Archive

Archives pour 12/2012

Petit cahier, grands carreaux

30/12/2012 Aucun commentaire

J’aime retourner à l’école, c’est une fibre que j’ai, fortement chevillée, je crois en peu de choses à part l’école, je l’ai dit maintes fois, dont quelques vibrantes. Ce mois de décembre finissant m’a vu, sous la neige, accomplir ma dernière intervention littéraire en milieu scolaire avant très longtemps, au moins un an, peut-être deux. Attendu fébrilement comme le prophète caché (pas celui en vert, le rouge, là, avec la houppelande), j’ai rendu visite à deux classes d’une école primaire de Grenoble, exercice d’autant plus excitant que je n’en ai guère l’habitude, plus coutumier des collèges et lycées. J’en ai rapporté plein de jolies choses. Le dessin ci-dessus à la manière de Ph. Coudray, le poème ci-dessous à la manière de Desnos et de moi un petit peu aussi, attendrissant parce que sa forme et son fond sont intimement liés à La Mèche. Ces gamins avaient lu correctement et savaient recevoir, merci à tous, aux instits aussi bien sûr, joyeux noël, pardi.

Et pourquoi pas ??

Un singe avec des ailes
En train de manger une pelle,
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un requin malin vilain
Portant des bOttes en daim
Ca n‘existe pas, ça n’existe pas.

Une araignée qui grime au plafond
Pour construire un grand pont
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une bougie avec des cheveux
Et qui réalise des vœux
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un chat avec des gros yeux globuleux
En train de pondre des œufs
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une noisette dans la mer
Avec 98 têtes mais une seule casquette
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une souris qui sourit
Tous les Minuits et les fins d’après midi
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une chauve-souris qui rit
Toute la nuit en mangeant de la Vache qui rit
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un chaton bleu, rouge et gris foncé
Qui chantonne sous l’eau en apnée
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une oie faisant l’arbre droit
Qui reste hors la loi
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Ma mère portant un dromadaire
Avec les pieds en l’air
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un chameau qui vole dans les airs
Dans l’atmosphère au dessus du désert
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un âne qui parle chinois
Tout en mangeant des noix
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un ours violet qui passe le balai
Toute la sainte journée
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une armoire qui, de colère,
Aboie et dicte sa loi
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Des Fleurs de toutes les couleurs
Qui mangent toutes les 4 heures
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Des cadeaux qui tombent du ciel
Et qui sont équipés de bretelles
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une vache toute verte
Mangeant autre chose que de l’herbe
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un cartable qui parle arabe
Et qui avale des fables
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une crevette qui fait la fête dans sa tête
Avec une paire de chaussettes
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une patate qui mange du miel
Sur un nuage dans le ciel
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un cheval qui nage sous l’eau
En mâchant des Chamallows
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un blaireau buvant de l’eau
Qui se transforme en goutte d’eau
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

CM2 Beauvert – Grenoble – novembre 2012

Les enfants des rencontres scolaires nous comblent toujours de cadeaux faits main, ils sont largement plus père-noëls que nous, et qu’en fait-on de ces précieuses offrandes enfantines ? Je connais des auteurs qui s’en débarrassent le jour même, première poubelle venue, hop discrétion. Je ne balance pas la pierre, ce n’est pas indifférence de la part, encore moins cynisme, l’évacuation ne les empêcha pas d’être émus aux larmes à l’instant du présent (visez un peu la richesse de ce mot, à la fois don et actuel), merci les enfants ! Adieu ! Adieu ! et pfuit, corbeille, suivant, ils ont peu de place chez eux mais l’espoir que l’échange advenu dans la journée restera dans les mémoires de part et d’autre sans nécessité de l’objet.

Moi, je commence toujours par conserver, j’accumule un peu, pas tant que ça du fait du nombre relativement limité de mes interventions, mais je finis tout de même par trier, neuf mois ou cinq ans plus tard jeter est plus ou moins facile, souvenez-vous le temps que vous mettiez à liquider vos cahiers après la fin de l’année scolaire. J’ai conservé ce portrait aux mains en fleurs, par exemple, qui flatte pas mal mon ego, j’aimerais tellement avoir les mains qui poussent et sentent bon. Je pense aussi à une magnifique maquette qu’une classe de 6e m’avait confectionnée en 2006 d’après le décor et les personnages de Jean Ier le Posthume roman historique. Je l’ai gardée longtemps sur ma bibliothèque, jusqu’à ce que la couche de poussière soit plus épaisse que le carton, alors je l’ai jetée, l’an passé, un soir, pour faire de la place, avec un pincement. Entre temps j’avais ouvert ce blog. Je reproduis un dessin et un poème de l’école Beauvert, je les garde ici pour l’éternité, celle du moins dispensée par mon serveur, mon disque dur, mon abonnement à WordPress et la patience de mon dévoué webmestre.

Sans grand rapport avec ce qui précède mais tout de même allez savoir peut-être que si, je suis bien heureux que le texte ci-dessous soit étudié au lycée, ah, vous voyez bien que ça sert à quelque chose l’école, le voilà le rapport, et je suis également heureux de vous le citer ici même, un peu de Spinoza derrière la cravate pour finir l’année, ça de pris contre l’obscurantisme, et pourquoi pas.

« Les hommes supposent communément que toutes les choses de la nature agissent, comme eux-mêmes, en vue d’une fin… Si par exemple une pierre est tombée d’un toit sur la tête de quelqu’un et l’a tué, voici la manière dont ils démontreront que la pierre est tombée pour tuer cet homme. Si elle n’est pas tombée à cette fin , par la volonté de Dieu, comment tant de circonstances ont-elles pu se trouver par chance réunies ? Peut-être répondez-vous que cela est arrivé parce que le vent soufflait par là et que l’homme passait par là. Mais, insisteront-ils, pourquoi le vent a-t-il soufflé à ce moment ? Pourquoi l’homme passait-il par là à ce même moment ? Si vous répondez encore : le vent s’est levé parce que la mer, le jour avant, avait commencé à s’agiter, l’homme avait été invité par un ami, alors ils insisteront encore, car ils n’en finissent pas de questionner : pourquoi donc la mer était-elle agitée ? Pourquoi l’homme a t-il été invité à ce moment ? Et ils continueront ainsi de vous interroger sans relâche, sur les causes, jusqu’à ce que vous vous soyez réfugiés dans la volonté de Dieu, cet asile d’ignorance. De même, quand ils voient la structure du corps humain, ils sont frappés de stupeur, et, de ce qu’ils ignorent les causes d’un ouvrage aussi parfait, ils concluent qu’il n’est point formé mécaniquement, mais par un art divin ou surnaturel. Et ainsi arrive-t-il que quiconque cherche les vraies causes des prodiges et s’applique à connaître en savant les choses de la nature au lieu de s’émerveiller comme un sot est souvent tenu pour hérétique et impie par ceux que la foule adore comme les interprètes de la Nature et des Dieux. Et c’est qu’ils savent que détruire l’ignorance, c’est détruire l’étonnement imbécile, c’est-à-dire la sauvegarde de leur autorité. »

Spinoza, L’Ethique, Livre I, « Savants et ecclésiastiques »

De « Lonesome Georges », de la narration à la première personne, de l’épluchage des légumes, et de l’opiniâtreté

21/12/2012 3 commentaires

Le nouveau livre du Fond du tiroir est peut-être disponible, finalement. Il s’appelle Lonesome George. Il revient de loin. Prévu pour exister ailleurs et rapidement, en fin de compte rapatrié à la maison et réalisé vaille que vaille, déclaré mort puis ressuscité, entre-temps offert gracieusement aux lecteurs du blog comme un bouquet final en désespoir de cause, il est enfin en vente, juste à temps pour l’apocalypse qui, comme chacun sait désormais, signifie révélation.

S’il est, comment dites-vous, « beau » ? Naturellement qu’il est beau. Nous ne savons pas faire autrement. Le communiqué de presse, rédigé selon les rigoureuses normes suicidaires en vigueur dans le département Marketing-Et-Communication du Fond du Tiroir, est lisible ici.

C’est, chronologiquement, le premier des trois livres que j’aurai écrits durant ma résidence troyenne en 2011. Le plus petit des trois. Disons : une nouvelle. Il s’agit, si vraiment vous tenez à le savoir, une fois que je vous l’aurai dit je ne vous aurai rien dit du tout, de l’histoire d’un garçon qui n’affiche pas ses émotions. Il les affiche si peu qu’on se demande s’il en a.

« Je ne me jette pas sur les émotions des personnages pour les livrer en pâture au public. Faire pleurer ou rire un personnage pour provoquer la compassion ou la joie du spectateur est une méthode, mais je trouve ça à peu près aussi intéressant que d’éplucher des légumes. » (Jessica Hausner, cinéaste)

Je vous décoche cette citation uniquement parce qu’elle me fait marrer, en réalité elle a peu à voir avec ce que j’essaye de faire, au juste. Pour savoir ce que j’essaye de faire, au juste, vous n’avez qu’à acheter le bouquin. Mais au moins serez-vous d’ores et déjà prévenu : mon « héros » n’attirera pas d’emblée votre compassion.

Dans le même sujet et avec le même à-propos, je voulais évoquer Les larmes de l’assassin, livre d’Anne-Laure Bondoux, que j’ai « lu » trois fois en un an. D’abord sous sa forme originale romanesque, ensuite dans l’adaptation en bande dessinée signée Thierry Murat, enfin sous sa forme performance, BD-concert conçu par le groupe Splendor in the grass. L’histoire est suffisamment saisissante et originale pour souffrir d’être entendue trois fois. Mais je précise que la version qui m’est apparue la plus forte, la plus convaincante, est la toute première, celle de la romancière. Les talents, indéniables, de l’illustrateur puis des musiciens ne sont pas en cause. Mais il se trouve que ces suiveurs ont fait le choix de raconter l’histoire à la première personne du singulier, quand le roman était écrit à la troisième personne, par un narrateur neutre. C’est-à-dire que dans chacune des adaptations, le personnage principal (l’est-il vraiment, du reste), ce petit garçon mutique, si énigmatique, si singulier, si fragile et si brut, nous narre. Et soudain je n’y crois plus qu’à moitié, parce que je ne vois pas pourquoi ce petit gars m’adresserait la parole, lui qui parle si peu aux autres personnages du livre. La narration à la première personne ne me semble pas justifiée au-delà du fait qu’il s’agit d’une convention, voire d’une ficelle, d’un hameçon à lecteur.

Les professeurs de littérature devraient profiter de ce cas d’école : lisez deux fois Les larmes de l’assassin, observez ce qui change quand une même histoire est d’abord racontée par il, puis par je, comparez les effets respectifs du pronom (affaire de morale, comme un traveling au cinéma), et commentez. Je commente : mon manuscrit Lonesome George fut accepté par une grande maison d’édition jeunesse, sous réserve que je réécrive tout à la première personne, afin que le lecteur se sente plus proche du personnage. J’ai refusé. Le livre paraît au Fond du tiroir, écrit à la troisième personne, comme il devait l’être.

L’opiniâtreté ? Suivez la flèche.

Mario Ramos (c’est lui le plus fort)

19/12/2012 2 commentaires

54 ans : même mort, Mario Ramos est drôlement jeune. J’adorais Mario Ramos. Je suis triste. Il ne faut pas : ses livres resteront d’une fraîcheur, d’une délicatesse, d’une malice et d’une intelligence rares. À la nouvelle de sa disparition, j’ai rédigé immédiatement un petit hommage sur le blog de Citrouille :

Je tiens Quand j’étais petit pour un chef d’œuvre, un de ces livres qu’on peut relire (oui, on le lit même s’il n’y a pas un mot), dix fois, à dix âges différents, pour le comprendre à nouveau, et sourire, et soupirer. S’il n’existait que cet album au monde pour parler du temps qui passe (drôle de lapsus : j’avais commencé par écrire « temps qui pense »), des petites personnes qui grandissent et des grandes personnes qui se souviennent, il serait suffisant pour qu’on prenne la littérature jeunesse au sérieux.
J’en parlais à Mario chaque fois que je le croisais. Elle le faisait marrer, ma grandiloquence : « Chef d’œuvre, chef d’œuvre, oui, c’est vrai qu’il est pas mal, ce livre, faudrait que je convainque mon éditeur de le rééditer… »
Entre temps il a finalement été réédité, heureusement.
Et puis j’ai tous les jours sous les yeux un autre dessin que Mario m’avait autorisé à reproduire sur le blog, très doux, et très profond comme il savait faire, idéal pour montrer ce que ça fait la littérature, plutôt que de chercher vainement à l’expliquer.

FMR

07/12/2012 un commentaire

La Librairie éphémère n’est pas un endroit mais un événement. Elle se tient deux fois l’an à la Halle Saint-Pierre (Paris 18e) à l’instigation d’Isabel Gautray de Passage Piétons éditions, et réunit des dizaines de petits (voire micro-) éditeurs, invisibles dans les librairies pérennes et autres échoppes en dur. De l’FMR pour livres SDF.

Non seulement la prochaine édition, qui aura lieu du 11 décembre au 6 janvier 2013, réservera un coin de table aux artisanales productions du Fond du tiroir, mais les visuels (affiche et flyers) ont le bon goût de mettre en avant une linogravure extraite de Double tranchant. Les épreuves réalisées par Jean-Pierre Blanpain pour ce sublime objet d’art seront en outre exposées sur place durant toute l’éphémerité de la Librairie. Vernissage jeudi 13 décembre 18 à 21h, sans moi pardon j’ai autre chose à faire, mais avec JPB himself, qui se fera un plaisir de se rendre disponible pour des dédicaces et plus si affinités. Surtout si vous l’abordez en lui déclarant : Au fait Jean-Pierre, puisque je vous tiens, sachez que j’ai été très touché par le dernier article publié sur votre blog, celui à propos de Montreuil, les livres pour enfants, mais les livres d’un côté et les enfants de l’autre hélas.

Quant à moi j’étais censé récupérer aujourd’hui Georgie-boy chez l’imprimeur, mais phoque godedème chiite et bladi elle ! J’en suis empêché par l’alerte orange et la neige partout-partout. J’abandonne George dans ses cartons et sur sa palette, je l’imagine tout seul dans les entrepôts des Impressions modernes, on éteint la lumière pour le week-end, j’espère qu’il sera sage et ne s’ennuiera pas trop, c’est difficile à dire, ce garçon n’a l’air de rien. Merci aux souscripteurs d’accepter mes excuses pour le délai, le livre ne leur sera posté que la semaine prochaine.

Mais ce n’est que partie remise ! Je ne risque pas de l’abandonner, celui-ci. Un livre naît pendant qu’un autre meurt (Heeey ! / Hooo !). Car une autre nouvelle tombe aujourd’hui, parallèle à la neige, et fait plus que jamais du Fond du tiroir mon unique éditeur : mon « best-seller » (tout est relatif) dans l’édition traditionnelle, Jean Ier le Posthume, est épuisé chez son éditeur, Thierry Magnier, qui ne souhaite pas le réimprimer vu les faibles ventes, et m’a proposé de me rendre les droits. Je ne sais pas du tout ce que je vais en faire (éditer ce livre au FdT ? ce serait absurde, mais je n’en serais pas à ma première absurdité), mais en tout état de cause une évidence m’explose à la figure : mon plan initial, qui visait une « carrière » avec un pied dans l’édition normale, et l’autre dans mon Tiroir, est un échec consommé. Désormais je suis intégralement sous le radar, et FMR.

Une bougie de plus pour Noël

01/12/2012 Aucun commentaire

Chacun en a fait l’expérience : il est difficile d’échapper au plus vieux media du monde. À l’approche de Noël, vous serez sans doute la cible et le réceptacle involontaire d’anciennes rumeurs ressuscitées chaque année dès les premiers frimas…

Il est possible, c’est arrivé à d’autre, autant vous y préparer, il est probable que ces jours-ci un « ami », une connaissance, un petit-malin-qui-en-sait-plus-long-que-vous, vous toise de haut dans la cour de recré (ou, pour les plus vieux, devant la machine à café) et vous déclare, une malice dans l’oeil et une nuance de cruauté dans l’autre, savourant l’effet de chacun de ses mots : « Le Fond du tiroir n’existe pas. C’est ton père déguisé. »

Halte à la paranoïa ! Ne croyez rien de ces fumeuses théories complotistes qui ébranleraient les esprits les plus sereins ! Comme si nous avions besoin d’une angoisse supplémentaire en ce monde anxiogène et la crise partout-partout… Allez sans crainte, le Fond du tiroir existe bel et bien, je suis idéalement placé pour le savoir, et pour vous en persuader il n’est de meilleur remède que de commander ses livres ! Notamment La Mèche, de Fabrice Vigne et Philippe Coudray, le livre de noël et des bougies, qui vous révélera pour un prix modique, ni plus ni moins, toute la vérité. Sur presque tout.

Le bon de commande, désormais riche de dix titres, est ici.