donc, c’est super tendance la fin d’un monde / fin du monde ; c’est ce qu’a dit Régis Debray en remettant le Goncourt à Jérôme Ferrari, la fin d’un monde n’est pas la fin du monde et ils faisaient ts les deux référence à St Augustin! mazette!!!
    sur le présent/passé j’en ai une aussi, racontée à la radio par je ne sais plus quel chanteur qui oeuvre avec des jeunes autistes. lors d’une visite en compagnie de Simone Veil un jeune lui a dit « je vous aimait bien ». tjs dans le thème!
    quant au 21122012 je ne crois pas que cette heure s’affiche sur mon four, donc ça ira et on se verra ensuite!!!
    comme il n’y avait rien à gagner je me suis précipitée par commander Lonesome George.
    et je t’embrasse

  6. Nadia ROMAN
    21/11/2012 à 16:07 | #6

    je ne crois pas que le jeune ait fait une faute d’orthographe en parlant à Simone Veil!!!

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