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Rien de nouveau sous le soleil de novembre

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J’aurais volontiers parlé des impôts. Ras-le-bol du ras-le-bol fiscal ! On dirait que tous les Français, pas seulement les jockeys et cavalières, mais bientôt les golfeurs, yachtmen voire les joueurs de polo et de cricket, ne veulent pas payer moins d’impôts, mais plus d’impôt du tout parce qu’ils ont petit à petit perdu le sens du pot commun, à cause de la crise partout-partout qui replie sur le moi-d’abord, à cause du néolibéralisme dilué dans l’air du temps, à cause de Depardieu, de Cahuzac, des unes de magazines, ou de l’équipe de onze demeurés en shorts qui gagnent deux cents fois le salaire d’une assistante sociale. Or me prend l’envie de crier vive l’impôt ! Un mois de mon salaire par an tombe dans le pot, et imaginez un peu, je suis heureux ravi comblé de payer des impôts, parce que ça signifie non seulement que je gagne de l’argent, bonne nouvelle, mais qu’en plus je le redistribue aux pauvres ! La pédagogie manque : expliquons aux Français que chaque contribuable, en fait, est un peu Robin des Bois – et puis tant qu’on y est, faisons réciter à l’école l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789… mais non, pas les impôts, pas de politique, cela vous ennuierait autant que moi, ras-le-bol du ras-le-bol du ras-le-bol fiscal, je parlerai plutôt d’un autre marronnier : Montreuil.

Quoi de nouveau sous le soleil de novembre ? Novembre, c’est la neige plutôt que le soleil, et les néons du salon du livre de jeunesse de Montreuil plutôt que la lumière naturelle.

« Montreuil » (métonymie) aura lieu ce week-end et rendra visible la littérature jeunesse, trois jours par an, comme tous les ans. Et toujours, toujours, refleuriront les mêmes polémiques sur la légitimité de cette « littérature » de second rang, le même déficit de reconnaissance, la même crise d’identité, les mêmes moulins à vent, les mêmes clichés immémoriaux à combattre si on en a l’énergie. J’ai tenté de le faire quelquefois, en 2010, ou en 2011, quand j’avais l’énergie. Cette année, je ne m’en mêle pas, mais en lieu et place j’invite quiconque parcourt le présent blog, soit par habitude, soit par accident, à lire attentivement l’excellente lettre ouverte d’Eric Senabre sur le sujet. Tout y est mieux dit que je ne saurais.

Mais je crains que cela ne suffise, comme d’habitude, qu’à prêcher les convertis. Il n’y aura rien de nouveau sous le soleil de Montreuil en 2014 non plus, ni en 2015, ni en 2030, tant « l’infernale échelle des valeurs à la française » dont parle Eric Senabre est une irrémissible structure de la doxa culturelle, et pour longtemps encore la littérature de jeunesse, la première littérature, souffrira condescendance, indignité et voyage en strapontin. C’est, en conséquence, du point de vue de la sociologie qu’il faut analyser le phénomène.

J’avance l’argument que le mépris de la littérature de jeunesse recouvre simplement le mépris plus global de la jeunesse. Pour se faire une idée actuelle de ce dernier, il n’y a qu’à lire certains commentaires haineux des manifs lycéennes de soutien à Leonarda : petits merdeux manipulés, derniers petits bâtards du gauchisme fainéant, idéalistes irresponsables en temps de guerre, enfants gâtés de bobos en cocon, vous ne comprenez rien à la situation économique de la France, quand vous cesserez de fumer des joints la raison vous reviendra et vous refuserez vous aussi de payer pour les envahisseurs, allez plutôt préparer votre bac, allez étudier, allez travailler, allez consommer, allez vous coucher… alors que ces ados activistes ont fait preuve d’une détermination et d’une conscience politique propres à redonner espoir à pas mal de barbons.

Entre temps, la lecture d’un livre de Pierre-Michel Menger vieux de 12 ans déjà m’a soufflé une autre explication. Menger prétend que l’artiste, en tant que sujet social, loin des clichés bohèmes fantasmant un créateur farouchement indépendant, indifférent aux contraintes socio-économiques, est en réalité le lieu d’expérimentation des conditions de vie ultra-libérales. L’artiste est un prototype conçu pour affronter la loi de la jungle, l’avant-garde du travailleur d’aujourd’hui et surtout de demain, et les compétences qu’il doit valoriser sont à peu près les mêmes qu’un DRH apprécierait chez son employé. Précarité, intermittence, et cependant séduction, dynamisme, adaptabilité de mercenaire, créativité, individualisme, flexibilité absolue, couverture sociale aléatoire, résignation aux abyssales inégalités de ressources (succès pharaonique de quelques uns miroité dans les pupilles d’une foule de galériens), et, par conséquent nous y voici, compétition de tous contre tous. Le champ littéraire, en tant que champ artistique, est un champ de courses. Ce contexte économique de compétitivité exacerbée permet peut-être, lui aussi, de comprendre pourquoi la littérature de jeunesse soit systématiquement daubée, notamment par les tenants d’une littérature « sérieuse » qui tient le siège de la maison. Le secret, c’est « nous sommes les vrais, les uniques », il n’y a pas de place pour tout le monde. La divine main invisible du marché triera. Les plus faibles, les plus discrets, les plus gentils, les niches commerciales, les jeunesses ? Qu’ils crèvent, ou, du moins, qu’ils aient la décence de la fermer.

Rha, et voilà, ma langue a fourché sept fois dans ma bouche, j’ai parlé politique.

Rien de nouveau sous le soleil de Montreuil ? Baste, foin de fatalisme grincheux. Les livres sont là. Un enfant qui ouvre un livre, c’est toujours nouveau. Il y aura toujours quelque chose de nouveau sous le soleil de Montreuil : des livres, des auteurs, des lecteurs. De la littérature, parfaitement.

  1. Tof Sacchettini
    24/11/2013 à 22:55 | #1

    Putain, mais keske c’est que ce lien vers les vomissures des lecteurs du Figaro ?!?!? Tu veux vraiment me foutre en l’air ma soirée ???

  2. 25/11/2013 à 09:49 | #2

    Certes les graffitis des trolls du Figaro sont particulièrement gratinés, mais ceux du Monde, ceux de BFM, ceux du Dauphiné, ceux de Libé, etc., sont à peu près de même farine. Ont peut-être les mêmes auteurs, d’ailleurs, puisque le troll est nomade.

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