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Dériver, s’échouer

28/12/2010 2 commentaires

La Mèche en vente dans 14 librairies, ai-je dit ? Fatalitas ! Plus que 13 ! Porte malheur !

Gueule de bois entre deux réveillons : j’apprends que la librairie La Dérive jeunesse, soeur cadette de la Dérive pour adultes et l’une des seules librairies indépendantes de ma ville, ferme ses portes en même temps que l’année civile. C’est dans cette échoppe grenobloise que j’ai, il y a une quinzaine d’années, purement et simplement appris, tout ébaubi je me souviens, qu’existait cette chose appelée « littérature jeunesse », c’est dire si ma dette est grande. Cet endroit m’a ouvert durablement les horizons, et m’a empêché de proférer certaines bêtises que l’on peut entendre ici ou là.

La librairie est un commerce fragile. Les grosses mangent les petites, et Amazon les dévore toutes. Fin de la « librairie de proximité », de la bibliodiversité, de ma jeunesse, sous le pont Mirabeau coule l’Isère. Que faire ? Pleurer cette défaite de l’esprit ? Prendre les paris sur le négoce qui s’inaugurera prochainement en ce lieu convoité du centre-ville ? (Fastoche, ce sera un des cinq : banque, pharmacie, fringues, téléphonie, kebab.) Tout ce que je puis faire ici, outre porter le deuil sur mon blog, c’est reproduire le communiqué paru sur le leur :

Littérature durable

À l’heure où tout est durable : le développement, la santé, la planète, la ville, la vision,la politique (ah, non, là ça ne marche pas), il est peut-être temps de réinventer (après Gutenberg…) la diffusion de la littérature durable, ou plus largement, de la culture durable.

En cette fin d’année 2010, un lieu de découverte, d’apprentissage et de construction personnelle, va fermer ses portes. En effet, la librairie La Dérive Jeunesse, spécialiste du livre du plus jeune âge aux jeunes adultes, se voit FINANCIEREMENT contrainte de cesser son activité.
Cette librairie indépendante qui a vu passer une, si ce n’est deux générations depuis 22 ans, a contribué au goût et à la joie de la lecture sous toutes ses formes. Certes, cela n’est pas mort définitivement, car si cette librairie, pionnière sur l’agglomération grenobloise, s’éteint, d’autres espaces perdurent, en attendant…
… en attendant, peut-être une mort annoncée. Les volontés politiques, libérales, marchandes et technocrates, dictent leurs lois partout dans nos vies. Après avoir détruit nos moyens d’approvisionnement, notamment en nourriture, par un développement outrancier de la grande distribution, en saccageant tous les systèmes de solidarité et en souhaitant créer une société uniquement fondée sur des désirs à combler par la consommation, les « grands » (pourtant si petits d’esprit) de ce monde, ne nous construisent rien de durable, excepté la superficialité sinon la bêtise.
En privilégiant les grands groupes financiers qui se propagent de l’agro-alimentaire en passant par l’habillement et la culture, c’est une réelle volonté d’aplanissement, de nivellement par le bas, de « temps de cerveau disponible » (réécouter les paroles cyniques de Patrick Le Lay, PDG de TF1 à ce sujet !) qui est mis en place.
Ce n’est pas une défense du petit commerce, de relents « poujadistes » qui nous anime ici, mais plus légitimement le désir très fort de conserver la possibilité de se construire individuellement. Quand plusieurs milliards d’hommes et de femmes n’auront accès qu’à ce que ces magnats richissimes et l’oligarchie politico-financière décident pour eux, notamment sur les plans culturels et intellectuels, qu’en sera-t-il du débat d’idées, de la confrontation ou du partage de points de vue ?
Face aux géants de l’agro-alimentaire, des idées et des actes ont été développés et mis en place. Aujourd’hui, comment penser et construire de nouveaux réseaux de distribution du livre (et nous ne parlons pas d’internet ou du numérique), comment innover pour que les « petits » éditeurs et les auteurs non médiatisés, souvent pertinents, puissent rencontrer des lecteurs avides de diversité et de qualité.

Le sapin est un marronnier (Nous disons deux fois : le sapin est un marronnier)

18/12/2010 Aucun commentaire

Ding-ding-dong ding-ding-dong mesdames et messieurs ladies and gentlemen ceci est le dernier appel pour le vol 2010 à destination du Fond du tiroir.

Je fais le compte au jour le jour, « sauf erreur ou omission » : comme suite de mon exténuant travail de VRPLa Mèche est, à l’heure où je vous parle, en vente dans 14 librairies dans toute la France, ce pays qui, rappelons-le, s’honore de compter tenez-vous bien 25000 ne disons pas « librairies », mais plutôt, par pudeur et afin d’englober les grandes surfaces spécialisées ou non, « points de vente de livres ». (Même différence qu’entre boulangeries et dépôts de pain.)

14 sur 25000, c’est du 0,056 %, autant dire que vos chances sont infimes de découvrir en tête de gondole près de chez vous cet objet bleu, élégant et tordu, ce livre qui cache son jeu, ce bref roman à la fois expérimental et grand-public. Vous ferez, comme toujours, bien ce que vous voudrez, mais vous auriez meilleur temps de le commander directement au Fond du Tiroir. Enfin, je n’insiste pas, je ne voudrais pas devenir lourd avant les fêtes, dérouler une fois encore mon argument de camelot, croyez que je serais plus embarrassé que vous, je sais oh je ne sais que trop que Le Fond du tiroir ne sera jamais un vrai éditeur, puisque je n’aime pas spécialement ça, les vendre, mes beaux livres. Je préfère qu’on me les achète.

Bref, il ne vous reste que quelques jours, ou à peine plus selon l’endroit où vous habitez, pour nous réclamer La Mèche, cadeau idéal comme un gendre puisque livre de noël et même, pour exposer les choses sans détour, LE livre de noël, ainsi que le proclamait sans modestie le bandeau rouge enveloppant la première édition. Quelques jours au plus pour imprimer le verbeux bon de commande (et non tenter vainement de le remplir en ligne comme l’a fait la jeune Pauline F. de Stavanger, Norvège… C’est un PDF, voyons !), quelques jours dernier délai pour nous demander une dédicace en page de garde et en cas de besoin, formalité dont je m’acquitterais avec plaisir, si si, c’est vrai, plaisir, je n’aime pas vendre mais j’aime bien dédicacer les livres, surtout la Mèche parce que je fais un petit dessin, toujours le même, je ne sais pas dessiner, mais enfin je m’applique et je fais des progrès, je stylise c’en est curieux. Quelques jours maximum pour enfin recevoir La Mèche chez vous, juste à temps pour en décorer votre sapin et le décrypter, seul ou en famille, entre les branches. Qu’en ferez-vous, de ses secrets ? Que font les gardiens de mèche, une fois que… ? Ah, c’est tout le propos, figurez-vous.

À ma place (2)

15/12/2010 un commentaire

Anne-laure Cognet vient de publier une aimable recension, enthousiaste et spirituelle (je n’en attendais pas moins de sa part, car voici une fille spirituelle et enthousiaste) de ma Séquelle, dans la dernière livraison de Livre & lire, feuille de chou de l’ARALD. Merci Anne-Laure.

Cependant, je suis mu en cette vallée de larmes par d’autres affects que les satisfactions d’orgueil et les réconforts égotistes (Oui ! J’existe ! C’est enfin prouvé ! On parle de moi dans la presse ! J’apparais donc je suis ! Et pis Fanny médiatique !), car incidemment, et même subrepticement, je me trouve davantage touché par une autre colonne du même canard. Je résonne d’autres mots.

Le poète Michel Thion que j’ai un peu côtoyé jadis – car nous trempâmes de conserve dans le marigot à nénuphars des éditions Castells – signe à son tour l’édito mensuel, rubrique intitulée je-vous-le-donne-en-mille « Les écrivains à leur place« , et confiée par roulement aux plus divers teneurs de plume rhonalpins. L’honneur de garnir cette colonne m’échut aussi, en mon temps. (Tiens, au fait, je relis la vieille page du blog écrite à cette occasion, et vous signale que j’y avais lancé un jeu-concours qui, faute d’avoir été élucidé, court toujours…)

Le texte de Thion évoque le vécu et le travail d’un poète, à coups de verbes à l’infinitif comme des touches impressionnistes.

Écrire avec une gomme au lieu d’un crayon.
Chuchoter dans la brume.
Souffler sur les cicatrices.
Dormir du sommeil de l’éveillé.

Etc… Voilà le poète, sa vie son œuvre. Et tout ceci pour qui ? Pour quoi ? Pour quand ?

Attendre sereinement le jour où quelqu’un demandera :
« y a-t-il un poète dans l’avion ? »
Boire le souffle du soleil.
Le regarder en face, en devenir aveugle un instant rouge sang, et puis, au moment où la vue revient par bribes, par éclairs sombres, écrire au milieu des larmes.

Eh bien, voilà. C’est ça. J’ai l’impression que ce jour est arrivé pour moi, je me suis levé au milieu de l’avion et j’ai dit bien haut « Moi, je sais écrire ! Euh… Un peu… Je ferai de mon mieux ».  C’était vendredi dernier.

Voilà ce qui s’est passé : ma grand-mère est morte. La dernière survivante de mes grands-parents, une génération entière qui s’abolit, pfuit, circulez, au suivant. Sa fin était attendue, plus de peine que de surprise, l’agonie fut longue, mais tout de même nous tenions à elle comme à quelque chose qui nous unissait. Et puis, en ce qui me concerne, c’est  bien elle, ma grand-mère maternelle, qui m’a appris le mot Giètes, son sens propre, son sens métaphysique, tous ses sens venus de loin, c’est dire si je lui dois. Il m’a été donné de voir et de décrire sa mort alors qu’elle était en vie, c’est même la toute première page de l’Échoppe enténébrée.

Elle meurt. On me demande de lire un texte pendant les obsèques. J’écris un texte. Je pleure beaucoup en l’écrivant.

Ma grand-mère m’a beaucoup appris. Elle m’a enseigné des mots, des expressions, des jeux, des anecdotes qui pouvaient servir de modèles ou d’exemples, des recettes de cuisine, des chansons, des façons de regarder le monde… bref des moyens de comprendre la vie. Pour le dire simplement, elle m’a appris à vivre.

Merci.

En 1998, j’ai décidé de l’interviewer méthodiquement. J’ai recueilli sa parole, j’ai laissé le magnéto tourner et je l’ai enregistrée, elle m’a raconté sa vie pendant des heures, des dizaines d’heures peut-être. Puis, j’ai retranscrit tous ces dialogues sur papier. Je suis très heureux d’avoir accompli ce travail, d’avoir couché sur le papier son existence, pour en conserver une trace, et la partager. Je relis ce texte de temps en temps. C’est ce que j’ai fait à nouveau hier, pour chercher ce que je pourrais vous lire aujourd’hui, et de nouveau, j’ai ri, et j’ai pleuré, j’entendais sa voix puisque c’était ses mots.

Les phrases que j’ai choisi de mettre en exergue de ce texte donnaient leur sens global à ma démarche. Ces phrases m’ont fait comprendre que j’accomplissais ce travail d’archivage de sa parole pour ses descendants, petits-enfants et arrière-petits-enfants :

« Ce qui me fait le plus plaisir, c’est cette entente que vous avez encore, les deux garçons et les trois filles, moi ça me fait plaisir vois-tu… Parce que s’il y avait eu une séparation entre vous, ben c’était pas normal, puisque vous êtes tous venus ici… »

Voilà, exprimé très simplement, son enseignement le plus profond : « vous êtes tous venus ici », nous sommes tous venus « chez la Paulette », nous avons tous profité d’elle en tant que pilier de la famille et même du monde, de son sens du partage, de sa convivialité sans manières, et sa maison était non seulement le lieu mais le symbole de la famille, de son unité.

Cet endroit où nous vivons tous, où nous passons au moins, où nous nous retrouvons, où les uns grandissent, où les autres vieillissent, et où l’on s’embrasse. Nous avons eu cela en commun : la Paulette. Nous avons eu de la chance.

Ma grand-mère a vécu la chose la plus horrible qui peut advenir à un être humain. Elle a perdu un de ses enfants. Son fils René, mon oncle, est mort en 1985. J’ai envie d’évoquer ce moment-là.

Nous étions tous réunis, dans sa maison, à nouveau, comme nous l’avions été, comme nous le serions encore, mais il manquait quelqu’un. Comment réagir ? Moi, j’étais adolescent, je ne savais pas quoi faire d’autant de peine, je ne supportais pas cette douleur en chacun, et je me suis enfui. Oh, pas bien loin, je me suis seulement réfugié dans ma chambre, et je n’en suis pas sorti. Longtemps après, des heures au moins, j’ai entendu les pas de ma grand-mère dans l’escalier. C’est elle qui montait jusqu’à moi.

Elle a ouvert ma porte, et elle est tombée dans mes bras, en pleurant. Elle me disait : « Mais qu’est-ce que tu fais là, tout seul ? Enfin ! Ce n’est pas possible, de rester là seul, dans un moment pareil ! Il faut que tu reviennes, il faut que tu redescendes ! On a besoin d’être ensemble ! On a besoin les uns des autres ! J’ai besoin de toi. Descends, viens, viens avec moi. Tu es mon bâton de vieillesse… »

Je pleurais autant qu’elle, nous pleurions l’un dans l’autre, mais je savais qu’elle avait raison. Elle me ramenait du côté de la vie, et pour la vie à venir je ne pouvais pas rester tout seul. Nous sommes redescendus ensemble, pour pleurer avec les autres. Manger avec les autres. Et rire aussi, puisqu’il faut bien rire. La famille continuait à vivre, et c’était bien dans cette maison que cela se passait, entre vivants.

Voilà peut-être la leçon la plus importante que j’ai retenue de ma grand-mère, et que je voulais partager avec vous aujourd’hui : face à la mort, il n’y a rien d’autre à faire, littéralement rien de mieux pour les vivants, que de continuer à vivre ensemble, à pleurer ensemble, à rire ensemble, et à se serrer les coudes.

Je lis ce texte le jour de l’enterrement. Tout le monde pleure dans la chapelle, sauf moi.  Moi, yeux secs, je lis, je suis là pour ça. Pour moi, la catharsis était derrière. J’avais déjà écrit au milieu des larmes. J’étais le poète dans l’avion. Tous ces gens en ceintures de sécurité sur leurs prie-dieux me regardaient faire la démonstration des gestes qui sauvent. J’étais à ma place.

Après la cérémonie, je discute avec le mari de ma cousine. Il est garagiste. « J’ai beaucoup aimé ce que tu as lu dans la chapelle tout à l’heure. J’ai trouvé ça émouvant.
– Ah, oui ? merci.
– Je ne saurais pas faire ça, moi. Avec tous mes outils… (Il est garagiste et très bricoleur. Il sait, comme on dit, tout faire. Mais pas ce que j’ai fait.)
– J’ai beaucoup de respect pour tes outils.
– J’ai beaucoup de respect pour tes mots. »

Chacun à sa place et qui respecte l’autre. Dialogue simple, limpide et beau, comme une utopie réalisée, comme une réponse au voeu exprimé avec émotion mais sans pathos par Emmanuel Bove dans Mémoires d’un homme singulier : « Je n’ai rien demandé à l’existence d’extraordinaire. Je n’ai demandé qu’une seule chose. Elle m’a toujours été refusée. J’ai lutté pour l’obtenir, vraiment. Cette chose, mes semblables l’ont sans la chercher. Cette chose n’est ni l’argent, ni l’amitié, ni la gloire. C’est une place parmi les hommes, une place à moi, une place qu’ils reconnaîtraient comme mienne sans l’envier, puisqu’elle n’aurait rien d’enviable. Elle ne se distinguerait pas de celles qu’ils occupent. Elle serait tout simplement respectable. »

Ou bien, comme dans la scène de Spartacus de Kubrick, où l’esclave rebelle Kirk Douglas inspecte sa troupe de guerriers, et avise les trop beaux habits de cour du poète en fuite, Tony Curtis.

– Et toi, quel était ton travail ?
– J’étais poète et chanteur.
– Poète et chanteur ? Mais… Quel était ton travail ?
– C’était mon travail. Je… Je jonglais, aussi.
– Tu jonglais ? Et que faisais-tu d’autre ?
– Je faisais aussi de la magie…

À ma place (1)

12/12/2010 un commentaire

Qu’as-tu donc fait, à Paris, Zazie ? J’ai vieilli.

Qu’y ai-je fait, à Montreuil, dans le grand raout annuel « littérature jeunesse » ? J’ai vécu, et j’ai rêvé.

Côté rêve, puisque comme toujours je prends mes rêves pour des réalités et je sais qu’ils sont d’authentiques souvenirs, je puis raconter ceci : j’ai été, la première nuit, fortement marqué par un rêve où, pendant que la neige tombait dans la nuit, du fond de mon lit je pique-niquais en plein été avec quelques amis (dont certains seront cités d’ici deux paragraphes). Nous étions dans une clairière, le temps était beau, et non loin de nous se trouvait une piscine. Je proposais de piquer une tête, mais tout le monde essayait de m’en dissuader, sans m’expliquer pourquoi, arborant une mine embarrassée. Tant pis, j’en avais trop envie, je me suis déshabillé et j’ai plongé. Le bassin était très étroit mais démesurément profond, comme si les lignes d’eau étaient verticales au lieu d’être horizontales. Je descendais longtemps le long de ma ligne, et j’arrivais non pas au fond, mais à une membrane souple d’environ un mètre de diamètre, que je déchirais de la pointe du pied pour poursuivre ma descente. Plus bas, de l’autre côté de la membrane trouée, les parois n’étaient plus de carrelage, mais des roches rugueuses et accidentées. Tout autour de moi nageaient, ou plutôt dansaient, des silhouettes blanchâtres, translucides comme des méduses, figures humanoïdes longilignes, plus grandes que moi, sans yeux mais pourvues de cornes. Elles s’attachaient à moi, m’enroulaient le corps de leurs bras fantomatiques, et m’entraînaient plus bas encore. J’étais un peu inquiet, mais je me disais, on verra bien, je suis capable de retenir ma respiration longtemps…

Côté « vraie » (?) vie, mon bilan post-salon de Montreuil est sensiblement le même que d’habitude : quantitativement, j’ai acheté deux fois plus de livres que je n’en ai vendus (12 contre 6 – car j’étais en mission commandée pour dénicher des cadeaux de Noël), qualitativement j’étais très content de saluer tout plein de gens que j’aime bien, voire que j’aime.

Montreuil All-Stars : Jean-Pierre Blanpain et Valérie Dumas, Susie Morgenstern, Mathis, Benoît Jacques (ah, quelle joie de discuter avec Benoît ! j’en sors systématiquement « comme une plante qu’on vient d’arroser », comme le disait Jeanne Moreau à propos d’Orson Welles), Loren Capelli, Sébastien Joanniez, Franck Prévot, Jean-Christophe MenuBruno Heitz, Hubert Ben Kemoun, Kochka, Christian Bruel (même pas trop triste de ne plus Être), Antoine GuilloppéSaraFlorence Thinard, Magnier Himself, Hervé Tullet, Patricia RichardCécile RoumiguièreAnne-Laure Cognet, Emmanuelle Houdart, Marion Hameury (qui est la seule personne en fin de compte à qui j’aurai dédicacé une Séquelle, alors que c’était pour ce livre-là que j’avais fait le voyage… Tant mieux : j’ai pu montrer à Marion une private joke dans le para-texte, qu’elle était à peu près la seule à pouvoir comprendre)…

Et puis, l’occasion est belle de faire des rencontres nouvelles. J’ai passé une excellente soirée avec ma soeur Nadia Roman et l’un de ses amis, l’écrivain oranais (et cependant on ne peut plus parisien) Yahia Belaskri. Nous avons parlé, et ri, et bu, et fumé, et Yahia s’est montré délicieux compagnon, véhément, généreux, drôle. En sortant, très tard, du restaurant, j’admirais de tous mes yeux de provincial ravi Paris la nuit, toute luisante vue de Montparnasse (on apercevait même, c’est dire, la tête de la Tour Eiffel et son faisceau lumineux tournoyant), et tout en marchant nous avons avisé une mendiante, recroquevillée de froid sur le trottoir. Yahia, sans barguigner, a ouvert son portefeuille et lui a donné quelques pièces. Nadia l’a gentiment taquiné : « Bravo Yahia, voilà un geste de bon musulman… » Yahia a répondu, en remontant le col de sa veste : « Ou de bon chrétien, tout aussi bien. La charité est une valeur revendiquée autant par le christianisme que par l’islam. Pour ce qu’ils en ont fait… Autant dire que mon geste était celui d’un bon athée. »

Rien que pour cette seconde de sagesse, récoltée à la volée sur un trottoir de Paname, mon voyage à Montreuil n’aura pas été vain.

Quoi d’autre ? Ah, oui, ceci, encore : sur le stand de Magnier, au salon, mon éditrice m’énumérait quelques-unes des nouveautés de la maison, me recommandant de lire tel ou tel roman, mais en formulant cet avertissement : « C’est très bien mais, je te préviens, c’est très différent de ce que tu écris.
– Oh, tant mieux, si c’est différent, tant mieux… Ce que j’écris, je préfère ne pas le lire ailleurs. Tu sais, je ne suis pas mon écrivain préféré, c’est juste que, ce que j’écris, personne ne l’écrira à ma place. »

À ma place. Ma réplique avait été spontanée, dans le simple fil de la causette, mais, maintenant que me revoici chez moi, j’y repense comme à un résumé très juste, un bilan à-propos. Si l’un dans l’autre je me trouvais bien à Montreuil, pour tout, pour rien, c’est que j’y étais fugitivement à ma place.

Pendant que personne ne regarde

01/12/2010 16 commentaires

Entendu dimanche soir ce dialogue, durant l’auguste émission Le Masque et la Plume, sur France Inter. Les critiques débattent d’un roman de Claudie Gallay intitulé L’amour est une île.

Jean-Claude Raspiengeas (critique littéraire au journal La Croix, il cherche à défendre le livre) : Non… Ce que je crains, là, c’est qu’on en dise le plus grand mal, alors qu’il faut juste descendre de quelques marches… On est face à un type de littérature sur lequel on va émettre des réserves, pour être poli. Je pense simplement que là, il faut abandonner notre appareil critique habituel et accepter ce livre, qui est un livre agréable à lire, qui comporte quelques faiblesses, quelques naïvetés, quelques maladresses… Mais qui, dans son genre, tient la route, voilà, qui parle assez bien d’une histoire d’amour…

Nelly Kapriélian (critique littéraire au journal les Inrockuptibles) : Je ne suis pas du tout d’accord avec Jean-Claude ! Il y aurait des livres pour lesquels il faudrait abandonner un appareil critique et puis pas d’autres ? Surtout, je pense que plus ils ont de succès, plus ils se vendent. Alors pourquoi ne pas appliquer notre appareil critique ? Je ne pense pas qu’on lui fera beaucoup de mal. Et par ailleurs je ne vois pas pourquoi on aurait cette condescendance avec Claudie Gallay. Moi tout simplement je n’ai pas adoré son livre…

Jean-Claude Raspiengeas : Erreur d’interprétation ! Condescendance ? Aucune condescendance ! Je n’accepte pas le mot condescendance !

Nelly Kapriélian : Ah ben tant pis pour toi ! Dire « il faut abandonner son appareil critique pour Claudie Gallay », c’est de la conscendance ! Jean-Claude, tu as été condescendant ! C’est pas bien, de dire ça pour Claudie Gallay, je ne trouve pas ça bien… Elle mérite une critique, comme tous les auteurs ! Je ne vois pas pourquoi… C’est pas un auteur pour enfants, c’est un livre absolument digne, qui mérite une critique, comme tous les autres livres.

Cette énormité a glissé sur les ondes comme lettre à la poste. L’émission a suivi son cours, comme si de rien. Ces messieurs-dames, très sérieux, avaient de plus graves sujets de discorde : le fait de balayer la littérature pour enfants comme impropre à tout discours critique était, quant à lui, consensuel. Il est frappant de constater que les Inrocks, bastion d’exigence esthétique et/ou de branchitude parisienne, rejoint en esprit les poncifs d’une certaine doxa réactionnaire et bien-pensante, ces deux adversaires idéologiques communiant enfin, dans l’éternel déni d’un statut de création, d’art, à tous les objets ce que l’on refourgue aux marmots. La littérature jeunesse comme paillasson devant la porte de la Littérature : tout le monde s’y essuie les pieds sans même y penser, cela nous fait au moins une valeur en commun.

Ceci pour dire qu’aujourd’hui le salon du livre de jeunesse de Montreuil ouvre ses portes. J’y serai dimanche et lundi.