Archive

Articles taggués ‘Chambre d’écho’

Saint-Paul-Trois-Histoires

02/02/2009 8 commentaires

Simple et subtil : signé Sara

Je rentre fourbu et bienheureux de mes cinq jours à Saint-Paul-Trois-Châteaux. Lors de ma première participation à SP3C, en 2006, j’avais conclu qu’il s’agissait du meilleur salon du livre du monde. Or j’avais une solide expérience qui autorisait les comparaisons : des salons du livres, j’en avais déjà faits au moins deux. SP3C m’a réinvité en 2009, et je suis ravi de constater qu’il s’agit toujours du meilleur salon du monde. Or je peux en parler avec autorité, car entre temps mon expérience n’a fait que croître : des salons, aujourd’hui, sans me vanter, j’en ai faits au moins huit.

SP3C a trouvé la formule magique, l’équilibre parfait. L’équilibre entre la fête et le sérieux (ah, être pris au sérieux, pour un écrivain « jeunesse », ça n’a pas de prix), entre les agapes où l’on est reçu comme un prince et les débats où l’on peut vraiment s’exprimer sur son travail (les gens écoutent ! c’est dingue !), entre les rencontres scolaires et les retrouvailles professionnelles, entre le commerce et l’échange l’humain (car l’on est en droit de coller une tarte à quiconque déclare ou seulement pense que l’un est réductible à l’autre), entre le cerveau et le cœur. Comme le dit Susie Morgenstern (ma voisine de stand –  j’avais du bol) : « Dans le milieu de la littérature jeunesse, lorsqu’on entend pour la première fois un auteur dire « Je suis invité à Saint-Paul-Trois-Châteaux », on répond : « C’est où ? »… Mais ensuite, une fois que l’on sait, on répond : « Veinard ! »

J’ai vécu ces jours auprès de personnes que j’aime et/ou que j’admire (et que même, parfois, je connais), Jeanne Benameur, Philippe-Jean Catinchi, Mathis, Sara, Susie Morgenstern, Kochka, Jean-Philippe Blondel, Bruno Heitz, Hubert Ben Kemoun, Lucie Land… et au fin tréfonds des choses et des illusions et des ambitions et des alouettes littéraires, je ne sache pas qu’il y ait mieux à espérer d’un salon ou de la vie, que de passer un peu de temps en compagnie de personnes que l’on aime et/ou que l’on admire (et que même, parfois, l’on connaît).

Pour remercier Saint-Paul depuis mon Tiroir en chambre d’écho, ci-dessous trois histoires que j’en ai retirées, en échange de celles que j’y ai laissées : élémentaire échantillon d’émotions advenues, sur place et à emporter. J’aurais pu en choisir trois autres, je n’avais que l’embarras, mais ce sont ces trois-là.

Un récit qu’on m’a offert ; un conte que j’ai choppé au vol ; et un morceau de vie qui m’est tombé sur le coin de la figure.

Première histoire

Le premier matin, après la nuit dans l’hôtel où je dormais assez mal (seule occasion dans ma vie de dormir jamais dans un hôtel quatre étoiles, et je dors mal ! quel snob je fais !) je pénètre chiffonné dans la salle du petit déjeuner. Je m’assoies à la table de Kochka, que j’ai déjà rencontrée ailleurs, qui me touche beaucoup par sa douceur et sa fragilité. Nous bavardons. Au fil du bavardage, surviennent des paroles tout sauf anodines : elle me parle de l’un de ses enfants, autiste. Les anecdotes qu’elle me tend me bouleversent par surprise. Celle-ci :

« Quand Mathieu était petit, il n’y avait que le bruit de la pluie qui le calmait. Alors, dans les moments de stress, il faisait la pluie : il attrapait tout ce qui lui tombait sous la main, le jetait en l’air, et le regardait tomber. Il le faisait très souvent dans sa classe. Sa maîtresse a fini par trouver comment réagir : elle a confectionné un « costume de ramasseur de pluie », ciré jaune et chapeau, qu’elle a attribué tour à tour aux élèves. Le ramasseur de pluie était chargé de tout remettre en ordre après l’averse… »

J’ai traversé toute la journée en résonance de ce récit du matin, qui m’avait donné le la. Tous les contacts humains qui ont suivi ont vibré à l’aune de cette exemplaire délicatesse. Y compris la grève nationale qui commençait de gronder, et les manifs partout dont nous entendions l’écho : savoir qu’une maîtresse aussi géniale existe, reprendre espoir grâce à elle dans le genre humain, et regarder le gouvernement laminer l’Education Nationale ?

Merci Kochka.

Deuxième histoire

L’un des invités de SP3C était le conteur libanais Jihad Darwiche. J’ai assisté au spectacle qu’il donnait en duo avec sa fille. Je me suis laissé bercer par leurs deux jolies voix, mais j’avoue que je n’ai pas reçu semblablement chacun de leurs contes, j’ai bien souvent décroché au cours de la soirée. J’ai retenu au moins, et je retiendrai longtemps je l’espère, cette histoire-ci, tellement simple et tellement sage :

Il était une fois un vieux derviche que tous ses disciples révéraient pour son calme, son détachement, et sa sérénité. Il ne haussait pas la voix, ne semblait jamais inquiet, et endurait les joies et les malheurs avec la même patience, comme s’il pesait de très haut, de très loin, l’importance et la futilité des choses et des existences.

Une famine survint, qui fit de nombreux morts ; le derviche resta serein. Un séisme survint, qui dévasta le pays ; le derviche resta serein. La guerre survint, qui déchira les hommes et les peuples ; le derviche resta serein.

Ses disciples interloqués cherchaient à pénétrer son secret : « Comment fais-tu, ô maître, pour conserver ton calme en toutes circonstances ? » Le derviche répondit : « Je puise mon calme dans ce qu’il y a entre les pages du Saint Coran ».

Les disciples, très impressionnés, tentèrent d’appliquer cette leçon à leur propre vie. Ils lirent et relirent leur Saint Coran, jusqu’à le savoir par cœur. Mais le jour où survint une nouvelle famine, un nouveau séisme ou une nouvelle guerre, cette leçon s’évanouit instantanément et les disciples s’abandonnèrent aux affres, aux angoisses, à la lutte, au désespoir. Le secret du derviche, qui demeurait inébranlable, leur échappait. Lisait-il le Saint Coran mieux que les autres mortels ?

Le jour où le sage derviche mourut, très vieux, très calme, et très serein, ses disciples le pleurèrent à chaudes larmes. Ils lui rendirent hommage, et voulurent, pour son enterrement, lire quelques pages du Saint Coran. Il s’emparèrent du Coran du derviche, l’ouvrirent, et il s’en échappa une fleur séchée, qu’autrefois sa bien-aimée lui avait offerte.

Merci Jihad.

Troisième histoire

Jeudi après-midi, la classe de CM2 que je rencontrais se trouvait à Malataverne, un village à 30 kms de Saint-Paul. La rencontre était consacrée à La Mèche, fait exceptionnel étant donné que ce livre est introuvable (la classe avait travaillé sur tirages papiers du PDF…), et cela me faisait grand plaisir, j’étais drôle, volubile, énergique, énergétique.
Fin de la séance, 16h30, sonnerie, heure des mamans, brouhaha… Une petite fille enjouée, épanouie, se lève pendant que les autres rangent leurs affaires, elle vient me voir et me dit : « Au fait, c’est moi qui vous remmène à Saint-Paul en voiture…
– Ah bon ? Tu as le permis ?
– Meuh non, c’est ma maman… (et elle rit). »
Je sors avec elle sur le trottoir. Sa mère est bien là. Elle pleure, consolée par des amies.
Je suis emmerdé. Je ne sais comment réagir. Je n’arrive pas à poser de questions, sinon un plat et décalé : « Ça va ?
– Qu’est-ce qu’il y a, maman ? Pourquoi tu pleures ?
– C’est rien, c’est rien… Alors, ça s’est bien passé avec l’auteur ?
– Oui mais quoi ? Qu’est-ce qu’il y a, maman ? C’est mamie, c’est ça ?
– Mais non, mais non, c’est rien, je te dirai… alors, ça va ? »
On s’installe dans la voiture, moi côté passager, la petite à l’arrière. La mère retient ses larmes. Chacun de nous attache sa ceinture.
« Mais dis-moi, maman ! C’est mamie ? Hein, c’est mamie ?
– Je te dirai. Alors cette rencontre ? Tu es contente ?
– Voui ! »
Je discute avec la gamine pour faire diversion.
« Dis-moi Harmony, est-ce qu’au moins, tu l’avais repéré, le message caché, dans la Mèche ?
– Ben non…
– Alors voilà : regarde, il est là.
– Wouah ! C’est drôlement bien ! La maîtresse l’avait même pas vu ! J’ai le droit de le dire à tout le monde ?
– Tu fais comme tu veux, Harmony. Le sujet de ce livre, c’est que quand on grandit, on est capable d’apprendre des choses. Après, on devient responsable de ces choses. Tu es grande, Harmony ! Débrouille-toi !
– D’accord… Je vais réfléchir… »
Et la mère, pendant ce temps, pleure au volant. Les larmes ont pris le dessus. Elle fixe la route. Je lui glisse : « Bon courage », j’ai envie de pleurer avec elle, à la place je ris avec la petite fille, c’est peut-être ce que j’ai de mieux à faire.
« Je crois comprendre que je tombe mal… Si vous ne vous sentiez pas de faire le voyage, vous auriez peut-être pu vous faire remplacer ?
– Non, non, je m’étais engagée à vous ramener, je le fais… Si le salon du livre tient debout, c’est grâce aux 80 bénévoles comme moi. Il faut savoir ce qu’on veut. Si personne ne se bouge, on ne fait plus rien pour les enfants. C’est important, les livres. »

Merci. Voilà. C’est important. Il faut bien que quelqu’un se bouge. Vive Saint-Paul-Trois-Châteaux, vivent les bénévoles, et les livres. Salut, bonne route et fraternité.

Je vous en fiche mon billet

11/01/2009 un commentaire

À la une de Livre & lire, mensuel de l’Arald, figure une chronique intitulée « Les écrivains à leur place », rédigée par un écrivain différent chaque mois. Le rédac-chef du canard, Laurent Bonzon, a aimablement proposé de me la confier pour le numéro de janvier 2009.

J’ai d’abord hésité. Cette carte blanche, que je lis à peu près sans faute, est surtout le lieu de la complaisance narcissique d’auteurs en train de se regarder écrire (à l’exception notable d’Enzo Corman qui, l’an dernier, a malicieusement joué de sa colonne comme d’un sketch, très drôle, subversif comme sait l’être l’absurdité, portant pertinemment sur la communication médiatique des écrivains). Or, en ce qui me concerne, je dispose déjà d’un support où je me regarde écrire, et me complais narcissiquement : le présent blog. Qu’aurais-je à écrire dans cet article, que je n’eusse point  pu écrire dans MA tribune au Fond du tiroir, ma jalouse liberté d’expression ?

Par association d’idées, j’ai tenté, en vain, de retrouver dans ma bibliothèque la page où Céline (est-ce dans un roman ? une interview ? quelque « tribune libre » de journal ?) raconte qu’il déteste les photographies où des écrivains prennent la pose, plume à la main, le regard pénétré de l’œuvre à venir. Céline trouve ces clichés aussi obscènes que si l’on avait tiré le portrait de ces messieurs-dames « de lettres » assis sur leurs toilettes, pantalon sur les chevilles… Toujours la métaphore scatologique associée à l’écriture, chez lui : écrire, c’est expulser de soi une forme noire et malodorante, qui vous rendrait malade si vous la gardiez à l’intérieur du corps.

Je lance, tiens, incidemment, le grand concours FdT de l’année : le premier ou la première qui me retrouvera la référence exacte de cette citation donnée ici de mémoire recevra le stylo bille série limitée Fond du Tiroir (ce n’est pas des craques, ça existe vraiment, qu’est-ce que vous croyez), afin de pouvoir écrire ce qui lui chantera à titre purgatif.

Bref ! Finalement je me suis dit qu’il serait goujat, et stupide, de dédaigner ce micro tendu par la Région (surtout avec ce que je dois à la Région), et je me suis fendu d’un texte qui me permettait tout à la fois d’exprimer ma gratitude, d’évoquer ma « place d’écrivain » (au fond du puits), et de parler d’autre chose. Voici ce texte.

L’orgueil du métier

Merci, l’Arald. Merci pour le soutien à « la vie d’écrivain », pour la tournée du PRAL qui m’a vu arpenter la région.
Merci pour l’étape à Saint Etienne. Le matin, avant mon intervention en librairie, j’avais  du temps, des loisirs. J’ai cerclé sur le plan
le musée de la mine. On pénètre d’abord le domaine fantôme, l’administration, le bureau des ingénieurs, la salle des pendus comme une cathédrale, puis les machines, lampisterie, chaufferie, centrale électrique, bassins de décantation, recette. Enfin on passe sous le chevalement. On prend l’ascenseur. On descend sous terre. On respire plus fort.
Dans le tunnel humide, le guide vante avec lyrisme la noble caste disparue.
« Les mineurs, aristocratie du prolétariat, accomplissaient le plus dur travail de la nation, le plus cruel et brave ! Des titans, des héros, une race éteinte de géants ! Leur prestige était tel que leur métier fut le seul mesdames et messieurs à orner jamais un billet de banque français (coupure de 10 francs, 1941-1949). Mais ne confondons pas… Il y a mineur et mineur… La mine n’est pas un métier mais cent ! Or, la tâche est distincte au fond et au jour, selon qu’on est pousseur, haveur, toucheur, boiseur, trieur, soutireur… Parmi eux, le seul vrai prince, l’audacieux colosse révéré de tous est le piqueur ! Celui qui nu se frotte à la terre, à même la paroi et abat le charbon ! Un quelconque
mineur ne saurait se prévaloir d’être authentique piqueur, car un signe ne trompe pas : les poussières de charbon imprègnent la peau du piqueur, et ses bras, son visage, tout son corps, se voilent de dessins bleus. Qui porte ces tatouages, voilà le piqueur ! Voilà celui que l’on respecte. »
Et moi j’entends cela, je vois la peau bleue marbrée de mon pépé, j’apprends ce que je savais déjà : qu’il était prince, je m’éloigne au fond de la galerie rehaussée d’écrans multimédia, et j’essore mes yeux. Il en est mort à petit feu, d’être prince. Travail de titan, de billet de banque, mais travail de con, aussi, qui tue pour faire tourner la boutique « France ». Les mines ont fermé ? Tant mieux.
Merci pour tout, l’Arald. Pour le précieux soutien à « la vie d’écrivain ». Ce n’est pas la mine, allez.

Fabrice Vigne

(N.B. : sur la première ligne de l’article dans sa version publiée, les correcteurs du journal ont jugé bon de remplacer « tournée du PRAL » par « tournée du prix Rhône-Alpes du livre » – explicitation du sigle qui  perturbe la métrique et entraîne deux génitifs successifs, c’est moche, ce n’est pas ma faute.)

Trane

08/01/2009 2 commentaires

"Je voudrais que ma musique guérisse celui qui l'écoute." (J.C.)

L’on aura peut-être remarqué le changement d’aspect de ce blog depuis l’an nouveau. Se sont subtilement transformés l’agencement, le graphisme, pour tout dire « le thème » du blog – car c’est ainsi qu’en informatique on désigne un habillage (comme dans « parc à thème »), ce qui sémantiquement ne laisse pas d’être étonnant, confusion de la forme et du fond. J’espère que c’est pour le mieux. Pour l’heure je trouve ce « thème » encore un peu bizarre, mais je suppose que c’est seulement le temps d’adaptation. À mon âge.

Cette chirurgie esthétique s’accompagne d’une autre opération, plus discrète mais plus vitale, dans les entrailles du bazar : nous roulons désormais dans la version WordPress « 2.7 ».

Or, si je vous en parle, c’est que cette nouvelle version porte un petit nom : Coltrane. Dixit WordPress : « It’s the next generation of WordPress, which is why we’ve bestowed it with the honor of being named for John Coltrane » – notons que les versions antérieures de WordPress répondaient (?) aux noms de Mingus, Strayhorn, Duke, Ella, Getz, Dexter, Brecker, et Tyner (sic).

D’où est-ce que je vous parle ? Je vous parle depuis Coltrane. Ça me touche. Coltrane n’est pas n’importe qui. A love supreme (ici vous pourrez en entendre quelques secondes dans une version live) est peut-être le disque que j’ai le plus souvent écouté dans ma vie. Dont quelques centaines de fois, en boucle, lors de l’écriture de TS.

Le grand homme, porteur d’âme, partageur de beauté, créateur d’une oeuvre, lyrique, charnelle, spirituelle, d’une profondeur infinie en même temps que d’une perpétuelle délicatesse… devient en un clic dispositif technologique up-to-date, dernier modèle en magasin d’un moteur de gestion de contenu écrit en PHP et reposant sur une base de données MySQL, volatil et bientôt périmé (la prochaine mouture s’appelera peut-être Albert Ayler) ; et ainsi circulent parmi nous, sinon les significations, du moins les signes.

Sur quel drôle de monde nous vivons. Pourquoi pas un systéme de programmation nommé Mozart ? un « thème » de blog intitulé Kubrick ? un langage de programmation baptisé Shakespeare ? Une bagnole nommée Picasso (tant qu’on y est) ? Une société de racket légal par gestion des parkings souterrains et par lobbying en faveur de la construction d’aéroports superfétatoires nommée Vinci ? Un presse-purée de marque déposée Aristote ?

(Après vérification, il semble que tous ces exemples, à l’exception du dernier, soient authentiques.)

Toujours à propos de la circulation des signes… Connaissez-vous le site Sleeveface qui invente mille et une variations à partir des pochettes de disques vinyl ? Non seulement ces mises en scène fétichistes sont amusantes, mais elles évoquent quelque chose d’assez profond, me semble-t-il, sur ce que nos disques de chevet font à nos physionomies :

Une Iliade, une Odyssée

01/01/2009 un commentaire

Oui, chante. Chante pour moi, Hal.

Je ne serai jamais un universitaire. Je suis resté inscrit en doctorat pas loin d’une décennie ; parfois j’y ai cru. Finalement, j’ai écrit des livres à la place d’une thèse. Sans regrets !

J’ai publié, en tout et pour tout, deux articles universitaires, très différents l’un de l’autre, et n’ayant que deux points communs : ils ont été conçus en 2001 ; il invoquaient tous deux (par conséquent ?), à l’issue de circonvolutions fort distinctes, 2001 l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.

Le premier constitue presque une blague, mais traitée le plus sérieusement du monde, liée à l’exégèse d’une bande dessinée de JC Menu.

Le second s’intitule « Une Iliade ou une Odyssée ?,  Le voyage et son double », et il est paru en janvier 2003 dans le numéro 12 de la revue Alinéa.

Je supposais ces écrits morts et enterrés, définitivement.

Or, miracle ordinaire d’Internet : je reçois un beau jour un mail d’un certain Alain Boucher, Québécois, chargé de communication d’un « centre d’interprétation » (« musée », dirait-on ici plus simplement) consacré aux voyages et aux voyageurs – et par ailleurs grand et lent voyageur lui-même, comme l’atteste son blog. Alain a déniché « quelque part » sur le web un résumé de mon article qui recoupe ses propres centres d’intérêt, et voilà, il aimerait le lire…

Le Québec, c’est mon Amérique à moi (même qu’il est trop bien pour moi) et il eût été hors de question que je laisse lettre morte cette requête transatlantique – en outre, je puis le confesser, j’étais tout content que quelqu’un s’intéressât à cette archive oubliée. Je l’aimais bien, cet article. Je me suis donc débrouillé pour lui procurer un numéro de l’introuvable revue Alinéa (merci à Bruno Choc, ex-rédacteur en chef) et, en attendant que l’objet fasse son propre voyage, j’ai mis en ligne une version PDF dudit article.

Et c’est ainsi que le Fond du Tiroir, seul blog au monde qui publie un article le 1er janvier sans vous souhaiter bonne année, vous offre à lire un vieil article sur la charge symbolique et littéraire des voyages, ce qui est nettement meilleur. (attention, la définition n’est pas excellente, et certains passages, en particulier les notes de bas de page, sont à la limite du lisible… Merci à mon Webmestre-Masqué pour avoir entièrement retapé ces notes à la main,  consultables dans une page à part.)

Raconter une histoire

25/12/2008 3 commentaires

Merci à Yann de m’avoir incité à lire le discours de Le Clézio à l’occasion de la réception de son Nobel, discours d’une très grande richesse (merci au même Yann pour son commentaire définitif et fulgurant, « Le Clézio est trop parfait »).

L’un des sommets de ce texte qui ne manque pas de relief consiste dans l’apologie des contes, des conteurs (et surtout d’une conteuse) – hommage appuyé à la littérature orale, à la fois paradoxal sous la plume de l’impétrant de la plus prestigieuse récompense couronnant la littérature écrite, et tout naturel : tout naît, semble-t-il, de l’art de raconter, art primitif et premier, précédant les égos encombrants des modernes « auteurs ».

Hasard objectif : j’ai découvert ce discours quelques jours après avoir profité de l’enseignement d’une conteuse, Nathalie Thomas (photo ci-dessus). Lors de la formation qu’elle nous a dispensée, de sa bouche à nos oreilles se sont écoulées maintes idées et, surtout, maintes histoires. Elle nous recommandait d’utiliser ses contes, de nous les approprier et de les transmettre, de les faire vivre à notre tour en direction d’autres oreilles ; ce que j’ai fait. L’une de ces histoires, celle de L’Homme qui cherchait sa chance, m’a tellement plu que je l’ai dite plusieurs fois, et puis, finalement, écrite.

Et c’est ainsi que le Fond du Tiroir, seul blog au monde qui publie un article le 25 décembre sans vous souhaiter Joyeux Noël, vous offre nettement mieux en lieu et place : une histoire.

« Il était une fois un homme qui se lamentait de sa malchance. « Qu’ai-je donc fait pour être si démuni ? Qu’ont-ils de plus que moi, tous ceux-là qui réussissent leurs affaires, leurs amours, et leur vie toute entière ? La chance, seulement la chance ! Ils ont la leur, mais où est la mienne ? Je donnerais tout pour connaître le secret de leur chance… Hélas que donnerais-je, puisque je n’ai rien ! Je n’ai rien puisque je n’ai pas de chance. Qu’ai-je donc fait pour être si démuni ? Où est ma chance ? », et ainsi se lamentait-il à longueur de journée.
Un jour la rumeur parvint à ses oreilles qu’un grand et vieux sage, ridé, plissé, chenu, logeait derrière la forêt. Ce sage, grâce à sa longue expérience, grâce aussi sans doute à certaines facultés plus occultes, était disait-on capable de répondre à n’importe quelle question, d’accéder à n’importe quelle requête. « Je pars à sa recherche ! Ce sage seul, s’il existe, saura m’indiquer où est ma chance ! »

L’homme se met en route, pénètre la forêt, et rencontre un loup qui se morfond.
« C’est bien ma chance ! Comme si je n’avais pas assez de soucis ! Pourquoi te morfonds-tu, ô loup ?
– Parce que je n’ai plus d’appétit. Qu’est un loup sans appétit ? Je suis un loup en vie, mais aussi bon que mort. Connais-tu le moyen de me rendre mon appétit ?
– Cesse de te morfondre. Sache que je vais à la rencontre d’un vieux sage qui est dit-on capable d’accéder à n’importe quelle requête. Je lui soumettrai ta requête en même temps que la mienne ».
L’homme se remet en route, pénètre la forêt plus avant, et rencontre un arbre qui gémit.
« C’est bien ma chance ! Comme si je n’avais pas assez de soucis ! Pourquoi gémis-tu, ô arbre ?
– Parce que mes bourgeons ne poussent plus. Qu’est un arbre sans bourgeon ? Je suis un arbre en vie, mais aussi bon que mort. Connais-tu le moyen pour que mes bourgeons poussent à nouveau ?
– Cesse de gémir. Sache que je vais à la rencontre d’un vieux sage qui est dit-on capable d’accéder à n’importe quelle requête. Je lui soumettrai ta requête en même temps que la mienne ».
L’homme se remet en route, pénètre la forêt plus avant, et rencontre un jeune fille qui pleure.
« C’est bien ma chance ! Comme si je n’avais pas assez de soucis ! Pourquoi pleures-tu, ô jeune fille ?
– Parce que j’ai perdu mon sourire. Qu’est une jeune fille sans sourire ? Je suis une jeune fille en vie, mais aussi bonne que morte. Connais-tu le moyen pour que mon sourire à nouveau illumine mes lèvres ?
– Cesse de pleurer. Sache que je vais à la rencontre d’un vieux sage qui est dit-on capable d’accéder à n’importe quelle requête. Je lui soumettrai ta requête en même temps que la mienne ».

L’homme se remet en route, récapitule en esprit ses quatre requêtes, la sienne, celle du loup, celle de l’arbre, celle de la jeune fille, et sort de la forêt.
Juste à la sortie de la forêt, il voit une maison et, devant la porte, un très vieil homme, ridé, plissé, chenu, assis dans un fauteuil à bascule.
« Oh là, vieil homme ! Est-ce toi, le fameux sage qui est dit-on capable d’accéder à n’importe quelle requête ?
– Je serai celui-là si tu veux croire que je le suis.
– Alors j’ai quatre requêtes à te soumettre. Comment rendre l’appétit à un loup ? Des bourgeons à un arbre ? Un sourire à une jeune fille ? Et moi, où est ma chance ?
– Tu diras au loup ceci : il a perdu son appétit parce qu’il souffrait trop de ne dévorer que de belles et bonnes choses – il retrouvera son appétit dès l’instant qu’il aura mangé l’homme le plus bête du monde ; tu diras à l’arbre ceci : ses bourgeons ne pousseront pas tant que ses racines seront entravées – or ses racines sont à l’étroit à cause d’un coffre empli d’un trésor enfoui à son pied ; tu diras à la jeune fille ceci : elle retrouvera son sourire dès qu’elle rencontrera un amoureux qui acceptera de l’épouser ; quant à toi, rentre vite, car ta chance t’attend chez toi.
– Merci, vieux ! Je pars sur le champ ! »

Et l’homme retraverse la forêt en sens inverse, cette fois en courant.
« Jeune fille ! Arrête de pleurer ! Tu retrouveras ton sourire dès que tu rencontreras un amoureux qui acceptera de t’épouser.
– Ah oui ? Et toi, beau jeune homme ? Me trouves-tu à ton goût ? Car tu es au mien, assurément… Veux-tu m’épouser ? (et elle esquisse, pour la première fois depuis longtemps, un sourire…)
– Tu es très jolie, jeune fille, hélas je ne puis rester auprès de toi, je dois rentrer chez moi au plus tôt ! Ma chance m’attend chez moi. »
Et l’homme se remet en route, en courant.
« Arbre ! Cesse de gémir ! Tes bourgeons pousseront dès que tes racines seront libérées du coffre contenant un trésor, enfoui à ton pied.
– Ah oui ? Mais je n’ai pas de bras, beau sire. Veux-tu creuser la terre pour moi et déloger ce coffre de mes racines ? Tu pourras conserver ce trésor en souvenir de moi.
– J’aimerais te rendre service, arbre, hélas je ne puis rester auprès de toi, je dois rentrer chez moi au plus tôt ! Ma chance m’attend chez moi. »
Et l’homme se remet en route, en courant.
« Loup ! Arrête de te morfondre ! Tu retrouveras ton appétit dès que tu auras avalé l’homme le plus bête du monde ! »
Alors, sans plus attendre, le loup dévora l’homme et retrouva pour toujours son bel appétit. »

(Merci encore à Yann, premier lecteur et destinataire de ce morceau de littérature orale écrite.)

Vie syndicale

16/12/2008 un commentaire

Frédérick Mansot, illustrateur et déjà membre très-actif du collectif de la Charte des auteurs jeunesse, a courageusement tenu à bout de bras un embryon de « syndicat des auteurs de livres », d’abord affublé de l’obscur nom de baptême « SCEI » qui évoquait plutôt un logiciel de gestion du risque industriel, et récemment rebaptisé « Nota Bene ».

Dès l’origine, j’avais adhéré au SCEI, par curiosité et par principe – d’un côté un « syndicat d’auteurs » me semble presque un oxymoron tant chacun écrit pour sa propre pomme ; d’un autre côté, ma foi en la solidarité est chevillée au corps (foi irrationnelle, c’est comme la Sainte Vierge, on y croit sans l’avoir vue), et avec ce que je raconte sur le syndicalisme dans Les Giètes… Bref, j’avais adhéré. Mais sans aucune autre adhésion qu’un simple chèque. Je suppose que nous étions nombreux dans ce cas-là, puisque faute de mobilisation massive le syndicat est entré dans une période d’hibernation, et avec lui toutes ses  revendication (dont la principale, l’instauration d’un « droit fixe », rémunération de l’auteur directe et forfaitaire sur chaque livre vendu – un brin utopique – nom de Dieu vive l’utopie).

En ce mois de décembre zéro-huit, Frédérick, qui semble avoir porté le projet à peu près seul pendant toute cette période creuse, nous redonne enfin des nouvelles du syndicat. Il présente comme une bonne nouvelle l’accord avec la CFDT, qui fédère désormais « Nota Bene » à cette grande centrale, et nous incite à transmettre autour de nous les tracts et bulletins d’adhésion.

J’ai obtempéré, et fait circuler ces informations auprès des écrivains égarés dans mon carnet d’adresse… Or j’ai immédiatement reçu, en réponse, ce mail du poète Michel Thion :

« Salut à tous,
Je trouve que l’idée n’est pas mauvaise en soi et qu’il faut la creuser.
Pour autant, plutôt crever que d’adhérer à la CFDT.
C’est à ce syndicat de vendus que l’on doit :
– la mort du statut des intermittents du spectacle, lorsque, en 2003, la CFDT qui est le syndicat le moins représentatif dans ce secteur a signé le protocole préparé par le MEDEF, alors que les groupements d’employeurs du spectacle, notamment le SYNDEAC, ne faisait pas partie de le négociation puisqu’ils ne sont pas au MEDEF…
– De la même façon, c’est avec la signature minoritaire de la CFDT que la dramatique réforme des retraites a été adoptée.
– C’est à la CFDT, élue à la tête de l’Assurance Maladie avec les voix du MEDEF que l’on doit les déremboursements, les franchises médicales, etc…
– Idem pour les ASSEDIC
– etc… Depuis Nicole Notat, aujourd’hui PDG d’une société de consultants sur les relations en entreprise, au service du patronat européen, la CFDT a toujours le stylo à la main pour signer les pires saloperies issues du patronat. Au nome de la « respectabilité » et surtout des prébendes patronales, des postes dans les organismes paritaires, la CFDT qui « privilégie la négociation » est un syndicat du renoncement et de la trahison.
Alors oui, vraiment, plutôt crever que d’y adhérer.
Un syndicat d’auteurs autonome, on peut voir, mais rattaché à une grande centrale ou il sera une goutte d’eau, ça n’a aucun intérêt. Si on allait voir la CNT, plutôt…
Amitiés à tous,
Michel »

Hé bé ! ça fait réfléchir, non ? en ce qui me concerne, c’est trop tard, j’ai déjà payé ma cotisation… Michel Thion est sensible à ces débats parce qu’il est homme de théâtre (et homme de gauche). J’ai moi-même, sinon un pied, du moins un gros orteil dans le milieu du spectacle vivant, depuis que je tourne un spectacle musical adapté des Giètes avec l’un de mes potes, lui-même intermittent – j’ai nommé Christophe Sacchettini… C’est dire si, grâce à Christophe, je n’ignore pas que « CFDT » est un vilain mot, c’est caca, c’est le mal, ce sont des vendus, c’est le diable….
Toutefois je persiste à croire que Nota (et non Notat) Bene n’est pas la CFDT. Quand j’entends les discours des fondateurs et leaders de Nota Bene, j’ai du mal à y reconnaître des suppôts du patronat et du capital. Suis-je en train de me faire rouler dans la farine ? Mon éducation politique est-elle toute entière à vivre, à base de désillusions ? Vos avis sur la question sont les bienvenus. En échange, je peux faire suivre les documents reçus, notamment le dernier tract de Nota Bene, « Manifeste pour une rémunération du travail des auteurs de livres ».

Coordonnées : NOTABENE* le syndicat des auteurs de livres, Frédérick Mansot, 27A rue Georges Courteline – 69100 VILLEURBANNE, Tel 06 80 71 44 60.

Na zdorovié, Rock and roll !

07/12/2008 3 commentaires

L’un des éléments rationnalisables du rêve exposé hier ici-même est l’ennui profond éprouvé en plein salon du livre.

C’est parce que j’ai perdu mon dernier dimanche au Salon du livres des Marches. Il existe deux sortes de salons du livre : ceux qui vous invitent pour la seule raison qui vaille, parce qu’ils ont aimé vos bouquins ; et ceux qui vous invitent pour une autre raison, plus triviale, plus contingente, plus dérisoire, mauvaise, toujours mauvaise. Par exemple : on vous invite pour faire masse, juste parce que vous êtes dans le carnet d’adresse de quelqu’un.

Il faudrait, pour bien faire, n’accepter que les invitations des salons de la première catégorie, qui seuls offrent la garantie que vous ne perdrez pas votre temps puisque vous serez là pour la littérature (voire la Littérature, tant pis pour la grandiloquence en majuscule, merde, je veux bien être grandiloquent si c’est un moyen de faire comprendre qu’il n’y a que ça qui m’intéresse). Le Salon des Marches hélas appartient à l’autre catégorie. J’ai donc perdu mon dimanche à poireauter stérilement derrière mon stand, simplement parce que mon adresse était dans le carnet de quelqu’un, de quelqu’un qui ne s’intéresse pas à la Littérature (du moins, pas à la mienne) mais à son propre « événement médiatique ».

Je n’étais pas d’humeur sur ce Salon lorsqu’un « journaliste » m’a « interviewé », me demandant le titre de mon livre « qui a le plus marché » pour ensuite le qualifier de « sympa » dans le micro qu’il a tenu toute la journée à la main, afin d’animer en continu et de rappeler que l’événement médiatique était d’importance, puisqu’il y avait un journaliste et un micro. Un peu plus tard, un « cameraman » convié à faire un reportage pour une télé locale, afin de bien marquer l’importance de l’événement médiatique (puisqu’il y avait non seulement un journaliste, mais aussi un caméraman) m’a demandé de faire semblant de dédicacer un livre et de le tendre à quelqu’un censé se tenir devant le stand, « de toute façon vous inquiétez pas, je ne filme que les mains ». J’ai vertement refusé de me prêter à de telles simagrées, trouvant ce simulacre absurde puisque je n’avais encore fait aucune vraie signature de la journée, et de mauvais goût puisqu’il accréditait « l’événement médiatique », propagande dont je ne pouvais, déontologiquement, me faire complice. Je suis donc sans aucun doute passé pour un mauvais coucheur, et je m’en contrecogne. Le « cameraman » a trouvé son affaire un peu plus loin, auprès d’un auteur plus complaisant.

On ne le dira jamais assez : une seule chose peut sauver de la sinistrose une journée passée dans un « salon du livre » où l’on a été piégé parce qu’on fait partie du carnet d’adresse de quelqu’un et où l’on sait qu’on sera loin de la littérature, loin des flammes qui font lire et écrire, loin de soi-même, loin de tout. Et cette chose est la compagnie de compagnons de stand (d’infortune) sympathiques, chaleureux et/ou instructifs. Or je n’avais pas à me plaindre, puisque j’avais pour voisins Eric Boisset et Sylviane Doise.

Eric Boisset est l’auteur de trilogies de science fiction qui marchent très fort (lui-même a dédicacé sans relâche), Le grimoire d’Arkandias etc. Ses livres m’attirent fort peu, pas ma tasse de thé (ni de whisky), mais l’homme est d’un commerce très agréable, rigolo, cultivé, bavard, débordant d’anecdotes sur lui-même et les autres, vraiment de quoi égayer le désastre. J’ai ainsi recueilli de lui, cette après-midi là, les propos que je consigne ici :

« Quand Bernard Pivot était jeune journaliste, il est allé au culot frapper à la porte de Nabokov, qui refusait toute interview, mais qui l’a cependant reçu. Il s’est prêté au jeu de l’interview filmée, en sirotant, en bon Russe, une gorgée de thé entre chaque question. Pivot a révélé plus tard que la théière vidée ce jour-là ne contenait pas du thé, mais du whisky – même couleur, ni vu ni connu. Dans le même temps, Mick Jagger se laissait filmer lors d’une énième tournée des Rolling Stones, sifflant backstage une bouteille de whisky. Sauf qu’en réalité, la bouteille de whisky contenait du thé – même couleur, ni vu ni connu. Alors, Nabokov ou Jagger, lequel est le plus rock ‘n’ roll ? »

Grand merci, Eric, du fond du cœur. Si, après le Salon du livre des Marches, l’on rentre chez soi enrichi d’une aussi belle histoire, édifiante et tellement de circonstance (les caméras… les simulacres… les « événements médiatiques »…), il devient impossible de dire que l’on a perdu son dimanche.

Rions un peu avec Wikipedia

11/11/2008 2 commentaires

Je ne sais pas vous, mais je passe rarement un jour sans consulter Wikipedia, pour une raison ou une autre. J’ai appris d’innombrables choses, plus ou moins directement utiles, sur Wikipedia. Tiens, un exemple : c’est grâce à Wikipedia que j’ai appris à distinguer la couleur « cuisse de nymphe » de la couleur « cuisse de nymphe émue ». Rien à voir, vérifiez.

Le pli est pris. Wikipedia est la ressource absolue, l’oracle universel. Un doute ? Un manque ? Une interrogation ? La réponse est sur Wikipedia, suppose-t-on.

Par conséquent, les statistiques de recherche sur Wikipedia.fr permettent de se faire une idée assez précise de la masse des préoccupations culturelles, soucis personnels, professionnels, ou simples curiosités, de nos concitoyens. Consulter ces statistiques est très instructif : y sont classés, par ordre décroissant, les plus consultés parmi les 725 000 articles dont s’enorgueillit le je-sais-tout du net, qui a réduit tant de marques de dictionnaires et encyclopédie à la faillite.

Le sommet de la liste la plus récente (couvrant le mois d’octobre 2008) est occupé par des pages techniques (accueil, recherche, liste de suivi, modification, export, etc…). La première « vraie page » de contenu arrive au 10e rang : c’est Youtube. Ainsi, on demande à une ressource Internet des renseignements sur une autre ressource Internet. C’est cohérent, et circulaire. Wikipedia, page auto-réflexive, occupe la 56e place, Facebook la 20e et Dailymotion la 33e.

Barack Obama tient seulement la 71e place, loin derrière Batman 28e, Dr. House 39e, Heath Ledger 19e, Jeff BuckleyMark Calaway 37e, Michael Jackson 59e, Lil Wayne 65e. Je précise que je donne bien ici les statistiques concernant la version française de Wikipedia. 23e,

Parmi les champs de recherche récurrents, voici un intéressant tir groupé :

Portail de la pornographie 44e, Portail de la sexualité et de la sexologie 46e, Position sexuelle 66e, Sodomie 68e, YouPorn (avec un P majuscule) 69e, Clara Morgane 75e, Acteurs et actrices de films pornographiques 78e, Masturbation 91e, Fellation 95e (alors que le Cunnilingus est très loin, à la 308e place : l’égalité des sexes n’est pas pour demain), Clitoris 99e, Taille du pénis humain 108e, Vagin 113e, Pénis 140e, Nicolas Sarkozy 141e, Vulve 152e, Pornographie 154e, Pénis 160e, Youporn (avec le p minuscule) 179e, Rocco Sifredi 232e, Film pornographique 245e, et Sexe tout court (si j’ose dire) 281e, serré de près par Circoncision 288e.

Sans compter les choses du sexe qui débordent sur d’autres articles, les plus inattendus. Il y a quelques jours, je cherchais sur Internet une jolie illustration de tiroir pour orner le présent blog. Je balance à Google ce simple mot, « tiroir »… Comme pour n’importe quelle recherche (essayez, vous verrez), la liste des réponses inclut forcément une entrée « Wikipedia ». Je clique donc sur la page « Tiroir » de Wikipedia, et je lis ceci :

« La première apparition du tiroir remonte à l’antiquité. Le tiroir sert à ranger des objets.(lingerie fine, vaseline, viagra, dildo, jouet sexuel, film porno, magazine, vibrateur, condom…) De plus, c’est très utile parce que les objets ne tombent pas et vont accentuer le plaisir. » (Pas la peine d’aller vérifier, cet article farceur a été censuré depuis… Mais vous pouvez le retrouver dans l’historique.)

Ainsi, Wikipedia fonctionne comme notre inconscient collectif : il condense notre recherche du sens de la vie, et répond à nos quêtes les plus vitales, nos aspirations les plus existentielles : le cul, bien sûr. (Je t’en foutrai, de la cuisse de nymphe.)

Et moi ? Eh bien oui, moi aussi, j’y suis, sur Wikipedia. Car c’est un Who’s who en plus d’être un site porno : il faut y être. J’y suis. Le jour où j’ai constaté que j’y avais droit à ma page, j’en ai été tout ému (forcément ! appartenir à l’imaginaire collectif, ce n’est pas rien ! aux côtés de la sodomie et des actrices porno !), et me suis mis à fantasmer sur une bienveillante et secrète admiratrice, qui m’aurait mis en ligne parce qu’elle estimait que ma présence parmi les références du savoir mondial était indispensable… Las ! J’ai appris quelques temps plus tard que celui qui m’avait ainsi fait pénétrer le wikimonde était un pote, un écrivain lui aussi qui, après avoir créé sa propre page, avait purgé son petit péché d’orgueil en créant la mienne dans la foulée.

L’inconscient collectif, vous dis-je : les vanités aussi sont dans Wikipedia.

Le jardinier

23/10/2008 un commentaire

Initials SG :
Un jour où j’étais pris
D’un spleen ignoble
Dans quelque bouquinerie
Du vieux Grenoble…

…Je farfouille et trouve dans le bac des livres défraîchis et bradés, dix francs pièce (pour donner une idée de l’époque), un exemplaire d’Evguénie Sokolov, le roman de Serge Gainsbourg. Je l’avais déjà lu, je feuillette pourtant. Et je tombe sur l’écriture de Gainsbourg. La vraie, la manuscrite. Une dédicace en page de titre, tout à fait impersonnelle, mécanique, plate, trop banale pour n’être pas vraie : « À Françoise, Gainsbourg ».

J’ai beau ne pas faire grand cas des rituels fétichistes entourant la dédicace, et les moquer dans mon bon de commande, merde, c’est Gainsbourg qui m’écrit à Françoise, je suis ému par surprise, en plus il était déjà mort (pour donner par recoupement une idée plus précise de l’instant). J’achète l’objet : dix balles pour deux lignes d’authentiques tremblements autographes, tremblements qui entrent très fort en résonance avec l’intrigue dudit roman, l’aubaine est inespérée. Il ne me resterait dès lors qu’à accomplir les démarches administratives pour changer de prénom et recevoir enfin pleinement cette dédicace. Je crois que je pourrais m’habituer à me faire appeler « Françoise », avec le temps.

Gainsbourg est à nouveau à la mode ces jours-ci ; parce qu’il a quatre-vingts ans, certes, mais surtout parce qu’il a toujours été en-deça et au-delà de la mode, subversif dans le flux. On le cite à tout propos. Ma foi, on a bien raison : une citation de Gainsbourg est propre à relever le niveau, quel que soit le contexte. Je suis bien placé pour le savoir, j’ai placé autrefois une sentence gainsboréenne en épigraphe de l’une de mes nouvelles. Ça vous a plu, hein ? Vous en voulez encore ?

Okay, je retranscris un extrait d’interview, filmée pour la télévision en septembre 1973. Gainsbourg est assis devant son piano, chez lui, rue de Verneuil. Jane Birkin traverse le fond de l’image, portant dans ses bras une enfant de deux ans. Le journaliste en change brusquement de sujet.

« Vous avez décidé d’avoir un enfant, une fille… Est-ce que vous aviez des idées précises sur l’enfance qu’elle aurait ?
– Non, aucune. Ça… ça pousse… Ça sera une fleur, ou une mauvaise herbe, je ne sais pas. Enfin, heu, bon… Je vais la tailler, un peu. Je suis un bon jardinier, je crois ».

Pour ma part, j’ai deux filles. Je jardine, un peu, mais surtout je regarde pousser. Quelle plus belle image de « l’éducation » ?

Signe de vie

15/10/2008 3 commentaires

Bonjour,
Je viens de découvrir votre blog que j’aime beaucoup.
Je m’appelle Frédérique Impennati. Travaillant dans la communication et les relations avec la presse, j’avais besoin de vérifier ce qui était référencé sous mon nom (pas d’égocentrisme démesuré) et je suis tombée en bas de la première page de résultats sur votre lien… Je vois apparaitre mon nom et celui d’un ancien ami Fabrice Meddouri, èlève de Briey avec moi dans les années 73/74, qui je crois est malheureusement décédé.
Je lis aussi le nom de Paloma Karle. Le prénom ne me revient pas immédiatement mais en prononçant à haute voix, Mme Karle, professeur de Français, oui ça évoque un souvenir, j’ai une mémoire assez infidèle et je cherche les traits de son visage dans ma mémoire, ce que je sais c’est que j’aimais ce professeur. Ma sœur, à peine plus âgée que moi me dit souvent « C’est pas possible que tu ne te souviennes pas de telle ou telle chose », et pourtant je ne suis pas atteinte de la terrible maladie d’Alzheimer, ou alors je ne le sais pas encore…
Et quand je lis son dernier appel, comment dire, c’est idiot mais l’émotion m’envahit soudainement. D’abord parce que c’est très troublant de savoir qu’enfant on était pas aussi transparente qu’on le croyait, et parce que cela me ramène à une vie qui était si douce, si insouciante, où l’on n’avait qu’une chose à faire, saisir la chance d’apprendre… grandir, observer, se nourrir… tout ce que j’essaie de transmettre à mes enfants aujourd’hui.
Alors voilà bien sur, d’abord je vous remercie d’avoir publié ce dernier appel, ce 15 octobre n’est pas une journée comme les autres. Je m’en remets également à vous pour savoir si vous seriez d’accord pour, si cela est possible, me transmettre les coordonnées de Paloma Karle. Je vous en remercie beaucoup par avance…
Vous faites de très belles chose sur votre blog, continuez …
Bien à vous
Frédérique

Bonjour Frédérique, merci pour votre visite, et pour votre mail très émouvant à son tour : merci d’avoir répondu « présente » au dernier appel.
Je n’ai pas les coordonnées directes de Paloma, mais seulement celles de son fils Vincent. Je lui fais suivre immédiatement votre message, elle (ou lui) vous contactera sans aucun doute.
Verriez-vous un inconvénient à ce que je copiecolle votre message sur mon blog ? Pour moi, il est exemplaire de ce que l’on peut faire (de mieux) avec le web 2.0 : on envoie une bouteille dans la mer électronique, on attend un peu, beaucoup ou éternellement, on attend le jour où quelqu’un, en googueulant ceci ou cela (en l’occurrence : soi-même) ouvre cette bouteille, et voilà une jolie rencontre.
Bien cordialement et bonne journée,
Fabrice

Rebonjour Fabrice,
Merci infiniment pour votre réponse aussi réactive. Merci surtout d’accepter de faire suivre notre échange.
Quant à mon message, je ne vois aucun inconvénient à ce qu’il prenne une petite place sur votre blog et même cela m’honore.
Il est vrai qu’Internet revêt souvent un caractère magique, surprenant… Voilà une journée d’un parfum singulier, et que je vais m’empresser de partager avec ma fille de 15 ans et mon fils de bientôt 10 ans, en somme l’âge que j’avais quand Mme Karle m’enseignait non seulement le français mais au-delà un certain plaisir des mots.
A bientôt pour d’autres nouvelles.
Bien à vous
Frédérique