Loi 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration
Okay. Je pourrais parler de Leonarda, ou de Lampedusa. Mais pour une fois je parlerai de ce que je connais. De quelqu’un que je connais.
17 octobre. Comme tous les 17 octobre, je célèbre Cyrus le grand, et les Perses.
J’ai un ami perse. Je suis conscient de ma chance, pas donnée à tous : un ami, un vrai, pas un facebook. Un frère, même si nos mères respectives ne sont pas au courant. Un avec qui l’apprivoisement prend des années, à la manière d’une rose ou d’un renard, je mentionne cette référence et c’est encore de l’amitié, puisque mon ami est lauréat d’une thèse de doctorat consacrée à Saint-Exupéry, je m’en souviens, j’y étais, j’ai filmé la soutenance, à près de vingt ans d’ici. Mon ami aime passionnément la littérature française, la langue française, la culture française, la France. Manque de chance, il est étranger. Alors la France ne l’aime pas. Il me l’a dit lui-même, et quels arguments aurais-je pu lui opposer ? Surtout dans le climat 2013. Il est iranien, mais également pratiquement canadien, et en outre un peu japonais sur les bords. Il est, est-ce avouable, musulman. Présentement, il habite et travaille dans une université en Malaisie, autre pays musulman. Son cas est grave.
Pour donner le niveau, pour faire entrevoir la sagesse, je copiecolle un extrait de notre correspondance. Il y raconte comment il s’est sorti d’un traquenard idéologique.
Au mois de juin dernier, j’ai été sollicité par une association étudiante de notre université pour prendre part à un débat public en amphi sur « L’Éducation et la Morale en Occident ». À part moi, cette table ronde de débat contradictoire réunissait un autre prof, la soixantaine, et un modérateur (au sens anglais du terme), devant un parterre de 200 étudiants. Le but du débat, sous-entendu dans le titre, était en quelque sorte de démontrer que l’Occident supposé immoral prodiguait une éducation qui l’était forcément ! Le modérateur a commencé par une brève présentation des deux protagonistes du débat, avant de donner la parole d’abord à mon collègue. Ayant fait des études de Maîtrise au Canada et au Royaume Uni, il défendait l’idée qu’en Occident l’éducation et le système universitaire sont immoraux. Et pour cela, il s’est contenté d’une série de slogans et de généralités enfantines. Quand ce fut mon tour, je leur ai dit en substance ceci :
« Si vous avez envie de critiquer l’Occident, je vous conseille de le connaitre d’abord. Vous ne pouvez pas faire l’économie d’une connaissance approfondie, au moins sur un sujet précis, par exemple sur le système éducatif, avant de prétendre formuler des critiques fondées. Et connaitre l’Occident nécessite d’y vivre, d’y étudier longtemps. Pour ma part, j’ai passé plus de 20 ans de ma vie dans ces pays occidentaux, en France essentiellement, mais aussi au Canada et au Japon. Mon collègue, avec tout le respect que je lui dois, vient tout juste de scander quelques slogans, sans parler concrètement de sa propre expérience occidentale, en ce qui concerne l’éducation. De mon côté je vais vous parler de mon expérience, en vous racontant uniquement quelques faits. Eh bien, c’est justement en France, pays typiquement occidental, que j’ai appris à tolérer l’opinion des autres. C’est dans ce pays que j’ai appris qu’il fallait respecter la vie des autres. C’est là que j’ai appris la pensée critique, le respect et l’importance de la loi. Et plus important encore, c’est la France qui m’a donné l’occasion de comprendre ce que c’est que la liberté. Tout au long de ma longue expérience occidentale, je me suis toujours senti libre de penser ce que je voulais, et de dire ce que je voulais. L’Occident m’a également montré qu’il fallait respecter le temps, en étant ponctuel, qu’il fallait être ouvert d’esprit en recevant les idées des autres, même si celles-ci étaient contraires aux miennes… Bref, c’est en Occident que je suis devenu plus moral. Plus spirituel aussi, plus ouvert d’esprit, plus respectueux des autres, plus libre. Surtout plus libre ! Mes amis, ne diabolisons pas l’Occident. Connaissons-le, puis essayons d’en tirer les meilleurs pour nos pays et nos cultures dits orientaux. La morale est une expérience humaine. Toute l’humanité y a contribué tout au long de l’histoire. Cessons de croire que nous avons le monopole de la Vérité, de la Morale, et de l’Éducation morale ! Nous avons besoin d’apprendre à être plus modeste. La modestie, si je ne me trompe pas, est une vertu morale. Il ne s’agit pas de nous dresser contre les valeurs ou l’éducation occidentales, qui sont les fruits des efforts et expériences historiques d’hommes et de femmes comme vous et moi. Au lieu de lancer contre elles des slogans gratuits et sans fondement, essayons de les étudier, et de les considérer avec respect et modestie. Et surtout essayons de les connaitre vraiment.
« Je ne suis pas ici pour défendre l’Occident à tout prix, mais pour vous dire que mon éducation morale doit beaucoup à l’Occident. L’Occident est une partie de l’Humanité, de l’Histoire humaine, donc de nous. Vous voulez faire quoi, l’effacer ? Et pour quelle raison ? Apprenons à l’observer, à l’étudier, à le respecter. De même que les occidentaux doivent faire la même chose vis-à-vis des pays orientaux. L’Orient est l’autre moitié de l’Humanité. L’Occident et l’Orient, même si désormais ces termes ne correspondent plus vraiment aux définitions qu’on leur donne en général, sont deux expériences historiques de l’Humanité, avec toutes les nuances nécessaires qu’il faut y mettre. L’Orient, dans son ensemble, n’est pas plus moral que l’Occident. Dans les deux hémisphères, des penseurs ont œuvré pour des vertus morales de l’Humanité. Ne tombons pas dans le piège simpliste et puéril d’une confrontation Occident-Orient. Au lieu de vous inventer des images fausses et des préjugés vides de bon sens, puisque vous êtes jeunes et vous en avez les moyens, essayez d’expérimenter l’Occident. L’Éducation est morale là où les êtres humains respectent les principes moraux ; qu’ils soient orientaux ou occidentaux. Elle devient immorale, quand les mêmes êtres humains s’éloignent de ces principes moraux : le respect, la tolérance, la liberté, la solidarité, la générosité, et la justice en font partie. Lorsque l’éducation, quelles que soient sa couleur, sa langue et sa religion, respectera ces principes, elle sera morale, et aboutira sans aucun doute à la sagesse universelle…
Il ressort clairement de ce témoignage que cet ami étranger-à-l’étranger n’est rien de moins qu’un ambassadeur de la France. D’ailleurs, outre la Marseillaise, il connait par coeur tout Charles Aznavour, Adamo, Jo Dassin et Michel Fugain.
Or, voilà que cet automne, pour la semaine prochaine précisément, mon ami envisage d’envahir la France. La motivation de son séjour est la suivante : assister à un colloque universitaire, à moins que ce ne soit venir jusque dans nos bras égorger nos fils nos compagnes, je ne sais plus laquelle des deux, je confonds toujours.
Accueillir son frère à son domicile devrait être la chose la plus naturelle, la plus spontanée du monde, un coup de fil et hop l’affaire est planifiée, embrassons-nous. Pas du tout. Rien n’est encore fait, il manque toujours une signature et mon ami est sur le point d’annuler son voyage (et de perdre son billet d’avion, déjà acheté). Les démarches depuis un mois se sont révélées compliquées, puis très compliquées, puis extraordinairement compliquées. Pour lui, qui a dû se rendre trois fois au consulat français de Malaisie (comme il n’habite pas à côté, c’est deux jours de voyage à chaque fois), puis pour moi, ici. J’ai passé une journée à faire la queue à la Mairie, à réunir des documents, et à remplir des formulaires. Le plus retors s’intitule « Attestation d’accueil » .
Je commence par me rendre dans la Mairie où je travaille, puisque je passe mes journées ouvrables dans cette commune. Non seulement le maire local ne peut pas signer pour moi ce formulaire, mais la Mairie elle-même refuse de me le délivrer, il faut que ce soit impérativement la mairie de la commune d’habitation. En revanche, on a bien voulu me donner, « pour me faire gagner du temps », la liste des pièces que je dois joindre :
– carte nationale d’identité ou passeport ;
– acte notarié ou une attestation notariée justifiant l’achat de mon domicile et mentionnant le nombre de pièces ;
– une quittance de téléphone ou de gaz-électricité de moins de tois mois ou la taxe d’habitation ;
– avis d’imposition ou de non-imposition ;
– fiche de salaires des trois derniers mois (ainsi que du conjoint) ;
– un timbre fiscal de 30 euros, non remboursable quel que soit la décision administrative.
Seuls les dossiers complets de toutes ces pièces sont acceptées. Ensuite, la demande est traitée comme pour une demande de passeport, on peut venir récupérer le dossier signé par le maire sous quinzaine. Puis il faut l’adresser au consulat qui avisera.
Je suis effaré. Pourtant le casse-tête de ces tracasseries bureaucratiques a un sens : il suffit de se souvenir que ce n’est là que la rigoureuse application de « la loi 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, du séjour des étrangers, et à la nationalité » dite « loi Sarkozy » , et soudain tout devient clair. (Sarkozy, vous vous souvenez ? Mais si, le fils d’immigré hongrois. Vous l’avez oublié ? Bon, pas grave, imaginez à la place Manuel Valls, fils d’immigré espagnol.) La France contrecarre la moindre velléité de fraternité, elle épuise et décourage les invitations, afin de garantir qu’il ne s’agit pas d’immigration clandestine déguisée en hospitalité. Car un spectre hante l’Europe, celui de l’étranger égorgeur de fils et de compagne.
Coïncidence : au moment où je tente d’aider mon ami à accomplir son vol Malaisie-France, le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, revient d’une visite officielle en Malaisie. Qu’était-il allé faire si loin ? Apparemment, entériner une reculade du gouvernement, une autre, celle-ci à propos de la loi dite Nutella. Ah, bon. Les amis malais d’Ayrault, eux, au moins, sont rassurés, les affaires continuent.
Je me demande où Ayrault a résidé, là-bas. J’espère qu’il aura fait les démarches correctement, et qu’il aura trouvé un Malais complaisant et fortuné pour l’héberger, qui aura rempli les bons formulaires, qui aura précisé le nombre de mètres carrés de son logement, et qui aura justifié de ressources suffisantes pour assurer, même temporairement, le train de vie d’un Premier Ministre. Je ne doute pas que M. Ayrault ait montré l’exemple et soit en règle. En effet, l’un des premiers devoirs de l’élite au pouvoir est l’exemplarité. Vive la France ! Vive l’armée ! Vivent les poils sous le nez !
Alors ?
Embrassades ou pas embrassades ?