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Le coin du cinéphile

Le 5 octobre 1969 (je me souviens, j’avais six mois), John Huston sortait sur les écrans américains Promenade avec l’amour et la mort.

Adapté d’un roman de Hans Koning, A walk with love and death constitue l’un des pires flops commerciaux de Huston, et la Fox renonça d’abord à sa distribution en Europe. Film méconnu mais magnifique, il bénéficie malgré son petit budget d’une photographie et de décors superbes, offrant la vision d’un moyen-âge humain et sans clinquant. Il n’est pas sans rapport avec l’ultime opus de Huston, Gens de Dublin, sorti près de 20 ans plus tard. Ces deux films « en costumes » forment comme les deux bornes d’une même aventure – ne serait-ce que par la présence de la fille de Huston, Angelica qui, à seize ans, faisait dans le premier ses vrais débuts à l’écran avec le rôle d’une jeune vierge à l’aube de sa vie, et dans le second embrassait celui d’une femme mûre, épanouie, riche déjà d’une forte histoire intime.

Quels thèmes saillants peut-on relever dans Promenade avec l’amour et la mort ? On n’en dénombre pas moins de huit :

1 – La traversée du royaume de France au beau milieu du XIVe siècle, en pleine Guerre de cent ans contre les Anglois ;

2 – La précarité, la fragilité de l’existence qui, une fois cruellement introduite dans la conscience des personnages, ne les quittera jamais plus, et rendra urgent, passionné, leur désir d’accomplir leurs rêves, pour cela de rêver, et de simplement vivre ;

3 – Le courage, la détermination, et enfin l’émancipation d’adolescents qui, protégés par leur candeur, refusent le chemin tracé pour eux par les générations précédentes et inventent leur propre chemin de liberté – dès lors, les seuls authentiques héros, ce sont eux ;

4 – Le voyage, le déplacement à l’étranger, comme quête, comme mise à l’épreuve des illusions, et révélation de soi ;

5 – La possibilité, et même la nécessité, malgré l’adversité, malgré les circonstances qui, ne nous leurrons pas, ne seront jamais favorables, de raconter des histoires, d’approfondir sa culture, et de pratiquer la poésie ;

6 – La mise en abyme, le telescopage des époques, l’empathie possible avec des êtres humains morts depuis plusieurs siècles, et in fine le caractère intemporel de toute révolte individuel contre l’arbitraire du pouvoir ;

7 – L’autobiographie discrète, malicieuse et grimée, puisque Huston se réserve un second rôle, celui du seigneur Robert, sceptique et pourtant enthousiaste, par la bouche duquel il assène quelques vérités pragmatiques propres à liquider les idéologies et les fanatismes, et va jusqu’à trahir sa condition de noble pour se ranger du côté des paysans ;

8 – Le tout premier baiser échangé par une jeune fille et un jeune garçon, plus fort que toute autre préoccupation alentour, seul centre d’intérêt au fond, capable de faire émerger la vie dans un monde rongé par la mort, la peste, la famine, la guerre éternelle, les injustices sociales, et la crise partout-partout, car l’amour courtois a été inventé en même temps que la guerre totale.

Ah, hélas, on me signale que ce film est rare, projeté nulle part, jamais diffusé à la télévision, et fort difficile à trouver en DVD… Zut, c’est vraiment pas de bol. Vous ne savez pas ce que vous perdez. Comment faire ? Ma foi, l’on pourra se consoler en achetant Jean II le Bon (séquelle), éditions Thierry-Magnier, roman disponible en librairie le 15 septembre et qui, coïncidence, traite grosso modo des mêmes sujets, et du cinéma en plus. Parce que, quand même, le cinéma, ça console de bien des choses, presque aussi sûrement qu’un premier baiser.

  1. 15/10/2010 à 23:21 | #1

    … ça console comme un premier baiser dans une salle de cinéma!
    lire c’est se faire les images en plus et ça c’est pas mal non plus!!!
    comme il en est de Jean le Bon, raviver les séquelles de la jeune adolescence, celle où on est tout contre (ou tout pour) et puis plutôt tout contre, mais c’est pas si simple.

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