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Archives pour 09/2008

Finir entre quatre planches (ou alors dessus)

03/09/2008 un commentaire

Cette fois c’est officiel, puisque nous sommes à l’époque faste où les salles de spectacle écartent lascivement leurs rideaux pour présenter leur saison à tous les passants. Le théâtre lyonnais le Carré 30 donnera son adaptation de mes Giètes du 7 au 17 mai 2009. Me voilà, sinon impatient, du moins rudement curieux. Généralement, j’ai la vanité de tenir mes livres pour imprononçables par quiconque n’est pas moi, jusqu’à ce que je les entende dans d’autres voix, et alors, parfois, je dis « Pas mal ».

En attendant cette réincarnation des Giètes en d’autres gosiers, mon compère Christophe et moi continuons de faire vibrer ce texte en live. La plus récente représentation de notre lecture musicale eût lieu le mois dernier à Doucy-Combelouvière, station savoyarde. Avant le spectacle, et une fois le filage bouclé, j’avais l’après-midi à tuer. Je suis allé marcher trois ou quatre heures autour de la montagne, me perdre seul dans les bois et les chemins de randonnée – or, l’un s’appelait, signe du destin ou alors je n’y connais rien, « Chemin de la Gietaz ». Par conséquent, le soir, la lecture s’est fort bien déroulée – elle se déroule même de mieux en mieux à chaque fois que l’on se donne en spectacle, elle s’affine à chaque remise sur le métier, comme un manuscrit. J’adore pour ma part cette seconde vie du texte, me remettre ce bouquin sur la langue, l’état dans lequel ça me met, de quoi rire et pleurer, en cela aussi la même énergie que lorsque on écrit (sauf que c’est plus facile : le texte est déjà là), et j’ai fait rire et pleurer des gens dans l’assistance, mission accomplie.

Prochaine ville-étape de notre pestacle, qu’on se le dise : les Vans, festival Essayages, le 14 septembre.

Volatil comme un rêve

02/09/2008 3 commentaires

« Nous avons tous du génie
dans la position horizontale
et les yeux clos »
André Hardellet, Lourdes, lentes…

One satisfied customer. Pendant l’été, la vente par correspondance continue. Un seul exemplaire de l’Echoppe m’a été commandé ce mois-ci (il m’en reste ! plein ! profitez-en ! n’hésitez pas !). Cette singularité n’a pas empêché, et a peut-être favorisé, une prise de contact directe puis une convivialité de type 2.0, c’est à dire une correspondance soutenue et blogoïde, avec le commanditaire, un certain Yves Mabon, animateur (auteur ? dit-on « auteur » pour un blog ou bien ce mot est-il trop sacré ?) d’un blog intitulé Lyvres.

Je reproduis ci-dessous cette correspondance, qui a essentiellement trait aux rêves, comme il se doit.

« Bonjour. Je viens de recevoir mon exemplaire à moi de L’échoppe enténébrée (tuyau piqué chez Sylire). Je n’ai encore lu que deux ou trois rêves, et bien qu’assez prosaïque, j’avoue y avoir pris un goût certain ! Assez amateur en général de livres sortant de l’ordinaire soit par l’histoire, soit par l’écriture, je pense être tombé sur un beau petit livre fait pour moi. Bonne continuation
Yves Mabon »

« Merci Yves, me voilà très touché (ma seule vente de livre de tout l’été, et elle fait mouche ! chic), et merci aussi à Sylire, par procuration. Je viens de fureter dans votre blog, du coup. Si je partage certains de vos enthousiasmes (ah ! Ali Farka Touré !), en revanche, je suis désolé que vous n’ayez pas goûté Casse-Pipe de Céline, livre avorté certes, mais quel vigoureux avorton ! Je l’ai lu autrefois, juste après mon service militaire, et il m’a vengé de bien des choses. Mais peut-être n’avez-vous pas fait l’armée ? Avec tous mes voeux de fertiles et cependant absconses rêveries,
Fabrice »

« Et pourtant si, je l’ai bien fait ce satané service militaire, contraint et forcé. J’ai trouvé la lecture de Casse pipe très difficile : tout ce qui était dialogue m’a fatigué, je n’ai pas apprécié. (J’aurais dû le lire moi aussi juste après cette sinistre période) Par contre, j’aimais bien la prose de Céline, de même que j’ai adoré Voyage au bout de la nuitMort à crédit. Je viens de finir votre échoppe d’une première lecture, histoire de savoir à quoi j’avais affaire. Dans l’ensemble, j’aime bien vos rêves : quelques uns sont très beaux ! (j’en ferai une petite critique sur mon blog). Je suis donc ravi par le livre, petit cadeau que
je me suis fait à moi-même. Je relirai plus lentement, peut-être juste un par soir, avant de dormir, histoire de faire venir mes propres rêves. Bonne continuation à vous
PS : du coup, je viens d’emprunter à la bibliothèque, TS d’un certain Fabrice Vigne. n’hésitez pas à revenir me voir. Puisque j’ai partagé vos rêves, je me permets de vous saluer amicalement,
Yves »

« Bon, puisque vous aimez Voyage au bout de la nuit, nous n’allons certainement pas nous fâcher. Céline est l’un de mes écrivains essentiels, l’un de ceux sans qui je n’écrirais pas moi-même, et je considère que beaucoup d’écrivains contemporains (je me compte dans le lot) ne sont à côté de lui que des petits garçons. Je ne me lasse jamais de « l’entendre parler » (puisque il disait écrire « comme on parle à l’oreille du lecteur »), y compris dans ses livres les plus mineurs, comme Casse-Pipe.
Merci pour votre critique de l’échoppe. Et puisque vous avez emprunté TS, je vous recommande de ne relire l’échoppe que lorsque vous aurez terminé l’autre, avec lequel il a quelques liens : le grand secret du livre rouge, c’est qu’il s’agit d’un journal occulte d’écriture du livre bleu, narrant épisode par épisode les effets de la conception de ce texte princeps, jusqu’à ceux de sa publication.
Le récit de rêve est un genre littéraire à part entière, et si cela vous intéresse, je vous recommande ceux de Perec, de Queneau, de Leiris, de Kerouac, de Michaux, par exemple. Moi, j’adore ça. C’est de la poésie brute, sans affectation. En bande dessinée, ceux de David B. ou JC Menu sont également très beaux.
Bien amicalement à vous, et bonne(s) lecture(s)
Fabrice »

« D’accord pour dire que beaucoup d’écrivains sont tout petits à côté de Céline et de son écriture si forte, toujours, à mon sens, sur le fil du rasoir, si près de passer dans le vulgaire, mais restant néanmoins du « bon côté » du rasoir. Sûrement ce qui en fait sa force. Pour Casse-pipe, j’ai senti qu’il avait franchi ce fil, mais cela reste mon interprétation personnelle.
Quant aux rêves, je ne savais pas que c’était un genre littéraire à part entière, et que Queneau (un des écrivains que je préfère) y avait participé. Je lirai sans doute, moi qui ne suis pas forcément amateur de poésie pure, mais qui aime bien les récits poétiques (comme votre échoppe) : je ne connais pas non plus cet aspect de Perec. Je n’ai pas encore osé m’aventurer dans Kerouac ni Michaux et ne connais pas Leiris, ni les auteurs de BD que vous citez. Que de belles découvertes en perspective !
Merci des conseils
Yves »

« Peut-être que Casse-Pipe est plus vulgaire que ses autres livres parce que la matière première (l’expérience militaire) l’était en proportion ?
En ce qui concerne les rêves de Queneau, voilà un cas intéressant. Il s’est entraîné, comme beaucoup de ses ex-camarades surréalistes, à rédiger ses rêves, mais il a aussi, et c’est plus original, concocté de FAUX rêves, rédigés à la manière onirique, retrouvant en plein jour l’énergie de l’imagination nocturne. Très curieux. On en trouve des échantillons recueillis dans le livre Contes et propos, si le coeur vous en dit…
Merci pour la causette, bonne journée…
Fabrice »

« En lisant votre mail, je me suis dit, bon sang, mais c’est bien sûr, je connais ce titre (Contes et propos) de Queneau. alors, je monte quatre à quatre les escaliers pour me retrouver devant ma bibliothèque, qui contient ce fameux opus. Honte sur moi d’avoir oublié cet ouvrage, lu il y a assez longtemps. Bien sûr, je l’ai ouvert, j’ai feuilleté la préface, signée… Michel Leiris. Et hop un bouquin et un auteur soit-disant inconnus qui me reviennent en pleine figure. Quelle aventure !
A bientôt
Yves »

Critique (Art de la)

01/09/2008 3 commentaires

Oui, j’ai déjà effleuré la question ici et , mais reparlons un peu de la critique, sujet palpitant, et comique à l’occasion. Je n’ai pas à me plaindre personnellement des critiques (il en est de perspicaces qui s’intéressent à mes livres, Philippe-Jean Catinchi ou Anne-Marie Mercier-Faivre, j’ai de la chance), c’est donc sans aigreur en particulier que je me permets un peu de circonspection envers la critique en général.

Préliminaire : la phrase attribuée à Hemingway, « Toute critique est de la merde », est très exagérée (on pourra lire avec profit des « critiques de la critique » sévères mais plus subtiles, nuancées et argumentées dans La littérature à l’estomac de Gracq ou Vie et mort d’Emile Ajar de Gary). Les critiques sont a priori indispensables, puisqu’il faut à tout prix que les livres soit discutés : l’alternative, sinistre, verrait (voit déjà, pour une part) les livres seulement promus, comme n’importe quelle autre marchandise, avec prime au plus gros porte-voix. Donc, la critique est désintéressée ? Voire… D’où parle-t-elle (comme on disait quand je n’étais pas né), à qui, et pourquoi parle-t-elle, d’abord ?

Il faudrait, pour bien faire, juger un texte critique strictement comme une oeuvre. Par là je veux dire qu’une oeuvre, ou bien une critique, est recevable si elle est née d’une pulsion esthétique personnelle, profonde et sincère ; elle est nulle et non avenue si elle est produite, « professionnellement » sans doute, mais pour des raisons extra-littéraires, des raisons stratégiques, des raisons alimentaires, ou alors juste parce que c’est un métier, et que ce métier consiste à fournir le combustible de la machine sociale, informations, opinions, mots, et au suivant.

Ceci pour en arriver là :

Vous lirez, je vous prie, en cliquant ci-après une critique de l’un de mes livres ; un cas limite qui me semble tout à fait exemplaire, même si je ne suis pas certain de quoi, au juste. Voilà un texte sidérant de vanité rhétorique, de pédanterie para-universitaire (qui éprouve le besoin d’invoquer Bataille, Quignard, et même Phèdre avant de me lire, ce qui m’intimide à mort – j’imagine qu’il en est de même pour le lecteur potentiel) et de jargon amphigourique (c’est à dire, ni plus ni moins, une autre manoeuvre d’intimidation). Après l’avoir lu, je n’arrivais même pas à en rire, j’étais profondément perplexe et embarrassé – je ne savais pas précisément pourquoi j’avais écrit ce livre, mais certainement pas pour être lu de cette façon. Comme dit Billy Wilder (ah oui, s’il vous plaît, invoquons plutôt Wilder que Racine), « Je ne crains qu’une chose davantage que de ne pas être pris au sérieux, et c’est d’être pris au sérieux ».

D’où provient cet ahurissant échantillon de tératologie critique (demeuré inédit, à ma connaissance) ? Eh bien, il s’explique rationnellement, comme maintes rubriques dans maints supports, par la stratégie sociale de son auteur, qui « critique » non pour exprimer quelque passion du texte, mais pour pousser des pions ou pour gagner sa vie.

Il appert que l’auteur de ce texte a rendu compte de mon livre dans le souci de complaire à mon éditeur, Philippe Castells, qui à l’époque était lui-même critique au Matricule des Anges. Le critique a soumis ce texte à Castells, à propos de mon bouquin dont il se fiche éperdument, en lui demandant s’il ne pourrait pas, par hasard, être publié dans le prestigieux Matricule… Stratégie ! Poussage de pions ! Pied coincé dans la porte afin d’être à l’endroit qui compte. Ces vicissitudes se déroulent à une échelle insignifiante et provinciale, mais donnent une idée précise, je crois, de ce qui se passe en plus grand dans le « vrai » milieu littéraire. Et ainsi chaque jour des services s’échangent, des éditeurs offrent aux critiques des livres, des critiques offrent aux éditeurs des recensions positives (j’avoue qu’ici le résultat est tellement contourné qu’il est malaisé de l’interpréter positif ou négatif – et par ailleurs je rends grâce à Castells qui n’a jamais abusé de sa position pour promouvoir ses livres via le Matricule), tout le monde est content, la rhubarbe, le séné, toute la bande.

Maintenant, pour ce qui est de l’Echoppe au Fond du tiroir… Pour ce qui est des blogs…

Les blogs remplacent-ils les medias ? En l’occurrence, les blogs littéraires remplacent-ils la « critique littéraire » ? Sont-il la critique littéraire du XXIe, ce siècle du brouhaha électronique ? Voilà un sujet bateau pour une dissertation que je n’ai certes pas envie d’écrire… Thèse : d’un côté, les blogs (celui-ci inclus) témoignent de la dérisoire prolifération des opinions au sein du bruit de fond démocratique, un symptôme parmi d’autres de la balkanisation des consciences narcissiques réduites aux opinions consuméristes (comme les « avis » sans arguments sur Amazon ou fnac.com, c’est génial ! c’est nul !) ; antithèse : de l’autre, les blogs sont le lieu retrouvé de la parole désintéressée, ils ont pour ressorts une vraie passion dilettante, une vraie joie de lire et de partager, qui n’existent plus semble-t-il que comme préoccupations secondaires chez les critiques professionnels, pénétrés d’obligations plus sérieuses (l’actualité, l’entregent, les egos des uns des autres et de soi, la rhubarbe, le séné, le souci de n’être pas dernier dans le buzz et/ou d’avoir « bon goût »…) ; synthèse : le plus amusant de l’affaire, c’est quand les blogs imitent les critiques pros, singeant surtout leurs tics, leurs préoccupations « sérieuses » (actualité, entregent, cf. ci-dessus), en somme leurs « stratégies » à blanc, leurs « poussages de pion », leurs mots mêmes, leurs expressions désincarnées.

Bref ! Le fait est que l’Echoppe enténébrée, livre sans service de presse, garanti par conséquent critic-free, livre underground du XXIe siècle, n’existe pas dans les chroniques officielles… mais ici et là dans quelques blogs, chez des blogueurs qui ont acheté le livre (discrimination importante, au fait : les critiques achètent-ils des livres ?). Je reproduirai demain, ici-même, la correspondance stimulante que j’ai entretenue avec un blogueur ayant chroniqué mon livre, et qui m’a tellement plus ravi qu’une critique de complaisance.