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Arrigo Beyle, Milanese

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Je marche dans les rues de Milan pour la première fois, et je ne me lasse pas de ce délice toujours réinventé : arpenter nez en l’air une ville inconnue. En plus, là, c’est l’Italie. Soit le plus beau pays du monde. Le seul dont j’ai envie même quand j’en reviens, celui qui est bon pour la santé. Je présume que vivre en Italie doit fatalement rendre meilleur. Mais comme je ne comprends pas tout, je n’ai pas d’explication au fait que périodiquement ce pays engendre des connards comme Berlusconi ou Mussolini ou paparazzi ou tifosi.

Or les rues de Milan sont merveilleuses, pleines d’histoires et de géographies, de luxe calme et voluptés en pack, de surprises aussi (mate un peu cette bizarre tour rétro-futuriste), à la fois très italiennes (façades, fenêtres, arcades, couleurs jaune et rouge, lignes et volumes) et cependant un peu suisses (l’esprit de sérieux prévaut davantage que dans le Sud de la Botte, l’utilitaire, l’argent aussi, la réussite économique, Milan est une grande bourgeoise).

Parmi quelques autres splendeurs, je m’ébaubis devant la dernière oeuvre de Michelange, une pietà inachevée, très différente de celle si vigoureuse qu’il sculpta cinquante ans plus tôt et qu’on peut voir à Saint-Pierre de Rome. Je souffre sans doute du « syndrome de Stendhal » puisque face à elle je faiblis, je m’assois, je chiale doucement, saisi. Que Jésus soit Dieu me paraît louche ; que sa maman soit vierge me la baille belle… Mais qu’une mère pleure son grand garçon mort assassiné par la haine, voilà qui me bouleverse. Cela, « j’y crois » – comment ne pas y croire, on le voit tous les jours.

En redescendant du château des Sforza qui abrite ce marbre, dans une rue piétonne et bondée un barbu tout sourire m’aborde, en djellaba. Il tient à me présenter « la sola vera religione, quella di Allah » et me glisse entre les mains une brochure à ce sujet. Je le remercie et empoche la brochure. Je la lis dans le métro. C’est étonnant : dans le ton (doucereux) comme dans le graphisme (kitchounet) on jurerait la propagande des témoins de Jéhovah, j’ignorais que les musulmans pratiquaient le même type de retape.

Je sors du métro, je monte l’escalier et c’est comme si la ligne de fuite vers le ciel n’en finissait plus : la vision du Duomo me coupe le souffle. Quel miracle. Je me souviens que j’apprenais l’italien au collège dans une méthode intitulée Piazza Duomo, où un certain Gigi et son copain Bruno draguaient les filles en Vespa place du Dôme à Milan et, franchement, le décor est encore plus époustouflant que dans mon souvenir : en vrai c’est mieux dessiné (toutefois, respect à l’illustrateur Daniel Billon, qui n’a pas enluminé que des méthodes d’italien, il a également illustré bien des volumes de la Bibliothèque Verte que je dévorais, Bennett etc., et puis il a collaboré avec Forest sur Barbarella mais là, à part du point de vue des sonorités, on s’éloigne trop de l’Italie).

La splendeur de cette cathédrale me plonge dans la mélancolie. Je me dis que la foi, quand elle décide de construire au lieu de détruire, est une bien belle chose. Pourtant, ni création ni destruction ne prouveront jamais l’existence ou la non-existance de Dieu… Seulement celle de l’homme, éternellement génial et dégueulasse… Méditant sur les six siècles nécessaires pour achever ce Duomo, et tout en observant les ouvriers qui continuent de travailler sur son toit, je ne peux m’empêcher de penser que Daesh, avec des masses adéquates, des bazookas et quelques bâtons de dynamite, pourrait en avoir raison en deux jours, drôles d’idées, hein, mais qu’y puis-je.

Nous regardons la queue devant le portail d’entrée. Des femmes se font refouler parce que leurs épaules sont nues, incontestable insulte à Dieu. Cela nous fournit, à ma fille et moi, assis au soleil sur la place, le prétexte d’intéressants débats théologiques : au commencement était la différence physiologique essentielle entre les hommes et les femmes, ce sont les femmes qui portent le bébé dans leur corps. Donc, une mère est toujours certaine d’être mère, tandis qu’un père gardera toujours un léger doute.

De là, l’archaïque obsession des hommes de contrôler à toute force la sexualité des femmes. Obsession qui comporte mille conséquences funestes, allant de Nique-ta-mère au Niqab, allant de l’excision (exemple jeté dans la conversation par ma fille, moi-même je ne songeais pas à cette horreur extrême) aux insultes de type « ta mère la pute » (= tu es l’enfant d’une femme à la sexualité dévoyée), allant de l’invention de maladies imaginaires (l’hystérie ou la nymphomanie, deux dérégulations du désir féminin) aux figures mythiques culpabilisatrices (Pandore chez les Grecs, Eve chez les Juifs et leurs cousins : les malheurs des hommes proviennent du désir des femmes)… en passant par l’irrationnelle importance accordée à la virginité des femmes (celle des hommes, on s’en cogne) et, en corollaire, par la prégnance du mythe de Marie Bonne-Mère (la faribole de la vierge qui accouche, dont les exemples exemples sont innombrables dans les mythologies du monde entier, telles la maman de Jésus et celle de Bouddha… une femme « pure », enceinte sans avoir péché)… et enfin, naturellement : le voile et toutes ses variantes, jusqu’à l’injonction débile de dissimuler ses épaules pour passer la porte du Duomo, parce que ton épaule, femme, choque Dieu – foutrement susceptible ce con-là.

Les culs-bénis chrétiens sont à peu près aussi neuneus que les islamistes, mais en ce moment ils sont a priori moins dangereux, moins armés. Encore que : songeons que, depuis les Manifs pour tous, les cas d’agressions homophobes ont fait un bond en France, « décomplexées » – quelle responsabilité pour les activistes cathos ?

Ce genre d’idées, qui s’associent. Je pense à présent à Cabu, abattu d’une balle dans la tête pour avoir griffonné des dessins dans le genre des deux reproduits ci-dessus (dessins semblant se répondre, pourtant réalisés à plus de dix ans d’écart, le premier constituant la une du Charlie n°434 d’octobre 2000). La mélancolie ne se dissipe pas vite, même plongée en un si beau pays.

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