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Cher Martin

La librairie la Dérive fêtera ses 30 ans les 3 et 4 octobre prochains. Ils m’ont très gentiment convié à la fête, notamment pour une rencontre conjointe avec ma bonne marraine Jeanne Benameur, et pour une contribution à leur revue, Rives et dérives, où chaque auteur qu’ils ont reçu par le passé est invité à rédiger un texte sur le thème, pas pire qu’un autre : « Emotion de lecture« . J’avant-premièrise ci-dessous mon article, en espérant que cela ne les fâchera pas… Je ne crois pas que le présent blog et leur revue aient beaucoup de lecteurs en commun, de toute façon… Et puis d’ailleurs, avant qu’il paraisse là-bas, je l’aurai sans doute entièrement remanié…

« Mon émotion, ma grande émotion de lecteur en 2008, c’est Martin Eden de Jack London. L’an zéro huit n’est pas terminé, mais je crois que sa tonalité dominante ne bougera plus. Ah, cher Martin ! Pauvre Martin ! Quelle force de la nature, et pourtant quelle simplicité ! Quels tourments, et pourtant quelle joie ! Quelle évidence, et pourtant quel art ! Quelle santé, et pourtant quelle horreur. Quelle vie. Quel livre.
Les grands livres sont des bornes dans notre histoire intime et infime. Même quand nous les relisons périodiquement, et forcément nous les relisons, pour savoir comment ils ont changé, comment nous avons changé, comment en somme ils nous ont changés, leur première lecture a marqué le temps qui nous est imparti.
C’est ainsi qu’il convient de mettre régulièrement à jour son curriculum emotionae. 2008 = Martin Eden, de la même façon que, en vrac, 2005 = Hyvernaud ; 1989 = Céline ; 1999 = Agota Kristof ; 1991 = Perec ; 1994 = Borges ; 1987 = Kafka ; 1992 = Guibert ; 2002 = Leiris ; 2004 = Grégoire Bouillier ; 1997 = Guy Debord ; 1985 = Alan Moore. Et le tout premier, je crois, 1977 = René Goscinny. Dire que je ne me souviens pas de toutes mes années ! Certaines sont peut-être des années vides. Quel gâchis ! Et nous qui sommes mortels.
Rien à voir avec la chronologie ou l’actualité éditoriale. On lit les livres quand on peut, ou quand on doit. Martin Eden (paru en 1908, à un siècle tout rond d’ici) m’a été placé dans les mains par un écrivain, Jean-Marc Mathis. « Tiens, tu lis ça tout de suite. Quiconque écrit doit lire ce livre. » Or, voilà qu’il avait raison. Tout était là, c’est vrai. Merci, Mathis, merci encore. Je l’ai lu à 39 ans, ébloui, et nostalgique de la lecture que je n’en ai pas faite à 16 ans. Depuis, je le fais circuler. Je le prête, je l’offre, je le place à mon tour entre les mains de quiconque écrit, mais aussi bien de quiconque lit, c’est la moindre des choses. Parfois on me remercie après coup, parfois on me dit : « Ah mais attends, tu débarques, c’est mon livre de chevet depuis 30 ans ! », et on m’en récite une phrase. Les émotions circulent, frémissent, vivent, et sont encore plus belles. »

  1. Nathalie Etienne
    04/07/2008 à 06:53 | #1

    Martin Eden était au programme de français cette année au lycée….enfin…en Lorraine en tout cas…ou choisi par quelques enseignants iconoclastes….donc des lycéens l’ont lu, c’est une bonne chose, et je l’ai câlé dans mes valises parce que le rédacteur de cet article me l’avait recommandé.

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