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Traditionnel de demain

26/01/2015 3 commentaires

flyer janvier 2015

Comme si je n’avais rien d’autre à faire de mes jours, t’sais. Bombardé président. Il ne me manquait plus que ça. Sans me vanter, je te jure, depuis quelques jours je suis président de l’association MusTraDem, label de CD, éditeur de partitions et tourneur de musiciens, toute la gamme des pieds à la tête, depuis le baluche jusqu’à l’éthnomusicologie, musiciens qui sont mes amis depuis vingt ans et mèche. Faites connaissance je vous prie, achetez leurs CD ! Allez les voir en live vivants ! (ou à défaut sur Youtube) Lisez les toujours stimulants éditos de l’une de leurs têtes pensantes et dialecticiennes ! Dégourdissez-vous les doigts en apprenant à jouer d’un instrument, et les fesses en dansant jusqu’à pas d’heure ! (Prochain rendez-vous, amis Grenoblois : samedi prochain, détails sur l’image ci-dessus.)

MusTraDem pour Musiques Traditionnelles de Demain : j’aime et admire cet oxymore depuis (disons pour faire simple) toujours. L’association fut fondée par des artistes à la fois ancrés dans l’ancestral et expérimentateurs de formes – en somme, des inventeurs d’une certaine modernité, pas moins. (C’est en mélangeant qu’on invente.) Circonspects à l’époque comme aujourd’hui quant à la possibilité de trouver leur place dans le marché, le réseau, le commerce ou la foire médiatique, ils ont décidé vers 1990 de ne pas attendre le messie (ni le président) et de la créer eux-mêmes, cette place. Ils ont forgé de leurs mains et pour leurs mains leur propre structure, outil de travail et de distribution, de survie, de vie tout court. Une source d’inspiration pour Le Fond du tiroir ? Tu l’as dit, mon neveu !

Alors bon, d’accord, ça et les sentiments plus un coup dans le nez et voilà comme on se retrouve à signer des papiers sous la mention Président… Ils avaient besoin d’un prèz… J’ai accepté tout en les avertissant que le job m’intéressait mais que je n’étais pas sûr d’avoir les épaules, qu’ils n’avaient qu’à voir comme j’avais rendu florissante ma propre association (en déficit chronique), que je me sentais vachement ‘normal’ comme président, autrement dit qu’il fallait craindre que seul un attentat sanglant me rende un peu populaire…

Bah, nous verrons bien, eux et moi ! Je suis sûr que j’ai quelque chose à apprendre là-dedans, et puis je peux bien me dévouer pour eux spécifiquement, et pour la musique en particulier.

J’ai souvent sous-entendu, et parfois explicitement déclaré, que j’écrivais par défaut, par dépit d’être si peu musicien. J’ai consacré les droits d’auteur reçus pour mes premiers livres à l’achat d’instruments de musique (une trompette, deux trombones, un tuba)… Je me sens proche de la musique, même et surtout quand j’écris. Et encore davantage quand je me donne en spectacle. J’aime travailler ma voix comme un instrument et la balancer comme un chorus, ou en contrechant parmi les notes des autres. J’ai eu un planning de janvier chargé en happenings littéraro-musicaux : d’abord une représentation des Giètes-sur-scène, on a recompté, c’était la 39e et dernière (des photos ici), ensuite une de Vironsussi-sur-scène (des photos là). Eh bien figurez-vous que le premier spectacle n’était possible que grâce à la complicité fidèle de Christophe Sacchettini, et que le second doit beaucoup au talent et à l’investissement de Norbert Pignol.

Comme par hasard : deux membres (fondateurs, en plus) de MusTraDem. Tous deux apparaissant d’ailleurs furtivement dans L’échoppe enténébrée. Okay. On a pigé, pas besoin de théorie du complot. Une mafia, quoi.

Et pendant ce temps, l’actualité ? Ah non, merci bien j’arrête, elle est trop triste l’actualité. Comme si les attentats n’avaient pas généré suffisamment de chagrin, de colère, d’inquiétude, Emmanuel Macron ministre de l’économie balançait le même jour dans Les Echos un autre symptôme de la grande déglingue globale : « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires » . Macron/Swagg Man : même combat, même modèle offert à la jeunesse française, même classe, même Rolex. Et Bernard Maris, lui, est mort assassiné, Bernard Maris qui déclarait je cite de mémoire une interview rediffusée post-mortem :

« La liberté et l’égalité, on sait à peu près ce que c’est. Ce sont deux drapeaux, deux belles valeurs, qui animent la politique française depuis la Révolution. Encore aujourd’hui la liberté est revendiquée comme absolu plutôt par la droite, et l’égalité plutôt par la gauche. Leur confrontation est inévitable (trop de liberté nuit à l’égalité, trop d’égalité nuit à la liberté) mais fonde la République, au moment où le débat public parvient à un équilibre entre les deux. Or cet équilibre ne peut être trouvé que grâce au troisième terme républicain, le plus difficile à trouver, le plus abstrait (contrairement aux deux premiers, on ne peut pas faire de loi qui porte son nom), le plus beau peut-être : la fraternité. La fraternité est la solution à nos problèmes… Mais il y a du boulot, puisque l’idéologie dominante [celle de Macron et de Swagg man], très violente, suicidaire, nous inculque l’exact contraire, le chacun-pour-soi et la guerre de tous contre tous.« 

Maris était un homme lumineux, et par conséquent éclairant, sa lumière a été soufflée par deux abrutis obscurantistes qui, certes, ne pouvaient que nourrir du ressentiment face à ce qu’ils étaient incapables de comprendre et qu’ils supposaient incapable de les comprendre. Maris a été assassiné juste après avoir achevé un petit livre à paraître chez Grasset où l’on trouve cette phrase “La civilisation commence avec la politesse, la politesse avec la discrétion, la retenue, le silence et le sourire sur le visage” que j’aurais pu apposer en épigraphe de Fatale Spirale, Maris est mort et il nous reste Emmanuel Macron et Swagg Man, oh misère qu’ils sentent mauvais les meilleurs voeux 2015.

Rhâ pardon c’est plus fort que moi j’ai craqué, j’ai encore parlé de cette grande salope d’actualité, encore deux ou trois heures passées sur Internet à lire tout ce qui se présente, je sais pas si vous avez lu La carte et le territoire de Houellebecq, l’un des passages les plus burlesques montre Houellebecq en chair et en os ce qu’il en reste, pitoyable personnage de son propre roman, avouer tel un toxico, « J’ai complètement replongé, question charcuterie… » et bon, là, je suis bien obligé d’avouer cette après-midi : « J’ai complètement replongé, question actualité… »

Je vais plutôt aller jouer un peu de musique.