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Ma vie de VRP

29/10/2010 5 commentaires

La situation du voyageur de commerce – je parle de ceux qui sont au plus bas de l’échelle, qui font du porte-à-porte – m’apparaît toujours comme étant la plus terrible de toutes. C’est en général un dernier boulot, celui qu’on se décide à faire quand on n’a plus d’autre recours. Mais l’aspect terrible de ce travail, c’est surtout qu’il oblige celui qui le fait à en passer par le mensonge fonctionnel qui, en général, est réservé aux patrons. Ordinairement c’est le patron qui vante sa camelote, et non l’ouvrier. Les ouvriers ont le droit de se taire. Le voyageur de commerce ne l’a pas : il est tenu d’imiter le patron, de se dégrader.

Marguerite Duras, Nathalie Granger

Récapitulation.

La Mèche, sixième ouvrage distribué par le Fond du Tiroir, est aussi par divers aspects son premier : premier en littérature jeunesse, premier potentiellement « grand public », premier gros tirage (un peu plus de 1000 exemplaires, chiffre pour nous pharaonique), premier à consentir l’effort de se rendre visible aux yeux des professionnels de la profession (via Dilicom et Electre), premier à avoir fait l’objet d’un service de presse – voyez un peu à quelles compromissions nous étions résolus, premier à avoir entraîné le paiement de droits d’auteur (à Philippe Coudray, qui le mérite bien)…

Pour toutes ces raisons, j’eusse espéré que la Mèche devînt en outre le premier ouvrage du Fond du Tiroir à se vendre – espérer du commerce au fin Fond du tiroir ? c’était tenter le diable à coup d’oxymorons. Et le diable en retour s’est bien moqué de moi. Car hélas, vous (oui, vous, là, vous-mêmes, vague et inconséquente deuxième personne du pluriel), ne vous êtes pas bousculés pour commander ce beau livre, ni auprès de votre libraire ordinaire (puisqu’il semble que cela fonctionne) ni au Tiroir directement. Les ventes sont restées dérisoires au point que je renonce pudiquement à donner les chiffres, y compris lorsque j’ai entrepris une campagne promotionnelle exorbitante offrant un second livre pour toute Mèche achetée, que me resterait-il à proposer après cela, vous voulez ma chemise aussi ? Je vous préviens, elle est pleine de sueur. Désormais une pyramide (comme je disais : « pharaonique ») de cartons débordant de Mèches encombre mon garage du sol au plafond et m’écorche le moral à chaque fois que je trébuche en tentant d’atteindre mon congélateur.

Bref : si je veux retrouver l’usage de mon congélateur, et si incidemment je ne veux pas sombrer dans le découragement ni renoncer à tout avenir éditorial pour le Fond du Tiroir, je n’ai pas le choix, je dois tenter d’écouler quelques Mèches.

Un blog, souvenons-nous de l’étymologie, est un journal intime, s’pas ? Voici une page arrachée à mon journal, une tranche de vie, mon quotidien tout neuf de VRP. Je joue au vendeur-représentant-placier comme le garçon de café de Sartre joue au garçon de café. Mais cela m’amuse moins que lui, je le crains.

L’autre vendredi, je me lève à l’heure des hommes de bonne volonté, je boucle ma petite valise, je trouve une station-service pour faire le plein (par les temps qui courent, voilà déjà une aventure), et j’entreprends une expérience de diffusion grandeur nature. J’ai pour cela sélectionné sur la carte de France la ville de Ch***, préfecture de la S***, que je connais un peu. Je me suis appliqué au préalable à un minutieux travail de repérage, j’ai noté les coordonnées de cinq librairies susceptibles d’être intéressées par ma production, éliminant impitoyablement toute librairie non indépendante et inféodée à une chaîne nationale. Je prélève une brique de la pyramide… J’en prends combien, de ces Mèches petit capital ? Allez, 30 exemplaires, pour 5 librairies c’est un peu optimiste, 6 chacun, ah bah on verra bien, c’est le principe et le bon sens, en fin de journée mieux vaut en ramener qu’en manquer.

– Librairie A. Je commence volontairement ma tournée par celle qui est, dans mon souvenir, la plus grande librairie de Ch***. Je cherche le rayon jeunesse, je trouve une libraire plongée dans une une pile de nouveautés qu’elle trie devant son ordinateur. Je me plante devant elle, ma valise à la main. Je me racle la gorge. Elle lève les yeux sur moi.
« Je peux vous aider ?
– Bonjour, mon nom est Fabrice vigne, j’écris des livres, auto-publiés pour une part d’entre eux, je suis là précisément pour vous présenter un livre que je viens de publier…
– Ah. » (« Ah » sec et las.)
Son œil sur moi a changé du tout au tout depuis qu’elle sait que je ne suis pas client. Toute la condescendance du monde, plus une masse d’agacement. La leçon est rude, mais il me la fallait : les représentants de commerce ne sont pas les bienvenus, surtout les auto-publiés, cette bande de fâcheux, qui surgissent comme un cheveu au milieu d’un jeu de quille.  Personne ne m’attend. Personne n’attend ma Mèche. Circulez, monsieur, vous voyez bien qu’on travaille, ici. Qu’est-ce que j’espérais ? Quelles illusions me restait-il à perdre ? Ah, il m’en restera toujours.
Dans une moue, la dame saisit du bout des doigts mon objet d’art en 1000 exemplaires dont 30 dans une valise, et feuillette pendant que je bredouille ma présentation. Elle hoche, tord la bouche, « Et combien vous vendez ça ? 12 euros ? Hé, ben ! C’est cher ! Bon, écoutez, je ne peux pas le prendre comme ça. Repassez demain, ou plutôt la semaine prochaine.
– C’est que… je ne suis là que pour la journée. Pourriez-vous décider aujourd’hui, s’il vous plaît ?
– Ah. (Même « Ah » que précédemment.) Il faut que j’en parle à mon responsable, et que j’essaye de le lire, votre livre. Repassez à 14h30, d’accord ? » Je n’ai pas vraiment le choix, je repasserai. Je crois même que je quitte le magasin en disant « merci », je me trouve rien con. Bilan : zéro livre placé, mais un exemplaire reste dans la place en garde à vue. À tout à l’heure.

– Librairie B. Je respire une grande goulée, c’est reparti. « Bonjour, mon nom est Fabrice vigne, je viens vous blablabla… » Sourire gêné de la libraire. Elle prend la Mèche que je lui tends. Je fabouille mon petit argumentaire pendant qu’elle lit. Elle lit vraiment, celle-ci, elle ne feuillette pas. Alors c’est long. Je me tais, et le silence est sacrément lourd. Elle tourne une page. Elle sourit toujours. Elle finit par parler en refermant très délicatement l’objet. « Je ne vois pas bien à quel public cela s’adresse. Quand on voit la couverture, on se dit que c’est pour les tout petits, et puis quand on essaye de lire, c’est très dense, c’est pour les grands…
– Euh, oui, eh bien disons qu’il faut déjà savoir bien lire. C’est le seul pré-requis, à part bien sûr ne plus croire au Père Noël.
– Ah, bon. (Silence. Je suis censé faire quelque chose ?) Non, je crois que je n’ai pas le public pour ça. J’ai quelques albums pour petits, et quelques romans pour ados, mais ça c’est vraiment trop… intermédiaire ». Elle me rend le livre. Elle sourit toujours, toujours vaguement gêné. Je remballe, referme ma valise, salue aimablement, couleuvre dans la gorge. Quand j’ai la poignée de la porte dans la main, elle ajoute : « Bonne chance, hein ! » Ouais, ouais. Bilan : encore zéro.

– Librairie C. Une feuille scotchée sur la porte close.  » Fermeture pour la journée ». Zut, j’y tenais à celle-là, elle m’était sympathique, elle avait un joli nom. En plus, de bons livres dans la vitrine. (J’apprendrais un peu plus tard que la fermeture était due à un accident : le libraire a traversé une vitre avec sa main, et s’est fait hospitaliser.) Dans ta face, les aléas du métier de VRP. Parfois, on n’a même pas l’occasion de se faire envoyer sur les roses. Bilan : toujours zéro.

– Librairie D. Je regarde la devanture, je soupire, je pousse la porte, gling-gling, la libraire se retourne, grand sourire : « Tiens ? Bonjour, Fabrice Vigne… » Elle me reconnaît. Je ne crois pas avoir beaucoup de vanité, pourtant être spontanément identifié me soulage, j’ai le cœur tout réchauffé, éperdu de reconnaissance par cet accueil-ci après l’embarras manifeste des autres. Merci ! Enfin une librairie où je ne suis pas accueilli comme un chien dans un bol de soupe. J’aurais dû m’en douter : cette librairie-ci, je l’avais cochée comme faisant partie du réseau Sorcières, et dans ce milieu-là, on lit les livres, on a une idée des auteurs. Ça me revient maintenant, cette libraire est moi nous sommes déjà rencontrés, sur des stands de salon, la glace est brisée, on va gagner du temps, « Oui, alors donc, comme vous le savez peut-être, ou pas, je publie aussi des livres dans une petite structure associative, le Fond du tiroir, et justement je suis là pour ça, regardez-moi cette Mèche comme elle est jolie…
– Ah, ça, c’est bien vrai, très jolie. Eh bien écoutez, oui, bien sûr, ça m’intéresse, je vais vous en prendre !
– Vrai ? Vous êtes bien sûre ? » Pour un peu je l’embrasserais, mais c’est parce que je débute dans le métier, ça ne se fait pas sauter au cou de celui qui vous achète quelque chose, c’est un client, on n’embrasse pas son client. Combien va-t-elle m’en prendre ? Dix ? Vingt ? Elle va vouloir tout le stock peut-être, les trente ? ça va pas être possible, j’en ai laissé un entre les mains de la librairie A…
– je vous en prends deux. En dépôt. »
Deux. Okay. Bien sûr. Deux. C’est le métier qui rentre.

– Librairie E, et dernière. Celle-ci, spécialisée jeunesse, n’a ouvert qu’il y a huit jours. Je jette un œil à l’intérieur. J’espère qu’elle aura un peu de temps à me consacrer, malgré  l’inauguration récente ? J’entre, broum-broum, gling-gling, bonjour-mon-nom-est-Fabrice-Vigne… Oui, elle me réserve un bon accueil, elle a de la curiosité pour moi, je n’espère que ça, je ne demande rien de plus, un peu de curiosité, elle m’est offerte forcément par des librairies jeunes et petites… Sitôt ouvert, son échoppe a traversé une semaine de chaos, elle me raconte, des débordements de manifs devant sa vitrine, des incendies, des passants réfugiés (car la ville de Ch***, sous ses dehors sages et bourgeois, a été le cadre de plusieurs émeutes, et dans la rue perpendiculaire à cette nouvelle librairie, j’ai constaté le bitume noirci de suie et de plastique, les rigoles jonchées de vis de poubelles fondues, et de goupilles de flashball). La dame a de l’énergie, et du courage, il en faut, ouvrir une librairie quand on y pense, c’est encore plus absurde que d’éditer un livre et chercher à le fourguer. Bref, elle est aimable, et accepte de me prendre des exemplaires. Trois. En dépôt. Ah, merci. C’est le record, pour le moment.

– Librairie A, bouclage de boucle : retour au point de départ. La libraire m’avait donné rendez vous à 14h30. J’y suis dès 14h20, je feuillette des livres… Elle n’est pas là à 14h30. Ni à 14h40. À 14h50, je m’enquière auprès d’une autre  employée : « Dites, votre collègue du rayon Jeunesse, elle m’avait dit de repasser, elle n’est toujours pas là…
– Ah, bon ? Eh, oui, elle est partie plus tard que prévue, elle avait à faire, je ne sais pas quand elle doit revenir…
– Hmmm… Et alors, je fais quoi ?
– Je ne sais pas quoi vous dire.
– Ah. » Cette fois c’est moi qui dit « Ah », le « Ah » fatigué, résigné, contagieux. J’attends encore, dix minutes de mieux, à 15h elle n’est pas apparue. J’essaye de retrouver l’exemplaire de ma Mèche sur son bureau, je fouille, il a été recouvert par cinq autres bouquins. Je le range soigneusement dans ma valise. « Excusez-moi, je dois partir, à présent. Si jamais elle vous demande de mes nouvelles, ce qui est improbable au fond, vous pourrez lui dire que, ce matin, elle ne s’est pas montrée très enthousiaste à mon endroit, et qu’elle aurait pu tout simplement me dire « non », je n’aurais pas perdu une demi-heure à l’attendre. Au revoir. »

Le bilan n’est, euphémisme, guère encourageant. Je rentre chez moi avec 25 exemplaires dans ma valise, cinq dépôts, zéro vente ferme. Je rumine, sur l’autoroute du retour, la solitude du VRP de fond (du Tiroir), calculant machinalement mes frais d’essence et de péage. Que faut-il faire, à présent ? Espérer un dégât des eaux dans mon garage pour me débarrasser de cette foutue pyramide ? Non, soyons déraisonnable : je dois poursuivre, vaillamment, et proposer mes livres, dire qu’ils existent.

Cette semaine, je suis en villégiature, à P***, plus grande ville encore, qui se trouve être la capitale de la F***, et qui contient un nombre de librairies tout à fait stupéfiant. J’ai bouclé ma valise, j’ai acheté un carnet de tickets de métro. Au boulot.

Je grenouille dans le bénitier

23/10/2010 un commentaire

C’est étrange, tout de même. Le premier media qui aura rendu compte de Jean II le Bon est RCF, le réseau des radios chrétiennes… Ils ne se sont donc pas aperçu que je diffamais grave le pape en la page 93 de cet ouvrage pédagogique ?

Non, la vérité, c’est que RCF est une radio certes confessionnelle, mais pas spécialement propagandiste, et qu’on y entend toutes sortes de choses intéressantes sans rapport avec la choucroute bénie. C’est ainsi que j’ai été interviouvé par Melle Vanessa Curton (oui, bon, ça ira, les blagues fastoches sur les noms de famille) qui se trouve être une excellente chroniqueuse littéraire, puisque elle lit les livres, et nous n’avons pas abordé la page 93.

Je grenouille dans le micro, je bafouille certes, mais j’éclaire de mon mieux ce livre, merci Vanessa (salve 1). Le résultat est à écouter ici. Ou alors à lire là, partiellement retranscrit sur blog, merci Vanessa (salve 2 – car il s’agit bien d’un roman sur la répétition).

Un peu d’amour, un peu de vulgarité, un peu d’envie de tout casser

19/10/2010 4 commentaires

Un peu de tout en somme, comme la vie. Par quoi commencer ?

1) Par l’envie de tout casser, tiens.

L’increvable, incorruptible, le politiquement incorrect Bob Siné est toujours aussi énervant, et j’aime me faire énerver par lui.

J’aimais bien Siné semant sa zone dans Charlie Hebdo… (Mais Philippe Val l’a viré.)

J’aimais bien Siné semant sa zone dans Siné Hebdo… (Mais j’avoue qu’à part les éditos du bonhomme, je ne lisais guère son canard – je m’y étais abonné par principe… Bon, il n’existe plus.)

J’adore la zone semée en long  large et travers dans l’autobiographie de Siné, Ma vie mon oeuvre mon cul, un feu d’artifice d’une extraordinaire liberté, un chef d’œuvre dans son genre, et au fond un genre à lui tout seul.

J’aime Siné quand il sème sa zone en plein jazz

Et j’aime toujours Siné, à présent qu’il sème sa zone sur Internet. Il sème, je récolte. Je trie, tout de même. Mais globalement, je me marre quand il commente l’époque. Je prélève par exemple ce commentaire dans sa zone de cette semaine :

Le groupe LVMH, dirigé par Bernard Arnaud, ami intime de Sarko-la-peste, vient d’accueillir deux petites nouvelles au sein de son conseil d’administration : Bernadette Chirac, bombardée « ambassadrice du luxe » (sic) et Florence Woerth, nommée au conseil de surveillance de la société Hermès, filiale de LVMH. Florence Woerth recevra 400000 € par an, Bernadette seulement 65000. Est-ce que vous avez comme moi, chers lecteurs, parfois des envies de tout casser ?

Bien sûr que je l’ai, l’envie, et Siné me la fouette chaque semaine. Il est démago ? De mauvais goût ? Vulgaire ? Ah, tout est affaire d’échelle : il l’est beaucoup moins que la clique au pouvoir, Sarko-Woerth-Chirac-Arnaud (ce dernier étant peut-être le plus influent en France, alors qu’il n’a pas été élu), qui nous explique qu’il faut trimer deux ans de plus et de l’autre main continue tout raide de toucher ses dividendes au beau milieu de la crise partout-partout (dans la rue, sur les routes, dans les lycées, dans les cités, dans les stations services…).

2) Vulgarité, justement. On change de genre, on change de blog, mais pas de sujet : où placer le curseur de la vulgarité ?

Je reçois la revue de presse hebdomadaire du CRILJ, Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse. Je lis chaque lundi cette documentation, soit attentivement, soit distraitement… jamais avec passion. Jusqu’à ce jour ! Jusqu’à un certain article, déniché et froidement retransmis par le CRILJ comme si de rien n’était, un article intitulé Censurer les livres pour enfants ?. D’ordinaire, l’essentiel du courrier du CRILJ est constitué d’échos professionnels et savants, notamment les programmes de tous ces colloques qui décortiquent savamment les œuvres pour la jeunesse, le CRILJ appelle à communication, et donne rendez-vous pour discuter entre gens de bonne compagnie du pourquoi et du comment des livres pour enfants, il distribue en somme les horaires des messes et prêche les convaincus. Cet article-là ? Rien à voir ! Un autre son de cloche tout à fait ! Une vraie douche froide ! Allez donc voir le blog en question

Censurer les livres pour enfants ? est un redoutable cas d’école qui m’a mis en rogne comme rarement, un concentré d’a priori et de conventions qu’on supposait d’arrière garde… Une conception « édifiante » du livre jeunesse qu’on croyait d’avant la guerre (laquelle ?)… Voir dans le délicieux album pour touts-petits Ma culotte d’Alan Mets un dangereux fauteur de »vulgarité » et de « style texto », quelle énormité ! Quelle ignorance ! Ce livre date de 1997, alors que le « style texto » n’existait même pas ! Autant voir du SMS dans la première phrase de Zazie dans le métro (1959) : « Doukipudonktan ? » Roman d’une grande vulgarité, au reste.

Ainsi, ce révoltant article, apologie de la censure, est salutaire puisqu’il nous réveille, il nous rappelle que la bataille de la littérature jeunesse contre la bien-pensance n’est jamais gagnée. On finirait par l’oublier, à force de rester confortablement entre soi, dans certains milieux, parmi les récipiendaires du courrier du CRILJ, dans la communauté des « bibliothécaires jeunesse », salons jeunesses, auteurs jeunesse…, tous ces milieux qui n’en font qu’un et qui prennent la « littérature jeunesse » au sérieux et lui consacrent imaginez un peu, des colloques. Dans la société « réelle », les livres pour enfants ne sont pas des objets culturels ! Ils sont des outils d’élevage, et la moraline fait encore rage quand il s’agit d’autoriser ou pas des enfants à ouvrir des livres. Dans la vraie vie, des parents corrigent les livres au Tipp-Ex pour protéger les enfants de la vulgarité.

Vive la vulgarité, nom de Dieu ! Et vive Siné ! Ah comme l’envie me prend, parfois, plus sûrement encore que celle de tout casser, de me gorger, de m’enivrer de gros mots ! Merde à toutes les censures !

3) Allons, terminons par l’amour, s’il vous plaît. Vous allez voir, je ne perds pas de vue mon sujet du jour : où est la vulgarité ?

J’ai adressé à Susie Morgenstern un exemplaire de mon roman Jean II le Bon. Je le lui ai dédicacé en ces termes (je réécris de mémoire) :

Chère Susie, j’ai le plaisir de t’offrir ce livre, parce que j’ai eu une pensée pour toi en l’écrivant, vers la fin, à l’avant-dernier chapitre. Je me rendais compte que j’étais en train de composer une apologie de l’amour, et j’avais peur d’être concon, cul-cul, gnan-gnan. [NDLR : Peur d’être vulgaire, en quelque sorte.] Mais soudain je me suis souvenu : « Ah, mais Susie le fait bien ! Elle fait l’apologie de l’amour dans chacun de ses livres ! C’est son grand sujet, presque son seul, et elle n’est JAMAIS ridicule ! Alors, allons-y… » Et j’ai terminé mon livre. Susie, je t’aime !
Fabrice

Par retour de courrier, l’adorable Susie m’adressait un adorable accusé de réception :

Oh Fabrice ! Je t’aime aussi. Il ne faut jamais avoir peur d’être cucul. J’en suis la reine !
Merci et je t’embrasse très fort,
Susie

Et c’est ainsi que l’amour sauvera le monde de la vulgarité. Et de la crise partout-partout.

(Est-ce que je crois à ce que je viens d’écrire ? Euh… Bon, déjà, je l’écris, c’est un début.)

Tu veux ma photo ?

01/10/2010 Aucun commentaire

« La photographie, je m’y entends comme à ramer des choux. » (Les Giètes, éditions Thierry-Magnier, p. 152)

J’ai placé cette phrase dans la bouche du narrateur de mon « Photoroman », non seulement pour réhabiliter une locution amusante et injustement désuète (et croyez bien que cette motivation eût été suffisante), mais aussi pour avouer une bonne fois, plus candide que modeste, que la photographie, je n’y connais rien. La règle du jeu de cette collection inventée par Jeanne Benameur et Francis Joly était d’écrire un roman à partir des photos qui m’étaient confiées – à l’aveugle, sans rien connaître, précisément ça tombait bien, ni leur contexte, ni leur auteur (en l’espèce, Anne Rehbinder). Je m’y suis consacré, hardiment, regardant ces images de tous mes yeux, tentant de traduire en mots ce que j’y décelais d’histoires et d’Histoire, d’idées et d’émotions. Mais sans jamais me poser en ce que je ne suis pas : un connoisseur, un spécialiste, un érudit, un iconophage, un photographe. Merci bien, autant ramer des choux.

Quatre ans plus tard, ce roman ainsi que les images qu’il contient ou qui le contiennent voyagent encore et vous regardent. Le 6 novembre prochain, je m’insérerai dans la biennale de la photographie contemporaine de Rambouillet pour une table ronde « Photo et littérature« , aux côtés de la dream team des éditions Magnier (Thierry, Jeanne, Francis) et Yannick Vigouroux. Je me réjouis de revoir ce monde, et j’ouvrirai mes mirettes en grand, mais je préviens, la photographie, je n’y connais toujours rien.

Dans les mots sans images, je suis plus à mon aise. Pas « spécialiste » ici non plus, un peu d’expérience ne suffit guère, oh presque tout à apprendre, mais enfin, les mots donnés au public, j’en fais mon affaire. Les Giètes version spectacle vivant, dites en chair et en os, déclamées et musiquées sur scène, bougent encore, elles aussi. Ce spectacle improvisé improvisé il y a deux ans et demi nous est toujours demandé, et j’en suis très heureux. Christophe Sacchettini et moi-même nous produirons pas moins de six fois dans les semaines à venir, dont cinq lors d’une mini-tournée en Drôme et Ardèche organisée par la communauté de communes « Les deux rives ». Programme ci-après. Rameurs de choux (mes frères) bienvenus.