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Je nous revois assis, nous tous, les chefs d’Argos

10/06/2014 Aucun commentaire

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Certains n’en finissent pas de revenir de Troie, moi je n’arrête pas de retourner à Troyes. C’est que j’y ai laissé un cheval à double fond : l’exposition Double tranchant, conçue dans la lune.

Je serai à Troyes du 28 au 30 juin pour célébrer les 20 ans de la Résidence d’auteurs/illustrateurs. Outre que cela me vaut de collaborer fugitivement avec Nicolas Bianco-Levrin pour la réalisation d’une boîte-souvenir, plaisir qui vaudrait à lui seul le voyage, je suis heureux de défendre ladite expo qui hélas n’a jamais tourné, jamais été vue ailleurs qu’à Tinqueux ou à Troyes.

Rappel des épisodes précédents : je débarque à Troyes en septembre 2011, à l’invitation de l’association Lecture et loisirs. Je suis censé écrire ici un livre compliqué qui ne vient pas (qui viendra plus tard). En lieu et place vient un texte sur la beauté et la vanité du travail artisanal, profession de foi déguisée en tragédie, intitulé Double tranchant. Grâce à l’enthousiasme (et au talent) de JP Blanpain, le texte devient un magnifique livre ; grâce à l’enthousiasme (et au talent) de Mateja Bizjak-Petit et de son équipe, livre et texte deviennent une magnifique expo.

L’expo me permet de m’acquitter d’une sorte de dette : voyez, j’aurai accompli quelque chose, tout de même, à Troyes. Cependant cette chose qui revient de loin ne se dépare pas de son statut paradoxal, puisque sa légitimité « pour la jeunesse » loin d’être acquise, est déniée par certains experts. Je le regrette profondément, puisqu’à chaque fois que j’ai eu l’occasion de présenter Double tranchant dans un milieu scolaire, j’ai pu constater comment ce livre parle aux jeunes.

Il y a quelques mois, j’ai pu en discuter dans un lycée pro, auprès d’ados décrocheurs et précocément contraints de se trouver un métier, des mômes un peu largué mais très matures, au cursus douloureux mais qui comprennent que l’école est une chance, leur dernière peut-être, ils ont 16 ans. « Le narrateur de mon livre est un professionnel, qui a accompli toute sa vie certains gestes, de plus en plus assurés. Ces gestes à la fois révèlent son savoir-faire, racontent toute sa vie, et le conduisent à réfléchir au sens de son métier. Je crois qu’aucun métier, aucun travail, n’échappe à ces réflexions. Par exemple, lorsque j’écris un livre, je réfléchis à mes outils, les mots, et au sens que je leur trouve, au sens que je leur donne, au sens qui parviendra jusqu’au lecteur. Et vous ? À quoi vous destinez-vous, individuellement ? »

Tour de table… Un chauffagiste, un couvreur, une vendeuse, une puéricultrice… « Bien. Vous ne pouvez pas faire l’économie de ces questions. Qu’est-ce que cela veut dire, psychologiquement, historiquement, sociologiquement, symboliquement… Apporter la chaleur aux hommes ? Leur donner un toit ? Leur fournir une marchandise ? S’occuper de leurs enfants ? Pourquoi ce métier plutôt qu’un autre ? Et ne serait-ce que cec partage : quels métiers pour les filles et quels pour les garçons ?  » Les échanges qui ont suivi étaient passionnants.

Plus récemment, c’est dans une classe de CM2 que je proposais un petit atelier d’écriture sur le thème du « Double tranchant », vous avez compris les enfants ? Pensez à une chose qu’à la fois vous aimez et n’aimez pas, un lieu, une activité, une personne, qui est bien et pas bien… Et racontez pourquoi. Comme toujours dans ce contexte, les résultats sont convenus dans leur majorité (les élèves découvrant l’ambivalence des émotions, parleront volontiers de l’école, de leur petit frère, de leur meilleure copine…), mais lorsque on ne s’y attend plus, on tombe sur un OVNI, un enfant qui écrit une phrase hallucinante, inédite et fulgurante. Une petite fille m’a écrit : « J’aime les chiffres, parce qu’ils sont beaux. Mais je n’aime pas les chiffres, parce qu’ils ne s’arrêtent jamais. » Oh, bon Dieu ! J’étais tombé sur une authentique vraie-de-vraie mathématicienne de 10 ans ! Bouleversée simultanément par la beauté de l’abstraction numérique, et par le vertige de l’infini pascalien !

Bref il y a moyen, il y aurait moyen, il y aura moyen. Le voyage continue, l’éternel retour à Troyes.

La putain de ta race

09/06/2014 4 commentaires

Sans titre-1

Le débat politique de la semaine : Le Pen senior lâche, débonnaire, une de ses vannes dégueulasses, racistes, antisémites ; Le Pen junior répond c’est pas bien allons papa c’est une faute politique, c’est pas avec tes conneries que je deviendrai Présidente ; Le Pen daron réplique Faute politique toi-même petite merdeuse, je vais te réexpliquer les fondamentaux du Parti, il n’y a pas si longtemps je te flanquais des fessées pour t’apprendre à respecter ton père. Le sketch a l’air écrit d’avance.

Résumé : l’attaque, c’est le FN. La défense, c’est le FN. Deux jours de suite dans les journaux. Question et réponse, alpha et oméga, thèse et antithèse, majorité et opposition. Et le plus fort c’est que ça nous occupe et qu’on éditorialise à qui mieux mieux. Toute la politique désormais, dans les médias, dans les pensées, est occupée par le FN. En face : rien. Droite et gauche ont mieux à faire, aussi empêtrées l’une que l’autre dans leurs affaires et mensonges. Le FN seul dans la place orchestre le débat, sa question du jour est LA question du jour : faut-il ou ne faut-il pas assumer les positions archéo-facho qui ont fait la première gloire du Parti ? Une blague pateline antiyoupin va-t-elle nous faire perdre ou gagner trois voix ce week-end ? Le public en serait-il encore à s’offusquer, ou bien est-il déjà prêt à l’entendre en pouffant, comme une parole libérée, iconoclaste, anti-système, anti-pensée unique, anti-tout ce qui est supposé entraver le bonheur de M. Français-Moyen ?

(Ici : une interview croisée d’Hervé Le Bras et Riad Sattouf, qui notamment rappelle que l’électeur FN n’est pas un fasciste, mais un Français moyen frustré – donc un Français moyen tout court. Sattouf dixit : « Je regarde souvent, sur NRJ12, l’émission Tellement vrai. C’est une sorte de reportage dans la France profonde sur des gens qui se heurtent à un problème existentiel – par exemple le type très moche amoureux de sa coiffeuse et qui veut lui déclarer son amour. Cette émission de divertissement propose en fait une galerie de portraits en théorie ­représentatifs de la société française, et de toute évidence dans une situation de pauvreté, économique et psycho-­sociale, ahurissante. Plutôt que Superdupont, c’est à travers ces personnages que je représenterais aujourd’hui l’électeur du FN. Ni racistes ni forts en gueule, simplement écrasés par le destin. »)

Dans ce paysage républicain redessiné par la crise financière et mentale, le racisme a cessé d’être un tabou, pour redevenir, comme dans les années 30, une « idée politique » (les guillemets n’ont pas l’air ici assez épais pour encadrer une telle énormité). Et, moi qui étais prompt autrefois à moquer le politiquement correct, maintenant qu’il est à l’agonie, je change mon fusil d’épaule : à tout prendre, le politiquement correct valait mieux que le politiquement incorrect. Mieux vaut, mille fois, lire un poème antiraciste de Mahmoud Darwich, médaillé de l’ordre du mérite des arts et lettres, mieux vaut lire et réciter Tous les cœurs d’hommes sont ma nationalité, que de s’exposer aux poisons de Dieudonné ou Soral, ordures qui passent pour des rebelles, des subversifs cool, presque des Anonymous. Je suis plus inquiet de jour en jour.

Passeport

Ils ne m’ont pas connu dans les ombres qui
Absorbent mon teint sur le passeport
Ils exposaient ma déchirure aux touristes
Collectionneurs de cartes postales
Ils ne m’ont pas connu… Ne laisse donc pas
Ma paume sans soleil
Car les arbres
Me connaissent
Toutes les chansons de la pluie me connaissent
Ne me laisse pas aussi pâle que la lune

Tous les oiseaux qui ont poursuivi
Ma paume à l’entrée de l’aéroport
Tous les champs de blé
Toutes les prisons
Toutes les tombes blanches
Toutes les frontières
Toutes les mains qui s’agitent pour l’adieu
Tous les yeux
M’accompagnaient, mais
Ils les ont retirés de mon passeport

Peuvent-ils me dépouiller du nom, de l’appartenance
Dans une glèbe que j’ai élevée de mes propres mains ?
Jonas a rempli aujourd’hui le ciel de son cri :
Ne faites pas encore de moi un expemple !

Messieurs, messieurs les prophètes
Ne demandez pas leur nom aux arbres
Ne demandez pas aux vallées leur génitrice
La glaive de lumière se détache de mon front
Et de mes mains jaillit l’eau du fleuve
Tous les cœurs d’hommes sont ma nationalité
Voilà, je vous laisse mon passeport !

Mahmoud Darwich
Traduction : Abdellatif Laâbi

Une Nation en exil.
(barzakh) Actes Sud. Mars 2010

Saison des scamours

01/06/2014 Aucun commentaire

spam

Vive le printemps ! Vive l’amour et le désœuvrement ! Vive le spam !

J’aime passionnément les spams, et les scams plus encore. Je me rends compte que chaque printemps, sans que cela soit prémédité, je lis plus consciencieusement les spams que je reçois, j’en écris parfois, je les compile, je leur réponds, ils me fascinent, j’y vois une forme littéraire déviante et dégénérée, je suis certainement un peu pervers. Cf. les épisodes précédents, ici, ici, ici, ou , etc.

L’an dernier, j’ai reçu un mail signé Alexia Delmas, arnaque « 419 » caractérisée, prisonnière espagnole en plein Togo. Je m’y suis engouffré. J’ai joyeusement surenchéri dans le pipeau, le mélo et le pathos, et mon dialogue avec « Alexia » est devenu un jeu en ligne, un atelier d’écriture romanesque à deux voix. Amusons-nous avec les bandits.

Top départ.

Bonjour
Comment allez vous ? J’espère que bien . Je me prénomme Alexia , j’ai vu votre adresse email dans mes courriers .
Je vous écris ce mail afin de savoir qui êtes vous ?
Je joins ma photo pour que vous puissiez mettre un visage sur ce mail et aussi j’espère que vous en ferais de même.
Agréable journée à vous
Cordialement
Alexia

Bonjour Alexia
Votre message est une surprise, mais je suis toujours prêt à me faire de nouveaux amis !
Où habitez-vous ?
Vous êtes très jolie.
[Là, je fourgue une photo dégotée au pif sur le web : le portrait d’un sexagénaire bedonnant, barbichu à lunettes, qui sourit gentiment.]
Ci-joint une photo de moi. Vous voyez, je suis beaucoup plus vieux !
Raoul

Rebonjour Raoul,
Enchantée de faire connaissance, merci pour votre photo . C’est gentil votre compliment sur ma beauté .
Oui , moi aussi je veux faire de nouvelles connaissances et j’espère avoir un bon ami .
La différence d’âge ne me pose pas de problème pour liée une amitiée .
J’ai 36 ans , je vis à Orléans dans le centre (45) et en déplacement au Togo voir ma tante.
Je suis séparée de mon concubin depuis 7 mois et je n’ai pas d’enfants .
Je suis commerçante, vendeuse dans une boutique de vêtements prêt à porter féminin à Orléans dans le Centre ville .
En attente de vous lire,
Alexia

Merci beaucoup Alexia pour votre second message que j’attendais fébrilement !
Je suis soulagé ! J’avais très peur que, après avoir vu mon visage, vous n’ayez pas envie de poursuivre la conversation avec un « vieux shnock » !
J’aurais pu me faire passer pour un jeune homme séduisant et vous adresser la photo de quelqu’un d’autre…. Mais j’ai préféré ne pas vous mentir. Il y a tellement de menteurs sur Internet et je déteste cela. Si nous devons nous lier, j’espère que nous serons toujours sincères l’un envers l’autre, la sincérité est la qualité que je préfère.
Ainsi vous êtes commerçante ? Quelle coïncidence, moi aussi. Du moins, je l’étais jusqu’à ce qu’un petit problème de santé ne m’empêche de travailler. Depuis je reste chez moi et je passe beaucoup de temps sur Internet pour chasser l’ennui… Peut-être que vous faites de même en ce moment au Togo ?
Bien à vous,
Raoul

Merci également pour votre réponse rapide suite à mon second message .
Sachez que dès que j’ai vu votre visage , j’ai toute de suite lu une grande sincérité sur votre visage .
Car comme vous l’avez si bien , il y a tellement de menteurs de nos jours qui cherchent à se cacher derrière des photos de personnes plutôt jeunes .
Vraiment j’apprécie votre grande sincérité et j’en suis énormément touchée . Pour moi , une relation amicale ou amoureuse doit être basée sur la sincérité qui est gage d’une relation durable . C’est l’une de mes plus belles qualités , j’ai toujours été sincère dans la vie .
Je suis désolée pour mauvaise santé , sinon quel métier avez vous exercer ? êtes vous mariez ? Si oui depuis combien de temps ? Avez vous des enfants ? Si ou vivent-ils avec vous ? Quel âge avez vous exactement ?
Moi je suis aux côtés de ma tante ici au Togo, elle vit depuis quelques années ici . Comme elle a des soucis de santé alors je suis venue lui tenir compagnie et prendre soins d’elle . Elle compte énormément pour moi et je tenais à être présente à ses côtés .
Dans l’attente de vous lire,
Alexia

Chère Alexia
Avant tout une question me turlupine. Par quel miracle sommes-nous entrés en contact ? Je ne connais personne au Togo, et presque personne à Orléans ! (J’ai connu autrefois un certain Edgar Morin qui a beaucoup travaillé avec des jeunes filles qui, comme vous, apparaissaient et disparaissaient dans des boutiques d’Orléans ! C’était il y a longtemps, vous n’étiez pas née !)
Votre nom de famille ne m’est pas inconnu… Puisque vous dites que vous avez trouvé par hasard mon adresse dans votre messagerie, peut-être ce hasard est-il dû à un interlocuteur commun ? J’ai été très ami avec un certain Jean-Luc Delmas. Etait-il de votre famille ? J’ai eu beaucoup de peine quand il est mort. Pourtant je ne crois pas qu’il m’ait jamais parlé de vous…
J’ai 59 ans. J’ai été marié mais ma femme est partie il y a longtemps. J’ai un fils, qui a à peu près votre âge, mais hélas nous ne nous voyons plus. C’est bien triste, une famille qui se brouille ! Et c’est pourquoi j’admire votre dévouement envers votre tante.
Parlez-moi de vous, à présent ! Racontez-moi votre vie, vos goûts…
Je me sens déjà attaché à vous, surtout en mémoire de ce pauvre Jean-Luc.
Bien amicalement,
Raoul

Bonsoir Raoul,
Moi aussi je me pose la question, j’ai reçu votre adresse email dans mes courriers indésirables(spams) .Alors je me suis dis pourquoi pas vous écrire histoire de savoir à qui j’ai affaire .
J’ai un oncle qui s’appellait Jean-Luc Delmas decedé il y a plusieurs anées, le petit frère à mon père . Une coïncidence de prénom et de nom . Peut être que vous l’avez aussi connu, peut être lui qui était votre ami .
J’ai perdu mon papa quand j’avais l’âge de 6 ans et ma mère en 2008 d’une diabète.Cela a été si difficile pour moi.
Je suis vraiment désolée pour ta femme et ton fils . La famille compte énormément pour moi , elle a toujours été la pour moi quand j’avais besoin d’elle et m’a toujours soutenue … Ma patronne n’a pas été d’accord avec le faite que je vienne ici car la boutique avait besoin de moi . Je lui ai expliqué que l’état de santé de ma tante est aussi très importante pour moi et passe avant tout .
Je suis une personne sincère, sérieuse,fidèle , très attentionée à mes proches . J’aime l’honnêteté, la franchise, le respect . Je déteste le mensonge, l’hypocrisie, la malhonnêteté et les personnes vulgaires .
Je suis très ouverte d’esprit et généreuse. Je me suis toujours battue dans la vie pour aller de l’avant . Mais la vie est encore plus meilleure lorsqu’on est deux et quand on n’a près de sois une personne avec qui tout partager. C’est mon souhait , de rencontrer une personne qui sera un ami ou plus, un amant pour ensemble passé de très bons moments à deux .
Nous pouvons nous tutoyer si cela ne vous gêne pas bien sûr .
Sur ces mots je vous souhaite une agréable nuit, j’espère très vite vous lire.
J’aimerais savoir si tu travailais dans les vignes ? Car ton adresse email est composé de fvigne …
Aussi n’oubliez pas de me parlez un peu plus de vous, vos souhaits, votre vie, vos goûts ?
Bisous
Alexia

Bonjour Alexia
Oui, tutoyons-nous, volontiers, avec plaisir !
Ce matin en me réveillant j’ai allumé l’ordinateur tout excité, me demandant « Alexia m’a-t-elle répondu ? » Grâce à toi, j’ai à nouveau quelque chose à attendre dans ma vie très solitaire !
La vie réserve de merveilleuses surprises… Ainsi, tu es de la famille de mon cher ami Jean-Luc ? Il ne m’avait jamais dit qu’il avait un grand frère, mort depuis si longtemps… (Comment s’appelait ton père et de quoi est-il mort ?) En revanche, il m’avait parlé quelquefois de sa soeur Suzanne. S’agit-il de la tante dont tu t’occupes actuellement au Togo ? Comment s’est-elle retrouvée dans ce pays ?
Non, je ne travaillais pas directement dans les vignes ! Mon adresse mail, « fvigne », est un souvenir de ma vie professionnelle : comme je te l’ai dit, avant mon accident et ma retraite forcée, j’étais courtier en vins, pour une compagnie nommée « Feuille de vigne ». [Ouf, échappée belle, j’étais à deux doigts de me faire démasquer. Curieusement, Alexia s’interroge sur mon adresse mail fvigne mais pas sur le nom de domaine fonddutiroir.com. qui a peu à voir avec le négoce en vins.] J’ai conservé l’adresse que j’avais du temps où j’exerçais, parce que j’espérais que les personnes avec qui j’étais lié à l’époque reprendraient contact avec moi… Hélas, ce n’est pas arrivé, il ne faut pas confondre les clients avec les amis ! Ce n’est pas le même genre de « fidélité » ! La seule exception, justement, était mon cher Jean-Luc. Je l’ai rencontré en tant que client, mais très vite nous sommes devenus intimes. Il était si chaleureux, si drôle, si amoureux de la vie, si friand de bonnes bouteilles ! Son suicide nous a tous pris par surprise, j’en ai été effondré, je n’ai jamais compris son geste…
Mais j’y pense… Je m’étais rendu à son enterrement. Peut-être que toi aussi ? Peut-être que toi et moi nous sommes croisés ce jour-là, sans nous connaître ? C’était le destin !
A quoi passes-tu tes journées dans ce pays étranger, une fois que tu t’es acquittée de tes obligations auprès de ta tante ? J’aimerais que tu me parles de Jean-Luc : quels souvenirs as-tu conservés de ton oncle, qui nous manque si cruellement ? Pourrais-tu m’envoyer d’autres photos de toi ?
Je t’embrasse tendrement, heureux d’avoir trouvé une interlocutrice aussi charmante.
Raoul

Bonsoir Raoul,
Je suis très heureuse de te lire , je viens à peine de te lire . Désolée de te répondre maintenant j’étais sortis faire des courses tôt pour tante puis l’après midi je suis allée faire une petite ballade .Comment vas tu ? Qu’as tu fais de beau de ta journée ? Je suis contente de savoir que la première des choses que tu as fais dès ton réveil c’était de regarder ta messagerie et me lire .
Je suis vraiment touchée de savoir qu’avec moi tu as à de nouveau quelque chose à attendre de ta vie solitaire. Aussi, que je te donne à nouveau des envies de partager la vie, des moments à deux . Oui, la vie nous réserve parfois des surprises et il faut toujours avoir un petit peu d’espoir . J’imagine que tu en as marre de cette solitude , tu as envie de rencontré une personne avec qui partager ton quotidien n’est ce pas ?
Pour répondre à tes questions, mon père se nommait Henry Delmas . Je pense que c’est une coïncidence , je ne fais pas partie de la famille de ton ami Jean-Luc . Puisque ma tante se nomme Judith et non Suzanne .
Je vois que tu avais de très bonnes relations avec ton ami Jean-Luc et que vous étiez si proche . Aussi, qu’il était une personne vraiment sympa mais il a eu une mauvaise fin cela m’a vraiment attristé même sans le connaître.
Après m’être acquittée des obligations au près de tante , j’écoute la musique . Je lis mon roman, je regarde la TV et je me repose pour prendre de l’air couché dans le canapé . J’aime aussi aussi faire marcher, me ballader pour prendre de l’air . Nous nous trouvons près de la mer donc j’y vais pour me changer les idées . C’est la première fois que je mets les pieds ici . Je découvre le pays et les gens ici sont accueillants .
Et toi qu’aimes tu faire lors de tes temps libres ? Tes désirs ? Souhaits ? Aussi tu recherches quel type de compagne ou comment voudrais tu qu’elle soit ? Comment te nommes tu ? Tu penses refaire ta vie un jour ?
Je t’embrasse , je te souhaite une bonne nuit et beaux rêves .
P.S: Je suis aussi contente d’avoir un interlocuteur avec qui échangé car ici je m’ennuie parfois .
Je t’enverrais des photos de moi .
Bisous
Alexia

Chère Alexia
Quel dommage que finalement tu ne sois pas de la famille de Jean-Luc ! Je comprends, j’avais imaginé cette coïncidence afin de nous connecter par un lien fort… Hélas tout n’est qu’illusion et fantasmes, sur Internet. A présent ce lien disparaît et le mystère de notre rencontre reste entier ! Quelle providence a glissé mon adresse dans ta messagerie ?
Au fond, ce n’est pas important. L’essentiel n’est pas dans le passé, mais dans le lien qu’il nous reste à bâtir dans l’avenir !
Merci pour ces nouvelles photos, tu es décidément très jolie. Peut-être que lorsque tu seras revenue en France, nous trouverons l’occasion de nous rencontrer en chair et en os. Après tout je n’habite pas si loin d’Orléans, je vis près de Carcassonne.
Mais ton message me trouble. J’essaie de le lire entre les lignes. Essaies-tu de me faire comprendre qu’il pourrait y avoir entre nous davantage que cette amitié naissante ? Me laisses-tu entrevoir la possibilité d’un amour, d’une vie commune ? (Toutes mes excuses si j’ai mal interprété ton message et si ce que je viens de t’écrire t’offense !)
Mais voyons Alexia il faut être raisonnable ! Notre amour est impossible, je suis trop vieux pour toi ! Tu as l’âge de ma nièce Jessica ! Je te trouve belle et désirable, mais toi qui es à la fleur de l’âge et dois rendre fous bien des garçons, que ferais-tu d’un homme vieillissant qui peut à peine marcher ? Qu’on puisse encore me désirer ce serait extraordinaire, et pour tout dire inespéré ! (Pourtant je ne suis pas un gorille.)
Pour répondre à ta question : mon nom est Raoul Deboisat. (T’imagines-tu en Alexia Deboisat ?)
Depuis ton dernier message, je me surprends à rêver en contemplant mon globe terrestre. Je touche du bout du doigt le petit Togo pointu, il est vert sur mon globe, comme tes yeux, et cela me fait un drôle d’effet dans le bas-ventre. Je fais tourner doucement le globe, je le caresse, et j’imagine d’autres lignes et d’autres courbes.
Je suis un vieux fou, n’est-ce pas ?
Bisous, comme disent les jeunes !
Raoul

Pas de réponse. Zut, j’ai dû en faire un peu trop, peut-être Carcassonne tout prêt d’Orléans, allez savoir, le jeu est tout de même subtil, l’adversaire m’a poussé à la faute, et voilà, game over, sur le moment je me dis que j’ai perdu. Ce n’est pas très grave, les occasions de lancer une nouvelle partie ne manquent pas. Mais tout de même, ce roman-ci était prometteur, je trouve dommage de l’avorter. Je relance.

Chère Alexia,
Deux jours sans nouvelles de toi ! Ai-je dit quelque chose qui t’a déplu ? Je n’aurais peut-être pas dû aborder certaines questions, mes excuses, je sais que tu est une fille sensible…

La réponse arrive 15 jours plus tard.

Bonsoir Raoul,
Je te réponds maintenant car j’étais très préoccupée ses derniers jours par l’état de santé de ma tante .
Je vais répondre à ton mail du 14/06 . Je comprends que le faite que je ne sois pas de la famille de ton ami Jean-Luc t’a un peu déçu . Moi non je ne sais comment ton mail s’est retrouvé dans ma messagerie …Sache que tu ne m’as en aucun cas offensé avec ton précédent message .
Oui , je suis d’accord avec toi l’essentiel ce n’est pas dans le passé mais plutôt d’essayer de construire quelque dans l’avenir .
Carcassonne c’est pas loin et je pense que nous pourrions organiser une rencontre dès que possible .
Comme je t’ai expliqué , je recherche d’abord une belle amitié basée sur la sincérité, la complicité et le partage et pourquoi pas l’amour .
Mais je ne souhaiterais pas précipiter les choses, ni brûlé les étapes je veux prendre tout mon temps pour faire le bon choix .
Pour moi , ce n’est pas un hasard si nous sommes rencontrés par la messagerie mais je crois au destin et qui sait peut être le début d’une belle amitiée .
Concernant la différence d’âge, cela ne me pose pas du tout de problème d’être avec un homme plus âgé . Pour moi tu as un peu plus d’expérience de la vie, plus de maturité , tu sais comment prendre soins d’une femme et la combler .
Bien sûr , je pourrais trouver un homme plus jeune dans la même tranche d’âge que moi mais pour l’instant je n’en ai pas et je laisse le destin me guider je demande juste à être heureuse et combler. Donc on ne sait jamais peut être Alexia Deboisat un jour .
Tu n’es pas un vieux fou mais plutôt , quelqu’un qui a envie de croire à une nouvelle chance dans la vie et finir le restant de ses jours avec une compagne à ses côtés pour ensemble profiter de la vie .
J’espère que je ne t’ai pas fais trop attendre , comme je t’ai expliqué tante ne se portait pas bien donc j’étais à ses côtés .
Je t’embrasse et te donne une douce nuit,
Alexia

Chic ! Aussitôt j’en remets une couche.

Chère Alexia
Merci beaucoup pour ton message, que je n’espérais plus. J’avais conclu de ton silence que tu t’étais lassée de moi et cela me faisait de la peine.
Je pense souvent à toi. Comme souvent le dimanche, j’ai passé la journée d’hier avec ma nièce Jessica, la seule personne de ma famille que je vois régulièrement, mon esprit s’envolait vers toi. Je crois que vous avez des points communs.
En regardant et en écoutant Jessica, j’imaginais que je t’écoutais et que je te voyais. Jessica est dévouée, elle prend soin de moi, me promène en poussant mon fauteuil sans jamais se plaindre, de la même façon que tu t’occupes de ta tante !
Rien n’est plus beau que ce désintéressement. Vous avez toutes les deux une belle âme, vous êtes deux anges et je vous aime.
Tes gentilles paroles me laissent espérer une nouvelle histoire d’amour… A mon âge, et malgré ma condition d’handicapé, j’ai beau être diminué physiquement, je veux croire que j’ai tout ce qu’il faut pour satisfaire une jeune fille : ma pension d’invalidité, ma retraite, mon plan d’épargne logement, et une assurance vie.
Quand rentres-tu en France ?
Quelle est exactement la maladie de ta tante ? Peut-être trouverait-elle en France des médecins spécialisés qui réussiraient à la soigner là où les médecins du Togo ont échoué ?
Pourquoi ne rentrez-vous pas toutes les deux en France ? Nous pourrions alors envisager de nous rencontrer tous les quatre, ta tante et toi, Jessica et moi, un beau dimanche, ce serait gai.
Bonne journée
Raoul

Bonsoir mon très cher Raoul ,
Je suis très heureuse de te lire ,je vais bien et ma journée a été . Le matin , courses et pharmacie acheté des médicaments de tante puis restaurant commander une pizza pour le dîner de ce soir . Au dessert un jus de fruit d’orange …
Je suis profondément touchée par le faite de savoir que tu penses à moi et que je prends un peu plus de place dans ta vie .Moi aussi je pense souvent à toi crois moi et je suis sincère quand je te dis cela .
Jessica c’est une personne vraiment magnifique , gentil , affectueuse vu tout ce qu’elle fait pour son oncle . Elle prend soins de toi, elle ne t’a pas délaissé comme l’ont fais certaines personnes malgré ton handicap . Et je serais vraiment ravie de faire sa connaissance une fois en France .Oui, tu as raison nous avons des points en commun à te lire je crois que je lui ressemble .
Je crois qu’il ne faut pas regarder ton aspect physique et ton handicap plutôt ton cœur, ta personne , l’amour que tu peux donner autour de toi, l’amour que tu peux donner à nouveau donner , profiter les nouvelles opportunités qui s’offre à toi pour être heureux . Connaître à nouveau le sentiment d’être aimer et aimer . Tout être humain mérite cette chance là dans la vie quelque soit ce qu’on est( même les handicapés) …
J’ai juste besoin de complicité , d’une personne avec qui partager mes passions, profiter de la vie, pour rire à nouveau, se raconter des blagues, regarder un bon film ensemble, sortir u ciné, resto , se balader ensemble lorsque fait beau temps tu vois tout ses moments de complicité me manque et seulement eux qui réussiront à me rendre heureuse et me combler c’est tout ce que je demande, de l’attention, l’écoute .
Je pense rentrer le plus tôt lorsque tante ira mieux, cela dépend de sa santé … J’ai essayé de la convaincre mais en vain , pour toi et ce que tu m’as dis tout les quatre pou un dimanche gai , je crois que je vais ressayer de la convaincre encore en espérant y arriver car elle est si attachée ici , à la culture de ce pays et elle s’y sent si bien qu’elle m’a dit qu’elle aimerais passer le restant de ses jours ici . Tante Judith est tout pour moi et je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’elle puisse recevoir les soins appropriés. Elle souffre d’une endocardite infectieuse , une maladie de cœur chez les vielles personnes car elle est âgée de 75 ans … j’imagine déjà tout les quatre ça sera vraiment beau je crois que nous formerons une famille ensemble .J’ai vraiment hâte de te rencontrer et de passé de très bons moments avec toi .
Bonne nuit à toi, je t’embrasse tendrement
Alexia

Cette fois c’est moi qui fais le mort quelques jours. « Elle » me renvoie le même message depuis une autre adresse. Alors je réponds. 

Bonjour Alexia
J’ai bien reçu tes deux messages, de tes deux adresses. Si je n’ai pas répondu la première fois, c’est que je suis très troublé, je ne te le cacherai pas. J’ai parlé de toi au téléphone avec Jessica. Je lui ai dit la joie que j’éprouvais en imaginant qu’un jour toi et moi puissions nous rencontrer… Mais Jessica m’a dit d’un ton cassant : « Arrête tout de suite ce dialogue ! Tu n’as pas compris que c’est un escroc ? »
Je ne sais plus quoi penser… Le monde est si plein de gens malhonnêtes que Jessica s’est endurcie. A moins qu’elle ne soit simplement jalouse et qu’elle aimerait garder pour elle mon héritage ?
Un escroc ? Tu n’as pourtant pas l’air d’un escroc sur les photos. Tu as l’air d’un ange.
Je doute très fort.
Raoul.

Bonjour Raoul,

A vrai dire , je ne m’attendais pas à une telle réponse de ta part …
Sache que je te comprends, je vois à quel point tu t’es attaché à moi et cela été difficile pour toi de me répondre. Jessica est ta nièce et c’est normal elle essaie de te protéger et te prévenir des dangers sur le net comme elle peut . Si j’étais à sa place eh bien j’aurais fais la même chose car j’ai toujours voulu les personnes que j’aime mais avant de traiter une personne d’escroc ou quoi j’aurais cherché à connaître cette personne , avant de blesser ou traiter cette personne de la sorte sans même la connaître .
Je ne suis pas ce genre de personne qu’elle essaie de te faire croire, franchement je n’ai jamais su comment j’ai eu ton adresse email . Dès mon premier mail je t’ai moi même posé cette question .
Lorsque tu as répondu mais dès ton premier mail , j’ai sentis déjà que tu étais attiré par moi . Etant seul moi aussi j’avais bien envie d’avoir un ami, un confident, un amant, une personne avec qui partager mon quotidien, mes désirs, ma vie et mes loisirs . Je me suis dis malgré l’âge pourquoi pas essayer de créer une amitié avec toi car tu avais tellement l’air d’une personne sympa , seul et qui avait beaucoup d’amour à offrir de nouveau s’il en avait la possibilité .
Tu sais je ne saurais faire du mal même à une mouche, j’ai reçu une très bonne éducation de mes parents même si j’ai perdu papa très tôt mais maman a toujours pris soins de moi et tante aussi.
Je te laisse réfléchir et peu importe ta décision j’accepterais ton choix si tu ne décides plus converser avec moi . Mais sache que cela a été un plaisir d’échanger avec toi et cela aurait été encore plus formidable si on se rencontrais . Moi qui avais déjà imaginé une rencontre tout les quatre lorsque tu m’en as parlé . Si tu décides de me reparler encore cela serais avec plaisir car j’aimais bien nos échanges qui nous rapprochais un peu plus !
Bonne soirée à toi et à bientôt j’espère !
Bisous
Alexia

 Oh mon Dieu quelle tempête sous mon crâne !
Le doute m’habite et je ne dors plus depuis deux nuits !
A quel saint me vouer ?
D’un côté Jessica se moque de moi, « Tonton tu crois au père noël, une belle histoire d’amour tombée du ciel sur Internet, c’est forcément un piège ». D’un autre côté je sens tant de sincérité, de générosité et de clairvoyance dans ce que tu m’écris : « tu avais tellement l’air d’une personne sympa ,seul et qui avait beaucoup d’amour à offrir de nouveau s’il en avait la possibilité », tu es si bonne psychologue, tu lis dans mon coeur comme dans un livre ouvert…
Peut-être que Jessica est trop cynique, qu’elle-même a été marquée par de mauvaises expériences sur Internet, qu’elle est tombée sur des hommes déguisés en femme (cela arrive) et que cela a durci son coeur ? Mais je suis obligé de tenir compte de son avis : à part Internet (et toi, désormais), elle est la seule chose qui me rattache au monde.
J’aurais tellement aimé qu’elle et toi soyez amies ! Hélas il faut accepter la réalité. Comme je dis toujours,  il ne faut pas seulement supporter ce qui est nécessaire, et encore moins se le cacher – tout idéalisme est le mensonge devant la nécessité -, il faut aussi l’aimer.

Et ce dernier message, je ne le signe pas. Alexia répond immédiatement.

Bonsoir Raoul ,
Merci de m’avoir répondu , je me porte bien et tante mieux aujourd’hui .
J’aimerais que tu écoutes ton cœur , que tu prennes une décision comme je t’ai expliqué je respecterais ton choix . Je ne voudrais pas m’immiscer entre vous , je ne souhaiterais pas qu’à cause de moi tu te fâche contre Jessica .
J’ai toujours été sincère et honnête avec toi , je ne suis pas une profiteuse, ni une personne qui essaie de te faire rêver .
Tu es un adulte et tu dois savoir prendre certaines décisions .
Pour te prouver que je suis sincère avec toi et que je suis un ange comme tu le dis .
Voici mon compte Skype: alexiadelmas , on pourra se voir tout les deux en vidéos et tu lires la sincérité que je dégage dans mes yeux .
Je te souhaite une bonne nuit,
Bisous
Alexia

Je laisse mariner une dizaine de jours. Elle revient à la charge.

Bonjour Raoul ,
Comment vas tu ? J’espère que bien . Je suis inquiète depuis quelques jours …
Ne me dis pas que ce n’est pas Jessica qui t’a lavé le cerveau pour que tu ne me parles plus ?
Que t’ai-je fais de mal dit moi ? Vouloir être ton amie c’est aussi un piège ?
Tu ne crois pas que tu mérites toi aussi d’être heureux pour le restant de tes jours ?
Tu ne crois pas que tu as toi aussi besoin d’une compagne à tes côtés pour tes derniers jours heureux ?
Maintenant je crois vraiment à ce que tu m’avais dis sur elle, elle ne veut que ton héritage .
Si tu ne veux plus me parler j’aurais préféré que tu sois franc et sincère avec moi en me le disant .
Ce n’est vraiment pas gentil de ta part de me laisser sans nouvelles de toi moi qui commençais sincèrement à m’attaché à toi .
Tu n’es plus un gamin pour te laisser manipuler par cette dernière même si c’est ta cousine et que s’est elle qui s’occupe de toi .
Tu dois savoir faire de bons choisir, choisir ce qui est bon pour toi et pour ton bonheur .
Elle a son Chéri et tant dis que toi tu es seul , malgré qu’elle prend soins de toi mais avoue qu’il manque la présence féminine d’une femme à tes côtés et dans ta vie .
Aussi juste te dire que si tu aimerais me voir et être sûr que c’est bien moi sur mes photos .Alors crée toi un compte Skype , voici le lien pour le téléchargement : http://www.skype.com/fr/ C’est facile et rapide il suffit de cliquer sur le lien .
On pourra se voir en vidéos et se parler instantanément .
Je suis toujours en attente de tes nouvelles,
Je pense fort à toi
Alexia

Changement de tactique. Je réponds ceci :

Madame (ou meussieur déguiser en madame!!!)
Je vous prit de cessé d’omportunet mon oncle Raoul. Les faus espoire que vous avai êveyé en lui lui ons fait beaucout de male. Il n’a plus toute sa tette depuit qu’il vous écris. Et meme à vent.
Cordiale Ment
Jessica DeBoisat

Deux mois passent. J’imagine que l’affaire est close, mais non.

Bonsoir Raul ,
Comment vas tu ? J’espère que u vas bien et ta santé s’est beaucoup amélioré …
Juste te dire que je pense à toi souvent et j’aurais aimé continué à te parler pour aboutir à une belle rencontre .
En espérant te lire,
Alexia

Cette fois je réponds en deux temps. D’abord ceci :

Madame
(ou meussieur qui se masqué derrière un non de fille)
Je vous est déjà demander de ne plus omportuner mon oncle!!! Heureusemens que je veilles sur sa messagerie pour intercepté ses mails! Laisser le tranquille ou je prévient la police pour arcélement.
Cordiale ment
Jessica DeBoisat

… et une semaine plus tard, cela :

Chère Alexia
J’ai été bouleversé un soir de la semaine dernière, quand pendant le repas ma nièce Jessica m’a appris que tu m’avais écrit un nouveau mail ! Oh comme je suis content que tu ne m’aies pas oublié et que tu penses encore à moi et à ma pauvre santé !
Jessica s’est installée chez moi, soit-disant pour prendre soin de moi, mais en réalité depuis qu’elle est ici je ne me sens plus libre. Elle est gentille mais se comporte en gardien de prison. J’espère que tu n’agis pas de même avec ta propre tante.
Jessica a ricané en m’avouant t’avoir répondu sèchement, elle m’a dit « Cette intrigante espère encore t’avoir ! Heureusement que je surveille ta messagerie pour toi, tu serais encore fichu de tomber dans ses filets… Mais cette fois j’espère que cela lui servira de leçon, elle n’y reviendra plus ! »
Alors cette nuit, j’ai attendu qu’elle s’endorme, et j’ai rallumé l’ordinateur en douce… Je viens de lire ton message. Figure-toi que Jessica l’avait déjà foutu à la corbeille ! Mais je l’ai retrouvé. J’ai presque pleuré en le lisant.
Mais j’entends des pas dans le couloir, je ne peux pas te parler plus longtemps, Jessica me punirait si elle apprenait que je te parle en cachette.
Oh mon Dieu !
Je t’embrasse très fort
Ton Raoul

Bonsoir très cher Raoul,
Je suis très émue de savoir que tu penses encore à moi et tu n’ as pas réussi à m’oublier malgré le lavage de cerveau que ta nièce essaie de te faire . Moi je n’ai jamais réussi à t’oublier malgré que j’ai essayé de le faire mais en vain, je me suis tellement vite attachée à toi en peu de temps . Et c’est donc impossible pour moi de t’oublier aussi facilement .
Sache que nos sentiments sont plus forts et plus profonds pour qu’elle réussisse à nous séparer .
Elle essaie de te faire croire que je ne veux que ton âme , que je ne pense qu’à profiter de toi .
Tu me crois capable de faire une telle chose ? Je n’ai pas été éduquée ainsi je suis une personne sincère, gentille, sensible et si sociable . Je déteste faire du mal à autrui .
Je ne suis pas du tout d’accord que ta nièce te traite de la sorte et cela me rend triste pour toi . Tu as besoin de liberté surtout avec ta santé . Elle n’a pas le droit de se comporté de la sorte avec toi . Si tu ne te réveilles pas, cette Jessica ne pense qu’à ton héritage , elle préfère voir toutes les personnes loin de toi pour attendre ta dernière heure et avoir ton héritage que pour elle seule .
Ma tante compte tellement pour moi, elle est tout pour moi et je m’occupe si bien d’elle . Je suis à ses petits soins et elle est très heureuse avec moi à ses côtés malgré son état de santé . Et pour ma tante je donnerais tout . Donc ce n’est vraiment pas normal qu’elle te punit comme un gamin ou te donne des ordres . Tu es son oncle et non son enfant . Je sais que cela est dû à ta maladie mais il va falloir que tu signales cela au services sociaux .
Si tu tiens vraiment à moi , il va falloir que tu trouves une solution Raoul . Laisse mon ton numéro de portable afin que je puisse te contacter la dessus . Egalement essaies de trouver une solution pour qu’on arrive à dialoguer, en faisant un programme de tes horaires libre . Elle sort souvent pour des courses , elle s’absente souvent donc il va falloir faire un programme pour pouvoir m’écrire et me lire jusqu’à ce que je rentre .
Je pense fort à toi, je t’embrasse fort et je te souhaite une douce nuit .
Prend soin de toi et fais attention à ta santé .
Ta petite Alexia

Presqu’un an passe, et j’oublie cette histoire – l’idylle entre Alexia et Raoul ne devait pas survivre plus d’un été. Mais voilà qu’à la suite d’une discussion sur les spams, cette histoire me revient subrepticement en tête. Je relance, pour voir si ça marche toujours. Eh bien oui, ça marche toujours, plus grandiloquent que jamais. Notons qu’Alexia s’est adaptée à Raoul, elle écrit mieux et désormais sans fautes d’orthographe, on sent le travail d’équipe.

Alexia chérie
Enfin j’ai pu échapper à la surveillance de ma tyrannique nièce Jessica et me reconnecter sur Internet !
J’ai relu en pleurant tous les si beaux mails que tu m’as envoyés. J’ai à nouveau admiré tes photos et les réactions de mon corps ne mentent pas.
J’aimerais tellement te rencontrer et ne me consacrer qu’à toi ! et je serais enfin délivré de mon dragon !
Je n’ai cessé de penser à toi… C’est audacieux de ma part, parce que tu es jeune, tu es belle, et tu m’as sûrement oublié ! Mais moi je ne pense qu’à toi, à tes si beaux yeux bleus, et je te l’avoue enfin, je prends ce risque parce que je n’ai plus rien à perdre : je t’aime.
Ton Raoul

Bonjour Mon Chéri Raoul,
Oh que je suis si heureuse d’avoir enfin de tes nouvelles , j’étais si inquiète …
N’ayant pas de tes nouvelles, je me suis posé pleins de questions .
Peut être que tu avais été hospitalisé ou pensé au pire tu m’avais quitté pour un autre monde …
J’ai pleuré nuits et jours en attendant de tes nouvelles, en ouvrant à régulièrement pour espérer lire ne serait ce qu’un seul message de toi . J’étais si triste au fond de moi, triste dans l’âme et la solitude qui me rongeait encore plus .
Mais te lire à nouveau, m’as fais oublié tout ses moments de tristesses et de solitude . 

Tu sais à quel point je t’aime et tu es très important pour moi . Tu as donné un sens à ma vie après ma séparation . Et moi aussi je passais des nuits à relire nos merveilleux échanges  de mails .
Sache que je n’ai jamais pu t’oublier même si j’ai essayer maintes et fois mais je n’ai pas réussi ! Car les sentiments que je ressens pour toi sont si forts et profonds qu’ils ne peuvent pas s’effacer aussi facilement . 
J’avais toujours l’espoir de te lire à nouveau et d’être à tes côtés un jour pour vivre notre Amour . 
Je pense que si tu m’aimes alors tu dois te battre pour notre Amour ! 
Tu dois t’organiser , faire un planning sur les  sorties de Jessica afin que nous arrivions à nous écrire . 
Je te donne mon numéro: 06******** , si tu souhaites m’envoyer un SMS .
Je ne t’oublierai jamais ! Je t’aime pour l’éternité Raoul
Je pense très fort à toi,
Ta petite  Chérie Alexia

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Je ne t’oublierai jamais ! Je t’aime pour l’éternité Raoul. Conclusion idéale, belle comme l’antique, sublime comme toutes les histoires d’amour impossibles ! Merci bonsoir.

Le plus grand arbre du monde

19/05/2014 un commentaire

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À force de me terrer dans mon Tiroir, j’aurais presque oublié ce fait : la littérature jeunesse en général, et les salons du livre jeunesse en particulier, c’est formidable, en fait. Du moins, dans le meilleur des cas. L’enfance de l’art et le garde-fou contre l’illettrisme (j’y viens). Du talent, de la joie, de la fête, de l’émotion, de l’émulation, du fourmillement, de la générosité, et mon tout aujourd’hui à l’attention des adultes de demain. Je reviens du seul salon de ce type que j’aurai fait cette année : Beausoleil. Or c’était le meilleur des cas. Je me suis régalé, merci du fond du coeur.

Le mois dernier, pour rire, j’ai publié ici même un article impénétrable, rédigé en langue Cherokee – idiome parlé par environ 30 000 personnes en ce monde, écriture lue par peut-être autant. Pour nous incultes, ce ne sont qu’amas de signes indéchiffrables, extra-terrestres aussi bien. Splendide à regarder / illisible. Je trouvais rigolo de rendre soudainement mon blog hermétique, inintelligible, crypté par notre seule ignorance. L’opacité, c’est le fun. Enfin, je dis ça manière de dire, je ne le répèterais pas si j’avais un analphabète devant moi, ce serait indécent. Bref, l’article a laissé pantois très exactement la moitié des lecteurs de ce blog, qui pourtant sont en nombre impair, je le sais, je connais chacun par son prénom. Comme j’ai rencontré à Beausoleil l’auteur du livre qui m’a révélé la langue Cherokee, Frédéric Marais, je cesse aujourd’hui de blaguer et vous ré-explique Sequoyah, cette fois en version française.

Sequoyah (1767-1843) est au départ un Cherokee, un handicapé au pied estropié. Il est à l’arrivée le seul Amérindien a avoir créé un alphabet, et une écriture, dans le but de sauvegarder la culture de son peuple. Son nom a été donné, en hommage à son courage, à sa ténacité, et à son influence, au plus grand arbre d’Amérique du Nord, et du monde, le séquoia. Déjà, relatée platement par moi, l’histoire est merveilleuse. Mais Frédéric Marais en fait un album qui, sans forcer sur la légende dorée du héros, ni s’appesantir dogmatiquement sur les nécessités politiques de l’alphabétisation, donne à admirer un être humain exceptionnel, et à voir, à voir, vraiment, la poésie même de l’écriture, cette série de signes, cette convention qui émancipe, ce code qui permet à une idée de passer d’un cerveau à un autre cerveau (Je viens de vous en glisser une, là, en douce).

Lisez les livres de Frédéric Marais. Ils sont tous très différents les uns des autres, mais tous excitants au moins par un angle.

Outre Frédéric, j’étais ravi, durant le salon, de renouer avec d’autres auteurs ou bien de les découvrir, Alan Mets, Amélie Jackowski, Anne Jonas, Hélène Rice, etc. Et Nadia Roman bien sûr mais bon Nadia c’est pas pareil c’est ma soeur.

Sinon, vous pouvez également lire le mythe étiologique cherokee de la naissance du séquoia, tel que rapporté ou inventé, je ne sais pas, par Jean-François Chabas (qui hélas ne met jamais un pied dans un salonduliv, alors je n’aurai jamais l’occasion de lui présenter mes respects). Conte merveilleux, profond et bouleversant, « écolo » et humaniste, qui restitue la place de l’homme dans la nature, en quelques pages. On gagnerait à comparer ce mythe avec l’histoire authentique de Sequoyah le démiurge : dans chacun des deux récits on trouve un enfant handicapé, quittant sa tribu, et qui au terme d’une longue méditation solitaire veillera sur elle, lui offrant une sagesse silencieuse à la vie infiniment plus longue que celle d’un mortel. Le récit de vie et l’imaginaire se rejoignent. Non seulement la littérature jeunesse est-elle formidable, mais en plus, de bien des façons.

La raclure de gorge comme dernier argument

16/05/2014 Aucun commentaire

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Je me trouve pour quelques jours à Beausoleil, banlieue pauvre de Monaco (ceci n’est pas un oxymore mais une curiosité sociologique), où habita autrefois Léo Ferré, et où se tient aujourd’hui un salon du livre tout à fait épatant (merci Karin ! Merci tout le monde !).

Cette journée de rencontres dans les écoles fut éreintante et fertile. Beausoleil se targue d’être la première ville cosmopolite de la Côte d’Azur et peut-être même de France comme me le précise un édile, avec 80% des enfants scolarisés qui n’ont pas le Français pour langue maternelle. De fait, dans les classes, une multitude de couleurs, de noms, de prénoms, d’exotisme, de mômes du monde. Or figurez-vous que ce meeting-pot tient, qu’il vit ensemble naturellement, que la cohabitation se passe bien. Je n’avais pas vu pareille société hétéroclite et cependant harmonieuse depuis mes pérégrinations sur l’île de la Réunion, un peu le même genre… Je finis donc le jour vidé mais heureux, rassuré, confiant.

Las ! J’ouvre le journal. J’apprends que, selon les sondages pré-élections européennes, le FN est le premier parti de France. Ma confiance s’évanouit dans l’éther. J’ai des bouffées d’angoisse.

Que faire, plutôt que de se morfondre ? Tenter de comprendre ce que la pole position du FN veut dire. Or justement j’ai la réponse dans la poche : le dernier numéro de l’incomparable revue Metaluna, acheté pour lire dans le train. J’y trouve une excellente, et éclairante, chronique signée Rurik Sallé. Tout est dit, je me contente de recopier (à la main, puisque ce n’est pas en ligne) ci-dessous.

L’aut’ fois, tu sais quoi ? L’aut’ fois c’était hier, en fait, et je me baladais dans la campagne avec des gens de ma famille – car j’ai une famille – et des amis. On était contents de se balader la nuit, de regarder les étoiles, tous ces trucs beaux… En sortant d’une zone d’herbe, par hasard, je débarque sur un parking face à des voitures garées. Là, au loin, un gars qui était dans une soirée dans la salle des fêtes du hameau commence à gueuler vers moi en semi-rigolant : « Hey, t’as volé quoi ? Hey ! ». On se prend un peu la tête à distance. Essayant de regagner son honneur devant ses potes (et potasses) avinés, le gars s’approche de moi. Re-prenage de tête, le gars menace de taper et tout. Un de mes potes se met à côté de nous, un mec de 50 ans, tranquille, cheveux gris, pour calmer le jeu. Le mec l’insulte. Une amie s’approche elle aussi : « Monsieur, y a des enfants, on se promène en famille… ». Le merdeux répond : « Rien à branler des enfants ! » On décide de se casser. « Fils de pute ! », qu’il éructe à distance. « Vive Le Pen ! ».

Un « Vive Le Pen » donc, lancé à un groupe de dix Blancs, cheveux blonds (ou pas de cheveux), yeux bleus. Le mec brandit sa morve verbale comme un affront, comme un glaive de victoire, comme une médaille. Voilà donc ce que c’est, le « Vive Le Pen » pour cette raclure, comme pour beaucoup qui ont voté du même côté puant : une insulte, une arme, une colère sans fond,  absurde, une fierté mal placée. T’aimes pas un gars ? Jette-lui un « Vive Le Pen » à la gueule. Un chien s’apprête à te mordre ? Sûr qu’un bon « Vive Le Pen » lui cassera un croc ou deux. En fait, ce « Vive Le Pen » qu’on dégaine, c’est l’énergie du désespoir, c’est la raclure de gorge comme dernier argument. On dit « Vive Le Pen » comme on dirait « Va te faire enculer » parce que ça tache tout autant. Parce que c’est sale, parce que ça pue, parce que ça griffe… Pas parce que ça voudrait dire quelque chose.

Outre ce texte fort, qui vaut à lui seul les 4,90 € de la revue, on pourra profiter au fil des pages, gratuitement en somme, d’articles divers mais tous susceptibles de créer une légère stupéfaction, comme un dossier de dix pages sur les monstres qui affrontèrent Godzilla, un autre sur les musiques de films d’horreur, des interviews de Béatrice Dalle, Philipe Vuillemin ou William Friedkin,  un émouvant hommage posthume à Nelson de la Rosa, ou un reportage sur la fabrication des fausses bites en silicone pour doublure d’acteurs timides. Il n’y a pas que des nouvelles moroses, dans la presse. Lisez Metaluna et retrouvez la confiance dans la France.

Des chiffres et des lettres

10/05/2014 Aucun commentaire

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« … Et ce qu’ils appellent la qualité de vie, c’est encore de la quantité : quantité de fleurs dans les jardinières en béton des villes, quantité de ressorts dans le sommier, quantité de watts à la chaîne stéréo, quantité de psychologie dans le feuilleton télé… »
Gébé, Tout s’allume, 1979, rééd. 2012 éditions Wombat

Les temps sont comptables. La réalité est dans le chiffre. Je lis ces phrases prophétiques sur la quantité et le quantifiable, écrites il y a 35 ans et je me demande ce que Gébé voyait venir, au juste. Le toujours plus de la société consumériste ? La suprématie économiste (la croissance comme seul lendemain qui chante, et ses autres noms, l’expansion, la relance, le développement, qui tous laissent entendre que le progrès est une numération) ? Ou, plus profondément, la révolution dans notre façon de penser, d’évaluer ? Vers une Weltanschauung chiffrée, qui ne serait pas exclusivement financière, mais globale et arithmétique… « Belle religion » selon Sganarelle.

Un conteur que j’ai rencontré m’a remercié de l’avoir écouté conter. Il a dit : si l’époque ne réservait pas un tout petit espace aux conteurs, alors tout serait occupé par les comptables. Parce que chez ces gens-là, on n’cause pas, Monsieur, on n’cause pas… On compte.

Tout est chiffre. Tout est chiffré. L’information, le lien social, la culture, la communication, la vie commune… sont numériques. On a tendance à oublier le sens premier d’un mot qu’on rencontre vingt fois par jour. Or numérique signifie transformé en numéros. Et son synonyme, digital, exprime l’idée de compter sur ses doigts. Zéro, un, zéro, un, zéro. Qu’est-ce que la numérisation permet ? Qu’est-ce qu’elle empêche ? Qu’est-ce qu’elle fait à la pensée, à la langue quotidienne (expressions courantes : Je gère… J’ai pris cher… Tu ne me calcules pas…), ou à la langue poétique ? Ceci ou cela.

Chiffre = code. Déchiffrer = décoder. Chacun de nous est lâché dans les rues portant à bout de bras son décodeur  de poche, point de contact numérique avec les autres humains, faute de quoi l’existence nous resterait proprement indéchiffrable. Un particulier dépourvu de son accessoire numérique devient inconcevable.

Tiens, c’est curieux : nous en nourrissons des hallucinations. Comme cette figurante dans un film de Chaplin, que nous sommes sûrs de voir parler dans son téléphone portable en 1928. De la même façon, traversant le mois dernier la fondation Calouxte-Gumbenkian de Lisbonne, je suis tombé nez à nez avec une jeune fille consultant ses SMS à Florence vers 1720. Ci-dessus la reproduction (numérisée) de cet étrange tableau, Portrait d’une jeune fille, Giuliano Bugiardini (1475-1554). Depuis cette rencontre, oui, je suis tenté de croire que le numérique rectifie nos yeux et nos oreilles.

(Un joli livre à propos de la rivalité entre nombres et lettres, dans une société penchant nettement en faveur des premiers : La guerre des mots, de Dedieu et Marais.)

Nous en sommes là

06/05/2014 un commentaire

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Nous en sommes là. À moins que nous soyons ailleurs ? Conseil de lecture : Il existe d’autres mondes de Pierre Bayard. La forte question de Leibniz, Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien, flanque moins le vertige que cette autre : pourquoi ceci plutôt que cela ? Pourquoi le chat de Schrödinger serait-il vivant plutôt que mort ? Pourquoi pas les deux ? Culture pop et mécanique quantique : pour imaginer la coexistence des possibles, nous pouvons recourir soit à la science (merci Hugh Everett), soit à la fiction.

Toute fiction, au fond, est un univers parallèle. Certaines fictions sont, spécialement, des univers parallèles, qui dans le meilleur des cas feraient douter de celui-ci. J’ai toujours eu le goût des histoires de réalités alternatives, depuis un choc initial, Le Maître du haut château de Philip K. Dick, qui ouvrait une fenêtre sur un monde entièrement recomposé après avoir bifurqué à un moment donné (en l’occurrence : la Seconde Guerre mondiale a été gagnée par l’Axe Allemagne/Japon, finalement). Ou bien ou bien, comme disait le fameux acteur hollywoodien Kirk Gaard.

Et depuis je fais mes choux gras de Fringe, d’À la croisée des mondes, et autres What if de Marvel, mais aussi d’expériences narratives qui relèvent de ce même postulat quantique sans être pour autant étiquetées SF : Smoking/No smokingLe Hasard, et même Jean-Philippe.

Or voici. J’imagine un univers parallèle où j’annonce en fanfare, aujourd’hui même et sur ce blog, la parution prochaine de mon prochain livre, intitulé Fatale spirale, qui sera en outre ma troisième collaboration avec Jean-Pierre Blanpain. J’en ai eu l’idée cet hiver, je l’ai confiée à JPB qui, enthousiaste comme d’habitude, a bossé comme un fou, a multiplié idées et croquis, jusqu’à se faire une idée précise de la future apparence du livre. Dans ce « monde miroir » nous nous excitons le bourrichon, je trépigne d’impatience dans l’attente de ce qui sera, à nouveau, le plus beau livre du monde.

Sauf que non.

Nous sommes dans cet univers-ci, où un éditeur a certes accepté mon texte, mais a blackboulé les illustrations de Jean-Pierre. J’annonce donc aujourd’hui, sur ce blog et en fanfare, que Fatale Spirale, mon prochain livre, paraîtra en janvier prochain. L’illustrateur s’appelle Jean-Baptiste Bourgois. Je ne sais rien de lui sinon qu’il a énormément de talent. Conséquence : dans ce monde aussi bien que dans l’autre, je trépigne d’impatience dans l’attente de ce qui sera, à nouveau, le plus beau livre du monde.

Mais tout de même, je me demanderai toujours ce qu’aurait été ce livre, eût-il été enluminé par le Blanpain… En guise de lucarne sur un autre univers : ci-dessus, l’illustration que Jean-Pierre envisageait pour ouvrir le livre, avec une variation sur le thème de l’effet papillon. Et la phrase initiale du texte : Nous en sommes là.

Chère Annie Ernaux

28/04/2014 2 commentaires

regardeleslumieresmonamour

J’ai écrit à Madame Annie Ernaux.

Fabrice Vigne
11 rue du Champa
38450 Le Gua

À l’attention de Mme Annie Ernaux
via MM. Rosanvallon et Peretz
« Raconter la vie », éditions du Seuil
25, boulevard Romain Rolland
75014 Paris
Le Gua, le 19 avril 2014

Madame Ernaux

Je lis de longue date et avec passion votre œuvre. Je me suis précipité sur votre dernier, Regarde les lumières mon amour, pour une seconde raison : l’attrait, lui aussi invétéré, et non exempt d’ambiguïté, que j’éprouve pour les hypermarchés, pour les grandes surfaces qui les hébergent.

Parmi vos observations sociologiques et psychologiques, intimes autant que générales, humaines en somme, je me « suis retrouvé », comme on se retrouve régulièrement, fatalement, dans les travées des hypers, lieu commun aussi bien que non- lieu.

Mes propres usages de supermarché (en tant que client, bien sûr, mais également en tant que salarié, puisque j’ai quelque temps empilé des produits dans les rayons entretien et animalerie d’un Intermarché ; et en tant que voleur à l’étalage pincé par un vigile – deux expériences de jeunesse, remontant à plus de vingt ans) recoupent largement votre récit.

Si je devais y apporter une touche supplémentaire, ce serait pour évoquer le supermarché comme lieu érotique, puisqu’il est lieu de rencontre et de croisement, de frôlements. Je crois cet aspect non négligeable, quoiqu’un peu ridicule (je pense au Dragueur des supermarchés de Jacques Dutronc : Le chéri des libres-services/Qui libère les prix et les cœurs/Celui qui porte les paniers/Et qui s´occupe de vos bébés/Le Don Juan des ménagères/Avec son cœur de camembert…)

Je me souviens, lorsque j’étais jeune et employé de la grande distribution, des rapports de séduction, sinon de flirt, entre les caissières (à cette époque et en cet endroit, uniquement des femmes assises) et les manutentionnaires (presque uniquement des hommes debout) ; encore aujourd’hui, je me rends compte que, en plus des deux critères que vous mentionnez pour arrêter le choix de la caisse vers laquelle on va engager ses provisions (on évalue mentalement à la fois le volume du Caddie devant nous, et l’efficacité de la caissière), s’ajoute presque inconsciemment un troisième : j’opterai le cas échéant pour la caissière la plus jolie, alors même qu’il n’y aura aucun contact véritable, juste pour le plaisir de voir passer mes marchandises entre des mains liées à un joli visage. Aujourd’hui, on rencontre beaucoup de caissiers parmi les caissières, donc j’imagine que ces rapports de séduction superficielle, « valeur ajoutée » de la circulation des marchandises, sont susceptibles de concerner tous les sexes et toutes les préférences sexuelles.

Mais surtout, si je vous écris aujourd’hui, c’est que votre livre m’a frappé par ses similitudes avec un bref texte que j’ai moi-même écrit en 2007, dans un magasin IKEA. L’intention était différente, puisque je ne comptais pas en faire un livre – c’est le graphiste avec qui je travaillais alors, Patrick Villecourt, qui a eu l’idée d’en faire un « livre », en réalité un livre-objet ludique, un livre en kit, pastiche « afin de détourner le langage de l’adversaire » selon ses propres termes. La tonalité de mon J’ai inauguré IKEA est également distincte de votre Regarde les lumières mon amour, puisque j’ai glissé, conformément sans doute à ma nature, vers un traitement grotesque, un traitement en farce absurde, tandis que vous êtes sensiblement plus bienveillante (et en conséquence plus profonde, je crois). Cependant la « méthode » était bien identique : pénétrer dans un grand magasin, noter scrupuleusement  ce qu’on y voit et entend, afin de comprendre ce qui nous relie aux autres, et aux choses.

Je me fais une joie de vous offrir ci-joint un exemplaire de ce « livre » à monter soi-même. J’espère qu’il vous intéressera sur son fond, et qu’il vous distraira par sa forme.

Je joins en outre un second livre, Double tranchant, que j’ai réalisé avec le peintre Jean-Pierre Blanpain. Celui-ci est une fiction, le monologue d’un artisan coutelier, et n’a presque rien à voir… si ce n’est qu’en ce moment je tourne avec des musiciens un spectacle adapté de ces deux livres, et que la version scénique tente de rendre explicites les points communs du diptyque, la fabrication, la circulation, la consommation des objets.

Avec mon admiration, mes bien sincères salutations.

Fabrice Vigne

Post-scriptum : J’ai puisé dans votre livre des références littéraires que je ne manquerai pas d’explorer, Contrecoup de Rachel Cusk cité dans l’épigraphe, et De jeunes corps de Jon Raymond.
Réciproquement peut-être serez-vous intéressée par une liste de « films de supermarchés » que j’avais tenté de dresser il y a quelques années sur mon blog ?

Je vous dirai si elle me répond.

Maquille ton esprit

25/04/2014 Aucun commentaire

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Si, comme Saâdi, tu n’as des maîtresses qu’en songe, tu es à l’abri des chagrins et des désillusions.

Bustan ou Le jardin des fruits, première histoire : l’amour.
Saâdi (1210-1292), trad. Franz Toussaint

Lu cette semaine un intéressant petit bouquin de cul : Introduction aux porn studies, du chercheur François-Ronan Dubois.

Depuis que j’ai lu Wilhelm Reich, je sais que le désir sexuel est la plus puissante source d’énergie sur terre, et qu’elle est renouvelable, sans empreinte carbone, et de couleur bleu ciel.

Des preuves chaque jour dans le bulletin de santé de monde, tiens, en Syrie par exemple, et il n’y a pas de quoi rire : on aura beau multiplier les interprétations sociologiques, géopolitiques et religieuses, on n’aura pas épuisé le sujet des jeunes décervelés débordant d’hormones et d’orgone, qui partent faire le jihad en Syrie tant qu’on n’aura pas mentionné qu’en échange de leur martyre ils escomptent pécho 72 houris aux yeux noirs. Le fantasme nous meut, même dans le pire des contextes. Le désir nous fait lever le matin, nous fait coucher le soir (à plusieurs, dans le meilleur des cas – sinon dommage), c’est ainsi, homo sapiens est homo libidens, notre désir est l’un des plus petits dénominateurs communs de l’espèce.

Le sexe, soit on le fait, soit on y pense, puisqu’on ne peut pas le faire toute la journée. Et à force d’y penser on le représente. L’histoire s’est maintes fois répétée : à peine un art est inventé que déjà il s’emploie à représenter le désir sexuel, comme si c’était sa vocation première. Les humains représentent le sexe à la fois pour s’en souvenir, pour l’imaginer, pour le comprendre (parce que son mystère est irrémissible), mais aussi, plus prosaïquement, pour s’exciter le bourrichon, se mettre en état, se préparer à l’acte, ou le substituer faute de mieux. On sait que l’une des fresques rupestres de Lascaux montre un homme en érection. Trique inaugurale: l’histoire de l’art peut s’enclencher, passer par l’Egypte et le Papyrus de Turin, les peintures murales de Pompei, les hentaï d’Hokusai, I modi de Caracci…

Idem pour la littérature, dont l’acte de naissance est L’épopée de Gilgamesh. De quoi nous parle Gilgamesh depuis quatre millénaires ? De cul (ainsi que de naissance de la civilisation, d’aventures, d’amitié, de deuil, de peur de la mort, de sagesse… parce qu’il n’y a pas que le cul dans la vie. Mais il y a le cul). Gilgamesh le civilisateur apprivoise celui qui deviendra son meilleur ami pour la vie, Enkidu l’homme sauvage, en dépêchant auprès de lui une prostituée sacrée. Selon la traduction donnée par Jean-Jacques Pauvert :

« C’est lui, courtisane. Enlève tes vêtements, dévoile tes seins, dévoile ta nudité. Qu’il prenne des charmes de ton corps toute sa jouissance. Ne te dérobe pas, provoque en lui le désir. Dès qu’il te verra, vers toi il sera attiré. Enlève tes vêtements, qu’il tombe sur toi. Apprends à cet homme sauvage et innocent ce que la femme enseigne. S’il te possède et s’attache à toi, la harde qui a grandi avec lui dans la plaine ne le reconnaîtra plus. »
La courtisane enlève ses vêtements, dévoile ses seins, dévoile sa nudité, et Enkidu se réjouit des charmes de son corps. Elle ne se dérobe pas, elle provoque en lui le désir. Elle laisse tomber son écharpe et découvre sa vulve, pour qu’il puisse jouir d’elle. Hardiment elle le baise sur la bouche et lui, Enkidu, tombe sur elle. Elle apprend à cet homme sauvage et innocent ce que peut enseigner la femme, tandis que de ses mignardises il la cajole. Il la possède et s’attache à elle. Six jours et sept nuits, Enkidu sans cesse possède la courtisane.

Idem pour le cinématographe, art de la représentation du mouvement comme dit son étymologie : va pour la représentation du va-et-vient. Le cinéma est inventé en 1895, et F.-R. Dubois date de 1896 le premier film pornographique, Le coucher de la mariée. Le cinéma sert dès l’origine à distraire les foules et les familles dans les foires, mais aussi, plus clandestinement, à montrer l’immontrable à un public averti. Des coïts sont filmés dans (et pour) les bordels et on constate que, les variantes d’intromission fatalement en nombre limité étant connues depuis l’aube de l’humanité, ces films n’ont pas grand chose à envier aux gonzos du XXIe siècle. Une ­lettre de Paul Eluard à sa femme Gala, en 1926 : « Le cinéma obscène quelle splendeur ! C’est exaltant. Une découverte. La vie incroyable des sexes immenses et magnifiques sur l’écran, le sperme qui jaillit. Et la vie de la chair amoureuse, toutes les contorsions. C’est admirable, d’un érotisme fou. (…) Le cinéma m’a fait bander d’une façon exaspérée. Tout juste si je n’ai pas joui rien qu’à ce spectacle. Très pur, sans théâtre, c’est un art muet, un art sauvage, la passion contre la mort et la bêtise. On devrait passer cela dans toutes les salles de spectacle et dans les écoles. » (source : Et le sexe entra dans la modernité. Photographie obscène et cinéma pornographique primitif, aux origines d’une industrie, Frédéric Tachou, éditions Klincksieck.)

Idem pour Internet. Le web balbutiait encore que déjà une poignée de geeks émerveillés découvrait qu’ils tenaient là un moyen formidable de trimbaler des images cochonnes d’écran à écran (cf. les touchantes images archéo-pornos faites de caractères ASCII)…

Je crois qu’on peut aimer la pornographie parce qu’on aime le sexe, de la même façon qu’on peut aimer les romans parce qu’on aime la vie – et certes il existe d’autres raisons, plus obscures, d’adorer les simulacres. « Privé de mon vrai bien, ce bien faux me soulage » , Honoré d’Urfé, L’Astrée, IIe partie, livre 5.

Et puis voilà, désormais la pornographie est dans la place, elle brûle les yeux, court les rues, crève les écrans, et sex est à travers le monde le mot le plus écrit dans la fenêtre de recherche Google. La pornographie est tellement présente dans notre écosystème qu’elle est objet d’études académiques, nommées porn studies. La chair en chaire : sur les campus on cause savamment de sexualité, et de pornographie comme fait culturel, fait social, et discours, bien sûr, mais aussi de sociologie, philosophie, loi, économie, politique, histoire, esthétique, religion, psychopathologie.

Toutes ces contributions sont les bienvenues, mais je suggère de démarrer la réflexion un brin en-deça, d’en revenir aux corps, au plus petit dénominateur commun, à la palpitation organique, au désir universel et bleu. Il m’est venu une comparaison avec la diététique, que je vous livre ici.

J’ai appris un jour de la bouche d’un médecin que nombre des problèmes de santé de masse dans les sociétés capitalistes avancées (hypertension, diabète, obésité, cancer) proviennent d’un décalage hurlant entre nos besoins physiologiques, inchangés depuis des millions d’années, et nos ressources, bouleversées en un siècle. Si l’on ne se surveille pas, l’on a tendance à raffoler de ce qui est gras, salé, et sucré. Pourquoi ? Parce que notre organisme a besoin pour fonctionner correctement d’un peu de gras, d’un peu de sel et d’un peu de sucre. Autrefois, à l’époque où nos ancêtres dessinaient leurs premières pines sur les murs de Lascaux, ces denrées nécessaires étaient fort rares et l’ordinaire en était dépourvu – d’où la gourmandise instinctive, la convoitise pour ces vivres. Aujourd’hui, en notre civilisation de confort et d’abondance, de plaisir et de réconfort à portée de la Visa, la convoitise est intacte. Sauf qu’il suffit d’un seul repas au MacDo pour absorber des rations de gras, de sel et de sucre, qui eussent peut-être permis de tenir six mois à un Cro-Magnon. Le surplus dans nos corps engendre les maladies sus-énumérées.

Convoitise intacte née aux temps de la pénurie à des fins de conservation de l’espèce / offre démultipliée de façon exponentielle par l’économie capitaliste…

Ce schéma semble s’adapter comme un gant à la sexualité (instinct archaïque) et à la pornographie (offre en expansion exponentielle). En cas d’appel du ventre, il est aussi facile de se procurer du malsexe que de la malbouffe. Dans cette perspective, les équivalents de l’hypertension, du diabète, de l’obésité, du cancer seraient les effets pervers du trop-plein de porno. Les tétanisantes invitations au sexe à tous les coins de rue comme mauvaises graisses de la société de consommation. Exemples de dysfonctionnements pathologiques :

* la génération digital native autoformée sur la sexualité grâce à Youporn (courant le risque de confondre le réel et le fantasme, le produit d’appel machiste outrancier et la norme) ;

la banalisation d’un sexisme de convention, rapport de force qui déborde largement de la chambre à coucher (femmes dominées, hommes dominants) ;

* la prolifération d’images porno soft vulgarisées (si l’on ose dire) dans la pub (une paire de seins fait vendre une voiture, recette bien connue : le désir de forniquer, huile dans les rouages économiques, est remplacé par fondu-enchaîné subliminal, par le désir de changer de bagnole) ainsi que dans d’autres champs de communication visuelle, comme la mode ;

* les bimbos de la téléréalité (restez bandés ! ne zappez pas ! juste après la pause de pub vous apercevrez peut-être la culotte de Nabilla !) ;

* la presse féminine qui apprend aux filles dès leur plus jeune âge à se faire belles, à s’habiller, se maquiller, bouger et parler sexy, et à dépendre pour la vie du regard des garçons.

Je me suis laissé fasciner par un article du Huffington Post sur le maquillage des actrices porno. Prenez le temps de faire défiler le diaporama qui présente chaque fille avant et après Avant : des trognes sympas de bonne copine ou de voisine de palier, parfois jolie, parfois pas trop, maigrichonne ou boulote, l’air d’une rigolote ou d’une chieuse, parfois mal réveillée, parfois un bouton sur le nez ou des cernes sous les yeux… bref, un défilé de filles normales, d’êtres humains, infiniment divers en dépit du plus petit commun dénominateur ; après : des bombes sexuelles stéréotypées, uniformes, lisses comme du plastique, toutes bien complètes de leur oeil de biche et de leur bouche luisante entrouverte. L’appel à la reproduction est un goulot d’étranglement. Melissa Murphy, auteure de ces photos, est maquilleuse pro sur les tournages pornos. Elle explique que techniquement, il n’y a pas de différence flagrante entre embellir une actrice de films X sur le point de tourner une scène et maquiller une femme pour le jour de son mariage. Elle prononce en interview ce crédo professionnel, cet adage simple et merveilleux : « Si vous devez rendre une femme magnifique, vous rendez simplement une femme magnifique».

Make up your mind, comme disent les Anglais. Injonction que nous pourrions traduire tendancieusement par Maquille ton esprit.

Conseil de lecture 1 : Paye ta shnek. De la pulsion sexuelle bien dégueu verbalisée en pleine rue. C’est obscène, rigolo, machiste, instructif (voici ce que subissent les jeunes filles dans la vraie vie) et à l’occasion poétique (Mademoiselle t’as des jambes de sirène !) À mi-chemin entre les Brèves de comptoir et la Vie secrète des jeunes de Sattouf.

Conseil de lecture 2 : La technique du périnée de Ruppert et Mulot. Ce n’est pas tout à fait de la pornographie.

Conseil de lecture 3 : bah, lisez donc Reiser, ça ne peut pas faire de mal. Comme je l’ai dit ailleurs, Reiser a toujours raison quand il regarde notre époque depuis sa mort. Ci-dessous son avis sur la question, en 1980 :

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Addendum décembre 2014, conseil de lecture 4 : sous ce lien une tribune anti-pornographie, très bien argumentée, par Ran Gavrieli, dans Libé. La pornographie y est fort pertinemment, y compris du point de vue étymologique, qualifiée de « prostitution filmée ». L’auteur va plus loin, qualifiant toute l’imagerie dont nous sommes bombardés au quotidien (via la publicité, les clips, la téléréalité, la mode, etc…) de « pornographie habillée ».

Si ce bain de culture où nous pataugeons est de la « pornographie » et que la « pornographie » est elle-même de la « prostitution filmée », alors nous baignons (CQFD) dans un monde de propagande pour la prostitution, où toute la culture mainstream dit aux garçons : « vous serez un homme si vous pénétrez une fille à votre désir immédiat parce que la fille est faite pour cela », et aux filles : « vous serez digne d’intérêt si et seulement si vous êtes capables de susciter le désir sexuel chez un garçon ». La société entière, qui est devenue une funeste machine à consommer (une fille à oilpé sur les panneaux des abribus pour vendre un produit non seulement X mais aussi Y ou Z, c’est vachement bien puisque c’est bon pour la croissance) valide ces comportements comme « normaux ». Cela est grave.

J’ai signé, pour ma part, la pétition Zéromacho, mais sans passion ni conviction, parce que je ne crois pas à la disparition de la prostitution (je crains que la rendre illégale ne réussisse qu’à la rendre plus brutale). En revanche je crois, comme en toute chose, aux vertus de l’éducation, plus déterminante que les lois. Il nous faut sans relâche expliquer aux jeunes gens pourquoi la pornographie n’est pas la vie, et pourquoi la prostitution est nocive. (Et la pub aussi, en général, d’ailleurs.)

Maire vert polymorphe

19/04/2014 un commentaire

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J’écoute (en faisant la vaisselle) une intervioue de Jean-Pierre Andrevon à l’occasion de la sortie de sa fabuleuse somme, 100 ans et plus de cinéma fantastique et de science-fiction (ed. Rouge profond). Dites-moi Andrevon, quand et comment avez-vous découvert le fantastique ?

« … Eh bien comme j’ai pu, de là où j’étais, puisque j’étais un provincial. Je suis de Grenoble. Ville dont on n’a pas à rougir, depuis les dernières élections municipales. Première grande ville dont le Maire est écolo, je tiens à le saluer au passage… »

Bon, ce n’est pas tout à fait exact, Montreuil (104 000 hab.) ayant eu sa Maire verte un mandat avant Grenoble (157 000 hab.) mais peu importe, moi aussi je suis provincial, du même coin, et moi aussi je me réjouis de l’élection de M. Eric Piolle à la Mairie de Grenoble.

Le week-end dernier, le dit Piolle, nouvel édile des jeunes faisait le tour des stands du salon de Grenoble, serrant chaque paluche de façon en somme désintéressée, le scrutin étant passé. Je lui ai présenté mes petites productions bio, et parmi celles-ci je me suis fait une joie de lui offrir ce que je considère comme mon livre écolo.

Et tout en rinçant ma vaisselle j’essaye de faire le lien entre l’optimisme distillé par cette élection, et le bouquin fantastique (tous sens du terme) d’Andrevon. Le rapport me saute aux yeux. Pour porter l’écologie au pouvoir, il faut de l’imagination.

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