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La raclure de gorge comme dernier argument

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Je me trouve pour quelques jours à Beausoleil, banlieue pauvre de Monaco (ceci n’est pas un oxymore mais une curiosité sociologique), où habita autrefois Léo Ferré, et où se tient aujourd’hui un salon du livre tout à fait épatant (merci Karin ! Merci tout le monde !).

Cette journée de rencontres dans les écoles fut éreintante et fertile. Beausoleil se targue d’être la première ville cosmopolite de la Côte d’Azur et peut-être même de France comme me le précise un édile, avec 80% des enfants scolarisés qui n’ont pas le Français pour langue maternelle. De fait, dans les classes, une multitude de couleurs, de noms, de prénoms, d’exotisme, de mômes du monde. Or figurez-vous que ce meeting-pot tient, qu’il vit ensemble naturellement, que la cohabitation se passe bien. Je n’avais pas vu pareille société hétéroclite et cependant harmonieuse depuis mes pérégrinations sur l’île de la Réunion, un peu le même genre… Je finis donc le jour vidé mais heureux, rassuré, confiant.

Las ! J’ouvre le journal. J’apprends que, selon les sondages pré-élections européennes, le FN est le premier parti de France. Ma confiance s’évanouit dans l’éther. J’ai des bouffées d’angoisse.

Que faire, plutôt que de se morfondre ? Tenter de comprendre ce que la pole position du FN veut dire. Or justement j’ai la réponse dans la poche : le dernier numéro de l’incomparable revue Metaluna, acheté pour lire dans le train. J’y trouve une excellente, et éclairante, chronique signée Rurik Sallé. Tout est dit, je me contente de recopier (à la main, puisque ce n’est pas en ligne) ci-dessous.

L’aut’ fois, tu sais quoi ? L’aut’ fois c’était hier, en fait, et je me baladais dans la campagne avec des gens de ma famille – car j’ai une famille – et des amis. On était contents de se balader la nuit, de regarder les étoiles, tous ces trucs beaux… En sortant d’une zone d’herbe, par hasard, je débarque sur un parking face à des voitures garées. Là, au loin, un gars qui était dans une soirée dans la salle des fêtes du hameau commence à gueuler vers moi en semi-rigolant : « Hey, t’as volé quoi ? Hey ! ». On se prend un peu la tête à distance. Essayant de regagner son honneur devant ses potes (et potasses) avinés, le gars s’approche de moi. Re-prenage de tête, le gars menace de taper et tout. Un de mes potes se met à côté de nous, un mec de 50 ans, tranquille, cheveux gris, pour calmer le jeu. Le mec l’insulte. Une amie s’approche elle aussi : « Monsieur, y a des enfants, on se promène en famille… ». Le merdeux répond : « Rien à branler des enfants ! » On décide de se casser. « Fils de pute ! », qu’il éructe à distance. « Vive Le Pen ! ».

Un « Vive Le Pen » donc, lancé à un groupe de dix Blancs, cheveux blonds (ou pas de cheveux), yeux bleus. Le mec brandit sa morve verbale comme un affront, comme un glaive de victoire, comme une médaille. Voilà donc ce que c’est, le « Vive Le Pen » pour cette raclure, comme pour beaucoup qui ont voté du même côté puant : une insulte, une arme, une colère sans fond,  absurde, une fierté mal placée. T’aimes pas un gars ? Jette-lui un « Vive Le Pen » à la gueule. Un chien s’apprête à te mordre ? Sûr qu’un bon « Vive Le Pen » lui cassera un croc ou deux. En fait, ce « Vive Le Pen » qu’on dégaine, c’est l’énergie du désespoir, c’est la raclure de gorge comme dernier argument. On dit « Vive Le Pen » comme on dirait « Va te faire enculer » parce que ça tache tout autant. Parce que c’est sale, parce que ça pue, parce que ça griffe… Pas parce que ça voudrait dire quelque chose.

Outre ce texte fort, qui vaut à lui seul les 4,90 € de la revue, on pourra profiter au fil des pages, gratuitement en somme, d’articles divers mais tous susceptibles de créer une légère stupéfaction, comme un dossier de dix pages sur les monstres qui affrontèrent Godzilla, un autre sur les musiques de films d’horreur, des interviews de Béatrice Dalle, Philipe Vuillemin ou William Friedkin,  un émouvant hommage posthume à Nelson de la Rosa, ou un reportage sur la fabrication des fausses bites en silicone pour doublure d’acteurs timides. Il n’y a pas que des nouvelles moroses, dans la presse. Lisez Metaluna et retrouvez la confiance dans la France.

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