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Saint Père intérimaire

Cela pourrait avoir un lien, peut-être, avec la récente défection de Ben Sixteen (on ne sait jamais, s’il prenait l’envie à la curie de me filer le job). Plus sûrement s’agit-il d’une réminiscence d’un souvenir : il y a quelques années, pour l’enterrement de ma grand-mère, j’ai pris la parole face à une église bondée. Sans m’en rendre compte sur le moment, moi qui suis laïcard en diable-dans-un-bénitier et qui souhaitais un laïus le plus détaché possible des rites catholiques, je comparais la défunte à Marie, alléguant qu’elle avait traversé le plus grand chagrin qui soit, celui de voir mourir son fils.

Bref, sans savoir au juste pourquoi, cette nuit j’ai rêvé ce qui suit.

Un enfant est mort. La messe d’enterrement doit avoir lieu. Je remplace au pied levé le curé, qui s’est défaussé, prétextant qu’une mort d’enfant lui est insoutenable et le ferait même douter de sa foi. Pourtant il faut bien que le spectacle ait lieu puisque le public est assemblé dans la salle. Il se trouve que je connais les circonstances de la mort du garçonnet, j’étais présent, j’ai assisté à ses derniers spasmes, j’ai vu son agonie, son dernier hoquet et son vomi. Il faut bien que quelqu’un fasse le sale boulot, je me dévoue, je monte en chaire, c’est moi qui vais dire la messe. Le silence se fait, on n’entend que mes pas sur le marbre. Je me racle la gorge. Je déploie sur un pupitre les notes que j’ai prises. Enfer ! Il ne s’agit pas du brouillon de mon homélie, mais de toutes les notes qui doivent me servir à la préparation de la reprise du spectacle Du sang sur l’archet à l’automne prochain. J’essaie à toute vitesse de comprendre les liens possibles entre les deux affaires interverties… Les rapports entre ces deux choses comme entre toutes les choses me paraissent évidents, limpides, analogies à l’infini, mais je ne parviens pas à mettre de mots dessus, j’en suis désespéré, je ne peux que me concentrer sur les apparences, le concret, la couleur claire du bois de mon pupitre. À force de concentration, il me semble que ce garçon devait assister au spectacle, nous en avions parlé ensemble, c’est ça, je le tiens le rapport, il n’y sera pas, c’est triste, mais que dire de plus ? Il ne me reste qu’à improviser. Je prononce dans mon micro-casque : « La grand-mère de ce pauvre petit garçon disait souvent, et elle aurait pu vous le dire à ma place aujourd’hui même si elle n’était pas morte… » J’entends alors une voix s’élever des rangs de la nef : « Mais qu’est-ce qu’il raconte, ce con ? Ce n’est pas vrai, je suis vivante ! » Je panique, je transpire, je ne sais pas comment enchaîner, je suis dans de beaux draps, heureusement je me réveille.

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