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Chat mignon

13/12/2013 2 commentaires

AFFICHE-fais moi peur

Vendredi 13 : date parfaite pour publier la réclame de Fais-moi peur.

Après une saison III au taquet qui engendra un roman monstrueux, et peut-être même un livre à paraître au Fond du tiroir, le vibrionnant Olivier Destéphany et moi-même avons quelque peu raboté les ambitions de notre rendez-vous annuel d’épouvante et de musique, Fais-moi peur. Pour construire cette saison IV, à forte teneur en spectres, nous revenons aux fondamentaux, et puisons dans le répertoire, comme nous l’avions fait lors des deux premières moutures. Nous donnerons à entendre du Poe, du Maupassant, du Lovecraft, du Dickens… ainsi que des compositions originales d’Olivier, interprétées par l’orchestre à cordes les Aventuriers de l’archet perdu, toujours fermement dirigé par Christine Antoine.

Devinette : en examinant le charmant chat borgne qui orne l’affiche, dessinée par Ludo Chabert (cliquer ici pour entendre un autre des talents du gaillard), saurez-vous identifier la nouvelle d’Edgar Allan Poe j’aurai le terrible honneur d’incarner ce soir-là ? À gagner : une entrée gratuite pour ce spectacle gratuit. Mardi 21 janvier 2014, Espace culturel l’Odyssée, Eybens.

 

Ephémère et saisonnier

01/12/2013 un commentaire

carte Halle12-07 1

Amis parisiens : pour la troisième et ultime fois, les livres du Fond du tiroir seront trouvibles, lisables, feuilletibles, collectables, et même achetibles lors de la Librairie éphémère qui se tiendra Halle Saint Pierre du 10 décembre au 5 janvier, grâce à Isabelle Gautray des éditions Passage piétons. Vous en profiterez pour admirer nombre d’autres merveilles discrètes et exclusives, dont des peintures de Valérie Dumas qui, loin de n’être que madame-Jean-Pierre-Blanpain, est une artiste à forte et singulière personnalité.

Amis non-parisiens : chassez vos complexes, s’il vous plaît, ainsi que la paille de vos sabots ! Car pour vos cadeaux de Noël, demeure le secours du bon de commande.

Strictement aucun rapport (n’en cherchez pas, vous ne feriez que l’inventer) : je vous prie de lire toutes affaires cessantes ce texte de Gilles Deleuze, qui décrit en 1990 la société de 2013, soit « la société de contrôle », s’inscrivant historiquement à la suite de la « société de souveraineté » et de la « société disciplinaire ». Deleuze ne pouvait deviner quels seraient les moyens exacts de ce contrôle (le World Wide Web restait à inventer, les réseaux dits sociaux étaient des calepins en papier et les cookies des biscuits au chocolat, la NSA n’était pas outillée, la géolocalisation par téléphone cellulaire relevait de la science fiction, etc.) mais il parle de tout le reste, les principes d’organisation, l’infrastructure, comme s’il le voyait en détails dans sa boule de cristal. J’en suis comme deux ronds de flan. Pouvoir surnaturel ? Non, athlète de la pensée.

Rien de nouveau sous le soleil de novembre

24/11/2013 2 commentaires

salon_livre

J’aurais volontiers parlé des impôts. Ras-le-bol du ras-le-bol fiscal ! On dirait que tous les Français, pas seulement les jockeys et cavalières, mais bientôt les golfeurs, yachtmen voire les joueurs de polo et de cricket, ne veulent pas payer moins d’impôts, mais plus d’impôt du tout parce qu’ils ont petit à petit perdu le sens du pot commun, à cause de la crise partout-partout qui replie sur le moi-d’abord, à cause du néolibéralisme dilué dans l’air du temps, à cause de Depardieu, de Cahuzac, des unes de magazines, ou de l’équipe de onze demeurés en shorts qui gagnent deux cents fois le salaire d’une assistante sociale. Or me prend l’envie de crier vive l’impôt ! Un mois de mon salaire par an tombe dans le pot, et imaginez un peu, je suis heureux ravi comblé de payer des impôts, parce que ça signifie non seulement que je gagne de l’argent, bonne nouvelle, mais qu’en plus je le redistribue aux pauvres ! La pédagogie manque : expliquons aux Français que chaque contribuable, en fait, est un peu Robin des Bois – et puis tant qu’on y est, faisons réciter à l’école l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789… mais non, pas les impôts, pas de politique, cela vous ennuierait autant que moi, ras-le-bol du ras-le-bol du ras-le-bol fiscal, je parlerai plutôt d’un autre marronnier : Montreuil.

Quoi de nouveau sous le soleil de novembre ? Novembre, c’est la neige plutôt que le soleil, et les néons du salon du livre de jeunesse de Montreuil plutôt que la lumière naturelle.

« Montreuil » (métonymie) aura lieu ce week-end et rendra visible la littérature jeunesse, trois jours par an, comme tous les ans. Et toujours, toujours, refleuriront les mêmes polémiques sur la légitimité de cette « littérature » de second rang, le même déficit de reconnaissance, la même crise d’identité, les mêmes moulins à vent, les mêmes clichés immémoriaux à combattre si on en a l’énergie. J’ai tenté de le faire quelquefois, en 2010, ou en 2011, quand j’avais l’énergie. Cette année, je ne m’en mêle pas, mais en lieu et place j’invite quiconque parcourt le présent blog, soit par habitude, soit par accident, à lire attentivement l’excellente lettre ouverte d’Eric Senabre sur le sujet. Tout y est mieux dit que je ne saurais.

Mais je crains que cela ne suffise, comme d’habitude, qu’à prêcher les convertis. Il n’y aura rien de nouveau sous le soleil de Montreuil en 2014 non plus, ni en 2015, ni en 2030, tant « l’infernale échelle des valeurs à la française » dont parle Eric Senabre est une irrémissible structure de la doxa culturelle, et pour longtemps encore la littérature de jeunesse, la première littérature, souffrira condescendance, indignité et voyage en strapontin. C’est, en conséquence, du point de vue de la sociologie qu’il faut analyser le phénomène.

J’avance l’argument que le mépris de la littérature de jeunesse recouvre simplement le mépris plus global de la jeunesse. Pour se faire une idée actuelle de ce dernier, il n’y a qu’à lire certains commentaires haineux des manifs lycéennes de soutien à Leonarda : petits merdeux manipulés, derniers petits bâtards du gauchisme fainéant, idéalistes irresponsables en temps de guerre, enfants gâtés de bobos en cocon, vous ne comprenez rien à la situation économique de la France, quand vous cesserez de fumer des joints la raison vous reviendra et vous refuserez vous aussi de payer pour les envahisseurs, allez plutôt préparer votre bac, allez étudier, allez travailler, allez consommer, allez vous coucher… alors que ces ados activistes ont fait preuve d’une détermination et d’une conscience politique propres à redonner espoir à pas mal de barbons.

Entre temps, la lecture d’un livre de Pierre-Michel Menger vieux de 12 ans déjà m’a soufflé une autre explication. Menger prétend que l’artiste, en tant que sujet social, loin des clichés bohèmes fantasmant un créateur farouchement indépendant, indifférent aux contraintes socio-économiques, est en réalité le lieu d’expérimentation des conditions de vie ultra-libérales. L’artiste est un prototype conçu pour affronter la loi de la jungle, l’avant-garde du travailleur d’aujourd’hui et surtout de demain, et les compétences qu’il doit valoriser sont à peu près les mêmes qu’un DRH apprécierait chez son employé. Précarité, intermittence, et cependant séduction, dynamisme, adaptabilité de mercenaire, créativité, individualisme, flexibilité absolue, couverture sociale aléatoire, résignation aux abyssales inégalités de ressources (succès pharaonique de quelques uns miroité dans les pupilles d’une foule de galériens), et, par conséquent nous y voici, compétition de tous contre tous. Le champ littéraire, en tant que champ artistique, est un champ de courses. Ce contexte économique de compétitivité exacerbée permet peut-être, lui aussi, de comprendre pourquoi la littérature de jeunesse soit systématiquement daubée, notamment par les tenants d’une littérature « sérieuse » qui tient le siège de la maison. Le secret, c’est « nous sommes les vrais, les uniques », il n’y a pas de place pour tout le monde. La divine main invisible du marché triera. Les plus faibles, les plus discrets, les plus gentils, les niches commerciales, les jeunesses ? Qu’ils crèvent, ou, du moins, qu’ils aient la décence de la fermer.

Rha, et voilà, ma langue a fourché sept fois dans ma bouche, j’ai parlé politique.

Rien de nouveau sous le soleil de Montreuil ? Baste, foin de fatalisme grincheux. Les livres sont là. Un enfant qui ouvre un livre, c’est toujours nouveau. Il y aura toujours quelque chose de nouveau sous le soleil de Montreuil : des livres, des auteurs, des lecteurs. De la littérature, parfaitement.

Graphique roman

13/11/2013 Aucun commentaire

Jim Curious   jeanine

L’an dernier, j’ai lu un formidable album pour enfants intitulé Jim Curious (2024 éditions). Le protagoniste qui donne son nom à l’ouvrage est un petit garçon réjoui, très à l’aise dans son corps un peu empâté, qui a toute la vie devant lui, et qui ne prononce pas une seule parole, il a mieux à faire que de parler. Il nous entraîne dans un voyage ludique au fond des mers, en scaphandre, dans le monde du silence et de la 3D d’antan, anaglyphe, rouge et bleu… un tour de magie, un émerveillement. Un boulot de fou, et un livre admirable. C’était signé d’un certain, comment dites-vous, Matthias Picard, okay, connais pas, enchanté.

Vers la même période, j’ai lu une formidable bande dessinée comme en publie l’Association, intitulée Jeanine. La protagoniste qui donne son nom à l’ouvrage est une personne authentique, une prostituée sur le retour rencontrée par l’auteur, qui a vécu, et qui, encore à l’aise dans son corps un peu diminué, veut bien nous le raconter, et qui parle, qui parle, qui n’arrête pas de parler. (Au passage, il est rudement intéressant d’entendre une pute parler au moment même où la prostitution devient un débat politique et que les principales intéressées ne s’expriment guère…) Une bande dessinée audacieuse, émouvante, ancrée dans le réel et dans sa représentation, qui exige un engagement profond de l’auteur comme du lecteur. Un boulot de fou, et un livre admirable. C’était signé d’un certain, comment dites-vous, Matthias Picard, okay, connais pas çui-là non plus, enchanté de même.

Je n’ai absolument pas fait le rapport.

Il a fallu que je rencontre Matthias Picard, chair et os et mal rasé, ce week-end sur le salon de Saint Priest pour réaliser que les auteurs respectifs de ces deux livres étaient un seul gars, qui a plein de talent, certes, mais qui a plein de talents.

Il m’a dit : « Je n’ai pas spécialement cherché à créer des liens entre les deux livres, je n’en avais pas besoin, pour moi les liens existaient déjà. J’ai simplement fait les deux en même temps, et il m’a fallu cinq ans pour en venir à bout. C’est une longue période, durant laquelle je passais de l’un à l’autre… »

Ah ? Okay. Eh ben, enchanté ! C’est bien, les salons. On fait des rencontres.

Celui de Saint Priest revendique, à bon droit, sa spécificité : défricher et honorer la « petite édition et la jeune illustration » , et j’ai été ravi, moi-même petit tout petit éditeur, d’y être à nouveau invité, grâce à l’exposition Double tranchant de JP Blanpain (très belle, vous ne savez pas ce que vous avez perdu, tout n’est pas trop tard, elle est désormais visible à la médiathèque, jusqu’à noël). Mais, récemment, ce salon s’est découvert une thématique supplémentaire, peut-être un chouïa moins originale : le roman graphique. On ne sait pas exactement ce que c’est, le roman graphique, sinon la désignation un peu affectée d’une sorte de bande dessinée, chic et moderne, qui chercherait la respectabilité afin de n’être plus confondue avec les Petits Mickeys qui, eux, sont si vulgaires, façon Rapetou

Expression attrape-tout, aimable, honorable, mais un peu floue. Même Double tranchant, sous prétexte qu’on y trouve du texte et des images, a été qualifié de Roman graphique, ce qui pour moi est un contresens. Double tranchant est moins pompeux que cela : c’est une nouvelle illustrée.

En vérité, si les mots Roman graphique sonnent si bizarrement à nos oreilles, c’est qu’ils sont la traduction littérale et inutile de graphic novel, expression inventée par Will Eisner aux Etats-Unis dans les années 1970 afin d’émanciper la bande dessinée des comic books, c’est-à-dire des publications bon marché et périssables, imprimées comme-je-te-pousse sur papier pulp, vendues aux moutards dans des kiosques, sur des tourniquets à côté des bonbecs… pour viser la librairie, la maturité, la dignité, le roman, le livre. Traduire graphic novel en roman graphique était d’autant plus superflu que nous n’avions pas besoin d’importer la notion elle-même : en Europe, les bandes dessinée jouissaient déjà depuis des décennies, certes non sans ambiguïté, de la légitimité que confère la publication sous forme de livres reliés et cartonnés, en librairie, en bibliothèque, à la maison.

Mais peu importe… Saint-Priest fait à merveille son boulot de salon, et n’est pas responsable des modes langagières ! Si les mots roman graphique permettent de découvrir d’aussi beaux objets que Jeanine ou Jim Curious, qui sont par ailleurs des bandes dessinées, ainsi que des livres, allons-y Chochotte, au diable les étiquettes (à part peut-être le nom de l’auteur sur la couverture, ça rend service, tout de même), vive le roman graphique messieurs dames, bonne continuation à Saint Priest et merci pour tout.

Tiroir mou paranoïaque critique

07/11/2013 Aucun commentaire

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Il ne respecte rien ! J’avais un beau logo, voyez ce qu’il en a fait ! Maintenant il va marcher beaucoup moins bien, forcément !

Il a déjà exercé ses talents de terroriste sur quelques stars des arts, mais voilà qu’il s’en prend à mon honnête raison sociale ! Et tout ça pour un bon mot, le sacrilège !

« Il » c’est jean-Pierre Blanpain bien sûr. Chic, on se retrouve ce week-end à Saint Priest. Vous y serez ?

Il y aura aussi la lecture musicale Double tranchant et sou double, avec un peu d’IKEA dedans, le dimanche à 14h, avec Christophe Sacchettini et Norbert Pignol. C’est bien. Je serais volontiers dans la salle mais hélas je ne peux pas être partout, je serai sur scène.

Ah et puis aussi en Belgique j’ai vu ces gens-là

04/11/2013 Aucun commentaire

Ils sont tous là, suspendus à hauteur d’oeil sur un mur du Musée des Beaux arts de Gand. On les reconnaît, un par un.

D’abord… D’abord, y’a l’aîné (çui qu’est comme un melon, qu’est complètement cuit et se prend pour le roi). Et puis, y’a l’autre (des carottes dans les cheveux, qui fait ses petites affaires). Et puis, y a les autres (la mère qui ne dit rien ou bien n’importe quoi, la toute vieille qu’on attend qu’elle crève). Et puis au beau milieu, dans son cadre (sur sa croix) en bois, le figé pour toujours, l’icône du patriarche, qui est mort et qui regarde son troupeau… Ça fait des grands pschlfchlfr.

Je ne les ai pas seulement vus, je les ai regardés longtemps. Je pouvais me permettre, j’étais seul dans la salle, un luxe, la solitude pour contempler la foule, en somme s’en extraire un instant, avant de replonger. Il y a de quoi faire. Cette masse cristallisée de grimaces concassées dans un tableau presque carré, est passionnante à admirer et à détester, le point de vue est à la fois chrétien et furieusement anti-chrétien, le fond est humaniste autant qu’anti-. L’innocente méchanceté, la roublardise coupable, l’ahurissement grégaire, la superstition fanatique… et toutes ces turpitudes pour accompagner, pour célébrer, pour engendrer quoi ? Un culte bi-millénaire de rédemption : et-puis-y-a-Frieda-qu’est-belle-comme-un-soleil, voyez comme elle est heureuse, comblée, sauvée, la Sainte Véronique en bas à gauche, d’avoir arraché au stand son T-shirt perso à l’effigie de l’idole, grâce au miracle de la vraie transpiration. De la part du Crucifié, c’était de bon coeur : même qu’il donnerait sa chemise à de pauvres gens heureux.

Mais il est tard, monsieur. Il faut que je rentre chez moi.

Appropriation du paysage

01/11/2013 2 commentaires

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Je passe deux jours à Bruxelles. J’aime la Belgique, alors je suis content, même sous la pluie. Je commence par m’acquitter d’un défi lancé par le facétieux et imaginatif Vincent Karle : une partie de geocaching sans GPS. Je dois retrouver des messages secrets que Vincent, en visite ici quelques jours avant moi, a collé à mon attention derrière un panneau, sous une armoire électrique, dans les replis d’un statue. Il a un grain, cet homme. Pourtant ça marche : je retrouve un à un ses trésors privés. Je suis épaté par cette expérience de ré-appropriation du paysage. Jamais je ne me serais lancé moi-même dans une telle aventure, je doute trop je suppose des traces que je laisse, je n’aurais pas donné deux heures d’espérance de vie à mes papiers dissimulés sous la pluie. Vincent a cru à ses mots inscrits dans les murs, à ce lisible ancré dans le lisible, à ce décor qui parle, à cette poésie. Merci et chapeau.

Ensuite, je visite le Centre belge de la Bande dessinée. J’espère ne froisser personne en déplorant l’abyssale futilité de cet endroit. Voir « pour de vrai » une statue de Tintin et sa fusée à carreaux, un Boule et un Bill taille nature, un schtroumpf aussi grand qu’un nain, une fresque murale en forme de marque jaune, et, le plus beau, un calot de groom de trois mètres de diamètre (sic) ne risque pas de faire avancer d’un millimètre la connaissance ni la reconnaissance de ce qu’est la bande dessinée. Ces artefacts navrants ne font peut-être même pas rêver les enfants et ne semblent bons qu’à refiler du fantasme 3D à des quinquagénaires fétichistes régressifs infantiles. Heureusement, l’expo temporaire est consacrée à Will Eisner, et à cet étage la bande dessinée redevient enfin un art vivant, audacieux, tremblant, explorateur, on goûte le travail et l’artiste, la singularité du geste. Les traits sur les planches originales émeuvent, émerveillent et donnent à méditer, enfin agissent ainsi que le fait dans le meilleur des cas toute oeuvre sur cimaise. Will Eisner n’a jamais cessé de s’approprier le paysage, de faire parler le décor urbain, de fondre les mots et les choses, de leur inventer un langage commun. Voici à quoi ressemblait sa poésie lisible/visible, identifiable au premier coup d’oeil :

spirit

Puis, mon temps bruxellois étant compté, je file sans tarder dans les Musées royaux, et spécialement au musée Magritte. Ici encore les murs parlent. Des citations de Magritte sont gravées, géantes, le long des salles d’expo, comme celle-ci :

L’art dit non figuratif n’a pas plus de sens que l’école non enseignante, que la cuisine non alimentaire, etc.

Les mots eux-mêmes figurent, l’intuition des deux artistes était identique. Magritte a comme Eisner été obsédé par les mots, les images, et la poésie qui les relie. Ces centres d’intérêt auraient pu conduire Magritte très naturellement à se consacrer à la bande dessinée – il a d’ailleurs écridessiné une planche intitulée « Les mots et les images » (in La Révolution surréaliste, 1930), qui y ressemble. Mais Magritte a choisi de peindre. Il peint par exemple L’Art de la conversation (1950) reproduit ci-dessous, évidemment cousin germain de la case d’Eisner ci-dessus. Ce faisant, Magritte s’approprie le paysage, et le fait parler. Les yeux fermés. C’est génial, certes. Mais pas tant que ça, je veux dire, pas si révolutionnaire, puisque ses recherches viennent au moins dix ans après celles d’Eisner. Lier les deux est une expérience intellectuelle fort fertile. Hélas nous ne serons pas nombreux à arpenter ce chemin. Les amateurs de Bozarts méprisent trop la bande dessinée pour soupçonner les merveilles qui leur échappent, les avant-gardes qui les dépassent, et ce n’est pas un pauvre machin comme le Centre belge de la bande dessinée qui pourra les faire changer d’avis.

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L’amie bidasse

27/10/2013 3 commentaires

 

Copyright ADAGP – Jean-Pierre Blanpain.

Le calot va bien avec la moustache. Le plagiaire farceur qui sommeille en Jean-Pierre Blanpain a encore frappé. (Il avait déjà commis cet attentat, et quelques autres.) Je relaye ce tableau uniquement parce que je m’en bidonne encore, mais c’est avec d’autres oeuvres que JPB sera à l’honneur le mois prochain à Saint-Priest… Visitez l’expo Double Tranchant ! (et tant que vous y êtes venez écouter la performance Double tranchant et son double par Christophe Sacchettini, Norbert Pignol et mézigue.)

Et ainsi les idées s’associaient

26/10/2013 Aucun commentaire

Je cherche sur ce blog d’autres façons d’écrire.

Parfois je trouve. Cette année j’ai trouvé, un dispositif, concrétisé par une série d’articles au rythme singulier. Trois principes. Un, observation naturaliste de la vie des idées dans leur milieu naturel, une idée entraînant la suivante, partons d’un point A (souvent plus général) pour arriver à un point B (souvent spécifique) ; deux, référencement systématique, arborescence, hommage à tout ce qui nourrit ; trois, pari sur le long format, dans l’espoir incertain de prendre de vitesse les écueils des pensées brèves, des trolls, des twitts, des pouces levés ou baissés en guise de conscience politique, des commentateurs de chroniques et des chroniqueurs de commentaires, des blogueurs dans mon genre.

Ces articles me demandaient parfois plusieurs jours de travail, je les prenais au sérieux, je les retravaillais jusqu’à ce que j’en comprenne le fil. C’était intéressant à faire. Le résultat je ne sais pas. TLNR, sans doute, comme disent les jeunes geeks. J’ai clos cette série et je cherche autre chose.

En guise de post-scriptum, un compendium de ces six articles et demi :

* Et ainsi les idées s’associent (numéro zéro) : Incipit et méthode de la série, Leonard de Vinci, les nuages, les cendres, les lézardes, les taches, Hermann Rorschach, Double tranchant, la religion, le nationalisme québécois, Stanley Kubrick, la syzygie, Théodore Botrel, la fatale mais non tragique absence d’originalité, Picasso, la beauté des contes, celle de la musique, Albert Einstein, Guy Debord.

* Et ainsi les idées s’associent (I) : Guy Debord, le professionnalisme, le modèle managérial appliqué aux sentiments, la représentation, la BNF, une agence de pub new yorkaise, le tout-écran, Le Tigre, Gérard Lebovici, Champ Libre, l’invective, l’opprobre, la mort dans un parking, Mesrine, une collégienne, une autre collégienne, Sébastien Cauet, une merde, perte momentanée de la civilité d’usage, réflexe dernier : ne pas se laisser faire.

* Et ainsi les idées s’associent (II) : le relevé de droits d’auteur, l’argent comme baromètre de la situation dans un milieu donné, Corinne Lovera Vitali, Jean-Pierre Blanpain, la profession d’écrire, France Culture, Denis Bourgeois, Composite, Ego comme X, Fabrice Neaud, L.F. Céline, « Voudriez-vous avoir la vie des auteurs que vous admirez ? », l’éditeur comme puissance d’adoubement de l’écrivain en tant qu’auteur, Lettre sur le commerce des livres de Diderot, Montfroc, un mètre cube de gravats.

* Et ainsi les idées s’associent (III) : USA, le meilleur et le pire du monde, Mark Twain, John Landis, Jacques Higelin, Manhattan en vrai pas en fiction, mais la ville absolue est fiction en 3D, culture populaire mondialisée, la bibliothèque municipale de Ghostbusters et d’Audrey Hepburn, Spiderman, John Coltrane, mendicité teigneuse, convivialité des musiciens, convivialité des New Yorkais, drapeaux, les Français aiment-ils être français, The Wire, Louis Armstrong, Mme Vigne professeur de chant, The Real Ambassadors, propagande du département d’Etat, conquête des cœurs par l’entertainment.

* Et ainsi les idées s’associent (IV) : New York (suite), World Trade Center, 11 septembre, mémorial, trou, les noms des morts mais peut-être pas tous, pays d’immigration, grand pays, tous Américains, « Monde, donne-moi tes pauvres, tes exténués ! » , oncle d’Amérique et gardien de chèvres, Georges Perec, Ken Loach, 1973, Salvador Allende, accueil les exilés, Villeneuve de Grenoble, l’honneur de lire en public le discours d’un homme politique d’exception, tous Chiliens.

* Et ainsi les idées s’associent (V) : Fables psychiatriques, Darryl Cunnigham, Vironsussi, clichés, prêt-à-porter de l’analyse psychologique, « spectre assez flou de la maladie », Mikkel Borch-Jacobsen, ringardise de la psychose maniaco-dépressive, personne fait plus ça, j’ai un trouble bipolaire c’est moins banal et plus cher, 18 milliards de dollars de chiffre d’affaire, la découverte d’un concept théologique grâce à Catherine Page, une réminiscence de Jérôme Blanc, Kondratiev, exaltation, abattement, Bejeweled, salon du livre de Troyes, pour les enfants la lecture n’est plus cool, La Mort du livre en 1932, la faute à l’électricité.

* Et ainsi les idées s’associent (VI) : Des nouvelles d’Alain, puis des nouvelles d’Alain Régnier dit « le préfet des Roms », crise partout-partout, haine pile au même endroit, imaginaire de la politique française, bouc émissaire, Mes aïeux, immersion en milieu étranger, photo-reportage, Yann Merlin, une lumière plutôt qu’une opinion, Envoyé spécial, TF2 en 2013, Villeneuve le rêve brisé, mise en scène du chaos et cerveaux disponibles, vent debout, 14 000 habitants, vioque hors sujet, confusionnisme, maudite banlieue, Bezons à travers les âges, histoire des médias/médias de l’histoire, TF1 en 1978, Après un rêve, Julie Desprairies, la grâce des comédies musicales comme métaphore mélancolique de l’harmonie sociale.

Des heures de lecture instructives et divertissantes pour toute la famille. Merci, le Fond du tiroir.

Loi 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration

17/10/2013 un commentaire

Okay. Je pourrais parler de Leonarda, ou de Lampedusa. Mais pour une fois je parlerai de ce que je connais. De quelqu’un que je connais.

17 octobre. Comme tous les 17 octobre, je célèbre Cyrus le grand, et les Perses.

J’ai un ami perse. Je suis conscient de ma chance, pas donnée à tous : un ami, un vrai, pas un facebook. Un frère, même si nos mères respectives ne sont pas au courant. Un avec qui l’apprivoisement prend des années, à la manière d’une rose ou d’un renard, je mentionne cette référence et c’est encore de l’amitié, puisque mon ami est lauréat d’une thèse de doctorat consacrée à Saint-Exupéry, je m’en souviens, j’y étais, j’ai filmé la soutenance, à près de vingt ans d’ici. Mon ami aime passionnément la littérature française, la langue française, la culture française, la France. Manque de chance, il est étranger. Alors la France ne l’aime pas. Il me l’a dit lui-même, et quels arguments aurais-je pu lui opposer ? Surtout dans le climat 2013. Il est iranien, mais également pratiquement canadien, et en outre un peu japonais sur les bords. Il est, est-ce avouable, musulman. Présentement, il habite et travaille dans une université en Malaisie, autre pays musulman. Son cas est grave.

Pour donner le niveau, pour faire entrevoir la sagesse, je copiecolle un extrait de notre correspondance. Il y raconte comment il s’est sorti d’un traquenard idéologique.

Au mois de juin dernier, j’ai été sollicité par une association étudiante de notre université pour prendre part à un débat public en amphi sur « L’Éducation et la Morale en Occident ». À part moi, cette table ronde de débat contradictoire réunissait un autre prof, la soixantaine, et un modérateur (au sens anglais du terme), devant un parterre de 200 étudiants. Le but du débat, sous-entendu dans le titre, était en quelque sorte de démontrer que l’Occident supposé immoral prodiguait une éducation qui l’était forcément ! Le modérateur a commencé par une brève présentation des deux protagonistes du débat, avant de donner la parole d’abord à mon collègue. Ayant fait des études de Maîtrise au Canada et au Royaume Uni, il défendait l’idée qu’en Occident l’éducation et le système universitaire sont immoraux. Et pour cela, il s’est contenté d’une série de slogans et de généralités enfantines. Quand ce fut mon tour, je leur ai dit en substance ceci :

« Si vous avez envie de critiquer l’Occident, je vous conseille de le connaitre d’abord. Vous ne pouvez pas faire l’économie d’une connaissance approfondie, au moins sur un sujet précis, par exemple sur le système éducatif, avant de prétendre formuler des critiques fondées. Et connaitre l’Occident nécessite d’y vivre, d’y étudier longtemps. Pour ma part, j’ai passé plus de 20 ans de ma vie dans ces pays occidentaux, en France essentiellement, mais aussi au Canada et au Japon. Mon collègue, avec tout le respect que je lui dois, vient tout juste de scander quelques slogans, sans parler concrètement de sa propre expérience occidentale, en ce qui concerne l’éducation. De mon côté je vais vous parler de mon expérience, en vous racontant uniquement quelques faits. Eh bien, c’est justement en France, pays typiquement occidental, que j’ai appris à tolérer l’opinion des autres. C’est dans ce pays que j’ai appris qu’il fallait respecter la vie des autres. C’est là que j’ai appris la pensée critique, le respect et l’importance de la loi. Et plus important encore, c’est la France qui m’a donné l’occasion de comprendre ce que c’est que la liberté. Tout au long de ma longue expérience occidentale, je me suis toujours senti libre de penser ce que je voulais, et de dire ce que je voulais. L’Occident m’a également montré qu’il fallait respecter le temps, en étant ponctuel, qu’il fallait être ouvert d’esprit en recevant les idées des autres, même si celles-ci étaient contraires aux miennes… Bref, c’est en Occident que je suis devenu plus moral. Plus spirituel aussi, plus ouvert d’esprit, plus respectueux des autres, plus libre. Surtout plus libre ! Mes amis, ne diabolisons pas l’Occident. Connaissons-le, puis essayons d’en tirer les meilleurs pour nos pays et nos cultures dits orientaux. La morale est une expérience humaine. Toute l’humanité y a contribué tout au long de l’histoire. Cessons de croire que nous avons le monopole de la Vérité, de la Morale, et de l’Éducation morale ! Nous avons besoin d’apprendre à être plus modeste. La modestie, si je ne me trompe pas, est une vertu morale. Il ne s’agit pas de nous dresser contre les valeurs ou l’éducation occidentales, qui sont les fruits des efforts et expériences historiques d’hommes et de femmes comme vous et moi. Au lieu de lancer contre elles des slogans gratuits et sans fondement, essayons de les étudier, et de les considérer avec respect et modestie. Et surtout essayons de les connaitre vraiment.

« Je ne suis pas ici pour défendre l’Occident à tout prix, mais pour vous dire que mon éducation morale doit beaucoup à l’Occident. L’Occident est une partie de l’Humanité, de l’Histoire humaine, donc de nous. Vous voulez faire quoi, l’effacer ? Et pour quelle raison ? Apprenons à l’observer, à l’étudier, à le respecter. De même que les occidentaux doivent faire la même chose vis-à-vis des pays orientaux. L’Orient est l’autre moitié de l’Humanité. L’Occident et l’Orient, même si désormais ces termes ne correspondent plus vraiment aux définitions qu’on leur donne en général, sont deux expériences historiques de l’Humanité, avec toutes les nuances nécessaires qu’il faut y mettre. L’Orient, dans son ensemble, n’est pas plus moral que l’Occident. Dans les deux hémisphères, des penseurs ont œuvré pour des vertus morales de l’Humanité. Ne tombons pas dans le piège simpliste et puéril d’une confrontation Occident-Orient. Au lieu de vous inventer des images fausses et des préjugés vides de bon sens, puisque vous êtes jeunes et vous en avez les moyens, essayez d’expérimenter l’Occident. L’Éducation est morale là où les êtres humains respectent les principes moraux ; qu’ils soient orientaux ou occidentaux. Elle devient immorale, quand les mêmes êtres humains s’éloignent de ces principes moraux : le respect, la tolérance, la liberté, la solidarité, la générosité, et la justice en font partie. Lorsque l’éducation, quelles que soient sa couleur, sa langue et sa religion, respectera ces principes, elle sera morale, et aboutira sans aucun doute à la sagesse universelle…

Il ressort clairement de ce témoignage que cet ami étranger-à-l’étranger n’est rien de moins qu’un ambassadeur de la France. D’ailleurs, outre la Marseillaise, il connait par coeur tout Charles Aznavour, Adamo, Jo Dassin et Michel Fugain.

Or, voilà que cet automne, pour la semaine prochaine précisément, mon ami envisage d’envahir la France. La motivation de son séjour est la suivante : assister à un colloque universitaire, à moins que ce ne soit venir jusque dans nos bras égorger nos fils nos compagnes, je ne sais plus laquelle des deux, je confonds toujours.

Accueillir son frère à son domicile devrait être la chose la plus naturelle, la plus spontanée du monde, un coup de fil et hop l’affaire est planifiée, embrassons-nous. Pas du tout. Rien n’est encore fait, il manque toujours une signature et mon ami est sur le point d’annuler son voyage (et de perdre son billet d’avion, déjà acheté). Les démarches depuis un mois se sont révélées compliquées, puis très compliquées, puis extraordinairement compliquées. Pour lui, qui a dû se rendre trois fois au consulat français de Malaisie (comme il n’habite pas à côté, c’est deux jours de voyage à chaque fois), puis pour moi, ici. J’ai passé une journée à faire la queue à la Mairie, à réunir des documents, et à remplir des formulaires. Le plus retors s’intitule « Attestation d’accueil » .

Je commence par me rendre dans la Mairie où je travaille, puisque je passe mes journées ouvrables dans cette commune. Non seulement le maire local ne peut pas signer pour moi ce formulaire, mais la Mairie elle-même refuse de me le délivrer, il faut que ce soit impérativement la mairie de la commune d’habitation. En revanche, on a bien voulu me donner, « pour me faire gagner du temps », la liste des pièces que je dois joindre :
– carte nationale d’identité ou passeport ;
– acte notarié ou une attestation notariée justifiant l’achat de mon domicile et mentionnant le nombre de pièces ;
– une quittance de téléphone ou de gaz-électricité de moins de tois mois ou la taxe d’habitation ;
– avis d’imposition ou de non-imposition ;
– fiche de salaires des trois derniers mois (ainsi que du conjoint) ;
– un timbre fiscal de 30 euros, non remboursable quel que soit la décision administrative.
Seuls les dossiers complets de toutes ces pièces sont acceptées. Ensuite, la demande est traitée comme pour une demande de passeport, on peut venir récupérer le dossier signé par le maire sous quinzaine. Puis il faut l’adresser au consulat qui avisera.

Je suis effaré. Pourtant le casse-tête de ces tracasseries bureaucratiques a un sens : il suffit de se souvenir que ce n’est là que la rigoureuse application de « la loi 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, du séjour des étrangers, et à la nationalité » dite « loi Sarkozy » , et soudain tout devient clair. (Sarkozy, vous vous souvenez ? Mais si, le fils d’immigré hongrois. Vous l’avez oublié ? Bon, pas grave, imaginez à la place Manuel Valls, fils d’immigré espagnol.) La France contrecarre la moindre velléité de fraternité, elle épuise et décourage les invitations, afin de garantir qu’il ne s’agit pas d’immigration clandestine déguisée en hospitalité. Car un spectre hante l’Europe, celui de l’étranger égorgeur de fils et de compagne.

Coïncidence : au moment où je tente d’aider mon ami à accomplir son vol Malaisie-France, le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, revient d’une visite officielle en Malaisie. Qu’était-il allé faire si loin ? Apparemment, entériner une  reculade du gouvernement, une autre, celle-ci à propos de la loi dite Nutella. Ah, bon. Les amis malais d’Ayrault, eux, au moins, sont rassurés, les affaires continuent.
Je me demande où Ayrault a résidé, là-bas. J’espère qu’il aura fait les démarches correctement, et qu’il aura trouvé un Malais complaisant et fortuné pour l’héberger, qui aura rempli les bons formulaires, qui aura précisé le nombre de mètres carrés de son logement, et qui aura justifié de ressources suffisantes pour assurer, même temporairement, le train de vie d’un Premier Ministre. Je ne doute pas que M. Ayrault ait montré l’exemple et soit en règle. En effet, l’un des premiers devoirs de l’élite au pouvoir est l’exemplarité. Vive la France ! Vive l’armée ! Vivent les poils sous le nez !