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Merci pour le café, esclave

31/01/2015 Aucun commentaire

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Avertissement : le présent article est peut-être la suite de celui-ci qui s’interrogeait, il y a un an jour pour jour,  sur les modes de vieillissement de l’artiste, en opposant déjà deux films tardifs de deux cinéastes vénérables.

Depuis la bascule du 7 janvier, atteint en chaque partie intime comme l’exprime mieux que moi Emmanuel Guibert, j’éprouve un peu plus de mal à tout. Du mal à lire, à écrire, à travailler, à décrocher, à raccrocher, à avancer. Et même à regarder des films, comme si la fiction et l’image posaient désormais un petit problème. Pas un petit problème de sacrilège, hein, ça va bien avec ça. Petit problème de nécessité, de pertinence, de raccord au temps présent.

C’est au bout de huit jours que j’ai tenté de m’y remettre : j’ai glissé un DVD dans mon lecteur. Or j’ai détesté le premier film que j’ai vu, qui était pourtant d’Alain Resnais. Quoi ? Un film de LE Alain-Resnais me tombait des yeux ? J’en étais malheureux, me demandant si tout carrément je n’aimais plus le cinéma, comme l’avoua J-B Pouy, et cela aurait été très grave, bizarre, déchirant, moi ciné-fils à la Daney, un peu comme quand le capitaine Haddock découvre qu’il n’aime plus le whisky.

Heureusement, quelques jours ont passé, et j’ai vu un autre film, de Polanski celui-ci. Et je l’ai adoré. Ouf. Le problème ne venait pas de moi, finalement. Il faut envisager que le Resnais était tout simplement un nanar.

Aimer boire et chanter vs. La Vénus à la fourrure. Soient deux cinéastes chenus n’ayant plus rien à prouver, toute carrière derrière, toute liberté devant ; pour leur dernier film (l’un des deux ayant trépassé depuis, ce sera vraiment son dernier), tous deux choisissent d’adapter une pièce de théâtre dont les protagonistes sont des comédiens de théâtre ; leur mise en scène joue donc sur la plongée en abyme de la séduction et de l’art du comédien, en un huis-clos qui de façon explicite ou symbolique ne quitte jamais la scène ; tous deux confient de façon un peu perverse le premier rôle féminin à leur propre femme, au passage sensiblement plus jeune que Monsieur (Sabine Azéma pour l’un, Emmanuelle Seigner pour l’autre), rôle plein de duplicité d’une actrice qui profite de son art pour embobiner un homme, jouer avec ses sentiments et le manipuler.

Les ressemblances s’interrompent ici. Le Resnais est poussif, rance, interminable, factice, gâteux et déprimant. Le Polanski est subtil, ambigu, énergique, perturbant (on ne sait jamais si la relation sado-maso s’applique d’abord à la relation de couple ou à la relation de travail metteur en scène/acteur), une jubilation du début à la fin. Un film jeune.

Quel soulagement. J’aime toujours le cinéma ! Art éternellement jeune puisqu’art du mouvement, conformément à son étymologie.

Tiens (pour replonger une seconde dans Charlie), un autre qui reste méchamment jeune, c’est JC Menu.

J’avais prévu de mentionner en coup de vent l’excellente dernière livraison de la revue Kaboom qui, outre des dossiers de bon aloi sur Taniguchi, Jack Kirby et surtout ce génie méconnu qu’est Richard McGuire, accorde une tribune libre à Menu pour une énième apostille à ses Plates-bandes, où Menu dresse un état plutôt piteux de la petite édition indépendante, rattrapée à force d’invisibilité par l’usure et la perte d’envie, par l’âge en somme (Menu parle pour son compte : il jette hélas l’éponge de l’Apocalypse) – la solution au marasme préconisée par Menu étant, sans surprise, le repli dans le maquis, la radicalisation underground… (Sur ce sujet, avez vous 52 mns devant vous ? Précipitez-vous sur le film Undergronde de Francis Vadillo.) Mais finalement, plutôt qu’à lire les considérations de Menu sur ses propres plates bandes piétinées, je préfère vous enjoindre à écouter son admirable discours de réception du prix posthume remis à Charlie Hebdo durant le festival d’Angoulême le jeudi 29 janvier, il fait du bien, Je suis Charlie bordel de merde.

Rien à voir, âne-au-coq : toujours dans une période très à l’affût des médias, ce que j’ai entendu de plus stimulant cette semaine à la radio est, à ma propre surprise, une interview de longue durée de Charles Fiterman sur France Culture. Alors que je l’avais complètement oublié, le vieux Fiterman…
Quel trésor, quel recul, quelle intelligence (quand il parle de la dénaturation du langage, lorsqu’on parle par exemple exclusivement de « coût du travail » alors que le travail rapporte de l’argent, preuve que l’on a intégré la dialectique du Medef), quelles savoureuses anecdotes (lors d’une conférence avec les Anglais au sujet du Concorde, son micro crachouille, il réclame un tournevis pour le réparer, les Angliches n’avaient jamais vu ça, un ouvrier ministre… Nous mêmes n’avalons plus jamais vu ça, du reste, tous les ministres sont énarques consanguins, une partie du problème français est là…) Je vote Fiterman ! (depuis les Giètes, j’assume ma tendance vieux-coco…)  !

Traditionnel de demain

26/01/2015 3 commentaires

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Comme si je n’avais rien d’autre à faire de mes jours, t’sais. Bombardé président. Il ne me manquait plus que ça. Sans me vanter, je te jure, depuis quelques jours je suis président de l’association MusTraDem, label de CD, éditeur de partitions et tourneur de musiciens, toute la gamme des pieds à la tête, depuis le baluche jusqu’à l’éthnomusicologie, musiciens qui sont mes amis depuis vingt ans et mèche. Faites connaissance je vous prie, achetez leurs CD ! Allez les voir en live vivants ! (ou à défaut sur Youtube) Lisez les toujours stimulants éditos de l’une de leurs têtes pensantes et dialecticiennes ! Dégourdissez-vous les doigts en apprenant à jouer d’un instrument, et les fesses en dansant jusqu’à pas d’heure ! (Prochain rendez-vous, amis Grenoblois : samedi prochain, détails sur l’image ci-dessus.)

MusTraDem pour Musiques Traditionnelles de Demain : j’aime et admire cet oxymore depuis (disons pour faire simple) toujours. L’association fut fondée par des artistes à la fois ancrés dans l’ancestral et expérimentateurs de formes – en somme, des inventeurs d’une certaine modernité, pas moins. (C’est en mélangeant qu’on invente.) Circonspects à l’époque comme aujourd’hui quant à la possibilité de trouver leur place dans le marché, le réseau, le commerce ou la foire médiatique, ils ont décidé vers 1990 de ne pas attendre le messie (ni le président) et de la créer eux-mêmes, cette place. Ils ont forgé de leurs mains et pour leurs mains leur propre structure, outil de travail et de distribution, de survie, de vie tout court. Une source d’inspiration pour Le Fond du tiroir ? Tu l’as dit, mon neveu !

Alors bon, d’accord, ça et les sentiments plus un coup dans le nez et voilà comme on se retrouve à signer des papiers sous la mention Président… Ils avaient besoin d’un prèz… J’ai accepté tout en les avertissant que le job m’intéressait mais que je n’étais pas sûr d’avoir les épaules, qu’ils n’avaient qu’à voir comme j’avais rendu florissante ma propre association (en déficit chronique), que je me sentais vachement ‘normal’ comme président, autrement dit qu’il fallait craindre que seul un attentat sanglant me rende un peu populaire…

Bah, nous verrons bien, eux et moi ! Je suis sûr que j’ai quelque chose à apprendre là-dedans, et puis je peux bien me dévouer pour eux spécifiquement, et pour la musique en particulier.

J’ai souvent sous-entendu, et parfois explicitement déclaré, que j’écrivais par défaut, par dépit d’être si peu musicien. J’ai consacré les droits d’auteur reçus pour mes premiers livres à l’achat d’instruments de musique (une trompette, deux trombones, un tuba)… Je me sens proche de la musique, même et surtout quand j’écris. Et encore davantage quand je me donne en spectacle. J’aime travailler ma voix comme un instrument et la balancer comme un chorus, ou en contrechant parmi les notes des autres. J’ai eu un planning de janvier chargé en happenings littéraro-musicaux : d’abord une représentation des Giètes-sur-scène, on a recompté, c’était la 39e et dernière (des photos ici), ensuite une de Vironsussi-sur-scène (des photos là). Eh bien figurez-vous que le premier spectacle n’était possible que grâce à la complicité fidèle de Christophe Sacchettini, et que le second doit beaucoup au talent et à l’investissement de Norbert Pignol.

Comme par hasard : deux membres (fondateurs, en plus) de MusTraDem. Tous deux apparaissant d’ailleurs furtivement dans L’échoppe enténébrée. Okay. On a pigé, pas besoin de théorie du complot. Une mafia, quoi.

Et pendant ce temps, l’actualité ? Ah non, merci bien j’arrête, elle est trop triste l’actualité. Comme si les attentats n’avaient pas généré suffisamment de chagrin, de colère, d’inquiétude, Emmanuel Macron ministre de l’économie balançait le même jour dans Les Echos un autre symptôme de la grande déglingue globale : « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires » . Macron/Swagg Man : même combat, même modèle offert à la jeunesse française, même classe, même Rolex. Et Bernard Maris, lui, est mort assassiné, Bernard Maris qui déclarait je cite de mémoire une interview rediffusée post-mortem :

« La liberté et l’égalité, on sait à peu près ce que c’est. Ce sont deux drapeaux, deux belles valeurs, qui animent la politique française depuis la Révolution. Encore aujourd’hui la liberté est revendiquée comme absolu plutôt par la droite, et l’égalité plutôt par la gauche. Leur confrontation est inévitable (trop de liberté nuit à l’égalité, trop d’égalité nuit à la liberté) mais fonde la République, au moment où le débat public parvient à un équilibre entre les deux. Or cet équilibre ne peut être trouvé que grâce au troisième terme républicain, le plus difficile à trouver, le plus abstrait (contrairement aux deux premiers, on ne peut pas faire de loi qui porte son nom), le plus beau peut-être : la fraternité. La fraternité est la solution à nos problèmes… Mais il y a du boulot, puisque l’idéologie dominante [celle de Macron et de Swagg man], très violente, suicidaire, nous inculque l’exact contraire, le chacun-pour-soi et la guerre de tous contre tous.« 

Maris était un homme lumineux, et par conséquent éclairant, sa lumière a été soufflée par deux abrutis obscurantistes qui, certes, ne pouvaient que nourrir du ressentiment face à ce qu’ils étaient incapables de comprendre et qu’ils supposaient incapable de les comprendre. Maris a été assassiné juste après avoir achevé un petit livre à paraître chez Grasset où l’on trouve cette phrase “La civilisation commence avec la politesse, la politesse avec la discrétion, la retenue, le silence et le sourire sur le visage” que j’aurais pu apposer en épigraphe de Fatale Spirale, Maris est mort et il nous reste Emmanuel Macron et Swagg Man, oh misère qu’ils sentent mauvais les meilleurs voeux 2015.

Rhâ pardon c’est plus fort que moi j’ai craqué, j’ai encore parlé de cette grande salope d’actualité, encore deux ou trois heures passées sur Internet à lire tout ce qui se présente, je sais pas si vous avez lu La carte et le territoire de Houellebecq, l’un des passages les plus burlesques montre Houellebecq en chair et en os ce qu’il en reste, pitoyable personnage de son propre roman, avouer tel un toxico, « J’ai complètement replongé, question charcuterie… » et bon, là, je suis bien obligé d’avouer cette après-midi : « J’ai complètement replongé, question actualité… »

Je vais plutôt aller jouer un peu de musique.

C’est doux d’être aimé par des gens intelligents

16/01/2015 Aucun commentaire

Affiches 16 janvier 2015

Hier j’ai mangé dans un kébab (je sais, c’est pas bon pour la santé). Comme l’après-midi était déjà bien avancé, j’étais seul dans la boutique et j’ai pas mal discuté avec le patron. De quoi aurions-nous discuté, sinon de « ça » ?
Il m’a dit des choses comme : « Moi, je suis algérien, je suis là depuis six ans. Je suis musulman, j’ai la foi, et les terroristes, là, je ne les comprends pas. C’est un beau pays, la France, il y a tout ce qu’il faut pour vivre. Si je suis parti d’Algérie, c’est parce que depuis 25 ans les islamistes font la même chose que ceux de Charlie en France, ils ont égorgé des journalistes par dizaines, des chanteurs, des hommes politiques, des femmes aussi, tous ceux qui ne sont pas d’accord. C’est ça qu’ils veulent ? Ils ne savent pas ce que c’est, l’islam. Je fais le djihad, moi, parce que je sais ce que c’est le vrai « djihad », ça veut dire « le combat », c’est le combat quotidien, ça consiste à se lever le matin, à travailler, à aimer ses proches, à méditer, à chercher la paix. »
Le lendemain matin, j’ai raconté cette conversation à la table du petit déjeuner, et je me suis remis à pleurer. Je croyais pourtant que j’avais suffisamment pleuré, que je n’avais plus de larmes. Il m’en reste.
C’est beau, la sagesse du kébab.

Et à l’instant, dans le tramway, un gars m’aborde gentiment : « Excusez-moi… On vous a déjà dit que vous ressembliez à Cabu ? »
Ben oui, depuis quelques jours ça m’est arrivé une ou deux fois, jamais avant. C’est sûrement la coupe de cheveux.

Difficile de cesser, sinon d’ « être » Charlie, du moins de penser et de parler Charlie… Le 7 janvier, nous avons basculé d’une époque dans l’autre, il va nous falloir un temps d’ajustement.

Pendant ce temps les livres continuent de paraître et, heureusement, d’être lus. Grand merci à Jean-Louis Roux pour sa fine critique (ci-dessus) de Vironsussi parue dans les Affiches du 16 janvier.

Et puis sur le même sujet, lundi 19 janvier sera diffusée à la radio une interview de ma pomme par Jean Avezou, à 11h12 et 19h12 sur RCF Isère (103.7 à Grenoble et 106.8 à La Côte Saint André). Grâce à l’amabilité de RCF (merci beaucoup) et à la diligence de mon web-maestro, cette émission est pod’castable ici même.

Collatéral

12/01/2015 un commentaire

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Nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu’elle ne l’était avant de nous connaître.
Alexis de Tocqueville, Rapport de la commission parlementaire, 1847

Hier, manif. J’étais parmi les quatre millions. Pour la première fois depuis cinq jours, je marchais ragaillardi, confiant. On était plein. Pour la première fois depuis bien plus longtemps encore, j’étais sinon fier, du moins content d’être français. Le bon côté de la fièvre obsidionale, ça existe.

Il est beau le leurre. Elle est belle l’union sacrée. Elle se dissipera comme une brume matinale, celle qui fugitivement confond, donne le même aspect à tout individu. Demain et après-demain, tout restera à faire. La société française est à fragmentation, comme on dit d’une grenade.

Mercredi, je recevrai dans ma boîte le Charlie de la semaine, il me fera rire et peut-être pleurer. Mais parmi les trois millions d’acheteurs visés pour ce numéro exceptionnel, combien vont tomber des nues ? « Quoi, c’était ça, Charlie ? Mais ! C’est dégueulasse, vulgaire, de mauvais goût, bête et méchant, irresponsable ! Il y a même des bites ! Si j’avais su ! Je ne suis pas Charlie, finalement ! » Et cela sera drôle aussi. Professeur Choron, que pensez-vous de ceux qui achèteront Charlie demain tout en sachant pourquoi ils ne l’achetaient pas hier ?

Charlie n’a jamais eu vocation à rassembler, à consensualiser dans les chaumières, à tirer trois millions. Sa vocation, c’est faire rire en testant (pour mieux dire, en éprouvant) la liberté d’expression. Par conséquent, il exagère. L’outrance fait partie du processus. Exemple de mauvais goût qui peut, plus que d’autres, prétendre Je suis Charlie : Lisa Mandel. Ce dessin me fait rire. Et vous ? Si oui, vous pouvez continuer à arborer Je suis Charlie. Sinon, autant s’en tenir au dessin ci-dessous, publié par le New Yorker : Nous vous offrons ce dessin culturellement, ethniquement, religieusement et politiquement correct. Nous comptons sur votre responsabilité pour en faire bon usage. Merci beaucoup.

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Mon précédent article, où j’incitais à dessiner des prophètes, a de même créé un certain malaise. Have I offended someone ? comme disait Zappa ; Never be rude to an arab, comme chantait Terry Jones. Je reproduis ci-dessous un débat que je crois fécond avec l’ami précédemment cité – je précise pour la bonne compréhension de sa position qu’il est prof de français en collège.

 

Amis chers,

Vous dessinez très bien, Fab et Franck. Bravo. Comme des enfants.

Mais, puisqu’il est l’heure de palabrer, je ne suis pas sûr que dessiner le prophète soit très judicieux.
Je m’explique.
S’il s’agit de montrer qu’on n’a pas peur, qu’on se moque voire qu’on provoque les fanatiques, OK je souscris et je veux bien apprendre à dessiner, des deux mains.
En revanche, par les temps qui courent, pas certain que les représentations du prophète, aussi respectueuses soient-elles, seront appréciées par les musulmans (je ne précise même pas « non-intégristes »).
Faites l’expérience, allez faire un tour en banlieue avec vos dessins…

Moi j’ai fait une expérience vendredi.
Après-midi, classe de 3e, 23 élèves, aucun musulman. Je projette le dessin « C’est dur d’être aimé par des cons ». Je laisse un peu mariner. Résultat : les 3/4 des élèves y voient une insulte et une provocation aux musulmans.
OK ils ne savent pas lire. Ok quand on explique et qu’ils comprennnent, ils constatent tous que Charlie ne fait qu’insulter les intégristes. Mais ils ne l’avaient pas compris seuls… Et je suis sûr qu’on peut renouveler l’expérience dans toutes les classes jusqu’au lycée.
Les gens ne savent pas lire, ne prennent pas le temps. Les profs sont nuls. C’est un triste constat mais c’est ainsi.

Les gars de Charlie le savaient. Ils ont joué avec le feu (en ce sens, Fabrice, ce sont des enfants, même si c’était en connaissance de cause). Je crois que dans toute l’histoire de l’humanité, les gars de Charlie se seraient fait descendre en quelques jours. Ils ont pu s’exprimer comme ils l’ont fait si longtemps car ils ont bénéficié d’une parenthèse enchantée, d’une fenêtre de tir exceptionnelle, en jouissant d’un pays et d’une époque particulièrement tolérante. Ils ont aussi bénéficié des forces de l’ordre qui ont permis à ces forces du désordre de s’exprimer.
Je m’en réjouis, c’était un haut degré de civilisation. Je serai demain dans la rue (et j’espère que nous serons des millions) pour défendre ce droit total à la liberté. Mais j’ai peur que la parenthèse soit refermée. Il faudra apprendre à cibler plus explicitement les cons et ne pas heurter, blesser, les sensibilités inutilement. C’est ce qu’explique très bien Cabu ici.
Il ne faut pas baisser les crayons, non, mais il faut que les crayons visent mieux.

Je ne pense pas que ce soit de la lâcheté. C’est juste qu’en ce moment il s’agit surtout de rassembler. Et si les musulmans considèrent qu’il ne faut pas représenter le prophète, je ne pense pas que ces dessins soient rassembleurs.
Voilà, c’est tout.
Si j’ai pu paraitre comme un Don Quichotte grotesque, avide d’en découdre et de partir en guerre, la guerre à mes yeux est celle qui consiste à tout faire pour récupérer autant de musulmans possible pour qu’ils ne se sentent pas écartelés entre des fous de Dieu et des mécréants qui ne respectent rien. Il faut reconquérir cette jeunesse qui ne comprend plus rien et qui risque de basculer. Ce sont les élèves que Fred a en face de lui. Et ce sera très très compliqué car il faut se rendre à l’évidence, tous nos beaux discours ont échoué.

Je veux être optimiste pour demain, mais je suis très pessimiste pour la suite.
J’ai peur que les gens qui se rassembleront demain le soient pour des motifs si différents que l’unité éclate bien vite. Je redoute la débandade, la bande décimée… pas comique.
Me gourge ? Je l’espère de tout coeur.

Je respecte ton point de vue, et dans le fond je l’approuve (loin de voir en toi un Don Quichotte grotesque).
Cependant, je laisserai mon prophète en ligne. Ce n’est pas de l’entêtement de principe (quoique l’auto-censurer serait un aveu d’échec face aux assassins), c’est réellement parce que je trouve capital de rappeler pourquoi 12 personnes ont été assassinées : pour ça. Pour un dérisoire dessin. Nous sommes dans un pays où la peine de mort, même en cas de crime de sang, est abolie, parce que nous considérons que la justice est préférable à la vengeance (à ce sujet je ne peux que déplorer que les trois terroristes aient été abattus avant-hier plutôt que traînés en justice : leur plan a ainsi été accompli jusqu’au bout, qui comprenait le suicide rituel)… et nous affrontons des gens qui veulent instaurer un régime où l’on punirait de mort le fait de poser de l’encre sur le papier et de donner à cette encre la forme d’un bonhomme avec un nez une barbe et un turban. Le voilà, le grotesque. (et le monstrueux et le tragique)
Je n’ignore pas que dessiner peut être perçu comme de la provocation, mais je veux croire encore que la provocation n’est que le premier temps de la discussion, je veux provoquer, oui, je veux provoquer l’échange (Je regrette beaucoup que tu n’aies pas diffusé, soit sur Facebook, soit sur mon blog, ta réponse [bon, c’est fait, désormais…]), la réflexion, et l’ouverture au sens des choses, à leur origine.
C’est quoi l’origine ? Le problème théologique de la représentation du prophète… Okay, discutons théologie et arts islamiques. Il y a des pages Wikipedia pour ça. Je vous renvoie aux livres de François Boespflug (écoutez par exemple cette émission)
Malek Chebel rappelle que l’Islam n’interdit pas la représentation de Mahomet, et qu’on ne trouve rien de tel dans le Coran… Seuls quelques hadiths peuvent être interprétés comme interdisant formellement cette représentation. Mais ces interprétations radicales et tardives (le fondamentalisme wahhabite, cette gangrène, ne date que du XVIIIe siècle), manipulées aujourd’hui par des fous furieux qui promulguent des milliers d’autres interdits (dont la musique – et le rire) sont postérieures à une certaine époque de l’art islamique où, par exemple, des miniatures représentant le fameux vol nocturne de Mahomet, sont des merveilles. Ceci est important : un précédent existe, Mahomet a été représenté autrefois par des artistes qui étaient très pieux, regarde donc ça, Mahomet y est figuré à chaque page, bien plus souvent que dans Charlie Hebdo. (Et ce croquignolet Mahomet iranien, n’est-il pas merveilleusement kitsch ?) 
Comme toujours, tant que les bibliothèques n’auront pas brûlé, il faut se rendre en leur sein pour réfléchir, apprendre… et admirer les représentations (le travail des hommes), y compris celles de Mahomet. Je renvoie vers cette expo virtuelle de la BNF.
Je ne suis, et c’est terrible d’avoir besoin de l’affirmer, pas islamophobe, pas plus que Charlie. (Qu’on réfléchisse un peu à ce que signifie cette une de Charlie d’octobre 2014… Est-elle raciste, islamophobe ? Je soutiens qu’elle est tout le contraire…) Je me sens comme les musulmans contraints de clamer honteusement Not in my name. Je suis, comme Charlie, islamistophobe et connarophobe. Or la question de l’islamophobie est piégée depuis que les islamistes (et les connards) accusent tous azimuts d’islamophobie ceux qui dénoncent le fanatisme (cf., pour faire le point, cette tribune de Laurent Zimmermann).
Islam = 1,5 milliard d’êtres humains, soit le quart ou le cinquième de l’humanité (et par conséquent le quart ou le cinquième de moi). Dont beaucoup vivent dans la même modernité que nous, c’est-à-dire un monde d’images et de représentations, et sont capables de réfléchir à ce sujet.
Islamisme = quelques dizaines de milliers de dangereux abrutis, fascistes d’une sous-obédience en vogue du fascisme.
Effacer de mon blog mon joyeux prophète, ce serait baisser la tête devant les quelques milliers et mépriser le milliard et demi considéré comme unanimement trop con et susceptible – ce serait islamophobe.
Si la guerre arrive, et je ne suis pas de ceux qui nient qu’elle vient, c’est ainsi que je la mènerai. Mais j’admire sans fin la façon dont vous enseignants (et toi notamment, merci pour ce récit de ton expérience en classe) menez la vôtre.
Tu fais une confusion en attribuant à Cabu des propos de Plantu. De fait, Plantu, plus « modéré » que Cabu, plus prudent et plus autocensuré, est toujours vivant.
Nous sommes dimanche, 14h, il est bientôt l’heure d’aller au rassemblement.
Je nous souhaite une bonne journée.
Fabrice

C’est une question de point de vue et de priorité.
Moi j’adopte le point de vue ras-les-paquerettes et je demande : quelle réaction susciterait des représentations du prophète demain dans certaines situations et lieu (salle de classe, mosquée, PMU…) ? Pas besoin d’être bien malin pour deviner que vous ne feriez pas un gros tabac. Fabrice tu dis qu’il faut provoquer pour dialoguer. Euh… oui, mais il faut aussi courir vite quand on provoque.
Ca c’est la réalité à l’instant T. Maintenant, faut-il s’en contenter, s’y résigner ? Evidemment non. Nous sommes d’accord, le but que l’on puisse partout représenter le prophète et dessiner n’importe quoi, qui, et supprimer cette notion de blasphème. Pour ma part, je n’éprouve pas le besoin de provoquer ou d’offenser (je suis plus Plantu que Cabu) mais sur le principe il faut avoir le droit moral et légal de tout représenter.
Pour cela le monde musulman doit faire son aggiornamento, vite et de fond en comble, et cela ce n’est pas gagné. Voir la Lette ouverte au monde musulman d’Abdennour Bidar. Si on attend en se croisant les bras que le Croissant se décroisse, autant commencer à réunir un grand orchestre de prostatiques et un violoncelle (celui de Vironsussi ?).
Donc il va falloir aider ce monde à changer. Comment ?
1) En réformant notre monde, notre civilisation. La nature a horreur du vide ; si nous poursuivons notre civilisation tellement vide au plan spirituel d’autres formes de spiritualités s’imposeront mais elles seront précédées par leurs masques, les fanatismes.
2)…
3)…
4)…

Je rends public cet échange parce que je doute. Je suis sensible aux arguments de mon contradicteur. De même que je suis sensible à cet article de Pacôme Thiellement : « Nous sommes tous des hypocrites. C’est peut-être ça, ce que veut dire « Je suis Charlie ». Ça veut dire : nous sommes tous des hypocrites. Nous avons trouvé un événement qui nous permet d’expier plus de quarante ans d’écrasement politique, social, affectif, intellectuel des minorités pauvres d’origine étrangère, habitant en banlieue (…) Nous avons refusé d’admettre qu’en se foutant de la gueule du prophète, on humiliait les mecs d’ici qui y croyaient – c’est-à-dire essentiellement des pauvres, issus de l’immigration, sans débouchés, habitant dans des taudis de misère. Ce n’était pas leur croyance qu’il fallait attaquer, mais leurs conditions de vie.« 

Être sensible à son contradicteur. Tant mieux, au fond, si l’une des victimes collatérales des attentats est le simplisme.

Dessinez des prophètes !

10/01/2015 2 commentaires

Je suis Charlie

Après le choc.

Les yeux encore rouges, les larmes, le manque de sommeil, les heures d’écran.

Au moins aurons-nous communiqué d’abondance, durant trois jours. Conversations, débats, communions, embrassades, fesse-boucage et dizaines de mails, échange d’émotions et d’idées. On passe nos nuits en ligne parce qu’on cherche à comprendre. Contributions innombrables, liens. Parmi les textes les plus forts que j’ai lus : celui de Rushdie, celui d’un lecteur d’Averroès et du Coran (le verset 140 de la quatrième sourate dit aux musulmans ce qu’ils doivent faire lorsqu’ils se retrouvent face à des gens qui « tournent en dérision » les versets d’Allah : quitter le lieu et ne pas demeurer à leurs cotés – Allah s’occupera de les envoyer en enfer au jugement dernier), mais aussi celui, viscéral, du Webmestre Masqué du Fond du tiroir. Il avait l’intention d’en faire une lettre ouverte à Hollande, mais je ne sais pas s’il l’a envoyée, il serait bien du genre à la laisser au fond de son tiroir, c’est de famille. Mon vieux, tu as les clefs du blog : je t’invite à publier ton texte ici-même.

Parmi les autres textes reçus hier, celui-ci, privé, émanant d’un ami cher, m’a fait gamberger :

Ce qui nous touche tellement, je crois, c’est qu’ils on tué l’Enfance.
Ces gars de Charlie hebdo étaient des gosses (on entend ça partout, ça doit être vrai) avec le goût de la déconnade, l’absence de calcul, l’inconscience, la folie… que cela suppose. Ils ont tué des enfants.
Mais ils ont aussi tué notre enfance. Nous vivions, avec nos principes, nos valeurs, notre naïveté, comme des enfants.
Vous qui écrivez, les artistes, vous faites profession d’enfance. Il n’y a rien de plus beau.
Et là, on est obligé d’en sortir, de voir. On se heurte au réel. C’est d’une brutalité inouïe ; on n’a même pas le temps de faire notre crise d’adolescence.
Il va pourtant falloir devenir adultes très vite.
Devenir adultes, pour pouvoir reconstruire l’enfance.
C’est ça qui doit nous rassembler, nous faire tenir.

Si je partage le constat de brutalité et la nécessité d’affronter le réel, je suis loin d’être d’accord avec l’analogie entre des dessinateurs de presse et des enfants, ni dans ses tenants (qu’y a-t-il d’enfantin chez un type qui déclare Je préfère mourir debout que vivre à genoux ? Ou alors, les enfants sont plus responsables que bien des adultes, point de vue qui se défend), ni dans ses aboutissants (okay, nous sommes en guerre, et s’il faut faire la guerre je la ferai avec mes moyens, à ma mesure… Mais la guerre est-elle vraiment une preuve de maturité ? Certes c’est ce que dit la chanson, Et puis les adultes sont tellement cons/Qu’ils nous feront bien une guerre)…

En revanche, l’enfance, je la reconnais distinctement dans le plaisir, la joie. Et avant tout la joie de faire. La joie de dessiner.

Alors, hier, pour me relever, et pour m’occuper les mains loin des fil d’actu et pis aussi pour rire un peu plutôt que de pleurer toul’tant-toul’tant, vous savez quoi j’ai sorti mes crayons et j’ai fait un très zoli dessin. Je me suis appliqué, j’ai presque pas débordé, j’ai fait un joli Prophète Muhammad (que la paix soit sur lui).
Je suis sûr que Charb quand il a débuté, ne dessinait pas mieux que ça. Vingt ans plus tard, il ne dessinait toujours pas mieux que ça, mais ça s’appelait « son style » , il a dessiné des millions de bonshommes, toujours les mêmes, avec un gros nez rond et trois points dessus, sauf que s’il lui ajoutait un turban sur le crâne, son bonhomme devenait le prophète et ça méritait la mort. Lisez je vous prie La vie de Mahomet de Charb, lire ce livre (lire tout court) fait partie de la résistance aussi bien que de la culture générale, livre enfantin par son dessin si l’on veut, mais extrêmement sérieux dans son récit, cautionné par des théologiens, car contrairement à ses assassins Charb savait lire et avait lu les textes coraniques. « Islamophobe » ? Faut-il être bas du front ou manipulateur ou manipulé pour penser une chose pareille ! Cf. ceci, mais cf. Charlie, lisons Charlie avant d’avoir une opinion et une arme.

Moi je débute dans le dessin, j’ai 20 ans devant moi. Et ensuite moi aussi je mériterai le paradis.

Il est bien gentil ce label carré Je suis Charlie collé partout, je l’ai adopté aussi, pas bégueule, mais tout bien réfléchi, puisque je suis à nouveau en état de réfléchir, j’estime qu’on rendra un meilleur hommage à Charlie en dessinant, en s’amusant à dessiner, plutôt qu’en diffusant ce slogan qui fleure un peu le marketing (ils détestaient tellement la pub). Voir aussi cette interview de Luz, l’un des survivants : « Au final, la charge symbolique actuelle [du soutien unanime à Charlie comme symbole de la liberté de la presse] est tout ce contre quoi Charlie a toujours travaillé : détruire les symboles, faire tomber les tabous, mettre à plat les fantasmes. C’est formidable que les gens nous soutiennent mais on est dans un contre-sens de ce que sont les dessins de Charlie.« 

Et voilà, ça a marché, j’ai dessiné mon prophète en riant, je vous jure que j’allais mieux après.
Je conseille à TOUT LE MONDE de dessiner son prophète. Ne serait-ce que pour prouver que ça ne fait pas mal.
Je suis d’avis de diffuser partout la phrase Toi aussi dessine ton prophète plutôt que Je suis Charlie. C’est comme ça qu’il faudrait le comprendre, le slogan ‘Je suis’ : I am Spartacus ! Liquidez-moi comme vous l’avez liquidé, liquidez-moi à sa place tant que vous y êtes, je suis prêt à la recevoir, la fatwa pour un petit dessin.

Dessinez des prophètes ! Chiche, on s’y met tous ! Et puis d’ailleurs, vous n’êtes pas obligés de dessiner spécifiquement Muhammad (que la paix soit sur lui), vous pouvez dessiner le prophète que vous voulez, ce n’est pas ce qui manque, dessinez un pape, un rabbin, un Hollande, un Sarkozy, un Séguéla, un Houellebecq, un Zemmour… Un Charb, pourquoi pas. Mais dessinez-les. Appropriez-les vous sur papier et à la taille que vous voudrez. Représentez-les. La représentation est un outil de pensée pour enfants de tous âges.

Le Fond du tiroir tétanisé par l’horreur

08/01/2015 2 commentaires

je suis charlie

Hier.

Toute l’après-midi, j’ai tremblé, suffoqué, pleuré et fumé.
Atteint dans ce que je fais, ce que je suis, ce que je crois.
Je suis resté longtemps tétanisé, hoquetant devant l’écran, faisant défiler plusieurs fils d’actualité simultanés.

Ensuite, parce qu’il fallait bien faire quelque chose, madame la présidente du Fond du Tiroir et moi-même avons rejoint le rassemblement silencieux de Grenoble. Une marée, des milliers de personnes, les plus grandes places de la ville bondées, de Grenette à Victor-Hugo, ça réchauffait un peu.
J’y ai croisé Jean-Pierre Andrevon, qui a évoqué ses potes Cabu et Wolinski, Hara-Kiri. Puis Michel Cambon, qui m’a parlé en étouffant des sanglots de son pote Tignous, et de La Grosse Bertha. Chacun son Charlie.

Quant à moi, comme l’immense majorité de la foule je ne connaissais aucun des douze personnellement, mais je pourrais faire mien le slogan qui court partout, Je suis Charlie, je suis au fond très Charlie, depuis toujours je lis et j’écris avec Charlie. Je suis abonné depuis 20 ans, dose hebdomadaire, je les ai toujours soutenus même quand ils me mettaient en colère (la scandaleuse éviction de Siné, la propagande pro-constitution européenne de Val…), j’ai toujours aimé qu’ils me mettent en colère, de cette colère démocratique pleine de mots mais sans kalachnikov, parce que Charlie était la proue de la démocratie, l’incarnation de la liberté d’expression, de la liberté tout court. Et cette liberté, cadeau gigantesque, c’était sans compter le talent, qui venait en bonus – l’un de ceux qui m’a appris à écrire, c’est Cavanna – et parmi ceux qui m’ont appris à regarder : Reiser bien sûr, Willem, Cabu, Topor, Luz, Charb, Catherine, Riss, Siné, Wolin…
La liberté d’expression, la liberté tout court, le talent, la délicatesse d’apprendre à lire et regarder, et l’art de faire rire… ont été égorgés sous nos yeux écranisés comme une rangée d’otages de Daesh.

Fatale spirale a été conçu dans un état bizarre, assez funèbre, parce que je redoutais qu’il arrive une catastrophe, pas cette catastrophe-ci forcément, mais une catastrophe, le climat était menaçant. Sauf que, quitte à en faire un livre, je voulais faire rire d’abord ! Je voulais l’écrire à la Charlie finalement, l’outrance qui émancipe et qui fait rire, parce que le rire fait du bien, le rire fait du mieux, le rire évite la catastrophe. Le rire énorme, le rire con, le rire bête et méchant (slogan antiphrase, ou pas), et mon aphorisme wolinskien préféré est Pas de plus grand plaisir que de dire des conneries avec des gens intelligents.
Alors je l’ai écrite en riant ma Spirale, je l’ai écrite comme une grosse farce et de fait, ça allait vachement mieux après. Mais qui peut blaguer aujourd’hui ? Depuis 24h je pleure et fume et me morfonds, et je prends en grippe mon foutu bouquin qui a eu le mauvais goût de paraître en ce jour de sang et de cendres, qui se voulait joyeux, et qui me semblait soudain indécent, dérisoire, écœurant et sinistre, c’est comme si on en avait fait un autodafé sous mes yeux.

Mais Nathalie Riché, critique de Lire, le qualifie au contraire de « livre qui tombe à pic » , aujourd’hui sur son blog, elle explique pourquoi, et ça va mieux, elle me requinque, peut-être parce que je l’ai requinquée, c’est ça qu’on doit faire, on doit tous se requinquer en chœur.

Merci infiniment. Et maintenant, on fait quoi ? Demain et d’ici la fin de notre vie ? En réalité le court terme crée le long, et le court c’est le long en personne, c’est la Spirale : il faut dès demain continuer de faire ce que l’on sait faire. Lire, écrire, dessiner, peindre, enseigner, soigner des gens, jouer de la musique, rire, etc, et le reste qu’on ne sait pas, il faut l’apprendre.

Je vous embrasse. Embrassons-nous.
Fabrice

(Flashback en post-scriptum : le 2 novembre 2011, l’humeur était à l’indignation, nous sommes aujourd’hui très au-delà.)

Fatal

07/01/2015 Aucun commentaire

solution

Devinette. Aujourd’hui 7 janvier 2015, partout en France un événement bourrera les boutiques, engorgera les échoppes, saturera les supérettes. Lequel ?

Réponse A : l’ouverture des soldes, bien sûr.

Pour ceux que les soldes n’intéressent pas, réponse B : sortie en librairie de Soumission de Michel Houellebecq.

Pour ceux que ni les soldes ni Houellebecq n’intéressent (commencent à être difficiles ceux-là), réponse C : sortie de Fatale Spirale (édition Sarbacane, illustrations de Jean-Baptiste Bourgois et gros bisou d’Amnesty International).

Le texte de Fatale Spirale est né parce que je souhaitais écrire quelque chose autour de la Villeneuve de Grenoble, mais sans ajouter au bavardage (j’ai déjà pas mal bavardé moi-même sur la question) ni à la lamentation, sans plomber l’ambiance, sans préchi ni précha, juste sourire à la cantonade histoire de voir si c’est contagieux.

Voilà pourquoi j’en ai rédigé ainsi la dédicace : Pour Muriel J., parce qu’elle est toujours la première à sourire, et pour tous ses voisins de la galerie de l’Arlequin, à Grenoble.

Voilà qui, également, éclaire la photo ci-dessus, saisie en décor naturel, devant un silo de cette même Villeneuve. Merci pour la photo à Patrick Reboud.

Remettez-moi encore deux ou trois voeux c’est pour emporter

02/01/2015 Aucun commentaire

FMP5

Chères personnes,

Bonjour-la-bonne-année, que 2015 vous soit etc. etc. très sincèrement etc.

L’an 15 en ce qui me concerne débutera par deux spectacles littéraro-musicaux, à trois jours d’écart, forts différents, mais où je mouillerai ma chemise en direct. Votre présence à ces deux happenings me ferait plaisir. Je vous invite à réserver une soirée, ou l’autre, ou les deux.

* le dimanche 18 janvier à 18h, j’aurai la joie de ressusciter un spectacle qui après avoir pas mal voyagé entre 2008 et 2013, sommeillait depuis deux ans : Les Giètes, d’après le roman du même nom, adapté pour la scène avec Christophe Sacchettini.
Lecture musicale tout terrain et en duo, se prêtant volontiers aux contraintes du « Spectacle en appartement », ce Giètes-revival sera donné au domicile même dudit Christophe Sachettini, à Grenoble, et selon les modalités désormais quasi-traditionnelles des prestations présentées dans ce cadre, « Les dimanches du 8502 » : le spectateur paye au chapeau (10 euros par tête de pipe, c’est bien) et apporte un quelque-chose à manger ou à boire pour partager et se remettre des émotions.
Jauge bien sûr très limitée, donc réservation impérative auprès de Marie ou de Christophe.
Des précisions sur le spectacle ici.
Attention : comme pratiquement toutes les représentations précédentes de ce spectacle, celle-ci sera la DERNIÈRE ! L’ultime. La finale. Cette fois c’est vrai. Ne la ratez pas.

* le mercredi 21 janvier à 20h : Vironsussi, alias « Fais-moi peur, Saison V » sera présenté à l’auditorium l’Odyssée (Eybens). Je me produirai avec Olivier Destéphany, Christine Antoine, et l’orchestre Les Aventuriers de l’Archet Perdu au grand complet.
Il s’agit de la version scénique du livre-CD baroque et fantastique « Vironsussi » dont nous fêterons la sortie pour l’occasion.
Le spectacle est gratuit et, a priori, l’auditorium comptant 310 places, réserver n’est pas indispensable. Seulement prudent.
Des précisions sur le livre ici.

(J’ai conscience que le concurrence sera rude puisque ce même mercredi 21 janvier à 20h, le CCC de Grenoble proposera la version restaurée de Change pas de main)

Vous êtes encore là ? Vous n’avez pas décroché de cet interminable curriculum ? Dites donc, vous êtes endurant, félicitations, un jour de gueule de bois, en plus. Vous avez bien mérité un peu de Modiano. Puisque nous sommes là entre nous, à deviser gentiment littérature contre musique (« tout contre »), je vous invite à lire le beau discours de Modiano, récipiendaire Nobel. Car il y déclare notamment :

Cette relation intime et complémentaire entre le romancier et son lecteur, je crois que l’on en retrouve l’équivalent dans le domaine musical. J’ai toujours pensé que l’écriture était proche de la musique mais beaucoup moins pure que celle-ci et j’ai toujours envié les musiciens qui me semblaient pratiquer un art supérieur au roman – et les poètes, qui sont plus proches des musiciens que les romanciers. J’ai commencé à écrire des poèmes dans mon enfance et c’est sans doute grâce à cela que j’ai mieux compris la réflexion que j’ai lue quelque part : « C’est avec de mauvais poètes que l’on fait des prosateurs. » Et puis, en ce qui concerne la musique, il s’agit souvent pour un romancier d’entraîner toutes les personnes, les paysages, les rues qu’il a pu observer dans une partition musicale où l’on retrouve les mêmes fragments mélodiques d’un livre à l’autre, mais une partition musicale qui lui semblera imparfaite. Il y aura, chez le romancier, le regret de n’avoir pas été un pur musicien et de n’avoir pas composé Les Nocturnes de Chopin.

L’intégralité du discours est ici.

Au revoir, et la-bonne-année.

Fabrice

Post scriptoum : si vous avez lu ce message jusqu’au bout, je vous remercie chaleureusement. Vous m’épatez, je vous félicite derechef. Pour vous récompenser, une info supplémentaire : ce mois de janvier est également marqué, pour moi, par la parution d’un album intitulé Fatale Spirale chez Sarbacane (ill. Jean-Baptiste Bourgois). Je serai présent dans l’excellente librairie les Modernes (6 rue Lakanal à Grenoble) le samedi 10 janvier à partir de 14h pour le présenter au public, rencontre, dédicace, lecture, tout le bazar. Ici encore, vous serez les bienvenus.