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Fond de saison

Comment ? Déjà la pré-rentrée ? Pour clore la saison 2010-2011 in extremis avant la suivante qui pointe à l’horizon, je viens de rédiger, en-retard-en-retard, le compte-rendu de ma collaboration, pour la troisième année consécutive, au dispositif « À l’école des écrivains, des mots partagés ». Cette année, c’est auprès d’une classe de 4e du collège de Lubersac, en Corrèze, que je fus envoyé prêcher. Le compte-rendu est lisible ici. Je préviens qu’il est nettement moins sensationnel que celui de l’an dernier lorsque, je le rappelle, mes aventures à la Villeneuve de Grenoble avaient défrayé ma petite chronique – on peut relire tout le feuilleton depuis le premier épisode.

Eh bien, oui, cette année la rencontre avec les p’tits gars et les p’tites gonzesses de Lubersac s’est déroulé sans anicroches. Serein comme un vieux loup de mer, décevant comme un train qui arrive à l’heure. Presque une routine. J’ai fait mon job, eux aussi, on s’est amusé, on a écrit, on a voyagé. Est-ce utile ? Sans doute. Moins que le travail que je ne fais pas à la Villeneuve de Grenoble ? Peut-être.

Il n’en reste pas moins que l’état de l’Education Nationale est globalement préoccupant. L’un des intérêts, pour mon édification perso, de ces incursions bon an mal an dans le paysage scolaire, est de me fournir la température d’un milieu qui chauffe. Or l’un des souvenirs les plus marquants que je conserverai de Lubersac n’a pas eu pour cadre la salle de classe, mais celle des profs où, à l’heure de la récré, un professeur de sciences, binocles et collier de barbe à l’ancienne, à un an de la retraite, a vidé devant moi son sac de lasse indignation alors que je ne le connaissais ni d’Ève ni d’Adam. Ah, j’aurais dû enregistrer, ou retranscrire immédiatement cette tirade extraordinaire, ce réquisitoire lucide, ce diagnostic implacable sur un métier qui aura tellement changé durant sa carrière presque close. Il ne m’en reste que peu de faits précis, juste une impression générale : à coups de suppressions de postes, de moyens, de formations, de considération, d’attention, de cohérence, l’inexorable déliquescence des conditions de l’enseignement dans notre pays s’est sensiblement accélérée ces dernières années. Il faut le voir pour le croire, il faut écouter pour constater à quel point l’enseignement est devenu un métier précaire, pédagogiquement, matériellement, institutionnellement, psychologiquement, et même idéologiquement, comme si la connaissance elle-même était devenue une valeur impossible sur le long terme, périmée.

Cet homme parlait presque pour lui-même, mais à la faveur d’un petit silence j’ai tout de même pu en placer une : « Dans ces conditions… Comment ne sombrez-vous pas tous dans le cynisme, ou bien dans l’aigreur, ou la dépression, ou l’alcoolisme ? Comment arrivez-vous encore à enseigner ? Pourquoi continuez-vous à venir au boulot le matin ? » Il m’a regardé comme s’il réalisait que j’étais là et m’a répondu sur le ton de l’évidence que l’on répète sempiternellement mais gentiment au cancre : « Mais… Pour les enfants. Je suis là pour les enfants. Il nous faut recommencer, chaque année, chaque rentrée, parce que ce sont de nouveaux enfants, qu’ils se moquent bien des directives ministérielles au-dessus de leur tête, qu’ils se moquent bien de nos affres, et qu’il faut faire quelque chose avec eux, ici et maintenant. »

J’éprouve, derechef, un immense respect pour le corps enseignant. Les blagues anti-profs ne me font pas beaucoup rire, je les trouve en ce moment, toutes proportions gardées, aussi spirituelles qu’une blague antisémite pendant l’Occupation.

L’éducation, j’en suis de plus en plus convaincu, est l’enjeu politique numéro un, puisqu’elle applique et concrétise l’idée qu’une société se fait de son propre avenir. Mais peut-être faut-il être de gauche pour placer ainsi l’éducation en tête des priorités ? (Clivage gauche-droite expliqué aux enfants : traditionnellement, pour la construction de l’individu-citoyen, la gauche croit à l’éducation et la droite à l’héritage.) L’an prochain, nous élisons un président. J’éplucherai attentivement les programmes en matière d’éducation des uns et des autres, pour vérifier si oui ou non certains candidats sont de gauche. Et pour commencer, je lis dans l’actualité un grand progrès en arrière toute ! La nouveauté propre à redresser la France est le retour dans les programmes scolaires de la leçon de morale. Hon-hon… Je note… Un tel « progrès » ressemble davantage à un héritage qu’à une éducation, non ?

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