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Na zdorovié, Rock and roll !

L’un des éléments rationnalisables du rêve exposé hier ici-même est l’ennui profond éprouvé en plein salon du livre.

C’est parce que j’ai perdu mon dernier dimanche au Salon du livres des Marches. Il existe deux sortes de salons du livre : ceux qui vous invitent pour la seule raison qui vaille, parce qu’ils ont aimé vos bouquins ; et ceux qui vous invitent pour une autre raison, plus triviale, plus contingente, plus dérisoire, mauvaise, toujours mauvaise. Par exemple : on vous invite pour faire masse, juste parce que vous êtes dans le carnet d’adresse de quelqu’un.

Il faudrait, pour bien faire, n’accepter que les invitations des salons de la première catégorie, qui seuls offrent la garantie que vous ne perdrez pas votre temps puisque vous serez là pour la littérature (voire la Littérature, tant pis pour la grandiloquence en majuscule, merde, je veux bien être grandiloquent si c’est un moyen de faire comprendre qu’il n’y a que ça qui m’intéresse). Le Salon des Marches hélas appartient à l’autre catégorie. J’ai donc perdu mon dimanche à poireauter stérilement derrière mon stand, simplement parce que mon adresse était dans le carnet de quelqu’un, de quelqu’un qui ne s’intéresse pas à la Littérature (du moins, pas à la mienne) mais à son propre « événement médiatique ».

Je n’étais pas d’humeur sur ce Salon lorsqu’un « journaliste » m’a « interviewé », me demandant le titre de mon livre « qui a le plus marché » pour ensuite le qualifier de « sympa » dans le micro qu’il a tenu toute la journée à la main, afin d’animer en continu et de rappeler que l’événement médiatique était d’importance, puisqu’il y avait un journaliste et un micro. Un peu plus tard, un « cameraman » convié à faire un reportage pour une télé locale, afin de bien marquer l’importance de l’événement médiatique (puisqu’il y avait non seulement un journaliste, mais aussi un caméraman) m’a demandé de faire semblant de dédicacer un livre et de le tendre à quelqu’un censé se tenir devant le stand, « de toute façon vous inquiétez pas, je ne filme que les mains ». J’ai vertement refusé de me prêter à de telles simagrées, trouvant ce simulacre absurde puisque je n’avais encore fait aucune vraie signature de la journée, et de mauvais goût puisqu’il accréditait « l’événement médiatique », propagande dont je ne pouvais, déontologiquement, me faire complice. Je suis donc sans aucun doute passé pour un mauvais coucheur, et je m’en contrecogne. Le « cameraman » a trouvé son affaire un peu plus loin, auprès d’un auteur plus complaisant.

On ne le dira jamais assez : une seule chose peut sauver de la sinistrose une journée passée dans un « salon du livre » où l’on a été piégé parce qu’on fait partie du carnet d’adresse de quelqu’un et où l’on sait qu’on sera loin de la littérature, loin des flammes qui font lire et écrire, loin de soi-même, loin de tout. Et cette chose est la compagnie de compagnons de stand (d’infortune) sympathiques, chaleureux et/ou instructifs. Or je n’avais pas à me plaindre, puisque j’avais pour voisins Eric Boisset et Sylviane Doise.

Eric Boisset est l’auteur de trilogies de science fiction qui marchent très fort (lui-même a dédicacé sans relâche), Le grimoire d’Arkandias etc. Ses livres m’attirent fort peu, pas ma tasse de thé (ni de whisky), mais l’homme est d’un commerce très agréable, rigolo, cultivé, bavard, débordant d’anecdotes sur lui-même et les autres, vraiment de quoi égayer le désastre. J’ai ainsi recueilli de lui, cette après-midi là, les propos que je consigne ici :

« Quand Bernard Pivot était jeune journaliste, il est allé au culot frapper à la porte de Nabokov, qui refusait toute interview, mais qui l’a cependant reçu. Il s’est prêté au jeu de l’interview filmée, en sirotant, en bon Russe, une gorgée de thé entre chaque question. Pivot a révélé plus tard que la théière vidée ce jour-là ne contenait pas du thé, mais du whisky – même couleur, ni vu ni connu. Dans le même temps, Mick Jagger se laissait filmer lors d’une énième tournée des Rolling Stones, sifflant backstage une bouteille de whisky. Sauf qu’en réalité, la bouteille de whisky contenait du thé – même couleur, ni vu ni connu. Alors, Nabokov ou Jagger, lequel est le plus rock ‘n’ roll ? »

Grand merci, Eric, du fond du cœur. Si, après le Salon du livre des Marches, l’on rentre chez soi enrichi d’une aussi belle histoire, édifiante et tellement de circonstance (les caméras… les simulacres… les « événements médiatiques »…), il devient impossible de dire que l’on a perdu son dimanche.

  1. 08/12/2008 à 00:47 | #1

    Moi aussi, j’ai passé de mémorables salons avec Éric… quand il relevait le nez des dizaines de dédicaces qu’il pondait à la chaîne, lui, alors que moi j’avais tout loisir de regarder la bobine de ses jeunes admiratrices…
    Contente d’avoir fait ta connaissance, heureuse d’avoir découvert ton écriture.
    à bientôt!

  2. 10/12/2008 à 06:51 | #2

    Faites comme moi, n’existez pas…
    Depuis une mémorable soirée à la SGDL où j’entendis, – Jean-Pierre Chabrol recevait son prix, j’attendais qu’il me donna la clé de P’tit Bonhomme – « Ce qu’il y a de bien ici, c’est que la bouffe est bonne… » et vis cette dame, femme d’écrivain dont je tairais, par respect, le nom, se précipiter, à peine le dernier élu récompensé, sur les petits fours, le champagne et le serveur (d’autres hommes s’occupaient des serveuses…), j’ai décidé de n’appartenir à aucun carnet d’adresses mondain… ou pire, journalistique.
    Bon! Cela dit, personne ne m’invite… C’est plus facile …

  3. 20/12/2008 à 16:25 | #3

    J’allais le dire : le mieux, c’est encore de ne pas être dans le carnet d’adresse de quelqu’un ! (je vais te rayer du mienn déjà, ce sera toujours ça de fait, non ?) Ah, sérieusement, je compatis, et même je compotis.

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