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Archives pour 06/2009

Le livre que vous ne lirez pas cet été sur la plage

26/06/2009 3 commentaires

Ceci est-il un livre ?

Les livres du Fond du tiroir, « pour tout le monde et pour personne », sont discrets, mais cependant débusquables… Si l’on est persévérant, on finit par trouver quelqu’un au bout du fil… Ces livres nés de la cuisse du tiroir ne sont pas un mythe, ils sont en vente, et en conséquence ils sont même vendus, oh pas beaucoup… La crise, partout-partout… Mais enfin, si peu que ce soit, la possibilité d’une transaction commerciale suffit pour que leur destin public soit enclenché… Pour que leur vie de produit soit avérée… C’était encore trop… Je me disais qu’il y avait moyen de faire mieux. Pousser plus loin le bouchon, exacerber l’éclipse, la dissimulation au paroxysme, le geste encore plus gratuit et encore plus sublime…

Eh bien, voilà qui est fait.

Mon dixième livre vient de paraître. Sauf que ce verbe ne convient pas. Mon dixième livre vient de ne pas paraître.

Il s’intitule Reconnaissances de dettes, et il est publié par les éditions du Pur hasard, qui n’existent pas. En quatrième de couverture, un code-barre, un ISBN, un prix (15 euros), une adresse web (www.purhasard.fr), une mention de dépôt légal… Respect : tout ceci est pure fiction. Pourtant le livre est bel et bien là, entre mes mains, je peux l’ouvrir, le lire… Lire un livre qui n’existe pas, quelle étrange, et vertigineuse, et borgésienne expérience.

De la même façon strictement qu’avec mes neuf précédents, je suis fou de joie en le sortant du paquet, ah de quoi rire tout seul, ah j’ai fait ça, je l’empoigne, le feuillette, redécouvre mon texte mis en forme… Et de la même façon toujours, je tombe fatalement sur une page, une phrase, un mot, où ma bouche se pince, zut, scorie, je n’aurais pas dû laisser passer, il a manqué une ultime couche de correction… Oh, je connais fort bien les symptômes… Ici, ils sont à blanc. Puisque ce « livre » n’est que pour moi.

Voilà toute l’histoire. En janvier dernier, je reçois ce mail :

Bonjour,
Je suis étudiante en troisième année d’édition au pôle « métiers du livre » de Saint Cloud, et je suis à la recherche d’un texte, ou plus exactement d' »écrits personnels » pour un projet éditorial qui consiste à éditer un texte (qui n’a jamais fait l’objet d’une publication) dans le cadre de mes études. Je recherche donc un roman personnel, une auto fiction, un journal, une autobiographie, un carnet de bord, des poèmes, recueils de chansons etc., en définitive, tout ce qui s’attache à ce sujet d’écriture de l’intime (je suis très ouverte quant à la forme de ces écrits pourvu qu’ils m’intéressent) en vue de les travailler, de les mettre en page et d’en imprimer un ou plusieurs exemplaires.
Ayant particulièrement apprécié
TS, je me demandais si vous auriez ce type d’écrit et, le cas échéant, si vous seriez d’accord pour me les « prêter », me les soumettre.
Il est évident que cela ne représente pas une vraie publication et que le travail d’auteur ne sera pas rémunéré (le travail abouti de sortira pas de l’université, il s’agit juste d’un exercice, il n’est en aucun cas question de violer les droits d’auteur).
Si mon projet retenait votre attention, n’hésitez pas à me contacter pour de plus amples informations.
Cordialement
Marion Hameury

Je réponds immédiatement : ah oui, bien sûr, très volontiers, j’ai ce qu’il vous faut. Je vous confie un texte intime et délicat, important extrêmement pour moi, dense, méticuleux et foisonnant, rédigé petit à petit sur une longue période (1998-2002), du temps où j’écrivais mais où personne ne me prenait pour un écrivain, ce qui évitait tout malentendu… Un projet vital à un moment donné, « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur » (Jean-Jacques – pour lire la citation entière c’est par ici), par bien des points la matrice de tout ce que j’ai pu écrire par la suite, publié ou non – Opus dix ? Plutôt Opus Zéro… et je ne souhaite absolument pas voir cette somme publiée, MÊME, c’est dire, au Fond du Tiroir. L’objet s’intitule Reconnaissances de dettes. Faites-en bon usage.

Elle en a fait bon usage. Aucune nouvelle pendant cinq mois… Enfin, un nouveau mail :

Je reviens vers vous maintenant que le projet est imprimé.
Nous vous avons réservé un exemplaire, aussi, si vous vouliez bien me donner votre adresse postale, je pourrais vous l’envoyer afin que vous puissiez voir notre travail, qui est en définitive le résultat du vôtre.
Je profite de ce mail pour vous dire combien il a été intéressant et enrichissant de travailler sur vos textes,
Reconnaissances de dettes et Journal de tournée, ce que nous comptons mettre en avant lors de notre soutenance (durant laquelle nous expliquerons à nos professeurs les raisons de nos choix éditoriaux).
Je vous remercie de la confiance que vous nous avez accordée en nous confiant vos manuscrits et soyez certain que nous avons veillé à ce qu’ils ne sortent pas du cadre de notre cours d’édition.
Cordialement,
Marion Hameury

Je vous reprends là où j’en étais : devant ma boîte aux lettres, je sors le volume du paquet… Le travail éditorial est soigné, le graphisme de la couverture pertinent (une vieille caisse enregistreuse greffée sur une machine à écrire)… For my eyes only. Je suis content. Comme je ne suis pas chien (ou alors, allez savoir, parce que je suis chien spécialement vicelard, soucieux  de parfaire la frustration), je vous recopie la quatrième de couve de ce livre que vous ne lirez pas :

On ne meurt pas de dettes, on meurt de ne plus pouvoir en faire.
Louis-Ferdinand Céline

À la manière du Je me souviens de George Perec, Fabrice Vigne compose un inventaire de 100 dettes, emprunts ou empreintes, autant de facettes de son existence que l’auteur explore à travers ce jeu oulipien. Il existe en effet un point commun entre Barbe-Bleue, Hemingway, le jazz, et le vol d’un stylo : tous on laissé une trace dans sa vie, et sont les créanciers de sa personnalité.
Une partie en trois manches dont la dernière s’étiole pour finalement s’interrompre en cours de jeu.
Fabrice Vigne est né en 1969 dans l’Isère. Proclamé « auteur jeunesse » suite à la publication de son premier roman,
TS, il aime jouer sur l’ambiguïté des catégories et brouiller les pistes, n’hésitant pas à s’aventurer hors des sentiers battus de la littérature conventionnelle et linéaire. Il est le fondateur d’une structure d’auto-édition, le Fond du Tiroir.

Moi qui, généralement, préfère avoir la main sur les quat’ de couv’, je trouve celle-ci plutôt bien torchée, et je souhaite à Marion de décrocher une bonne note à son examen, puis une longue carrière dans le monde de l’édition, milieu fort difficile où il convient de s’endurcir le cuir (cf. cet article rédigé par le Syndicat Interprofessionnel de la Presse et des Médias, SIPM). Bonne chance à elle !

Et surtout, grand merci. Je suis ravi, comblé. Mon dixième livre n’est que pour moi. Je ne manquerai pas, désormais, de mentionner ce titre introuvable chaque fois que l’on me réclamera ma bibliographie, riant sous cape à l’idée que quelqu’un, quelque part, peut-être, essaiera de dénicher cet Opus X fantôme. Où diable cette passion de l’occulte va-t-elle me mener ?

Bon ! Cette fois il n’y a plus moyen de faire mieux. Pour qu’un livre existe encore moins, il faudrait ne le point écrire, et je ne me résous tout de même pas à cette extrémité. Je retourne au boulot, requinqué. J’ai un livre à écrire. Qui, si tout se passe bien, paraîtra. C’est bien aussi (moue et haussement d’épaules).

Une petite réserve, toutefois. J’avais confié à la demoiselle deux textes, tous deux intimes, mais très différents dans leur nature, en lui demandant de choisir… Elle a choisi de ne pas choisir, et à composé le volume en accolant les deux textes. Je ne suis pas certain de la pertinence. Les Reconnaissances de dettes étaient un projet spécial, très spécifique formellement, alors que le Journal de tournée était d’une teneur plus classique, et aussi plus brut, sans lecteur en ligne de mire, par conséquent sans le souci d’expliquer les références personnelles. Ainsi, je découvre, en le relisant aujourd’hui, la phrase « Je suis le chat qui fait baw-waw » sans le moindre commentaire de texte, donc rigoureusement incompréhensible. Je m’amuse à souligner, à l’attention de personne, que, cette explication manquante, je l’ai donnée des années plus tard, dans un des premiers articles du blog. Décidément, mes références ne changent pas tellement, avec les ans. Mon goût est fait. Pour cette constatation, intime s’il en est, merci encore, Marion.

[Coup de théâtre sept années plus tard : l’idée a fait son chemin et le Fond du Tiroir a publié en douce une édition définitive des Reconnaissances de dettes.]

M le Menu

19/06/2009 un commentaire

portrait signé David Rault

JC Menu : voilà un homme.

Lorsque, pérorant à propos du FdT (l’un de mes sujets favoris), j’éprouve le besoin d’invoquer un auteur devenu éditeur par viscéral besoin d’émancipation, d’intégrité, de liberté, je cite volontiers Benoît Jacques ; mais en fin de compte, dans ce registre, le Menu est peut-être une figure tutélaire plus importante encore(1). Alors que Benoît Jacques n’édite que lui-même, cowboy solitaire, Menu a les épaules d’un porte-drapeau (c’est lourd un drapeau, il faut des épaules), et il a initié une émulation longue, large et profonde, une collective lame de fond où ont trouvé leur place quantité d’auteurs (parmi lesquels Benoît, d’ailleurs).

Évidemment, mon cas personnel s’inscrit plutôt, représentatif d’exclusivement moi-même au creux de mon Tiroir sur mesure, dans le sillage de Benoît… Et c’est pourquoi je le cite spontanément en tant que modèle… Cependant je revendique fermement l’influence de Menu.

Jean-Christophe Menu, homonyme sans parenté de la présidente du Fond du Tiroir, est pour mémoire le co-fondateur et principal animateur de l’Association, cette maison d’édition capitale, qui a montré par l’exemple et par la ténacité que les livres, les bandes dessinées en l’occurrence, pouvaient être autre chose que ce que l’on s’attend à ce qu’elles soient.

Voilà plus de vingt ans (oui : Meder, 1988) que je ne manque rien de son œuvre protéiforme, et même doublement protéiforme, c’est dire s’il y a de quoi manger : auteur passionnant (avez-vous lu le Livret de phamille ? Les Lock groove comix ? qu’attendez-vous, bon sang ?) et éditeur irremplaçable (les trois volumes de l’Eprouvette, quelle somme ! quelle corne d’abondance ! et l’OuBaPo ! et Lapin !). Au sein de sa bibliographie, je fais la fine bouche seulement devant les Plates-bandes, pomme de discorde certainement salutaire mais qui ne méritait peut-être pas un livre. Car Menu, en outre, est un graphiste qui soigne ses objets : le livre a de la valeur ; est une valeur. Je trouve qu’il y a dévaluation du livre avec les Plates-bandes, texte contingent, lisible mais pas relisible, bah, peu importe.

Un récent entretien paru sur le site du9 présente un Menu toujours aussi stimulant. C’est bien simple, l’écouter parler, moi, ça me donne envie d’en faire, des livres. Depuis vingt ans, presque.

Dans cet entretien on peut lire notamment ceci, position radicale, provocation primesautière, par conséquent vitamine pour l’esprit, que je me fais un plaisir de copiercoller, juste parce que ça faisait longtemps que je n’avais pas parlé de « littérature jeunesse » :

« L’Association n’a jamais fait de la jeunesse. Parce qu’on trouvait qu’il y avait plein de gens qui le faisaient déjà bien, et que faire une collection « jeunesse » à L’Association ça n’aurait pas eu de sens. On nous a souvent demandé pourquoi on ne l’avait jamais fait (…) Il y a déjà trop de choses à faire, il y a une sorte de sélection naturelle pour ce qui ne se fait pas. Et puis d’ailleurs je suis plutôt contre le fait de concevoir des livres réservés aux enfants. Ils n’ont qu’à tout lire !« 

(NB : lors d’une conversation avec Thierry Lenain, à propos du projet de ce dernier de créer une structure éditoriale « jeunesse » alternative, gérée par les auteurs eux-mêmes, je lui avais dit « Il faudrait pour cela une sorte de Menu… » Mais qui en aurait la carrure ? Thierry lui-même, c’est possible. Certainement pas moi !)

(1) – J’ajoute cette note parce qu’entre temps, un souvenir d’enfance m’est revenu… Un autre cas de bande dessinées éditées par l’auteur… Chez mes parents, quand j’étais petit, traînaient les volumes des Frustrés auto-édités par Claire Bretecher. Pourtant je savais (je m’intéressais déjà à ces choses) que Bretecher était éditée ailleurs, chez Dargaud… Sans aucun doute, l’exemple de Bretecher, auteur considérable qui choisit la voie de l’édition personnelle par souci d’indépendance, m’a également nourri.

Le Fond du tiroir, deuxième époque

02/06/2009 un commentaire

tiroir sans fond (merci Cécile)

J’annonce un tournant dans l’histoire.

La première époque du Fond du tiroir est désormais close. Pour mémoire, elle aura duré un an et 5000 euros. Rappel de l’origine : une somme de 5000 euros m’échoit par surprise grâce à l’un de mes livres ; je décide d’engloutir la somme dans la conception d’autres livres, en un geste joyeux de flambante et flamboyante liberté. Mission accomplie : un an de consumation plus tard, mon bilan comptable établit grossièrement que les quatre ouvrages publiés par le FdT (toujours en vente), à savoir l’auto-crypto-portrait nocturne ; la carte de vœux tout-en-un/faire-part de naissance/avis de décès ; l’abécédaire en authentiques couleurs charnelles ; et le reportage viscéral en plein non-lieu, m’auront côuté quelques 8000 euros, et rapporté 3000. La cagnotte dépensée, passons à autre chose.

La seconde époque s’ouvre aujourd’hui. Les statuts de l’association loi 1901 « Le fond du tiroir » ont été déposés à la préfecture la semaine dernière. La présidente de l’association est Laurence Menu (merci beaucoup madame la présidente – vous pouvez en cas de besoin lui écrire à l’adresse presidente(arobase)fonddutiroir.com) ; le secrétaire en est Laurent Vigne (tiens ? ce nom me dit quelque chose) ; et la trésorière Sylvie Villecourt (tiens ? celui-ci aussi).

Dès que l’association aura son compte en banque, nous pourrons déclarer ouvertes les adhésions. Mais oui, mesdames et messieurs, vous pourrez adhérer au Fond du tiroir, pour la somme dérisoire de 5 euros. À quoi bon ? Eh bien, l’adhésion vous procurera, outre la superbe carte de membre en relief confectionnée par l’habile factotum de la maison, outre les 5% de remise que l’on vous offrira désormais gracieusement sur les ouvrages du FdT (non, vraiment, je ne peux pas faire davantage, la loi Lang, vous comprenez, et puis la crise, partout-partout), vous en tirerez l’inappréciable satisfaction de soutenir cette jeune structure de création et d’encourager ses prochaines publications.

Quant à moi, je confie à l’association les stocks de livres, et je me retire. Je vais travailler un peu.

Je m’en vais, donc, sans annoncer de date de retour. Les interventions sur le blog seront rares dans les mois qui viennent. Je sais, j’ai déjà fait mes adieux plusieurs fois ici, pas la peine de me chambrer, hein ! J’ai le droit de m’en aller ET le droit de me contredire si jamais je reviens dans trois jours. Je vous f’rai dire que « Parmi l’énumération nombreuse des droits de l’homme que la sagesse du XIXe siècle recommence si souvent et si complaisamment, deux assez importants ont été oubliés, qui sont le droit de se contredire et le droit de s’en aller. » (Charles Baudelaire, Préface à sa traduction des Histoires extraordinaires de Poe.)

Un peu d’accordéon avant de nous quitter : connaissez-vous Chamboultou ? Ce n’est pas que le titre d’un album des Têtes raides, c’est aussi le nom d’un petit groupe de « punk champêtre » disent-ils, en Normandie, un peu comme les Glaviots dans une chanson des Wampas… Ils ont commis une jolie chanson au titre évocateur, très écoutable ci-dessous :