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Si jamais il en existait la moitié d’une

20/09/2019 un commentaire

Rien n’est puissant comme un bon juron. En québécois, on dit un sacre, c’est-à-dire la profanation d’une chose sacrée. Rien n’est puissant comme un bon sacre. Dans Le cri du peuple, roman de Jean Vautrin sur la Commune de Paris, qui as connu une splendide adaptation en bande dessinée par Tardi, on entend un communard s’exclamer Bordel de vierge enceinte du pape ! et c’est magnifique. La brève Commune est une époque où l’on bouffait du curé (ce que je recommande métaphoriquement) et où l’on trucidait du ratichon pour l’exemple (ce que je désapprouve par principe). Quel rapport ? J’y viens.

Ces derniers temps, j’ai la chance fragile et inespérée (je ne vais pas vous raconter ma vie) de trouver quelques occasions de discuter avec mon vieux père. On cause de ceci, de cela. Forcément, il en vient à me raconter des souvenirs de quand il était petit et forcément, c’est ce que je préfère.

Il a été élevé, il y a 75 ans et mèche, par une tante, soeur de son père, paysanne de montagne qui avait perdu son mari à la guerre de 14 et son fils en bas âge. Tout le monde l’appelait Tante dans le village où elle était connue pour sa grande générosité et son langage de charretier, mélange fort pittoresque qui vaut naturellement beaucoup mieux que le contraire (langage châtié et coeur sec).

Entre autres excentricités, elle fleurissait les tombes des autres, giflait ses chèvres si jamais elles se montraient plus têtues qu’elle, nourrissait les mésanges l’hiver et les engueulait vertement le printemps venu quand elles revenaient manger ses semis. Elle jurait beaucoup, en toutes circonstances, notamment à base de « Fumier ! » ce qui est cohérent avec son mode de vie, mais elle avait un juron de prédilection, plus sophistiqué que les autres, qu’elle ne sortait que dans les grandes occasions, quand elle se faisait mal, ou le dimanche, et qui impressionnait beaucoup mon père enfant :

Pûta de Sinta Virza si n’ya yi aou man la maïta d’ina !

Ce qui veut dire, dans le patois fleuri de la Matheysine (dont est issu, je le rappelle au passage, le mot Giètes) :

Putain de Sainte Vierge si au moins il y en avait la moitié d’une !

La richesse de ce juron, si plein d’images, de nuances, de bizarreries (qu’est au juste une moitié de vierge ?), d’humour, de blasphème et pourtant d’espoir métaphysique diffus (si jamais…), a fait ma journée, comme on dit. Et il m’a remis en tête que, parmi tous les articles que j’ai publiés au Fond du Tiroir ces dernières années, celui dont je suis le plus fier est celui consacré à la Vierge Marie, parce que je suis fier de ce qui m’a demandé du boulot, je suis toujours fier d’avoir fait ce qu’il fallait faire en transpirant (du cerveau), c’est mon côté crypto-chrétien, Car lorsque nous étions chez vous, nous vous disions expressément : dans la peine et la fatigue, nuit et jour, nous avons travaillé pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous et quand nous étions chez vous, nous vous donnions cet ordre : si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus, deuxième épître de Paul aux Thessaloniciens, 3:8-10.

J’ai donc plaisir à rediffuser cet article de fond, à lire ou relire sous ce lien.