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Merci pour le café, esclave

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Avertissement : le présent article est peut-être la suite de celui-ci qui s’interrogeait, il y a un an jour pour jour,  sur les modes de vieillissement de l’artiste, en opposant déjà deux films tardifs de deux cinéastes vénérables.

Depuis la bascule du 7 janvier, atteint en chaque partie intime comme l’exprime mieux que moi Emmanuel Guibert, j’éprouve un peu plus de mal à tout. Du mal à lire, à écrire, à travailler, à décrocher, à raccrocher, à avancer. Et même à regarder des films, comme si la fiction et l’image posaient désormais un petit problème. Pas un petit problème de sacrilège, hein, ça va bien avec ça. Petit problème de nécessité, de pertinence, de raccord au temps présent.

C’est au bout de huit jours que j’ai tenté de m’y remettre : j’ai glissé un DVD dans mon lecteur. Or j’ai détesté le premier film que j’ai vu, qui était pourtant d’Alain Resnais. Quoi ? Un film de LE Alain-Resnais me tombait des yeux ? J’en étais malheureux, me demandant si tout carrément je n’aimais plus le cinéma, comme l’avoua J-B Pouy, et cela aurait été très grave, bizarre, déchirant, moi ciné-fils à la Daney, un peu comme quand le capitaine Haddock découvre qu’il n’aime plus le whisky.

Heureusement, quelques jours ont passé, et j’ai vu un autre film, de Polanski celui-ci. Et je l’ai adoré. Ouf. Le problème ne venait pas de moi, finalement. Il faut envisager que le Resnais était tout simplement un nanar.

Aimer boire et chanter vs. La Vénus à la fourrure. Soient deux cinéastes chenus n’ayant plus rien à prouver, toute carrière derrière, toute liberté devant ; pour leur dernier film (l’un des deux ayant trépassé depuis, ce sera vraiment son dernier), tous deux choisissent d’adapter une pièce de théâtre dont les protagonistes sont des comédiens de théâtre ; leur mise en scène joue donc sur la plongée en abyme de la séduction et de l’art du comédien, en un huis-clos qui de façon explicite ou symbolique ne quitte jamais la scène ; tous deux confient de façon un peu perverse le premier rôle féminin à leur propre femme, au passage sensiblement plus jeune que Monsieur (Sabine Azéma pour l’un, Emmanuelle Seigner pour l’autre), rôle plein de duplicité d’une actrice qui profite de son art pour embobiner un homme, jouer avec ses sentiments et le manipuler.

Les ressemblances s’interrompent ici. Le Resnais est poussif, rance, interminable, factice, gâteux et déprimant. Le Polanski est subtil, ambigu, énergique, perturbant (on ne sait jamais si la relation sado-maso s’applique d’abord à la relation de couple ou à la relation de travail metteur en scène/acteur), une jubilation du début à la fin. Un film jeune.

Quel soulagement. J’aime toujours le cinéma ! Art éternellement jeune puisqu’art du mouvement, conformément à son étymologie.

Tiens (pour replonger une seconde dans Charlie), un autre qui reste méchamment jeune, c’est JC Menu.

J’avais prévu de mentionner en coup de vent l’excellente dernière livraison de la revue Kaboom qui, outre des dossiers de bon aloi sur Taniguchi, Jack Kirby et surtout ce génie méconnu qu’est Richard McGuire, accorde une tribune libre à Menu pour une énième apostille à ses Plates-bandes, où Menu dresse un état plutôt piteux de la petite édition indépendante, rattrapée à force d’invisibilité par l’usure et la perte d’envie, par l’âge en somme (Menu parle pour son compte : il jette hélas l’éponge de l’Apocalypse) – la solution au marasme préconisée par Menu étant, sans surprise, le repli dans le maquis, la radicalisation underground… (Sur ce sujet, avez vous 52 mns devant vous ? Précipitez-vous sur le film Undergronde de Francis Vadillo.) Mais finalement, plutôt qu’à lire les considérations de Menu sur ses propres plates bandes piétinées, je préfère vous enjoindre à écouter son admirable discours de réception du prix posthume remis à Charlie Hebdo durant le festival d’Angoulême le jeudi 29 janvier, il fait du bien, Je suis Charlie bordel de merde.

Rien à voir, âne-au-coq : toujours dans une période très à l’affût des médias, ce que j’ai entendu de plus stimulant cette semaine à la radio est, à ma propre surprise, une interview de longue durée de Charles Fiterman sur France Culture. Alors que je l’avais complètement oublié, le vieux Fiterman…
Quel trésor, quel recul, quelle intelligence (quand il parle de la dénaturation du langage, lorsqu’on parle par exemple exclusivement de « coût du travail » alors que le travail rapporte de l’argent, preuve que l’on a intégré la dialectique du Medef), quelles savoureuses anecdotes (lors d’une conférence avec les Anglais au sujet du Concorde, son micro crachouille, il réclame un tournevis pour le réparer, les Angliches n’avaient jamais vu ça, un ouvrier ministre… Nous mêmes n’avalons plus jamais vu ça, du reste, tous les ministres sont énarques consanguins, une partie du problème français est là…) Je vote Fiterman ! (depuis les Giètes, j’assume ma tendance vieux-coco…)  !

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