De « Lonesome Georges », de la narration à la première personne, de l’épluchage des légumes, et de l’opiniâtreté
Le nouveau livre du Fond du tiroir est peut-être disponible, finalement. Il s’appelle Lonesome George. Il revient de loin. Prévu pour exister ailleurs et rapidement, en fin de compte rapatrié à la maison et réalisé vaille que vaille, déclaré mort puis ressuscité, entre-temps offert gracieusement aux lecteurs du blog comme un bouquet final en désespoir de cause, il est enfin en vente, juste à temps pour l’apocalypse qui, comme chacun sait désormais, signifie révélation.
S’il est, comment dites-vous, « beau » ? Naturellement qu’il est beau. Nous ne savons pas faire autrement. Le communiqué de presse, rédigé selon les rigoureuses normes suicidaires en vigueur dans le département Marketing-Et-Communication du Fond du Tiroir, est lisible ici.
C’est, chronologiquement, le premier des trois livres que j’aurai écrits durant ma résidence troyenne en 2011. Le plus petit des trois. Disons : une nouvelle. Il s’agit, si vraiment vous tenez à le savoir, une fois que je vous l’aurai dit je ne vous aurai rien dit du tout, de l’histoire d’un garçon qui n’affiche pas ses émotions. Il les affiche si peu qu’on se demande s’il en a.
« Je ne me jette pas sur les émotions des personnages pour les livrer en pâture au public. Faire pleurer ou rire un personnage pour provoquer la compassion ou la joie du spectateur est une méthode, mais je trouve ça à peu près aussi intéressant que d’éplucher des légumes. » (Jessica Hausner, cinéaste)
Je vous décoche cette citation uniquement parce qu’elle me fait marrer, en réalité elle a peu à voir avec ce que j’essaye de faire, au juste. Pour savoir ce que j’essaye de faire, au juste, vous n’avez qu’à acheter le bouquin. Mais au moins serez-vous d’ores et déjà prévenu : mon « héros » n’attirera pas d’emblée votre compassion.
Dans le même sujet et avec le même à-propos, je voulais évoquer Les larmes de l’assassin, livre d’Anne-Laure Bondoux, que j’ai « lu » trois fois en un an. D’abord sous sa forme originale romanesque, ensuite dans l’adaptation en bande dessinée signée Thierry Murat, enfin sous sa forme performance, BD-concert conçu par le groupe Splendor in the grass. L’histoire est suffisamment saisissante et originale pour souffrir d’être entendue trois fois. Mais je précise que la version qui m’est apparue la plus forte, la plus convaincante, est la toute première, celle de la romancière. Les talents, indéniables, de l’illustrateur puis des musiciens ne sont pas en cause. Mais il se trouve que ces suiveurs ont fait le choix de raconter l’histoire à la première personne du singulier, quand le roman était écrit à la troisième personne, par un narrateur neutre. C’est-à-dire que dans chacune des adaptations, le personnage principal (l’est-il vraiment, du reste), ce petit garçon mutique, si énigmatique, si singulier, si fragile et si brut, nous narre. Et soudain je n’y crois plus qu’à moitié, parce que je ne vois pas pourquoi ce petit gars m’adresserait la parole, lui qui parle si peu aux autres personnages du livre. La narration à la première personne ne me semble pas justifiée au-delà du fait qu’il s’agit d’une convention, voire d’une ficelle, d’un hameçon à lecteur.
Les professeurs de littérature devraient profiter de ce cas d’école : lisez deux fois Les larmes de l’assassin, observez ce qui change quand une même histoire est d’abord racontée par il, puis par je, comparez les effets respectifs du pronom (affaire de morale, comme un traveling au cinéma), et commentez. Je commente : mon manuscrit Lonesome George fut accepté par une grande maison d’édition jeunesse, sous réserve que je réécrive tout à la première personne, afin que le lecteur se sente plus proche du personnage. J’ai refusé. Le livre paraît au Fond du tiroir, écrit à la troisième personne, comme il devait l’être.
L’opiniâtreté ? Suivez la flèche.
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