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La putain de ta race

Sans titre-1

Le débat politique de la semaine : Le Pen senior lâche, débonnaire, une de ses vannes dégueulasses, racistes, antisémites ; Le Pen junior répond c’est pas bien allons papa c’est une faute politique, c’est pas avec tes conneries que je deviendrai Présidente ; Le Pen daron réplique Faute politique toi-même petite merdeuse, je vais te réexpliquer les fondamentaux du Parti, il n’y a pas si longtemps je te flanquais des fessées pour t’apprendre à respecter ton père. Le sketch a l’air écrit d’avance.

Résumé : l’attaque, c’est le FN. La défense, c’est le FN. Deux jours de suite dans les journaux. Question et réponse, alpha et oméga, thèse et antithèse, majorité et opposition. Et le plus fort c’est que ça nous occupe et qu’on éditorialise à qui mieux mieux. Toute la politique désormais, dans les médias, dans les pensées, est occupée par le FN. En face : rien. Droite et gauche ont mieux à faire, aussi empêtrées l’une que l’autre dans leurs affaires et mensonges. Le FN seul dans la place orchestre le débat, sa question du jour est LA question du jour : faut-il ou ne faut-il pas assumer les positions archéo-facho qui ont fait la première gloire du Parti ? Une blague pateline antiyoupin va-t-elle nous faire perdre ou gagner trois voix ce week-end ? Le public en serait-il encore à s’offusquer, ou bien est-il déjà prêt à l’entendre en pouffant, comme une parole libérée, iconoclaste, anti-système, anti-pensée unique, anti-tout ce qui est supposé entraver le bonheur de M. Français-Moyen ?

(Ici : une interview croisée d’Hervé Le Bras et Riad Sattouf, qui notamment rappelle que l’électeur FN n’est pas un fasciste, mais un Français moyen frustré – donc un Français moyen tout court. Sattouf dixit : « Je regarde souvent, sur NRJ12, l’émission Tellement vrai. C’est une sorte de reportage dans la France profonde sur des gens qui se heurtent à un problème existentiel – par exemple le type très moche amoureux de sa coiffeuse et qui veut lui déclarer son amour. Cette émission de divertissement propose en fait une galerie de portraits en théorie ­représentatifs de la société française, et de toute évidence dans une situation de pauvreté, économique et psycho-­sociale, ahurissante. Plutôt que Superdupont, c’est à travers ces personnages que je représenterais aujourd’hui l’électeur du FN. Ni racistes ni forts en gueule, simplement écrasés par le destin. »)

Dans ce paysage républicain redessiné par la crise financière et mentale, le racisme a cessé d’être un tabou, pour redevenir, comme dans les années 30, une « idée politique » (les guillemets n’ont pas l’air ici assez épais pour encadrer une telle énormité). Et, moi qui étais prompt autrefois à moquer le politiquement correct, maintenant qu’il est à l’agonie, je change mon fusil d’épaule : à tout prendre, le politiquement correct valait mieux que le politiquement incorrect. Mieux vaut, mille fois, lire un poème antiraciste de Mahmoud Darwich, médaillé de l’ordre du mérite des arts et lettres, mieux vaut lire et réciter Tous les cœurs d’hommes sont ma nationalité, que de s’exposer aux poisons de Dieudonné ou Soral, ordures qui passent pour des rebelles, des subversifs cool, presque des Anonymous. Je suis plus inquiet de jour en jour.

Passeport

Ils ne m’ont pas connu dans les ombres qui
Absorbent mon teint sur le passeport
Ils exposaient ma déchirure aux touristes
Collectionneurs de cartes postales
Ils ne m’ont pas connu… Ne laisse donc pas
Ma paume sans soleil
Car les arbres
Me connaissent
Toutes les chansons de la pluie me connaissent
Ne me laisse pas aussi pâle que la lune

Tous les oiseaux qui ont poursuivi
Ma paume à l’entrée de l’aéroport
Tous les champs de blé
Toutes les prisons
Toutes les tombes blanches
Toutes les frontières
Toutes les mains qui s’agitent pour l’adieu
Tous les yeux
M’accompagnaient, mais
Ils les ont retirés de mon passeport

Peuvent-ils me dépouiller du nom, de l’appartenance
Dans une glèbe que j’ai élevée de mes propres mains ?
Jonas a rempli aujourd’hui le ciel de son cri :
Ne faites pas encore de moi un expemple !

Messieurs, messieurs les prophètes
Ne demandez pas leur nom aux arbres
Ne demandez pas aux vallées leur génitrice
La glaive de lumière se détache de mon front
Et de mes mains jaillit l’eau du fleuve
Tous les cœurs d’hommes sont ma nationalité
Voilà, je vous laisse mon passeport !

Mahmoud Darwich
Traduction : Abdellatif Laâbi

Une Nation en exil.
(barzakh) Actes Sud. Mars 2010

  1. 10/06/2014 à 19:35 | #1

    Bien dit m’sieur!
    Je fais tourner ton article si tu le permets!

  2. Laetitia Nicourt
    11/06/2014 à 13:02 | #2

    En effet, on revient aux évidences un peu cucul, aime ton prochain, respecte chaque être humain. Ce ne doit pas être si évident au fond, en pleine(s) misère(s).

  3. 14/06/2014 à 14:41 | #3

    Stupeur ! Jean-Marie Le Pen fait comme moi : il lit « If » de Rudyard Kipling à sa fille.

    La lettre ouverte de Jean-Marie à Marine, linge sale en public, porte en épigraphe une strophe du fameux poème « Si », se concluant par « Tu seras un homme mon fils »…

    Détail intéressant : Le Pen caviarde le poème. Il ampute le paragraphe en question de son dernier vers.
    Il écrit :

    « Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
    Travesties par des gueux pour exciter des sots,
    Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles… »

    Il manque :

    « Sans mentir toi-même d’un seul mot »

    (Traduction André Maurois, 1918, du reste très distincte du poème original)

    Bon, finalement, Le Pen ne fait pas TOUT A FAIT comme moi. Il n’incite pas sa fille à se garder du mensonge.

  4. 15/06/2014 à 10:52 | #4

    Pourquoi le ferait-il puisque la technique politique du FN est d’assener très haut et très fort des mensonges parfois éhontés jusqu’à ce qu’en face on puisse les prendre pour vérités, mais oublier un vers de R. Kipling, c’est un détail, il me semble…
    Par contre, je ne partage pas totalement l’avis de Riad Sattouff, je ne crois pas que les électeurs du FN sont des Français déprimés, ils sont pour beaucoup de vrais réactionnaires, traditionalistes, cathos et racistes (si si tout ça peut exister en une seul personne). Je crois même qu’il faut arrêter de dire que ce vote est un vote sanction ou désespéré, malheureusement, il me semble qu’il est ancré et qu’on doit regarder la vérité en face, il y a en France quelques millions de personnes qui votent extrême droite parce qu’elles y croient. Et pour avoir dans mon entourage des jeunes garçons noirs, je confirme que le racisme revient comme une idée, une opinion que l’on se doit, au nom de la sacro-sainte liberté d’expression de laisser s’étendre. Ah putain oui, vive le politiquement correct s’il nous permet d’éviter les immondices de certains…
    Yves

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