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Archives pour 01/2009

DIY

24/01/2009 3 commentaires

L'anarcho-punk à brushing et sa boîte à out'

Voici quelques semaines, j’ai été contacté par Catherine Leblanc qui m’a présenté un projet original : « J’ai envie de créer un site, La fabrique d’albums, pour mettre des albums gratuits en ligne. L’idée initiale est d’encourager une création libre de toute notion de rentabilité, de découvrir des talents, de permettre les rencontres entres auteurs et illustrateurs. » Ce projet, qui n’en est qu’à ses balbutiements, inclurait un volet d’édition des albums à la demande ; aussi Catherine me demandait-elle de lui exposer comment je me débrouillais pour publier moi-même mes livres.

Je reproduis ci-dessous la réponse que je lui ai faite, en guise de prière d’insérer, de note d’intention, ou bien de résumé des épisodes précédents

« Bonjour Catherine
Vive l’édition alternative, sans but lucratif, pure beauté du geste, anti-commerciale, anti-librairie, anti-réseau, anti-service de presse, anti-parisien, anti-province aussi bien, anti-tout, underground, punk, « do-it-yourself », équitable, libertaire ! Peu importe son nom, mais vive elle, ah ça oui ! Qu’elle vive !
Je vous adresse tous mes vœux pour votre projet de site, et je suis prêt à vous faire part de mon expérience, même si ceci est très différent de cela.

Voici : je disposais d’un petit pécule, gagné sur mes livres publiés chez de « vrais » éditeurs ; chérissant ma liberté plus que tout et en tout cas plus que les chiffres de vente, supportant de plus en plus mal d’envoyer des manuscrits (« Cher Monsieur ou Madame, voudriez-vous lire mon livre ? J’y ai consacré des années, juste un regard s’il vous plait ?« ), j’ai décidé d’engloutir (d’occulter, pourrait-on dire) cette somme dans un label d’auto-édition, pour publier ce que bon me semble, comme bon me semble, avec qui bon me semble, et dans un parfait dédain pour le sort commercial du livre. La « philosophie » en était :  je me paye le luxe de faire des livres à perte, grâce à l’argent que je gagne avec des livres rentables (toujours plus rentables pour les éditeurs que pour les auteurs, du reste), argent « détourné », en quelque sorte. J’ai ainsi auto-publié deux livres en 2008, et deux ou trois autres sont prévus en 2009 – si j’ai l’argent ! sinon ce sera 2010…

Détail crucial : je ne suis pas vraiment seul. Je n’aurais jamais entrepris cette démarche si je n’avais pas travaillé main dans la main avec un graphiste hors-pair (avec qui j’avais déjà réalisé deux livres chez un autre éditeur), prêt à l’aventure, et qui m’a assuré le logo, la charte graphique, la mise en page, l’élégance générale, et surtout l’émulation, le regard critique, le plaisir de créer à deux. C’est beaucoup : son titre de factotum n’est pas usurpé. Le résultat  visuellement parlant, m’enchante, je dois dire. Car d’ordinaire micro-édition signifie souvent, hélas, « édition moche » – or la médiocrité graphique était hors de question pour le Fond du Tiroir, micro-éditeur certes, mais maxi-exigeant esthétiquement. Ainsi, le personnel au complet du Fond du Tiroir se compose de moi-même et du graphiste, ce dernier étant le seul rémunéré : je lui fais un petit chèque forfaitaire pour chaque livre, bien en-deça d’ailleurs de la valeur et de la somme de travail qu’il fournit.

Je me monterai un jour ou l’autre en association loi 1901, afin d’afficher un statut légal (pour le moment, je suis dans l’absolu vide juridique : les dépenses et recettes du Fond du Tiroir sont mêlées à mon compte en banque personnel), mais cela est moins urgent que la pure et simple envie de faire des livres… La France est un pays où la liberté des livres est une authentique tradition, apprécions, et profitons-en : point besoin d’être une SARL ou quoi que ce soit d’autre… N’importe quel particulier (et je vous prie de me croire particulier) peut « faire un livre », demander à l’AFNIL un numéro d’ISBN afin de profiter de la TVA à 5,5%, etc… Ce que j’ai fait. (Je vous conseille, au chapitre des détails pratiques, la consultation de l’ouvrage qui hélas commence à dater un peu, L’auteur en liberté de Claude Vallier.)

Ensuite j’ai démarché divers imprimeurs dans la région de Grenoble (je suppose qu’il y en a autant dans la région d’Angers), j’ai comparé les devis, choisi en fonction du rapport qualité-prix… Pour mes deux premiers livres, j’ai ainsi fait appel sans le moindre scrupule à deux imprimeurs différents : je cherchais pour le premier une meilleure finition (un façonnage qui finalement s’est révélé impossible), et pour le second une garantie de rapidité et d’efficacité, j’ai donc opté pour un imprimeur davantage spécialiste du numérique… C’est tout simple, au fond ! Croyez-moi, consacrer une matinée, avec le graphiste et/ou l’imprimeur pour calibrer la couleur de couverture de SON livre, procure des joies comparables en intensité à celles de l’écriture, et nullement incompatibles.

Dernière étape, la plus fastidieuse : vendre le livre une fois qu’il existe. Je procède essentiellement par la vente par correspondance à partir de mon blog, et exceptionnellement je confie quelques exemplaires à des libraires que j’aime bien et qui m’aiment bien (sachant que ce dépôt est fatalement à perte : la marge que le libraire garde sur le livre, habituellement 30%, étant supérieure à ma propre marge « d’éditeur », plutôt située vers 15%.)

Bilan chiffré de mes premiers livres :
le premier m’a coûté 2700 euros (1800 d’imprimeur et 900 de graphiste). Il sera rentabilisé si j’écoule 220 exemplaires sur un tirage de 260 – or j’en suis à environ 110 ventes, à mi-chemin de ce seuil…
Le deuxième, plus petit et beaucoup moins cher, m’a coûté seulement 850 euros (550 euros d’imprimeur et 300 de graphiste) – celui-là sera rentabilisé plus rapidement, même si cela adviendra dans la même tranche : aux alentours des quatre-cinquièmes du tirage. À ce jour, sur un tirage de 365, j’en ai vendu 60… et offert une cinquantaine : à nouveau, j’arrive à un chiffre total d’une grosse centaine – je crains que ce soit là tout « mon public » (j’ai lu il y a quelques mois un intéressant article intitulé Mille vrais fans qui expose puis critique la théorie très « web 2.0 » selon laquelle un artiste sans éditeur (sans « major », puisqu’il y était essentiellement question de musique) mais avec un public de 1000 personnes seulement, est économiquement viable. J’en suis donc à 10% de cet objectif de viabilité !)
Le troisième livre FdT, qui sortira le 5 février, et sur lequel je travaille actuellement, est une folie douce. Très cher à fabriquer comme à vendre, il sera en quadrichromie et reproduira des gravures aux couleurs très délicates – celui-ci va me ruiner une bonne fois (reçu un devis de l’éditeur : 3800 euros, je ne dispose pas d’une telle somme, mon pécule est à présent épuisé, je vais lancer une souscription), et sera par conséquent peut-être le dernier – banco !

– Si, malgré l’adversité (et la crise mondiale partout-partout), j’équilibre mes comptes, je ferai un quatrième livre, puis un cinquième. Les idées ne manquent pas, comme on dit.

Voilà ! J’ignore si ces informations peuvent vous servir… Je termine en mentionnant un auteur-éditeur que j’admire énormément et qui est, dans le milieu de la littérature jeunesse, un exemple accompli de « l’auto-édition qui réussit » : Benoît Jacques. Voilà des années que Benoît creuse son sillon sans aucunement dévier sa charrue, il fait ses livres voilà tout, ses albums aux formats variés et ses bandes dessinées, souverainement, et ils sont magnifiques. Je n’en suis certes pas là (le FdT n’étant même pas distribué), mais, au moins de loin, Benoît Jacques est l’un de mes héros.

Bien à vous, bonne chance, et bon an neuf,
Fabrice

En post-scriptums, trois éléments de réflexion complémentaires :
1) Je crois (mais je me trompe peut-être) que les illustrateurs sont, d’une façon générale, davantage que les auteurs dans une démarche « professionnalisante », n’ont pas d’autre « métier » que leur art, et rechigneront par conséquent à offrir gratis des travaux à un site pour la pure beauté du geste, sans revenu garanti… Il est bien clair que, en ce qui me concerne, je dispose d’un salaire régulier (quoique modeste), pour une activité autre, qui assure mon quotidien et me permet de consacrer mes gains littéraires à des pures pertes littéraires.
2) J’avais discuté avec Thierry Lenain autrefois d’un projet qu’il avait conçu de monter une maison d’édition associative, gérée par les auteurs eux-mêmes, « Faire en quelque sorte », disait-il, « pour la littérature jeunesse ce que l’Association a fait pour la bande dessinée ». C’était une belle utopie, qui ne s’est jamais concrétisée, faute d’énergie et de motivation. Peut-être devriez-vous parler avec Thierry ? Peut-être que son projet et le vôtre sont compatibles ?
3) Un peu d’eau dans mon vin, finalement. Je commençais cette lettre par une énumération de qualificatifs négatifs, me posant anti-ceci, anti-cela, anti-monde de l’édition traditionnelle… Aujourd’hui, je dirais plutôt non-ceci, non-cela, plutôt qu’anti. Ce que je fais, je le fais sans eux, mais pas contre eux. »

Ci-dessous, pour illustrer le propos, la tête-de-moi-en-punk (ah ! que de souvenirs ! toute une époque ! canettes, chiens et pogo !) et un hommage de Buznik :

no  future

Casser la Barack

Sous les jupes des filles ? Une fleur.

21/01/2009 2 commentaires

gentil coquelicot, mesdames

« Le premier homme qui compara une femme à une fleur était un poète ; le deuxième était déjà un imbécile. » (Orson Welles, je crois. Mais peut-être que lui-même citait quelqu’un d’autre ?)

Tant pis ! Je suis le dernier (en date) des imbéciles ! J’aime les fleurs, elles sentent bon, et leur parfum est toujours neuf, figurez-vous.

Ci-dessus une composition florale que Marilyne Mangione a déclinée de l’une de ses 26 lettrines (la « D »). Marilyne expose ses belles-lettres (ainsi que quelques autres travaux) à la bibliothèque du centre-ville de Grenoble du 3 au 28 février 2009. Je la rejoindrai le jeudi 5 à 18h30 au même endroit, pour une lecture à deux voix de l’ABC Mademoiselle, et pour la sortie officielle de cet objet d’art, troisième Fond-du-tiroir, livre sensuel et insensé, hédonisme éhonté qui me ruine et que pourtant je vends très peu cher (20 euros ! tu parles ! il m’en coûte pratiquement autant ! Je vous fais une fleur, pour le coup !), au beau milieu de la crise non seulement mondiale mais en plus partout-partout.

Si vous ne pouvez assister à la lecture, c’est fort regrettable pour vous, mais consolez-vous je vous en prie en commandant l’ouvrage.

Voyages d’hiver

20/01/2009 3 commentaires

C'est joli aussi, le bleu.

Voici mes dates de tournée cet hiver.

  • Mardi 27 janvier : lycée Récamier à Lyon (classes de seconde et première autour de TS et des Giètes) puis, à 17h, rencontre dans la librairie L’Etourdi de Saint-Paul, 4 rue Octavio Mey, Lyon – ultime rencontre subventionnée Rhône-Alpes dans le cadre du PRAL.
  • Du mercredi 28 janvier au dimanche 1er février : Fête du livre jeunesse de Saint-Paul-Trois-Centrales-Nucléaires (hé, je blague, hein ! sans rire, je suis fou de joie de retourner à Saint-Paul-Trois-Châteaux ! J’adore Saint-Paul-Trois-Châteaux ! je n’oublierai pas mes capsules d’iode !), avec notamment au programme :
  1. une tripotée de rencontres scolaires du CM2 à la 3e,
  2. Mercredi 28, 16h30 : portrait de votre serviteur dans l’espace débat du salon ; 20h : lectures de textes de ma bonne marraine Jeanne Benameur (en compagnie de Bernard Friot).
  3. Jeudi 29 (jour de grève nationale ! donc programme sous réserve), 10h45 : intervention dans le cadre des journées professionnelles, sur le thème Ce qui nourrit la création littéraire (Le thème global du salon, cette année, étant « Se nourrir pour grandir »), en compagnie de la même Jeanne B. et de Hubert Ben Kemoun.
  4. Dimanche 1er février, 16h : partez pas, il en reste ! Le salon de Sain-Paul n’est pas encore terminé ! Christophe Sacchettini et moi-même donnerons notre pestacle musical adapté des Giètes.
  • Jeudi 5 février 18h30 : lecture d’ABC Mademoiselle avec Marilyne Mangione, à la bibliothèque du centre ville de Grenoble, à l’occasion de la sortie de ce livre échappé du Tiroir, dont je vous recauserai, évidemment. Cette lecture-ci, contrairement à celles sus-évoquées, me flanque un trac terrible, je ne sais pas encore comment on va faire… Une seule chose est sûre : les belles gravures de Marilyne, à l’origine de ce texte, seront exposées à la bibliothèque du 3 au 28 février…
  • Mercredi 18/jeudi 19 février : variation sur les Giètes, toujours avec Christophe, lors d’un stage de musiques improvisées en Ardèche. Je ne sais pas au juste où ça se passe, il faudrait que je prenne du souci…
  • Mardi 3 mars : rencontre à la bibliothèque Malraux de Saint-Martin d’Hères.
  • Samedi 7 mars : « les Giètes, the musical », en version spectacle d’appartement, toujours à Grenoble. Renseignements auprès de l’hôtesse : demander Rachel au 04 76 42 56 31/06 79 46 96 95.
  • Lundi 23 au jeudi 26 Mars, pas à proprement une tournée, mais largement aussi bien : un voyage d’étude à la foire internationale du livre de jeunesse de Bologne. Chic !
  • Week-end du 28-29 mars : le FdT aura son stand sur le Printemps du livre de Grenoble.
  • Lundi 30 mars : rencontres au lycée Albert Thomas (Roanne).
  • Mardi 31 mars : rencontres au lycée Mounier (Grenoble), avec l’après-midi exécution des Giètes Musicales avec Christophe et ses instruments.
  • Samedi 4 avril 20h30, à Charavines : Giètes again lues et musiquées par Christophe et mézigue, à l’invitation de l’association « De bouche à oreille« . Ce sera peut-être l’ultime représentation (à moins bien sûr que quelqu’un nous le réclame expressément et poliment) de ce spectacle qui aura tourné un an, c’est pas mal.
  • et on arrête là parce qu’on sera déjà sorti de l’hiver.

Et si c’est le vrai Voyage d’hiver que vous cherchiez, rendez-vous plutôt ici.

Ou éventuellement .

C’est Giorgio

17/01/2009 Aucun commentaire

La vedette trouvée par terre

Je ne passe pas la main à n’importe qui. Ma tournée Miss Rhône Alpes jeunesse s’achève, je me démaquille, je rends ma couronne, mon livre est désormais le livre de l’année dernière, et sic transit gloria mundi, comme on dit quand on picole, une flûte qui bulle dans la main et un petit four dans l’autre.

Le prix du livre Rhône-Alpes jeunesse 2009 est attribué à C’est Giorgio, de Corinne Lovera Vitali et Loren Capelli (ed. du Rouergue). En tant que lauréat 2008, je faisais partie du jury, et je me réjouis d’autant plus de la victoire du Giorgio que ma voix lui échut – du reste, si les débats furent contradictoires et parfois à la limite de la houle, le résultat est sans ambiguïté : le Giorgio l’a emporté dès le premier tour par 7 voix contre 2. Les trois autres livres finalistes (j’ignore si j’ai le droit de les citer en public ? Si vraiment cette information vous intéresse, envoyez-moi un mail en privé) s’en tirent avec les honneurs, chaque membre du jury s’empressant de souligner la très haute qualité globale du dernier carré.

Seulement voilà, le Giorgio constituait, sûrement, le plus grand choc, la plus grande évidence et cependant la plus grande singularité – paradoxe mystérieux qui fait durer les bons livres. Ce qui est fort, et beau, dans cet album, c’est la rencontre mots/images, le jeu, alors même que ni l’auteur ni l’illustratrice n’a rien renié de la radicalité de son mode d’expression personnel (poésie charnelle de Corinne, épure Bic de Loren). Remettre un prix à ce livre jeunesse si atypique, et malgré tout si simple (ben quoi ? c’est juste l’histoire d’une enfant qui trouve une espèce de nounours. C’est le sien.) me semble, à moi, tout naturel. Je tire ma révérence gratifié par ça aussi, sans déconner, le devoir accompli (ce qui n’empêche nullement les doutes : l’arrivé-second est un excellent livre, extrêmement différent) et je remercie les autres membres du jury pour nos conversations passionnées et respectueuses.

Tous mes chaleureux compliments et vœux de bonne année à Loren et Corinne. Telles que je les connais, elles dilapideront peut-être l’argent de ce prix, décerné en pleine lumière à un livre « grand public » (tout est relatif), à peaufiner dans l’ombre leurs créations  confidentielles (visitez donc le site de Corinne dont le nom est NON, tout est dit)… Comment mieux exprimer à quel point je me sens en affinité…

Je vous en fiche mon billet

11/01/2009 un commentaire

À la une de Livre & lire, mensuel de l’Arald, figure une chronique intitulée « Les écrivains à leur place », rédigée par un écrivain différent chaque mois. Le rédac-chef du canard, Laurent Bonzon, a aimablement proposé de me la confier pour le numéro de janvier 2009.

J’ai d’abord hésité. Cette carte blanche, que je lis à peu près sans faute, est surtout le lieu de la complaisance narcissique d’auteurs en train de se regarder écrire (à l’exception notable d’Enzo Corman qui, l’an dernier, a malicieusement joué de sa colonne comme d’un sketch, très drôle, subversif comme sait l’être l’absurdité, portant pertinemment sur la communication médiatique des écrivains). Or, en ce qui me concerne, je dispose déjà d’un support où je me regarde écrire, et me complais narcissiquement : le présent blog. Qu’aurais-je à écrire dans cet article, que je n’eusse point  pu écrire dans MA tribune au Fond du tiroir, ma jalouse liberté d’expression ?

Par association d’idées, j’ai tenté, en vain, de retrouver dans ma bibliothèque la page où Céline (est-ce dans un roman ? une interview ? quelque « tribune libre » de journal ?) raconte qu’il déteste les photographies où des écrivains prennent la pose, plume à la main, le regard pénétré de l’œuvre à venir. Céline trouve ces clichés aussi obscènes que si l’on avait tiré le portrait de ces messieurs-dames « de lettres » assis sur leurs toilettes, pantalon sur les chevilles… Toujours la métaphore scatologique associée à l’écriture, chez lui : écrire, c’est expulser de soi une forme noire et malodorante, qui vous rendrait malade si vous la gardiez à l’intérieur du corps.

Je lance, tiens, incidemment, le grand concours FdT de l’année : le premier ou la première qui me retrouvera la référence exacte de cette citation donnée ici de mémoire recevra le stylo bille série limitée Fond du Tiroir (ce n’est pas des craques, ça existe vraiment, qu’est-ce que vous croyez), afin de pouvoir écrire ce qui lui chantera à titre purgatif.

Bref ! Finalement je me suis dit qu’il serait goujat, et stupide, de dédaigner ce micro tendu par la Région (surtout avec ce que je dois à la Région), et je me suis fendu d’un texte qui me permettait tout à la fois d’exprimer ma gratitude, d’évoquer ma « place d’écrivain » (au fond du puits), et de parler d’autre chose. Voici ce texte.

L’orgueil du métier

Merci, l’Arald. Merci pour le soutien à « la vie d’écrivain », pour la tournée du PRAL qui m’a vu arpenter la région.
Merci pour l’étape à Saint Etienne. Le matin, avant mon intervention en librairie, j’avais  du temps, des loisirs. J’ai cerclé sur le plan
le musée de la mine. On pénètre d’abord le domaine fantôme, l’administration, le bureau des ingénieurs, la salle des pendus comme une cathédrale, puis les machines, lampisterie, chaufferie, centrale électrique, bassins de décantation, recette. Enfin on passe sous le chevalement. On prend l’ascenseur. On descend sous terre. On respire plus fort.
Dans le tunnel humide, le guide vante avec lyrisme la noble caste disparue.
« Les mineurs, aristocratie du prolétariat, accomplissaient le plus dur travail de la nation, le plus cruel et brave ! Des titans, des héros, une race éteinte de géants ! Leur prestige était tel que leur métier fut le seul mesdames et messieurs à orner jamais un billet de banque français (coupure de 10 francs, 1941-1949). Mais ne confondons pas… Il y a mineur et mineur… La mine n’est pas un métier mais cent ! Or, la tâche est distincte au fond et au jour, selon qu’on est pousseur, haveur, toucheur, boiseur, trieur, soutireur… Parmi eux, le seul vrai prince, l’audacieux colosse révéré de tous est le piqueur ! Celui qui nu se frotte à la terre, à même la paroi et abat le charbon ! Un quelconque
mineur ne saurait se prévaloir d’être authentique piqueur, car un signe ne trompe pas : les poussières de charbon imprègnent la peau du piqueur, et ses bras, son visage, tout son corps, se voilent de dessins bleus. Qui porte ces tatouages, voilà le piqueur ! Voilà celui que l’on respecte. »
Et moi j’entends cela, je vois la peau bleue marbrée de mon pépé, j’apprends ce que je savais déjà : qu’il était prince, je m’éloigne au fond de la galerie rehaussée d’écrans multimédia, et j’essore mes yeux. Il en est mort à petit feu, d’être prince. Travail de titan, de billet de banque, mais travail de con, aussi, qui tue pour faire tourner la boutique « France ». Les mines ont fermé ? Tant mieux.
Merci pour tout, l’Arald. Pour le précieux soutien à « la vie d’écrivain ». Ce n’est pas la mine, allez.

Fabrice Vigne

(N.B. : sur la première ligne de l’article dans sa version publiée, les correcteurs du journal ont jugé bon de remplacer « tournée du PRAL » par « tournée du prix Rhône-Alpes du livre » – explicitation du sigle qui  perturbe la métrique et entraîne deux génitifs successifs, c’est moche, ce n’est pas ma faute.)

Tout ça c’est dans la tête

09/01/2009 Aucun commentaire

Vous dansez mademoiselle ?rochainement sur cet écran…

ABC Mademoiselle, troisième livre édité par le FdT, existera dans moins d’un mois. Déjà un autre livre ? Est-ce bien raisonnable ? Vous avez raison, on ne voit pas le temps filer, ni le flux hanter, et ce livre-ci est tout sauf raisonnable. Les circonstances dictent et me bousculent. Même pas sûr de concocter un bon de souscription dans l’intervalle. Mais vous pouvez dès à présent et à tout moment envoyer vos dons, je vous en prie, nous ferons les comptes plus tard.

Celui-ci va me coûter les yeux de la tête. J’aurais préféré, très honnêtement, qu’un autre éditeur, un vrai, le publie, c’est à dire le rende « public » davantage que je ne saurais faire. Marilyne Mangione (l’illustratrice) et moi-même n’avons pas trouvé preneur. Allai-je laisser cette belle chose au fond de mon tiroir ? Allons donc ! Je le fais ! Tant pis ! Tant mieux !

Après L’Echoppe qui, comme on sait, était un documentaire, et Le Flux, qui était une carte de vœux/faire-part, avant un hypothétique 4e ouvrage qui serait un reportage, l’ABC sera la première authentique bonne vieille fiction publiée sous label Tiroir-qui-vole. Pas n’importe quelle fiction : je me love dans la tête d’une jeune fille. Et quand je dis « dans la tête », je me comprends.

Trane

08/01/2009 2 commentaires

"Je voudrais que ma musique guérisse celui qui l'écoute." (J.C.)

L’on aura peut-être remarqué le changement d’aspect de ce blog depuis l’an nouveau. Se sont subtilement transformés l’agencement, le graphisme, pour tout dire « le thème » du blog – car c’est ainsi qu’en informatique on désigne un habillage (comme dans « parc à thème »), ce qui sémantiquement ne laisse pas d’être étonnant, confusion de la forme et du fond. J’espère que c’est pour le mieux. Pour l’heure je trouve ce « thème » encore un peu bizarre, mais je suppose que c’est seulement le temps d’adaptation. À mon âge.

Cette chirurgie esthétique s’accompagne d’une autre opération, plus discrète mais plus vitale, dans les entrailles du bazar : nous roulons désormais dans la version WordPress « 2.7 ».

Or, si je vous en parle, c’est que cette nouvelle version porte un petit nom : Coltrane. Dixit WordPress : « It’s the next generation of WordPress, which is why we’ve bestowed it with the honor of being named for John Coltrane » – notons que les versions antérieures de WordPress répondaient (?) aux noms de Mingus, Strayhorn, Duke, Ella, Getz, Dexter, Brecker, et Tyner (sic).

D’où est-ce que je vous parle ? Je vous parle depuis Coltrane. Ça me touche. Coltrane n’est pas n’importe qui. A love supreme (ici vous pourrez en entendre quelques secondes dans une version live) est peut-être le disque que j’ai le plus souvent écouté dans ma vie. Dont quelques centaines de fois, en boucle, lors de l’écriture de TS.

Le grand homme, porteur d’âme, partageur de beauté, créateur d’une oeuvre, lyrique, charnelle, spirituelle, d’une profondeur infinie en même temps que d’une perpétuelle délicatesse… devient en un clic dispositif technologique up-to-date, dernier modèle en magasin d’un moteur de gestion de contenu écrit en PHP et reposant sur une base de données MySQL, volatil et bientôt périmé (la prochaine mouture s’appelera peut-être Albert Ayler) ; et ainsi circulent parmi nous, sinon les significations, du moins les signes.

Sur quel drôle de monde nous vivons. Pourquoi pas un systéme de programmation nommé Mozart ? un « thème » de blog intitulé Kubrick ? un langage de programmation baptisé Shakespeare ? Une bagnole nommée Picasso (tant qu’on y est) ? Une société de racket légal par gestion des parkings souterrains et par lobbying en faveur de la construction d’aéroports superfétatoires nommée Vinci ? Un presse-purée de marque déposée Aristote ?

(Après vérification, il semble que tous ces exemples, à l’exception du dernier, soient authentiques.)

Toujours à propos de la circulation des signes… Connaissez-vous le site Sleeveface qui invente mille et une variations à partir des pochettes de disques vinyl ? Non seulement ces mises en scène fétichistes sont amusantes, mais elles évoquent quelque chose d’assez profond, me semble-t-il, sur ce que nos disques de chevet font à nos physionomies :

Force marémotrice

07/01/2009 2 commentaires

Et le Flux les emporte

J’ai largement offert à mes proches Le Flux, sensiblement en même quantité que je l’ai vendu. Toutefois, de lien en lien,  il a pu tomber entre des mains que je n’ai jamais serrées. C’est ainsi qu’un certain Raphaël Desportes l’a lu. Artiste (comment faudrait-il dire ? « brut » ?), il n’a pas tardé a composer une sorte de réplique à ma plaquette, un poème et une peinture, duo intitulé comme de juste Le Re-Flux (ci-dessus). Le Flux est aussi le lieu où se retrouvent ceux qui « rêvassent d’une lune éparse ». Oui. Je prends. Je prends et je dis merci.

Brisavion

06/01/2009 un commentaire

Bison Ravi

On fête cette année le cinquantenaire de…

Non. Un truc cloche. Je reprends. Pouf, pouf.

« On » « fête » cette année le cinquantenaire de la mort de Boris Vian. Le Fond du Tiroir, opportuniste comme vous le connaissez, mêle au chœur sa voix toute intérieure et rend hommage ici au chanteur-écrivain-ingénieur-équarrisseur de première classe du collège de ‘pataphysique.

Quelle tête, l’hommage ? Le visage sournois et un peu gras d’un voyeur de coulisse : nous écartons délicatement le rideau… nous jetons un regard par dessus l’épaule… nous nous apprêtons à vous révéler un secret de fabrication, à braquer le projecteur sur un détail discret du dernier livre du FdT, Le Flux (toujours en vente). Nous nous livrons en somme au bonus exclusif ! au making of ! à la scène de tournage qui explicite l’inspiration : l’ombre portée sur notre plaquette de Boris Vian, mort hélas dix ans trop tôt pour être cité dans l’ouvrage en question.

Bienvenue dans le double-fond du tiroir ! Ci-dessous quelques extraits de mails échangés entre moi-même, alias l’Auteur, et Patrick Villecourt, alias le Factotum, au sujet de la maquette de couverture. Patrick avait, comme on dit, donné libre court à sa créativité, et conçu une première version de la quat’ de couv’. Pour orner ce verso, il compliquait le jeu initié sur le recto (feuillets d’éphéméride arborant jours de la semaine et mois), en inventant un autre jour (jourdi), d’un autre mois (nocendre) :

Exclusif ! Le cul du livre avant maquillage, surpris par un paparazzi !

FV – (…) Superbe ! Bravo. J’aime énormément nocendre dont les sonorités sont piles dans le sujet. En revanche, jourdi, c’est pas terrible, ça ne m’évoque rien (si ce n’est Camille Jourdy, mais je ne vois pas le rapport). Tiens, t’as qu’à remplacer par Verdi. Primo, Verdi évoque, excuse du peu, le requiem (encore une façon de rejoindre le thème en subliminal), deuxio le verbe verdir, quant à moi, m’a toujours fait penser à la chanson de Boris Vian : Quand j’aurai du vent dans mon crâne/Quand j’aurai du vert sur mes osses/P’tet qu’on croira que je ricane/Mais ça sera une impression fosse… (…)

PV – (…) Ah ? C’est marrant que Verdi, en 4 de couv, te fasse penser (ou l’inverse, plutôt) à la chanson de Vian (que j’aime beaucoup, chantée par Reggiani), parce que je me suis inspiré de L’Arrache-Cœur pour donner les heures de lunaison en une de couv ! (…)

FV – (…) Drôle de coïncidence : on a tous les deux été influencés par Vian, de deux façons différentes, pour la couve du Flux… Eh ben, tu sais quoi ? C’est peut-être pas une coïncidence : Vian, qui prédisait qu’il n’atteindrait pas les quarante ans, est mort dans sa 40e année. Voilà qu’il hante un bouquin d’entrée dans la quarantaine (et dans la mort). Tout va bien. (…)

PV – [suite à la publication du présent article] (…) Je vais, disais-je, justifier (chose que je n’avais point encore fait) le choix initial de “jourdi” : c’était pour moi le condensé de « au jour-dit », sous-entendu « le dernier » (sinon ça ne serait pas drôle). Ce qui me semblait donc bien dans le ton et la subliminale redondance au cœur de laquelle Verdi éclate, pour le meilleur fors le pire, en sa pleine magnificence. Mais puisque que cela n’a pas éveillé d’écho chez toi, c’est que ce n’était pas bon, et je trouve Verdi plus riche en double-fonds. (…)

(Vous pouvez comparer le brouillon ci-dessus avec la version imprimée qui, elle, proclame « Verdi »… Et vous pouvez aussi consulter les horaires de lunaison en couverture, ça ne peut pas faire de mal… Mais pour cela, il faudrait déjà avoir le bouquin, n’est-ce pas ? Vous savez ce qu’il vous reste à faire ?)

Une Iliade, une Odyssée

01/01/2009 un commentaire

Oui, chante. Chante pour moi, Hal.

Je ne serai jamais un universitaire. Je suis resté inscrit en doctorat pas loin d’une décennie ; parfois j’y ai cru. Finalement, j’ai écrit des livres à la place d’une thèse. Sans regrets !

J’ai publié, en tout et pour tout, deux articles universitaires, très différents l’un de l’autre, et n’ayant que deux points communs : ils ont été conçus en 2001 ; il invoquaient tous deux (par conséquent ?), à l’issue de circonvolutions fort distinctes, 2001 l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.

Le premier constitue presque une blague, mais traitée le plus sérieusement du monde, liée à l’exégèse d’une bande dessinée de JC Menu.

Le second s’intitule « Une Iliade ou une Odyssée ?,  Le voyage et son double », et il est paru en janvier 2003 dans le numéro 12 de la revue Alinéa.

Je supposais ces écrits morts et enterrés, définitivement.

Or, miracle ordinaire d’Internet : je reçois un beau jour un mail d’un certain Alain Boucher, Québécois, chargé de communication d’un « centre d’interprétation » (« musée », dirait-on ici plus simplement) consacré aux voyages et aux voyageurs – et par ailleurs grand et lent voyageur lui-même, comme l’atteste son blog. Alain a déniché « quelque part » sur le web un résumé de mon article qui recoupe ses propres centres d’intérêt, et voilà, il aimerait le lire…

Le Québec, c’est mon Amérique à moi (même qu’il est trop bien pour moi) et il eût été hors de question que je laisse lettre morte cette requête transatlantique – en outre, je puis le confesser, j’étais tout content que quelqu’un s’intéressât à cette archive oubliée. Je l’aimais bien, cet article. Je me suis donc débrouillé pour lui procurer un numéro de l’introuvable revue Alinéa (merci à Bruno Choc, ex-rédacteur en chef) et, en attendant que l’objet fasse son propre voyage, j’ai mis en ligne une version PDF dudit article.

Et c’est ainsi que le Fond du Tiroir, seul blog au monde qui publie un article le 1er janvier sans vous souhaiter bonne année, vous offre à lire un vieil article sur la charge symbolique et littéraire des voyages, ce qui est nettement meilleur. (attention, la définition n’est pas excellente, et certains passages, en particulier les notes de bas de page, sont à la limite du lisible… Merci à mon Webmestre-Masqué pour avoir entièrement retapé ces notes à la main,  consultables dans une page à part.)