Archive

Articles taggués ‘Lonesome George’

C’est reparti pour un four

30/04/2012 un commentaire

Je n’avais pas autant désopilé en lisant un livre depuis belle lurette : Le Tampographe Sardon – déjà, cette somme se singularise par une anomalie : son titre et son auteur sont une seule et même chose, Le Tampographe Sardon, coïncidence entre le sujet et l’objet, très existentialiste au fond, je suis ce que je fais, pratique courante en musique où l’on n’hésite pas à intituler son album de son propre nom, surtout si c’est le premier, mais en bibliophilie je ne songe à aucun précédent, il doit pourtant s’en trouver, dites-moi si vous avez ça en tête, oh, pas de jeu-concours, rien à gagner cette fois-ci, je réfléchis c’est tout, si vous voulez bien vous donner la peine de réfléchir avec moi, je cherche, je trouve en quelques secondes des livres dont le nom de l’auteur fait partie du titre, celui-ci par exemple, ou celui-là, ou cet autre, sans parler des innombrables Vie de Untel écrite par lui-même, mais l’identité parfaite nom/auteur, je ne vois pas, ah, un instant, madame la Présidente murmure dans mon oreillette, elle me souffle ceci, c’est exact, bon, je m’éloigne du sujet.

Je disais donc, je désopile. Je lis dans mon lit ce pavé sans exemple, j’en suis secoué de spasmes, et pas que de rire, parfois ça grince aussi, ou parfois les deux, comme dans la page 238 du livre où l’on commence par l’un pour sombrer dans l’autre.

Sardon trouve même le moyen de pervertir le paratexte de son bouquin : à la fin du volume, la page Du même auteur est rebaptisée Précédents échecs commerciaux. Ah, j’éclate de rire à nouveau ! Mais tout de suite après, je re-grince, parce que cela me rappelle que je publierai sous peu mon propre prochain échec commercial, et que je ferais bien de retourner au boulot sur mon histoire de tortue plutôt que de rigoler comme une baleine amère. Je m’y remets, le coeur joyeux, je choisis pour cet article une illustration qui m’évoque à la fois les tortues et le printemps, je me sens tout printanier moi-même, en plus nous changeons d’ère politique dans quelques jours, enfin débarrassé de l’exaspérant prince du bling, on n’en peut plus de cette arrogance, de cette vanité vulgaire, de cette démagogie, de ces mensonges continuels, de cet arrivisme, de ce mépris, de cette violence symbolique (putain, il m’est resté dans la gorge, son « discours de Grenoble », ma cité, ma cité à moi est célèbre grâce à ça, sagouin ! voyou ! sauvageon ! terroriste !), de ce clivage permanent entre les bons et les mauvais (sa dernière invention, vraiment la dernière espérons-le : « la fête du vrai travail » pour ceux qui travaillent plus pour gagner plus de Rolex, par opposition aux feignasses fonctionnaires paupérisés et/ou créateurs désargentés dans mon genre, tous losers répugnants cancers), c’est simple je me sens insulté dès qu’il ouvre la bouche, de la même façon très exactement que je me sens insulté quand je vois ou entends une publicité, la pub cherche à occuper mon cerveau et me prend pour un con, ce type qui fait pareil au fond n’est pas un Président, c’est une publicité pour un Président, alors d’accord, on peut regretter que son challenger soit un pépère un peu terne qui dans les cinq ans à venir nous décevra fatalement, il lui manque sans doute quelques qualités, mais au moins n’a-t-il pas tous ces défauts, je crois à la puissance des symboles, or le Président se pose comme symbole et il me représente, moi et soixante-cinq millions d’autres misérables, si être représenté par un gros pépère socio-démocrate est peu reluisant, l’être par un gougnafier démagogue qui flatte l’extrême droite prolétarisée ou plutôt le prolétariat extrême-droitisé afin de continuer cinq ans de plus à rouler pour le Rotary est toxique, il s’agit maintenant de décider si on préfère avoir une image de son pays, par conséquent, un peu, de soi-même, peu reluisante, ou bien toxique.

Ah ? Tiens ? Je me suis encore éloigné de mon sujet. Un peu de mal à me concentrer. « Je suis moins guéri de politique que je ne le crois s’il s’agit d’aller botter le cul de cette andouille de etc. » Ce n’est pas de ça que je voulais parler. Je voulais parler du septième continent en plastique. Une autre fois.

La suite en avant

21/04/2012 4 commentaires

On efface tout, on recommence, rien dans les pains, rien dans les moches. La situation de mon prétendu prochain livre s’est à nouveau contredite depuis le précédent post : à l’issue d’un trimestre de tergiversations, le Rouergue a fini par refuser poliment mon petit manuscrit intitulé Lonesome George. Les relations entre les deux parties sont restées cordiales, il n’y a simplement pas eu moyen de s’entendre. Ils ne pouvaient me publier en l’état sans dépareiller leur collection, je ne pouvais me plier à leurs exigences de modification sans dénaturer mon intention initiale, tout ça pour 36000 malheureux signes (espaces compris), trois fois rien sans doute, oui mais ce sont mes 36000 signes à moi. Ils restent à moi. Rien qu’à moi. Je suis bien avancé. Retour à la case Fond du tiroir.

Je gamberge sur ce rendez-vous laborieusement manqué, je ne dors pas, je divague, je rumine pour et contre, cette fin de non-recevoir s’ajoute aux déconvenues de Double tranchant, c’était bien le moment, je me demande si je suis encore, littérairement et/ou psychologiquement capable de publier chez un autre éditeur que le Fond du tiroir, je me figure irrémédiablement hors jeu, hors cadre, hors réseaux et hors paysage, hors logiques éditoriales, hors tout, I’m a poor lonesome je-ne-sais-quoi and a long-long way from je-ne-sais-où. Dans le même temps, je suis en train de lire la fort intéressante Sagesse de la conteuse écrite par Muriel Bloch (je dois prochainement l’interviouver en public). Forcément, elle y raconte un grand nombre d’histoires, dont celle-ci, qui sonne comme un avertissement :

[Je me promis] de ne jamais ressembler au conteur solitaire de la ville de Prague qui, selon la légende, racontait sans public. À l’enfant qui lui faisait remarquer qu’il parlait tout seul, l’homme répondit : « Autrefois je racontais pour changer le monde, aujourd’hui je raconte pour que le monde ne me change pas ».

Est-ce moi ce conteur autiste confit dans ses histoires pour personne, ce dérisoire graphomane gaga sur une place de village déserte ? Non, je ne crois pas, puisque je reste convaincu que le geste esthétique n’existe pas sans un récipiendaire, fût-il unique, je l’ai déjà dit. Mais alors quoi ?

Alors, je me retrouve avec sur l’établi deux livres qu’il faudrait simultanément éditer au Fond du tiroir mais l’argent manque parce que personne n’a acheté les précédents. La raison exigerait que je me lève, que je fasse craquer mes articulations, et que je quitte dignement la place de Prague, deux histoires encore dans la gorge. Ce petit Lonesome George est soit urgent soit nul, il faudrait le faire tout de suite (genre : souscription mai, sortie juin), ou jamais. Les deux hypothèses ont des charmes.

En attendant, lisons ce que dit Flaubert des éditeurs dans sa correspondance, ça nous distraira :

La manie qu’ils ont de corriger les manuscrits qu’on leur apporte finit par donner à toutes les oeuvres, quelles qu’elles soient, la même absence d’originalité. S’il se publie cinq romans par an dans un journal, comme ces cinq livres sont corrigés par un seul homme ou par un comité ayant le même esprit, il en résulte cinq livres pareils. Voir comme exemple le style de la Revue des Deux Mondes.
Tourgueneff m’a dit dernièrement que Buloz lui avait retranché quelque chose dans sa dernière nouvelle. Par cela seul, Tourgueneff a déchu dans mon estime. Il aurait dû jeter son manuscrit au nez de Buloz, avec une paire de gifles en sus et un crachat comme dessert. Mme Sand aussi se laisse conseiller et rogner ; j’ai vu Chilly lui ouvrir des horizons esthétiques et elle s’y précipitait. Nom de Dieu ! Il en était de même pour Théo[phile Gautier], au Moniteur, du temps de Turgan ! etc. Eh bien ! De la part de pareils génies, je trouve que cette condescendance touche à l’improbité. Car, du moment que vous offrez une oeuvre, si vous n’êtes pas un coquin, c’est que vous la trouvez bonne. Vous avez dû faire tous vos efforts, y mettre toute votre âme. Une individualité ne se substitue pas à une autre. Il est certain que Chateaubriand aurait gâté un manuscrit de Voltaire et que Mérimée n’aurait pu corriger Balzac. Un livre est un organisme. Or, toute amputation, tout changement pratiqué par un tiers le dénature. Il pourra être moins mauvais, n’importe, cela ne sera pas lui.
(Lettre à Charles-Edmond Chokecki, 26 août 1873)

Mercato (bilanzeperspectiv 2/2)

10/04/2012 un commentaire

Un peu comme un échange de prisonniers à l’aube, leurs silhouettes émergeant de la brume, au ralenti, sur un pont-frontière. L’agenda de publication des plus-beaux-livres-du-monde au Fond du tiroir se trouve affecté par une remarquable permutation : le livre prévu ici sera publié là, tandis que celui qui devait naître là se retrouvera ici. Les pièces troquées sont les deux textes que j’ai écrits cet automne à Troyes – et dont les titres vous sont déjà connus si vous êtes un familier de ce blog. 

Le FdT envisageait de publier, dès ce printemps, un livre intitulé Lonesome George, une nouvelle sinon pour enfants, au moins avec les enfants, texte de crise et d’actualité, texte comique, violent, et lent. En fin de compte, contrairement à ce que j’avais trop tôt annoncé, ce livre ne paraîtra pas au FdT mais, si tout se passe correctement (rien n’est signé encore), aux excellentes éditions du Rouergue. Attention, cela n’est pas une mauvaise nouvelle. Au contraire, je ne suis pas malheureux d’entrer au Rouergue, d’ailleurs publier chez Olivier Douzou est pour moi une sorte de retour aux sources, puisque c’est chez Douzou (quoique, à l’époque, sous une autre bannière) que j’ai signé il y a dix ans le contrat pour mon tout premier livre.

Seulement voilà : j’avais déjà commencé à gamberger sur Lonesome George, à le rêver comme les précédents sur le mode plus-beau-livre-du-monde, je me stimulais la racontouze éditoriale, j’allais faire ceci, et cela, et pourquoi pas ça aussi, jouer sur les formats, sur la mise en page, sur les polices, ah ah, la gueule du livre… Je jouais à l’éditeur, en somme, j’aime ça : je pense un livre, pas seulement un texte. Et puis dans l’intervalle, le Rouergue se déclare intéressé par ce texte, pour sa collection Dacodac – sous réserve de modifications. J’ai un peu hésité, pas très longtemps, et puis okay, j’ai fait les modifications. Bon. Aux dernières nouvelles, cela ne suffit toujours pas. J’y retourne, en maugréant un peu. De nouveaux amendements s’ajoutent à la première couche. Je ne les regrette pas du tout, hein, je n’étais obligé à rien, il ne s’agit pas d’un director’s cut, le texte modifié est encore mon texte, Lonesome George sera au Rouergue le plus-beau-livre-du monde quand même… Demeure ce petit pincement : je rendrai ma copie, je n’aurai accompli que le texte, je n’aurai pas fait le livre, je me suggère à la Coué que c’est pour le mieux, j’éprouve un lâche soulagement comme on disait à Munich. Au moins celui-ci se vendra-t-il un peu. À paraître cet automne.

Pour autant, cela ne signe pas la mort sans phrase du FdT. Les rêves de livres, les projets plus ou moins anciens, les tirages minuscules (règle d’or locale : plus jamais de tirage au-delà de 300 ex., et 100 serait l’idéal), les visées underground dont le FdT n’aurait pas dû s’extraire, restent d’actualité même lorsque l’actualité se dilue. Ainsi, un autre livre que, quant à lui, j’étais certain de publier chez un autre éditeur (certain de façon irrationnelle, ingénument convaincu de ses capacités de séduction), est présentement en rade, échoué sur le flanc : Double tranchant. Jean-Pierre Blanpain et moi-même l’avons proposé à environ une quinzaine de maisons, et la réponse (quand réponse il y eut) fut à peu près unanime : « Ah comme c’est beau ! Magnifique ! Superbe ! Original ! Poétique ! Mais non merci. » Ce sera donc moi, dit l’oie. Ce magnifique, superbe, original et poétique ouvrage sera selon toute vraisemblance le prochain livre du Fond du Tiroir. Et le plus beau du monde.

Resterait à évoquer la perspective de deux excitantes collaborations, l’une avec l’artiste Adeline Rognon, l’autre avec le musicien Olivier Destephany, ce sera pour une autre fois.

Foudroyant comme la tortue, mon totem

04/02/2012 un commentaire

Rêvé il y a quelques nuits : je découvre dans la poche arrière de mon jeans un chèque froissé de 4320 euros. Peu à peu les souvenirs me reviennent : à l’époque où j’habitais Troyes, j’avais été embauché pour animer une vente de charité. Un piano était le plus gros lot de ces enchères. C’est Yves Simon qui avait remporté le piano, pour 4320 euros, et m’avait signé ce chèque. Défroissant le chèque, je décide d’en faire un article sur mon blog : « Yves Simon est vachement sympa, il n’a pas hésité à débourser cette grosse somme d’argent pour nos bonnes œuvres. Et à présent, puisqu’il a remporté un piano, il va pouvoir se mettre à la musique ». Après réflexion, je me dis que cette blague est méchante et gratuite, en outre pas très drôle, et que je ferais mieux de ne pas la rendre publique. En plus, ma compagne me recommande la prudence : « Yves Simon est un nom très banal, tu es sûr qu’il s’agit du bon ? Quel qu’il soit, il va vouloir qu’on lui rende des comptes, savoir ce qu’est devenu son chèque… »

Rendre compte de ce qui a été investi durant ma résidence troyenne. Hum.

Selon les jours et les heures, mon totem est la tortue, ou l’ours, ou le pingouin. Là, c’est la tortue qui prend nettement la tête de la course : j’avais prévenu que je ne reviendrai ici que pour annoncer un livre, or j’ai l’honneur de beugler discrètement dans mon sourd porte-voix que mon prochain livre sera Lonesome George, élégie pour un poignant célibataire anapside. N’étant parvenu à intéresser aucun éditeur à cette tortueuse histoire, je me résous bravement à l’éditer au FdT. La partie de mon cerveau « invention d’un livre », voisine du département « écriture classique, moderne et de caractère », s’agite présentement. Parution avant l’été. Bon de souscription à mi-chemin. Si du moins je remets la main sur mon directeur artistique, bon sang je ne sais plus ce que j’en ai fait, j’étais pourtant sûr de l’avoir posé là.

Quant à mon autre projet à court terme, Double tranchant, il se trouve pour l’heure en transit intestinal, ou en lecture, je ne sais plus, je confonds toujours les deux, dans une paire d’officines éditoriales parisiennes, et inch’Allah. Le toujours vert Jean-Pierre Blanpain, co-auteur de cette aventure coutelière, m’a fait remarquer que le terme latin bipennis exprimait à lui tout seul la notion technique « Double tranchant », ce qui ne saurait faire du tort à notre virilité. Puisqu’on en est au rayon physiologie, comme à chaque fois que j’envoie un manuscrit à un éditeur et que la réponse tarde, je viens de me fader ces derniers jours une jolie petite poussée d’eczéma. Faut croire, et c’est un scoop, que mon objectif occulte lorsque je m’adonne à l’auto-édition est de prendre soin de ma peau (et de ma carapace).

Autre avatar de cette nouvelle aiguisée : la lecture publique. Courant janvier, Melle Vanessa Curton m’a aimablement convié à causer devant micro dans les studios de RCF Isère. Le résultat de l’intreviouve fut si copieux qu’il fut finalement décidé  d’en faire non pas une mais deux émissions d’une demi-heure, diffusées à quinze jours d’intervalle. La première, écoutable ici, est consacrée au Fond du tiroir en général, aux conditions de la résidence d’écriture, à mon gros chantier inachevé… La seconde, que je mettrai en ligne dans quelques jours, contiendra la mise en scène et en onde de la nouvelle Double tranchant par votre serviteur (spéchol sinx à Maxime Barral-Baron). Et ci-dessous, en bonus, Melle Corday dessinée par M. Blanpain.

Lonesome G. (Troyes, épisode 10)

10/09/2011 2 commentaires

« Quand on parle d’une chose, on parle d’autre chose. »
Aphorisme godardien

Depuis quelques années je caresse l’idée d’écrire en m’arrêtant à temps, d’écrire en format bref, des textes courts pour les enfants : une idée = une histoire = un texte = un livre, pan dans le mille, ni plusse ni moinsse, Au suivant ! J’ai du mal. J’ai publié certes quelques récits particulièrement lapidaires et dégraissés, IKEA, Le Flux, le Dr. Haricot, mais ces textes relevaient peu ou prou de l’autobiographie, de l’anecdote fût-elle vitale. Raconter une fiction brève me semble très différent, et plus difficile. Jusqu’à présent je n’ai pas réussi parce qu’en fictionnant je n’aime rien tant que digresser au lieu de dégraisser, parler d’autre chose quand je parle d’une chose, le texte prend de l’épaisseur, se boursoufle et se perd. Enfin, « je n’aime rien tant », disons que je fais comme je peux.

Mais je viens de réessayer, là. Il semble que le premier de mes « six pains fantaisie » qui parviendra à maturité durant cette résidence d’écriture sera un texte bref pour enfants, intitulé Lonesome G.

J’ai découvert l’existence triste et édifiante et encore pleine de suspense de Lonesome George, tortue des Galapagos, en écoutant Hélène Rajcak, qui présentait dans un salon du livre ses Petites et grandes histoires des animaux disparus. Je m’en suis ému, et j’ai décidé de reformuler cette histoire à ma façon, parce qu’une bonne histoire mérite d’être racontée de diverses manières. Et fatalement, j’en ai fait autre chose, d’un peu trop long… M’attend par conséquent la dernière étape du travail : couper.