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Que faire des ordures

27/05/2023 Aucun commentaire
Photogramme : L’Île aux fleurs (Ilha das Flores), court métrage génial de Jorge Furtado, Brésil, 1989. À revoir régulièrement ici.

L’alchimie, pré-science du symbole plus que de la physique, rêvait de disposer à volonté de la matière, aspirait à la décomposition et à la recomposition des éléments, ambitionnait de défaire et refaire le monde : son principe était la transformation.

Pour l’opération de décomposition, l’alchimiste utilisait l’alambic, qui sépare par distillation la matière en ses différentes substances élémentaires ; pour l’opération inverse, la transformation par fusion ou amalgame, il utilisait l’athanor, mythique four philosophique à combustion lente, outil suprême censé permettre la création de la pierre philosophale, qui changera le plomb en or – mais aussi guérira toutes les maladies et apportera, enfin, à l’homme le bonheur.

Athanor est également le nom, poétique et vaguement inquiétant, du centre de tri et d’incinération des ordures ménagères de l’agglomération où j’habite, réceptacle du souci alchimique de notre temps : la transformation de la matière que nous produisons sans cesse, au sens de plomb, au sens de résidu, au sens de détritus, au sens de rebut, au sens de relief, au sens de merde. Athanor est dédié au tri, selon le mot plus prosaïque qu’alchimique, de près de 250 000 tonnes de déchets par an, à l’échelle de 49 communes et de leurs 450 000 habitants. J’en suis.

J’en rêvais depuis des années. J’ai enfin eu aujourd’hui l’occasion de visiter Athanor.

Une traversée du miroir. Un dévoilement de la face cachée ultime de notre mode de vie délirant (consommation-extraction-pillage-destruction). Une expérience d’initiation au destin de tout ce que nous jetons à la poubelle pour mieux penser à autre chose, et chaque seconde de la visite guidée était passionnante, autant du point de vue politique, que sensoriel, que technique ! Un centre de tri est, si l’on veut, une sorte de parc d’attractions, mais pour les adultes, pour les conscients, un parc à thème dont le thème serait enfin le réel. Pas de souris à grandes oreilles et gilet à boutons, seulement des bons vieux rats.

Il me semble que tout le monde devrait faire un tour, au moins une fois dans sa vie mais le plus tôt possible, dans ce château hanté de la modernité. Adultes, enfants, usagers, professionnels, élus, citoyens. Je m’emballe au pied des emballages entassés : on devrait le visiter en famille, entre amis, organiser des sorties scolaires ou naturalistes (on trouve ici un nombre remarquable d’espèces d’oiseaux et de rongeurs), des séminaires, des week-ends, des goûters, des escape games, des mariages, Saint-Valentin ou fêtes d’anniversaires, des veillées funèbres, enfin tous les prétextes rituels seraient bons pour voir ce qu’on n’a pas envie de voir, comprendre ce qu’on n’a surtout pas envie de comprendre, méditer.

Bien sûr on ne serait pas obligé de faire, comme je fais malgré moi, des associations d’idées bizarres : sur le moment, j’ai gardé pour moi les visions qui me sont venues. Ce paysage clôturé formé par deux bâtiments qui se regardent en chien de faïence, le centre de tri horizontal, et l’incinérateur vertical terminé par deux longues cheminées d’où s’échappe la fumée, m’évoquait un camp de concentration ; les montagnes d’ordures ont convoqué aussi en moi la dernière scène de Zabriskie Point d’Antonioni et boum ; Powaqqatsi, également ; surtout, L’île aux fleurs.

Tous les sens sont saisis : le bruit des machines, l’odeur des décompositions, les trépidations incontrôlables, et naturellement la vue des monceaux de détritus hauts comme des villes, alimentés en permanence par la noria des camions-bennes. Sensation terrible et désespérée de course contre la montre : vas-y colibri, pioche et trie là-dedans, minutieusement, ton kilo de plastique vert, pendant qu’au-dessus de toi versent deux nouvelles tonnes de drouille toxique et mêlée. Les ordures sont là, il n’est plus temps de les nier, il nous faut les « traiter » autant que possible, c’est-à-dire pas autant que l’on voudrait. Que faire des ordures ?

Deux fins possibles :

– Par ici, on compacte tant bien que mal la matière grossièrement triée, réunie par balles cubiques et thématiques (un bloc d’alu, un bloc de carton, un bloc de plastoc… surtout du plastoc, qui aura beau être recyclé se retrouvera pourtant in fine dans les océans, intégré au cycle de l’eau… je m’approche d’une balle de papier de deux mètres de haut, car je suis et serai toujours toujours attiré par le papier, et j’aperçois, saillant de la masse, surtout des prospectus publicitaires, quelques feuillets manuscrits dont des copies d’écolier corrigées en rouge, et même un livre ratatiné dont je réussis à lire une ligne, que j’oublie aussitôt), balles qui seront chargées dans d’autres camions, vendues une bouchée de pain à qui voudra les recycler à l’autre bout de la France (puis ? vers quel pays-décharge en voie de développement ? sachant que le mot développement, aussi mythique que l’alchimie, désigne justement le mode de vie insane qui produit les déchets).

– Mais par là le résidu, tout de même une moyenne de 40% de « refus » , c’est-à-dire de déchets juste bons à brûler, direction l’incinérateur et le ciel, anus mundi. 40%, contre 20% à l’échelle nationale : elle a bonne mine Grenoble la « capitale verte » .

Parmi les observations sociologiques les plus fulgurantes : dans la salle où les « opérateurs » (c’est leur titre professionnel) trient à la main nos déchets sur des tapis roulants, dernière tâche que les machines ne savent pas faire, la plus sale, la plus ignoble et la plus dangereuse (oui, bien sûr qu’il y a des tessons de verre et tant d’autres débris intrus qui n’ont rien à faire là, et vous, vous triez impeccablement, chez vous ?) 100% du personnel, du moins le jour de ma visite, était constitué d’hommes noirs, nous les regardions travailler à travers des vitres, dans leurs gilets jaunes. Qu’est-ce que cela dit de notre monde ? Qu’est-ce que cela dit de l’abolition supposée de l’esclavage (l’esclavage a été aboli en France au moins quatre fois, 1315, 1794, 1815, 1848 et qu’est -ce qu’un commerce qu’on a besoin d’abolir régulièrement) ? Qu’est-ce que cela dit de notre principe d’enfouissement ? Qu’est-ce que cela dit de la République Française ?

Terminons sur un peu de poésie, faute de quoi nous ne nous en sortirons jamais. Dans cette magnifique chanson, Jeanne Cherhal visite une station d’épuration, Et sachez qu’en hiver/Inhaler au grand air/Le ventre de la terre/On dirait du Baudelaire.

La tête en compote

19/05/2023 Aucun commentaire

Aujourd’hui 19 mai 2023 (deux ans jour pour jour après Nanabozo), surgit en librairie La théorie de la compte, éditions l’Atelier du Poisson Soluble.

Les théories du complot imprègnent l’air ambiant. Réchauffement climatique, premier homme sur la lune, attentats, vaccins, morts célèbres, grand remplacement, sociétés secrètes… Plus ou moins farfelues, mêlant dangereusement le vrai et le faux, elles forment un fascinant phénomène imaginaire, et même, lâchons le mot, littéraire : un mythe moderne. Voilà qui valait bien un livre.

Et même, pratiquement, deux : La théorie de la compote suivi de La compote de la théorie. Côté pile une fiction, surenchère burlesque / côté face un bref essai, pense-bête scientifique, qu’on lira dans l’ordre qu’on voudra.

C’est Olivier Belhomme, éditeur, qui a eu l’idée de cette double entrée : « Elle est bien, ta Compote, Fabrice, mais tu ne peux pas la balancer comme ça toute nue, de nos jours le sujet est trop sensible pour courir le risque du malentendu, tu aurais l’air de dire que tout se vaut, le vrai, le faux… Ton texte a besoin d’un autre texte qui l’accompagne, peut-être une préface, ou une postface ? »

J’ai rechigné, temporisé, hésité, rappelé qu’il n’y a rien de pire ni de moins drôle qu’une blague qui a besoin d’être expliquée… Mais je l’ai écrit, ce second texte, finalement convaincu par la forme tête-bêche de la maquette, un livre à l’endroit, un livre à l’envers, comme un rappel subliminal qu’en toute chose il vaut mieux considérer les deux aspects. Parfois, les éditeurs ont raison. Merci Olivier.

Et puis, c’est un livre violet. Je n’en avais pas encore, de livre violet. Jolie couleur. Un rapport entre la nuance lilas et le contenu du livre ? Oh ben forcément, puisque tout a un rapport avec tout, c’est le principe même du complotisme, jeu merveilleux et infini qu’ailleurs on appelle apophénie.

Voyons voir… Qu’évoque le violet ? Première image qui vient ? Le chocolat Milka. Milka, aussi suisse que le secret bancaire est évidemment associé à un complot lié au Covid-19 (« mille cas » , comme par hasard) ! Interrogeons aussi le langage des fleurs : la violette signifie Notre secret est bien gardé (complot !). Cette couleur violette est également celle des évêques (Vatican = complot !) et, plus tardivement, celle du féminisme (lobby = complot !), bref on n’est pas sorti des mailles du filet ! Qui est le coupable ? Le Cluédo nous avait prévenus, c’est le professeur Violet dans la bibliothèque.

Veuillez noter dans vos agendas : le samedi 24 juin à 18h, cet ouvrage sera officiellement inauguré en la librairie La Caverne, 11 rue Montorge, Grenoble. Lecture, dédicace, rencontre, et même un peu de musique, avec Marie Mazille en très spéciale guest-star. Donc nous chanterons.

Les « cinquante nuances de gris », les vraies

10/05/2023 Aucun commentaire

Blandine Rinkel est musicienne, chanteuse et danseuse, au sein du groupe Catastrophe (pour rappel : rediffusion au Fond du tiroir).

Elle est aussi écrivaine. Son dernier livre, quoique minuscule (publié d’ailleurs aux minimalistes éditions 1001 nuits) tombe fort bien : Les abus gris.

La couverture en forme de nuancier Pantone explicite le titre, et ringardise une bonne fois pour toutes les trop fameuses Nuances de Grey qui sous couvert de dernier cri érotique ne faisaient que réincarner, pour le coup sans s’encombrer de la moindre nuance, les archétypes masculinistes les plus éculés, les plus archaïques rapports de domination d’un sexe sur l’autre.

Ici, au contraire, est entrevue la vaste « zone grise » entre le pur et simple abus sexuel et le consentement explicite.

En plus du reste (« par-dessus le marché » comme disait l’autre) Blandine Rinkel est belle. La beauté est un pouvoir. Le désir aussi, celui qu’on éprouve, celui qu’on provoque ; la libido tout entière est un nœud de pouvoirs. Les rapports entre les hommes et les femmes sont des rapports de pouvoir, voilà qui est à peu près fatal. Or je fais systématiquement mien le crédo anarchiste : dès qu’il y a pouvoir, il y a risque et soupçon d’abus de pouvoir, la pente est naturelle. Dans le présent contexte, il ne s’agit pas d’imaginer qu’on va éradiquer le pouvoir lui-même – projet utopiste et d’ailleurs pas forcément souhaitable (comment tomber amoureux si l’on récuse toute emprise ?). Ce sont (nuance !) les abus qu’il faut surveiller et prévenir. On les surveillera et préviendra en parlant, en écrivant, entre sujets, sans que l’un soit l’objet de l’autre.

Notre époque depuis #metoo, en libérant la parole et en la rendant en somme obligatoire, a peut-être compliqué mais sûrement assaini les rapports de pouvoir entre hommes et femmes. Ce mini-livre contribue au débat.

Premier paragraphe :

A 18 ou 20 ans, je tenais à plaire aux hommes suffisants. Ceux qui, dans le milieu intellectuel notamment, semblaient avoir du pouvoir. Sans doute pour me prouver à moi-même ma maturité, je tenais à être désirée par des hommes mûrs. Ceux qui savaient, pensais-je, ce qui est digne d’être désiré et ce qui ne l’est pas (…) Il y avait un plaisir à créer de la frustration chez ces personnes repues, un plaisir à les sentir, parfois, encombrées par leur désir, sans toutefois le satisfaire.

Dernier paragraphe :

Je me fiche maintenant de plaire aux suffisants. J’ai fini de trouver des excuses à ceux qui dictent, asymétriquement, les règles du jeu érotique. Et j’ai fini d’éprouver de l’embarras à l’idée d’être ce que je suis : une femme, encore jeune, avec un corps de jeune femme, qui aime être désirée, mais à qui il importe plus encore d’être prise au sérieux. Une femme qui n’éprouve jamais de plaisir à être changée en objet malgré elle.

Entre les deux : une anecdote racontée avec minutie, éclairante, factuelle. Nuancée. Voilà de quoi nous avons besoin.

La Théorie de la compote, suivie de la Compote de la théorie

03/05/2023 Aucun commentaire

Deux ans jour pour jour après avoir déballé un carton et en avoir extrait le roman Ainsi parlait Nanabozo, je déballe un carton et j’en extrais mon nouveau livre, La théorie de la compote (L’Atelier du poisson soluble). Il sera en librairie le 19 mai. Soit, à nouveau, deux ans jour pour jour après Nanabozo. Cela commence a faire beaucoup de coïncidences. Les signes sont partout.

Les signes ne sont pas tous propices… Ce livre a enduré un nombre suspect de bâtons dans les roues… Il a cumulé tant de retard qu’il a failli ne jamais paraître.
1) En mars dernier, j’ai envoyé les épreuves à la correctrice qui réside en Auvergne, et mon courrier, mystérieusement égaré par la Poste, a mis quinze jours pour parvenir à destination (soit moins de 30 kms par jour en moyenne, j’aurais pu le faire à pied, c’eût été bon pour ma santé).
2) Au moment de l’impression, la machine de l’imprimeur est tombée en panne, retardant de trois jours la livraison.
3) Lorsqu’enfin le tirage fut prêt, le transporteur a récupéré la palette chez l’imprimeur mais l’a déposée « par erreur » (sic) non à l’adresse de l’éditeur mais devant chez un commerçant qui n’avait rien demandé.
4) Je feuillette l’ouvrage, je le trouve bien sûr très beau, mais… Bon sang, il a été façonné à l’envers ! Certes, la maquette est piégeuse puisque ce livre est à double entrée, La théorie de la compote (fiction) d’un côté, La compote de la théorie (essai) de l’autre. Or désormais la couverture de La théorie de la compote ouvre sur La compote de la théorie et réciproquement, ajoutant à la confusion ! Ne reste qu’à espérer que le lecteur s’imagine que c’est fait exprès… Ma résolution est prise : lorsqu’à l’occasion on me fera remarquer ce brouillamini, je sourirai d’un air énigmatique.

Toutes ces mésaventures empilées sont-elles réellement des accidents, du manque de chance à répétition ? N’y aurait-il pas quelque part, derrière le rideau des apparences, certaines puissances occultes, actionnant les leviers, et cherchant par tous les moyens à m’empêcher de révéler dans ce brûlot ce que je sais sur le complotisme ? Ces péripéties auraient-elles pour objectif final d’intimider les libraires qui à juste titre pourraient craindre que leur boutique prennent feu « fortuitement » le 19 mai s’ils plaçaient ce livre dans leur vitrine ?
Il suffit de réfléchir deux secondes et le jour se fait : à qui le crime profite ? Quel empire éditorial tremble devant l’indépendance farouche de l’Atelier du Poisson Soluble, qu’il n’a jamais réussi à racheter malgré quelques OPA agressives (il a échoué de même à mettre la main sur le Fond du Tiroir et depuis m’en veut mortellement) ?
Vincent Bolloré, bien sûr ! Vincent Bolloré et ses complices reptiliens bien placés dans le Vatican sataniste, la CIA islamiste, le Big Pharma illuminati, et la République en marche renaissante !

Réussirez-vous à lire La Théorie de la compote le 19 mai ? Le suspense continue.

Joie, beauté et couleur

01/05/2023 Aucun commentaire

Lu dans le Dauphiné libéré, un article aimable consacré au spectacle Goya : Monstres et merveilles en trio avec Bernard Commandeur, Christine Antoine et mézigue. Avec bien sûr une coquille, sans laquelle le Daubé ne serait plus le Daubé : « Fabrice Vigne au chant et au texte« . Non, non, ce coup-ci je ne chante pas, promis. Sauf si je suis dans un état second ? Si ça se trouve… mon dieu… Le Daubé aurait raison ? Je suis revenu du stage épuisé, confus, ébranlé nerveusement, je me serais mis à chanter sans m’en apercevoir, les Spermatos par exemple ? Voilà qui mérite un mirliton !

L’obscurité régnait dans l’aile du château / Et l’ombre de Goya enrobait le trio / Nous étions concentrés sur le « Très de Mayo » / Quand soudain retentit l’hymne des spermatos (de notre correspondant du Dauphiné Liberato)

Prochaines dates du spectacle : dimanche 25 juin 11h au Peuil (Claix) ; jeudi 19 octobre au Musée de Grenoble dans le cadre de la programmation « Musée en musique » .

Mais comme dans la vie il n’y a pas que « Goya et la musique espagnole » , Christine, Bernard et moi-même préparons un nouveau spectacle musicalo-biographico-pictural en trio : « Chagall et la musique russe » .
Déjà deux dates prévues : création à l’occasion des Journées du patrimoine, dimanche 17 septembre, en l’église Notre-Dame-des-Vignes, Sassenage ; reprise en appartement à Grenoble le mercredi 1er novembre (Toussaint).
Ce qui entraîne que ces jours-ci je lis pas mal de choses sur Chagall. C’est beau, Chagall. C’est féérique. C’est joyeux. C’est plus coloré que Goya (euphémisme).
Et puis à force de recherches, fatalitas et sérendipité, je tombe sur une citation de Jean-Marie Le Pen. Fin immédiate de la joie, de la beauté, et de la féérie.
Le 13 février 1984, date clef, Le Pen devient une star de la télévision et commence une ascension qui ne s’interrompra plus : il apparaît dans sa première émission en prime time, « L’Heure de vérité ».
Fort de son antisémitisme décomplexé et décomplexant, il profère cette ignominie, tous les Juifs dans le même sac :

« Je considère les Juifs comme des citoyens comme les autres… Ils ne le sont pas plus que ne le sont les Bretons ou d’autres. Je ne me sens pas obligé d’aimer la loi Veil, d’admirer la peinture de Chagall ou d’approuver la politique de Mendès-France ».

Près de 40 ans plus tard, Le Pen vient d’être hospitalisé pour un malaise cardiaque, mal en point. Il ne faut pas souhaiter la mort des gens, jamais, ça ne se fait pas. Par conséquent je ne dirai pas : « Qu’il crève » .

Pour le 1er mai, un brin de muguet peint par Chagall (vers 1975)
Ce ! N’est ! Qu’un ! Brin d’muguet !
Continuons le ! Com ! Bat !

Revenir sur la terre ou exploser en vol

29/04/2023 Aucun commentaire

Photo aimablement prise par un CRS pourtant sur les nerfs, qui faisait le pied de grue à la sortie de l’autoroute mais qui attendait des blacks blocs plutôt qu’un trombone et une nyckelharpa.

Ah quel stage que celui de création de chansons encadré par Marie Mazille et moi, trépidant, foisonnant et joyeux. entouré de plein d’autres ateliers plus sérieux mais tout aussi bons ! Si le monde (professionnel) était mieux fait je ne gagnerai ma vie qu’ainsi tant je me régale tout en régalant les autres. Prochaine session : dimanche 14 au samedi 20 avril 2024. En attendant vous pouvez vous inscrire au stage d’août de Mydriase, pas mal non plus.

Mais il faut bien revenir dans le vrai monde, qui vous attend au tournant. La semaine de stage était tellement intense que j’en ai oublié de regarder l’info – ce sevrage constituant un avantage bonus.

Voyons voir, qu’ai-je loupé d’essentiel ces derniers jours ? Ah, tiens, ça, enfin une info marrante : Le Starship, la mégafusée de SpaceX, explose en vol trois minutes après son premier décollage.

Voilà qui mérite un mirliton :

Quelle déconvenue, affligeante et très brusque,
Advient au gros poupon dénommé Elon Musk !
Il brise son joujou à grosse empreint’carbone
Dans son techno-av’nir y’a kekchoz qui déconne.

Le pays des ombres

17/04/2023 Aucun commentaire

Ce matin j’attrape 54 ans et, comme d’habitude, je comprends que plus on vit plus on enterre. Je rends grâce et hommage à ceux qui sont descendus à cet arrêt : Louis Owens, par exemple, est mort à 54 ans. Et salement, en plus.
Voilà ce que je pourrais faire pour mon anniversaire, relire le Chant du loup.

Poisson volant

06/04/2023 Aucun commentaire

Aujourd’hui : nouvelle journée de grève, mobilisation et manif contre la réforme des retraites. Nous en sommes à combien, septième, dixième, quarantième journée, je ne sais plus, j’ai perdu le fil, je ne les ai pas toutes faites.

Le gouvernement ne bouge pas. Le président ne bouge pas. Rien ne bouge à part l’essentiel, le Peuple (je luis mets une majuscule pour faire plus hugolien).

Or par hasard c’est aujourd’hui que passe sous mes yeux Le Président d’Henri Verneuil, vieillerie de 1961. Et je suis époustouflé de ce qu’il me dit sur la situation d’aujourd’hui.

Est-ce réellement, du reste, un film de Verneuil qui, après tout, n’a fait que diriger, filmeur plutôt qu’auteur ? Ou est-ce plutôt un film de Jean Gabin qui le porte tout entier sur ses épaules de patriarche ? Ou est-ce un film de Georges Simenon, qui écrivit le roman quatre ans plus tôt (le livre, qui tourne davantage autour de la décrépitude du protagoniste, ancien président du Conseil rédigeant ses mémoires et méditant ses combats, est plus morbide et crépusculaire que le film) ? Ou est-ce un film de Michel Audiard dont l’esprit vachard suinte de chaque réplique ?

Le film est resté célèbre pour un bon mot :

– Il existe des patrons de gauche, je tiens à vous l’apprendre !
– Il existe aussi des poissons volants, mais ils ne constituent pas la majorité du genre !

… mais on pourrait citer treize bons mots à la douzaine. J’en prélève un autre qui me plaît beaucoup, très classe et bien loin du cynisme que l’on prête d’ordinaire à Audiard :

Monsieur le Président, vous pouvez tout !
– C’est bien pour ça que je ne peux pas tout me permettre.

Surtout, ce que ce film nous raconte d’utile pour comprendre aujourd’hui, et peut-être toute l’histoire politique française, tient en une idée-force : la loi est faite par les riches, afin de les rendre encore plus riches.

Ce film parle, comme si on y était, de l’arrivisme en politique : de notre startup nation, de sa startup assemblée, de son startup sénat et de son startup président, à cause de qui la vraie démocratie sera encore, sera toujours, confisquée par la ploutocratie. La déconnexion entre les députés Renaissance qui ont voté la réforme des retraites et les Français qui la subiront, est en réalité une très ancienne tradition. Cette tradition est ici mise en scène, en direct de 1961.

Gabin incarne un type d’honnête homme, animal politique intègre et idéaliste, plus rare encore dans le monde réel que les poissons volants (en guise de repère, il s’était fait grimé en Georges Clémenceau car le Tigre était l’un des rares hommes politiques qu’il respectait), tandis que son adversaire, le député Philippe Chalamont qui attend son heure à la Chambre après avoir fait carrière dans les banques d’affaires (sic), interprété par Bernard Blier, est quant à lui un modèle infiniment plus courant, récurrent, voire banal, un invariant de la médiocrité. On aurait hélas pour le réincarner aujourd’hui l’embarras du choix : il est Macron bien sûr, comme il a été Sarkozy le président des riches, il a été Fillon, il a été Juppé droit dans ses bottes, il est chaque ministre pris, telle Agnès Pannier-Runacher, la main dans le pot de confiture du conflit d’intérêt, il est l’ignoble Jérôme Cahuzac, il est leurs prédécesseurs et leurs successeurs. Il est le Pouvoir politique français en personne, autrement dit le business, la bourgeoisie capitaliste, depuis, grosso-modo, que Thiers a écrabouillé la Commune pour installer les épiciers.

Dans la tirade la plus célèbre du Président, exceptionnel exercice d’éloquence que les détracteurs du film ont qualifié de populiste (on disait poujadiste à l’époque), Gabin seul contre tous commence par rappeler :

J’ai vu la police charger les grévistes, je l’ai vue aussi charger les chômeurs, j’ai vu la richesse de certaines contrées et l’incroyable pauvreté de certaines autres…

Oh oh… Est-ce un reportage d’actu ? Elle en est où, la manif, dites ?
Puis, Gabin président rappelle que l’affairisme est la clef historique de toute politique (y compris le colonialisme ! quand le film sort, la France n’est pas encore sortie de la guerre d’Algérie). Ensuite, extralucide, il assène que l’Europe en train de se construire sera celle des multinationales et des lobbies :

La constitution de trusts horizontaux et verticaux et de groupes de pression qui maintiendront sous leur contrôle non seulement les produits du travail, mais les travailleurs eux-mêmes. On ne vous demandera plus, messieurs, de soutenir un ministère mais d’appuyer un gigantesque conseil d’administration.

Et pour terminer en apothéose, flinguant sa carrière, il se met à interpeler par ordre alphabétique chaque député dans l’hémicycle et énumère ses intérêts. Geste anachronique et jouissif du lanceur d’alerte. Tous ces élus du peuple en croquent et pensent à leur biftèque, CQFD. Essayez de visionner l’extrait sans vous laisser gagner par l’hallucination de regarder LCP en 2023 (quoiqu’en 2023 on verrait davantage de femmes, déjà ça de gagné même si le progrès est modeste, on trouve des femmes d’affaires parmi les hommes d’affaires) :

Post-scriptum qui n’a presque rien à voir :
Indigné par les propos de Gérald Darmanin, écœurant ministre de l’Intérieur (ça ne sent pas très bon à l’intérieur, faudrait aérer) sur la Ligue des Droits des L’Homme, je viens de me précipiter pour adhérer à cette vénérable association.
Je ne suis pas le seul.
Intéressante variation sur l’effet Streisand.

J’espère que cet afflux des dons ne servira pas de prétexte supplémentaire à couper les aides publiques.

Homo Sapiens Predator

01/04/2023 Aucun commentaire
This handout picture released by the Egyptian Ministry of Antiquities on March 25, 2023, shows mummified ram heads uncovered in recent excavations at the temple of Ramses II in Abydos. A team of archaeologists from the US’ New York University uncovered more than 2,000 mummified ram heads dating from the Ptolemaic era, as well as other animal mummies and artifacts in the Temple of Ramses II in Abydos in southern Egypt, a discovery that points to a persevering ram cult 1000 years after Ramses II’s time, according to the country’s antiquities authorities. – == RESTRICTED TO EDITORIAL USE – MANDATORY CREDIT « AFP PHOTO / HO / EGYPTIAN MINISTRY OF ANTIQUITIES- NO MARKETING NO ADVERTISING CAMPAIGNS – DISTRIBUTED AS A SERVICE TO CLIENTS == (Photo by EGYPTIAN MINISTRY OF ANTIQUITIES / AFP) / == RESTRICTED TO EDITORIAL USE – MANDATORY CREDIT « AFP PHOTO / HO / EGYPTIAN MINISTRY OF ANTIQUITIES- NO MARKETING NO ADVERTISING CAMPAIGNS – DISTRIBUTED AS A SERVICE TO CLIENTS ==

Dimanche 26 mars 2023 : les autorités égyptiennes annoncent la découverte dans le temple funéraire de Ramsès II, dans la cité antique d’Abydos, à 435 kilomètres au sud du Caire, de plus de deux mille têtes de béliers momifiées datant de l’ère ptolémaïque ont été découvertes. Il s’agirait d’offrandes témoignant que le culte de Ramsès II était encore célébré mille ans après sa mort. D’autres momies d’animaux (brebis, chiens, chèvres, vaches, gazelles, mangoustes) ont aussi été mises au jour lors de ces fouilles. (Source : AFP)

La photo de ces innombrables cornes me rappelle quelque chose, que j’ai vu il n’y a pas très longtemps… Je réfléchis… Un charnier peut-être ? La guerre en Ukraine ? Ah, non, c’est autre chose, je sais.

Cette découverte égyptienne me passionne parce qu’elle ne nous parle pas d’hier, elle nous parle d’aujourd’hui et de toujours : elle parle d’Homo Sapiens Predator, de son inextinguible folie destructrice, de son élimination méthodique et pourtant enragée des autres espèces animales (en commençant par les plus gros, identifiés comme rivaux), de sa dévoration sans pitié de l’environnement vu comme pure ressource à sa disposition, de l’orgueil insane qu’il tire des trophées après le carnage, elle parle même de sa superstition imbécile et de ses religions consolatrices, les restes des animaux morts lui servant de gris-gris, de garantie propitiatoire dans l’eau-delà. Plus il tue, plus il échappera à la mort, croit-il, l’abruti.

Cette découverte égyptienne nous parle de Ramsès II, pharaon de la XIXe dynastie (vers -1304, vers -1213) aussi bien qu’elle nous parle de Victor-Emmanuel II, roi d’Italie (1820-1878). Il se trouve que je reviens d’un voyage dans le si beau Val d’Aoste où j’ai notamment arpenté le château de Sarre, acheté par Victor-Emmanuel et utilisé en tant que pavillon de chasse, camp de base lors de ses innombrables fêtes du plomb dans les montagnes alentour, notamment dans le Grand Paradis. Le roi adorait buter du bouquetin en masse et du chamois par paquets de douze – privilège aristocratique et symbolique. Droit de vie et de mort. C’est qui le patron, hein ? C’est qui le maître de la nature qui prend la pose pour la postérité avec son fusil, son chapeau et son chien ?

Le sel de l’histoire est que le boucher du Val d’Aoste, après avoir fortement contribué à la quasi-extinction du bouquetin des Alpes, passe pour son sauveur providentiel : inquiet de l’amenuisement de son gibier, soucieux de la pérennité de son hobby, Victor-Emmanuel fait interdire par décret la chasse au bouquetin dans les Alpes italiennes. Sauf dans la réserve royale et à son propre usage. Il y a pire, et plus sordide : le maniaque couronné transforme la tuerie en apparat, faisant décorer plusieurs salles et couloirs, plusieurs murs et plafonds du château de Sarre, avec un ahurissant et morbide amoncellement de centaines de cornes de bouquetin. On se croirait chez Ramsès. C’est bien ici que je l’avais vu. J’en ai même ramené un petit reportage photo :

Constance de l’instinct de mort d’Homo Sapiens Predator, qui hélas n’est pas un archaïsme mais un invariant : trente-trois siècles après Ramsès, un et demi après Victor-Emmanuel, cette découverte égyptienne nous parle, enfin, de Willy Schraen, copain de Macron et patron du désormais riche et puissant lobby des chasseurs. Taïaut ! Nous ne ferons pas de quartier et comme nos illustres prédécesseurs nous exposerons les cornes pour impressionner le quidam.

Rappel : le montant des aides accordées à la Fédération nationale des chasseurs (FNC) a connu une hausse fulgurante au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, passant de 27000 euros à 6,3 millions d’euros en cinq ans. Car la chasse est une priorité nationale absolue.

Rappel : bon an mal an, 80 à 100 accidents de chasse, dont une dizaine de morts (d’êtres humains morts, je veux dire). Willy Schraen réagit et déplore les victime collatérales : « Il n’y a pas de risque zéro » . Et de réussir à faire jouer les leviers de pouvoir en sa faveur, et d’inciter le Sénat à légiférer : pour réduire le risque de prendre un plomb dans la tête en se promenant en forêt, la solution est tout simplement d’interdire de se promener en forêt, cela s’appelle le délit d’entrave à la chasse.

Rappel : 70% des Françaises ne se sentent pas en sécurité en période de chasse et 78% demandent l’instauration d’un dimanche sans chasse. Ils n’ont pas été entendus. (Au fait et dans le même genre, 68 % des Français sont contre la réforme des retraites. Seront-ils entendus ? Y’a-t-il le moindre suspense ?)

Rappel : comme tous les gens de pouvoir (les religieux, par exemple), les chasseurs sont chatouilleux et ne supportent pas la critique, la dérision, la caricature. Le dessinateur Bruno Blum (qui, lors d’une vie antérieure, était connu en tant que producteur de musique sous le nom de Doc Reggae, réalisateur du meilleur album live de Gainsbourg) est actuellement poursuivi en justice et risque jusqu’à 12 000 euros d’amende pour une caricature qui malheureusement n’a pas fait rire M. Schraen :

On peut soutenir Bruno Blum ici. Un dernier dessin pour tester votre humour :

Les « hommes qui racontent des fables »

28/03/2023 Aucun commentaire

Hier soir j’étais de projection au village. Comme la programmation est aléatoire (il arrive que les films soit pré-loués par l’association de cinéma itinérant avant même leur sortie et tout avis critique), parfois le film est une bonne surprise, parfois une infâme panouille… Et parfois, au petit bonheur, un chef d’oeuvre. Dans ce cas, et c’est exceptionnel, je passe toute la séance assis sur mon fauteuil, je ne perds aucune miette, sans me lever une seule fois pour jeter un oeil au projecteur ou à l’ordi de contrôle. Et c’est ce qui est arrivé hier : je range The Fabelmans de Spielberg dans la catégorie chef-d’oeuvre. C’est un merveilleux film d’émerveillement et, sur l’enfance des cinéastes qui raconte par métonymie l’enfance du cinéma, je le place au même niveau que Jacquot de Nantes ou Fanny et Alexandre. Mais en outre c’est un film américain, et les USA, pays de cinéma, existeraient beaucoup moins sans les images qui bougent. Les écrivains américains rêvent tous, paraît-il, d’écrire « le grand roman américain » , en attendant ceci est un « grand film américain » qui saisit ce moment de l’histoire, les années 50 et 60, où l’Amérique est devenue une nation audiovisuelle. Naissance d’une nation, comme dit l’autre.

Ce que raconte Spielberg sur le cinéma est non seulement bouleversant (et l’apparition de David Lynch à la fin est beaucoup plus qu’une pirouette, c’est un couronnement), mais diablement intelligent : il nous montre sans jamais l’expliquer ce que signifie le cinéma filmé par son personnage-miroir, Sam Fabelman. Ainsi, dans le passage sur les années « collège » (on dirait un peu Grease, American Graffiti ou mille autre teenagers movies, mais en mieux, puisque vu à travers une caméra), son apprenti-cinéaste filme magnifiquement un athlète en pleine action (les images évoquent Leni Riefenstahl filmant les Dieux du Stade, autre cinéaste d’une grande nation de cinéma et de propagande et, oui, en filigrane, il est ici question d’antisémitisme). Or cet athlète, il le déteste et le méprise… Alors pourquoi ? La réponse est tout sauf superficielle.

Quelle ambiguïté ! J’avoue que je n’en espérais pas autant de Spielberg, que je croyais plus simpliste. Y compris sur les relations familiales : Spielberg a toujours eu une tendance au mélo et au happy end familial… Rien de tel ici, tout est plus délicat que d’habitude, plus tragique que mélancolique. Magnifique. Espérons juste que ce ne soit pas un enterrement de première classe et que le cinéma vive encore longtemps. The Fabelmans a fait un bide, échec le plus cuisant de son auteur.