Archive

Archives de l'auteur

Aménagement du territoire

08/03/2013 Aucun commentaire

(L’aimable illustration ci-dessus est sans lien avec ce qui suit. C’est juste qu’entre temps le 8 mars nous tombe dessus, et que je souhaite contribuer, ne serait-ce que d’un geste, à la Journée de la femme.)

Madame, monsieur, chers administrés.

C’est dans un contexte de crise partout-partout, tel qu’il touche aujourd’hui chacune et chacun, qu’il nous revient d’aller de l’avant avec détermination. Aussi, dans le cadre d’un partenariat programmé de territorialisation des axes prioritaires, favorisant la mise en valeur des talents et aspirations légitimes des populations rurales, et du projet innovant de démocratisation participative doublé du développement citoyen, impactant fortement le réseau social riche de ses différences en dépit d’implications accusant de fortes disparités régionales, MAIS, naturellement, sans la moindre langue de bois, que le Fond du tiroir s’est brusquement souvenu qu’il habitait quelque part. Il a donc décidé qu’il s’ancrerait dans la proximité, et qu’il tiendrait stand lors de la prochaine fête de son village, dite Foire aux escargots, le samedi 16 mars prochain.

Charabia de côté, la perspective est plaisante : un stand juste à côté de chez moi. Comme si je changeais seulement de pièce. J’irai à pied, tiens, empreinte carbone zéro, simplement muni de ma valise à roulettes chargée de livres. J’espère qu’il fera beau. Je siffloterai sur le chemin, transportant, pieds ailés, le fruit de mon petit artisanat. J’aurai aussi fière allure que, je ne sais pas, mettons, me vient une autre image épique et poétique de l’aménagement du territoire culturel, un bibliothécaire dans une pirogue.

D’après le programme, je ferai stand commun avec Stéphane Girel, illustrateur invité par la bibliothèque. Je ne connais point l’homme, mais j’apprécie de longue date les livres, notamment ceux qu’il a faits avec Rascal.

Et dans le même mouvement, pour mieux faire connaissance avec les autochtones, le journal local intitulé Le Bruyant m’a commandé un petit texte de présentation de la singulière association loi-1901 sise sur la commune, Le Fond du tiroir, et de ses activités. J’ai écrit ceci, qui ne devrait être pour vous qu’un résumé des épisodes précédents :

J’ai publié mon premier livre en 2003 (TS, éditions l’Ampoule).
Ont suivi quelques autres titres ici et là (Jean Premier le Posthume ed. Magnier 2005, Voulez-vous effacer/archiver ces messages ed. Castells 2006…).
Le tournant a été Les Giètes (ed. Magnier, 2007), photoroman écrit à partir de photos d’Anne Rehbinder, qui a connu un certain retentissement. Il a reçu le prix Rhône-Alpes du livre jeunesse 2008, et cette reconnaissance a eu au moins deux conséquences : primo les projecteurs braqués sur mon roman m’ont donné envie de le faire vivre autrement, et je me suis lancé dans le spectacle vivant, avec un ami musicien, Christophe Sacchettini. Depuis tantôt cinq ans nous tournons le spectacle adapté du roman, et je me suis entre temps diversifié en donnant des lectures, musicales ou non, de divers autres de mes textes.
Secundo, le fameux Prix Rhône-Alpes du livre était doté d’une forte somme, que j’ai décidé d’engloutir en 2008 dans la création d’une maison d’édition associative, au sein de laquelle je publierais ce que bon me semble, comme bon me semble. Depuis, ce terrain de jeu nommé Le Fond du tiroir et doublé d’un blog du même nom, est presque devenu mon unique éditeur (dix titres actuellement au catalogue, soit deux parutions par an).
Même si le Fond du tiroir est un projet très personnel avant tout destiné à donner forme à mes propres textes, il est loin d’être autiste : il est avant tout un lieu de rencontres où je m’épanouis dans le jeu et la collaboration avec diverses personnalités choisies, qu’elles soient poète et éditeur (Hervé Bougel), photographe et graphiste (Patrick Villecourt), dessinateur de bande dessinée (Philippe Coudray), artiste-graveuse (Marilyne Mangione), ou illustrateur tout-terrain (Jean-Pierre Blanpain, pour les deux derniers livres parus en 2012 : « Double tranchant » et « Lonesome George »).
Mon projet en cours : un roman d’épouvante intitulé Vironsussi qui est aussi un spectacle, réalisé en compagnie du musicien Olivier Destéphany et du dessinateur Romain Sénéchal.

Saint Père intérimaire

04/03/2013 Aucun commentaire

Cela pourrait avoir un lien, peut-être, avec la récente défection de Ben Sixteen (on ne sait jamais, s’il prenait l’envie à la curie de me filer le job). Plus sûrement s’agit-il d’une réminiscence d’un souvenir : il y a quelques années, pour l’enterrement de ma grand-mère, j’ai pris la parole face à une église bondée. Sans m’en rendre compte sur le moment, moi qui suis laïcard en diable-dans-un-bénitier et qui souhaitais un laïus le plus détaché possible des rites catholiques, je comparais la défunte à Marie, alléguant qu’elle avait traversé le plus grand chagrin qui soit, celui de voir mourir son fils.

Bref, sans savoir au juste pourquoi, cette nuit j’ai rêvé ce qui suit.

Un enfant est mort. La messe d’enterrement doit avoir lieu. Je remplace au pied levé le curé, qui s’est défaussé, prétextant qu’une mort d’enfant lui est insoutenable et le ferait même douter de sa foi. Pourtant il faut bien que le spectacle ait lieu puisque le public est assemblé dans la salle. Il se trouve que je connais les circonstances de la mort du garçonnet, j’étais présent, j’ai assisté à ses derniers spasmes, j’ai vu son agonie, son dernier hoquet et son vomi. Il faut bien que quelqu’un fasse le sale boulot, je me dévoue, je monte en chaire, c’est moi qui vais dire la messe. Le silence se fait, on n’entend que mes pas sur le marbre. Je me racle la gorge. Je déploie sur un pupitre les notes que j’ai prises. Enfer ! Il ne s’agit pas du brouillon de mon homélie, mais de toutes les notes qui doivent me servir à la préparation de la reprise du spectacle Du sang sur l’archet à l’automne prochain. J’essaie à toute vitesse de comprendre les liens possibles entre les deux affaires interverties… Les rapports entre ces deux choses comme entre toutes les choses me paraissent évidents, limpides, analogies à l’infini, mais je ne parviens pas à mettre de mots dessus, j’en suis désespéré, je ne peux que me concentrer sur les apparences, le concret, la couleur claire du bois de mon pupitre. À force de concentration, il me semble que ce garçon devait assister au spectacle, nous en avions parlé ensemble, c’est ça, je le tiens le rapport, il n’y sera pas, c’est triste, mais que dire de plus ? Il ne me reste qu’à improviser. Je prononce dans mon micro-casque : « La grand-mère de ce pauvre petit garçon disait souvent, et elle aurait pu vous le dire à ma place aujourd’hui même si elle n’était pas morte… » J’entends alors une voix s’élever des rangs de la nef : « Mais qu’est-ce qu’il raconte, ce con ? Ce n’est pas vrai, je suis vivante ! » Je panique, je transpire, je ne sais pas comment enchaîner, je suis dans de beaux draps, heureusement je me réveille.

Un imbécile

24/02/2013 Aucun commentaire

Vers la fin des années 80, alors que j’étais étudiant, l’un de mes meilleurs amis, hasard de campus, d’affinités, et de couloir de résidence universitaire, était syrien. Il s’appelait Ammar. Pendant quelques années, Ammar et moi avons ri ensemble, et parlé et mangé et joué et dragué et chanté du Joe Dassin. Ammar est le premier à m’avoir expliqué calmement ce qu’était l’Islam (il me semble que le climat global autorisait sur ce sujet des conversations moins tendues qu’aujourd’hui), j’ai même presque fait un ramadan avec lui, juste pour voir l’effet que ça faisait, chaque soir j’étais le bienvenu à rompre le jeûne avec lui, c’était joyeux et chaleureux, instructif sans le moindre prosélytisme. Ensuite, il est rentré chez lui son diplôme d’ingénieur en poche, et moi aussi j’ai fait comme j’ai pu, j’ai vécu, et nous nous sommes téléphoné ou écrit de très loin en très loin.

Depuis deux ans la guerre civile fait rage en Syrie. Nous l’entendons, nous la voyons. Voyant, entendant, je dépose un prénom, un visage, sur cette actualité, qui soudain devient proche. Et j’étais très anxieux en pensant à mon ami et à sa famille, son adresse mail ne répondait plus. Enfin, il y a quelques jours, j’ai pu renouer avec Ammar grâce à ce blog. Il a retrouvé mes coordonnées au Fond du tiroir, et m’a envoyé un message blagueur : Eh oui mon pote, j’aurais droit à un livre gratuit à notre prochaine rencontre puisque je suis né en 1969 ! Ensuite nous avons causé par Skype, c’est drôlement bien Skype, on peut voir les gens, ils bougent, ils sont vivants, j’étais rassuré, mais pas entièrement. Il vit à Damas, relativement à l’abri, mais la guerre est à sa porte, ses enfants ne sortent plus de son appartement, et il cherche à quitter le pays, il entreprend des démarches, il attend.

Mais depuis, plus rien. Il ne répond à nouveau plus. Cela fera bientôt un mois. S’il lit ceci, qu’il m’envoie un petit mot ! J’attends.

Que faire contre la guerre, sinon attendre ? Et en attendant, se réciter un peu de poésie ? La poésie d’un imbécile, tiens.

Foi, incroyance, rumeurs colportées,
Coran, Torah, Évangile
Prescrivant leurs lois …
À toute génération ses mensonges
Que l’on s’empresse de croire et consigner.
Une génération se distinguera-t-elle, un jour,
En suivant la vérité ?
Deux sortes de gens sur la terre :
Ceux qui ont la raison sans religion,
Et ceux qui ont la religion et manquent de raison.
Tous les hommes se hâtent vers la décomposition,
Toutes les religions se valent dans l’égarement.
Si on me demande quelle est ma doctrine,
Elle est claire :
Ne suis-je pas, comme les autres,
Un imbécile ?

Ces vers sont du poète syrien sceptique Abu-l-Ala al-Maari (973-1057). L’Institut du Monde arabe vient de consacrer une journée de solidarité avec le peuple syrien, dédiée à ce poète sceptique. J’en viendrai à penser que le scepticisme pousse à la paix, la foi à la guerre. Enfin, je dis des généralités, et pendant ce temps la guerre continue. Abu-l-Ala al-Maari était sceptique quoique savant, aveugle mais éclairé. Parce que la lumière, pas plus que le fanatisme, ou la poésie, n’a d’époque, ni de patrie, ni de religion.

Éloge de la série B

23/02/2013 Aucun commentaire

Ça y est : j’ai écrit et interprété une histoire d’épouvante. J’ai pris, à me transformer en monstre, un pied lui-même monstrueux. Je n’étais même pas sûr d’être capable de donner dans le genre fantastique, pour la bonne raison que je pâtis de mes études. J’ai l’impression de savoir comment ça marche, j’ai le citron farci d’éxégèse, de schémas narratifs, de structures quinaires, de Vladimir Propp, CLS et consorts, et toutes ces dissections théoriques, que je suis loin de renier, m’inhibent, brident fatalement l’imagination : au moment de bricoler ma terreur, ma malédiction, ma scène atroce où un pauvre type bascule dans la folie et libère la créature infernale en lui, je me dis oh la la j’ai déjà vu et lu ça douze mille fois, quel cliché, quelle pauvreté, le (vrai) démon de mon coeur s’appelle à-quoi-bon comme disait un écrivain qui justement a écrit quelque chose à propos de Satan, ton loup-garou est en carton-pâte, laisse tomber vieux, tu viens de réinventer l’eau tiède, tiens si tu allais plutôt faire un sudoku et boire une bière…

Je ne remercierai jamais assez Olivier Destéphany, co-auteur sur ce coup-là (en plus d’être compositeur) de m’avoir entraîné sur ce terrain. Nous l’avons faite, notre scène de transmutation, oh oui pas à moitié, et nous avons exulté. Le concert (orchestre à cordes dirigé par Christine Antoine) a été fabuleux et quant à moi, sans me vanter, humblement au contraire, je me suis montré à la hauteur du petit gars Stan, dans Jean Ier le Posthume : j’y ai cru, à mon conte fantastique, donc je l’ai fait croire.

Vive l’histoire qu’on raconte pour la joie de l’histoire. Vive la série B. Vive l’épouvante, vive le cauchemar et le frisson primitif, vive le premier degré et les EC comics, vive Roger Corman et les hurlements déchirants au plus noir de la nuit. Comme un conte, et d’ailleurs ce sont des contes, les histoires de genre sont à réinventer à chaque fois qu’un nouveau conteur les susurre ou les hurle à un nouvel auditeur. Les clichés n’existent pas, n’ont jamais existé, puisque l’émotion est neuve à chaque fois.

Vironsussi est un « travail en progression » comme on dit en anglais. La première phase s’est achevée, et a donné ceci. Reste à ne pas mollir, à concrétiser la suite, le livre avec Romain, le CD avec Olivier, etc. À suivre. (Ouah, rien que ça, À suivre, dans ces deux mots toute l’excitation du roman feuilleton…)

Reddition ? Jamais ! Réédition !

15/02/2013 un commentaire

Manu Larcenet étant né la même année que moi, il est logique que nous ayons également bénéficié des même reports puis accompli notre service militaire à la même période. Il a tiré de son année sous les drapeaux un livre :  Presque, ed. Les Rêveurs. Quand je l’ai lu, je lui en ai été reconnaissant. Il avait chargé ses images et ses mots d’impressions que j’avais ressenties viscéralement (même si mon expérience de la bidasserie fut sensiblement moins tragique que la sienne) mais que j’aurais été moi-même incapable d’exprimer. « Le système avait fonctionné : j’étais mentalement assez fragile et malléable pour devenir soldat ou fou » .

Je me rappelle cette impression générale d’hébétude et d’endurcissement. Je me rappelle cet état second dans l’uniforme, et aussi cet état troisième par la grâce de la circulation « tolérée » de substances modifiant le cerveau, alcool, shit. Je me rappelle cette violence partout, latente jusqu’à ce qu’elle ne le soit plus, cette loi de la jungle qui se fait passer pour républicaine, ce décervelage programmé (je retiens cette forte maxime d’un adjudant : « Ne réfléchissez pas. Un soldat qui réfléchit commence à désobéir »), cette perte de soi, et après coup cette rupture totale qui rend autiste une fois de retour dans la vie civile, lorsqu’on peine à entrer en contact avec ses proches, un peu comme dans les premières pages de La peau et les os d’Hyvernaud…

Presque mérite d’être lu aujourd’hui. Pas seulement parce qu’il préfigure de façon troublante certains aspects de ce sale chef d’oeuvre qu’est BLAST. Aussi pour sa valeur documentaire. Le service militaire n’existe plus depuis 1998, année de parution de Presque. Depuis près d’une génération, les jeunes hommes ne subissent plus ce brutal et archaïque rite de passage dans l’âge adulte, ce bizutage qui se prolongeait un an. Tant mieux. Sauf qu’ils risquent de ne pas très bien comprendre de quoi on parle… Allez dire ça aux jeunes, ils ne vous croiraient pas. La quoi ? La conscription ? Autant leur raconter la bataille de Bouvines. Heureusement, restent les témoignages imprimés du temps passé. Qu’ils lisent Presque.

Presque a été régulièrement réédité, et Larcenet s’est fendu d’une postface nouvelle, dont sont extraites les trois cases ci-dessus, où il commente davantage la réédition que le livre lui-même. Il dit, le nez couperosé comme il aime à se dépeindre, « Quand vous serez comme moi au milieu du parcours (…) Vous aussi vous redouterez la mort… Celle de vos livres, tout aussi bien ! Fussent-ils médiocres ! »

Ah, tiens. Je me souviens justement que je citais le nom de Larcenet dans Le Flux, témoignage imprimé du temps passé et à venir, écrit pour célébrer le « milieu de mon parcours ». Ce mini-livre, deuxième parution du FDT, paru en 2008, était épuisé depuis l’an dernier. Ma première intention était de le laisser dans cet état, souvenir, introuvable, emporté à son tour dans le Flux, ton sur ton, c’était justice. Et puis non. Pas envie de le laisser mourir, finalement.

Je viens donc de le réimprimer à l’identique, c’est-à-dire superbe, et il figure à nouveau au catalogue. Selon la logique économique Triple A du Fond du tiroir (Ahurissant Asile d’Aliénés), ladite plaquette conserve son dérisoire prix d’origine, 3 euros, quand bien même ce retirage d’appoint, très limité, engendre un prix de revient par exemplaire légèrement supérieur à cette somme. C’est-à-dire que je le vends à perte. Peu importe : de toute façon j’ai toujours bien plus largement offert le Flux que je ne l’ai vendu, je ne me le figure pas tout à fait comme un livre, plutôt comme une carte de visite de luxe. Je continuerai donc de le donner gracieusement, jusqu’à épuisement des nouveaux stocks, à quiconque m’est sympathique et/ou me prouvera, justificatif à l’appui, qu’il est bien né en 1969 (ce cadeau est possible aussi par correspondance, contre un timbre à 1,05 euro). J’aimerais, pour cette raison, l’adresser à Manu Larcenet. Si quelqu’un a son adresse…

Sexe et violence

13/01/2013 Aucun commentaire

2013, retour aux fondamentaux : sexe et violence pour tout le monde, c’est ma tournée ! Pour mes deux premières apparitions publiques de l’année, je donnerai ici dans l’érotisme, et là dans le gore.

Sexe : le vendredi 25 janvier à 19h, j’inaugurerai le cycle Lectures clandestines au Lys noir, 1 rue des Clercs à Grenoble, où je procèderai à la lecture d’ABC Mademoiselle avec mademoiselle (il est désormais défendu de dire « mademoiselle » paraît-il, je m’en fous, j’aime ce mot, j’en ai même fait le titre d’un livre, alors je continuerai à m’en servir) Marilyne Mangione, qui expose pour l’occasion les originaux de l’ouvrage sur les murs de ladite échoppe. Dans la foulée je lirai, je crois, des poèmes et proses de mon érotomane préféré, Pierre Louÿs, que je puiserai dans des livres admirables et précieux tels que Les Chansons de Bilitis, Trois filles de leur mère, Douze douzains de dialogues, Manuel de civilité pour les petites filles et même, pour finir, car dans un coït le crescendo fait tout, l’hallucinant Pybrac. Ceci avec la complicité de mademoiselle Vanessa Curton et de mademoiselle Nathalie Tjernberg, et l’amicale participation du comédien Eric Trung Nguyen. Réservations au 06 10 02 67 57.

Violence : le mardi 19 février à 20h dans l’auditorium l’Odyssée d’Eybens, mon camarade et maître Olivier Destephany et moi-même exécuterons sauvagement la lecture musicale de Fais-moi peur saison 3, Du sang sur l’archet, avec le soutien de l’orchestre à cordes Les Aventuriers de l’archet perdu (direction Christine Antoine). Ou l’histoire sanguinolente mais bien sentie d’un pauvre contrebassiste qui se transforme en loup-garou en pleine représentation du Requiem de Mozart, mésaventure qui hélas arrive tous les jours, on ne le sait pas assez. L’affiche dans le plus pur style films-de-la-Hammer ci-dessus est signée Romain Sénéchal, avec qui je n’ai pas fini de travailler.

Je précise que ces deux happenings seront à entrée libre et but non lucratif. J’avais initialement songé à faire de 2013 l’année Sexe, violence et pognon, mais finalement c’eût été abuser de démagogie, le sexe et la violence sont encore meilleurs s’il s’agit d’actes gratuits, venez donc nombreux et sans votre carnet de chèques. Sauf si vous tenez à acheter des livres, bien sûr.

2013 année zéro

04/01/2013 2 commentaires

Tout reste à faire, aucun acquis, nul ne m’attend, manches troussées. Je repars à zorro, babaille lypémanie, je vise en riant le ventre du gros sergent 2012, je signe à la pointe de l’épée, fuit fuit fuit.

Le Tiroir est douillet, chauffage central et murs capitonnés. Je m’en vais hiberner, rendez-vous au printemps. Adieu ! Si tout se passe bien j’en sortirai grandi, j’aurai écrit du substantiel. Mon plan de travail pour 2013 : aboutir deux gros livres ainsi que, pour m’amuser, deux petits. Ah ah ! Jamais, jamais, jamais réussi à me tenir cette sorte d’agenda pain-sur-la-planche… J’en dresse encore pourtant, j’y crois, naïf comme un bleu-bite, c’est bon signe, je ne suis pas si décati que ça finalement.

Le prochain livre mis en chantier par le FdT sera une triple première : un roman de genre (pour me dégourdir l’imagination) ; un livre CD (parce que la musique, bon sang, la musique) ; un livre co-écrit avec un musicien (pour les deux raisons pré-citées). Nous l’éditerons peut-être à l’automne, ou alors plus tard, ou alors jamais, on verra, on s’en fout, on est insoucieux de tous les équipages, je vous en souhaite autant, joyeux 13 radieux, à plus tard, je vous embrasse sous le gui.

(La vérité, c’est que j’adore le gui. C’est une plante ingrate, pas très jolie, parasite, sans racines, toxique, férocement éliminée comme une vulgaire ortie, mais en hiver elle est aussi belle que le sapin (de noël) et pour les mêmes raisons : elle est vivace, elle s’accroche, elle pousse alors que le reste de la nature dort si profondément qu’on pourrait croire que tout a succombé et pour toujours. Pas étonnant que l’un comme l’autre soient utilisés dans nos rituels de saison, à proximité du solstice : on leur confie l’incarnation de notre espoir dans le renouveau, la renaissance, au pire l’adaptation, au mieux l’exultation, promise pour plus tard, après la neige. J’aime me promener dans la forêt l’hiver, lever la tête vers le ciel vide et blanc, et voir les arbres secs, dégarnis, chauves, inertes, mais pourtant ornés ici et là d’une grosse boule broussailleuse de gui. C’est une vision bizarre, surnaturelle, une portée d’œufs extraterrestres couvés à notre insu, et rassurante en même temps, la vie dans la mort, le yin dans le yang. En décembre dernier je suis allé en forêt, j’en ai ramené du gui que j’ai accroché sur ma porte. Je crois surtout que j’aime bien les rituels, au fond. Et puis j’aime aussi le Winterreise de Schubert mais il n’y a peut-être pas de rapport.)

Voici, en exclusivité, ma tête de 2013 :

Petit cahier, grands carreaux

30/12/2012 Aucun commentaire

J’aime retourner à l’école, c’est une fibre que j’ai, fortement chevillée, je crois en peu de choses à part l’école, je l’ai dit maintes fois, dont quelques vibrantes. Ce mois de décembre finissant m’a vu, sous la neige, accomplir ma dernière intervention littéraire en milieu scolaire avant très longtemps, au moins un an, peut-être deux. Attendu fébrilement comme le prophète caché (pas celui en vert, le rouge, là, avec la houppelande), j’ai rendu visite à deux classes d’une école primaire de Grenoble, exercice d’autant plus excitant que je n’en ai guère l’habitude, plus coutumier des collèges et lycées. J’en ai rapporté plein de jolies choses. Le dessin ci-dessus à la manière de Ph. Coudray, le poème ci-dessous à la manière de Desnos et de moi un petit peu aussi, attendrissant parce que sa forme et son fond sont intimement liés à La Mèche. Ces gamins avaient lu correctement et savaient recevoir, merci à tous, aux instits aussi bien sûr, joyeux noël, pardi.

Et pourquoi pas ??

Un singe avec des ailes
En train de manger une pelle,
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un requin malin vilain
Portant des bOttes en daim
Ca n‘existe pas, ça n’existe pas.

Une araignée qui grime au plafond
Pour construire un grand pont
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une bougie avec des cheveux
Et qui réalise des vœux
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un chat avec des gros yeux globuleux
En train de pondre des œufs
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une noisette dans la mer
Avec 98 têtes mais une seule casquette
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une souris qui sourit
Tous les Minuits et les fins d’après midi
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une chauve-souris qui rit
Toute la nuit en mangeant de la Vache qui rit
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un chaton bleu, rouge et gris foncé
Qui chantonne sous l’eau en apnée
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une oie faisant l’arbre droit
Qui reste hors la loi
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Ma mère portant un dromadaire
Avec les pieds en l’air
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un chameau qui vole dans les airs
Dans l’atmosphère au dessus du désert
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un âne qui parle chinois
Tout en mangeant des noix
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un ours violet qui passe le balai
Toute la sainte journée
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une armoire qui, de colère,
Aboie et dicte sa loi
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Des Fleurs de toutes les couleurs
Qui mangent toutes les 4 heures
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Des cadeaux qui tombent du ciel
Et qui sont équipés de bretelles
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une vache toute verte
Mangeant autre chose que de l’herbe
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un cartable qui parle arabe
Et qui avale des fables
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une crevette qui fait la fête dans sa tête
Avec une paire de chaussettes
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Une patate qui mange du miel
Sur un nuage dans le ciel
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un cheval qui nage sous l’eau
En mâchant des Chamallows
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

Un blaireau buvant de l’eau
Qui se transforme en goutte d’eau
Ca n’existe pas, ça n’existe pas.

CM2 Beauvert – Grenoble – novembre 2012

Les enfants des rencontres scolaires nous comblent toujours de cadeaux faits main, ils sont largement plus père-noëls que nous, et qu’en fait-on de ces précieuses offrandes enfantines ? Je connais des auteurs qui s’en débarrassent le jour même, première poubelle venue, hop discrétion. Je ne balance pas la pierre, ce n’est pas indifférence de la part, encore moins cynisme, l’évacuation ne les empêcha pas d’être émus aux larmes à l’instant du présent (visez un peu la richesse de ce mot, à la fois don et actuel), merci les enfants ! Adieu ! Adieu ! et pfuit, corbeille, suivant, ils ont peu de place chez eux mais l’espoir que l’échange advenu dans la journée restera dans les mémoires de part et d’autre sans nécessité de l’objet.

Moi, je commence toujours par conserver, j’accumule un peu, pas tant que ça du fait du nombre relativement limité de mes interventions, mais je finis tout de même par trier, neuf mois ou cinq ans plus tard jeter est plus ou moins facile, souvenez-vous le temps que vous mettiez à liquider vos cahiers après la fin de l’année scolaire. J’ai conservé ce portrait aux mains en fleurs, par exemple, qui flatte pas mal mon ego, j’aimerais tellement avoir les mains qui poussent et sentent bon. Je pense aussi à une magnifique maquette qu’une classe de 6e m’avait confectionnée en 2006 d’après le décor et les personnages de Jean Ier le Posthume roman historique. Je l’ai gardée longtemps sur ma bibliothèque, jusqu’à ce que la couche de poussière soit plus épaisse que le carton, alors je l’ai jetée, l’an passé, un soir, pour faire de la place, avec un pincement. Entre temps j’avais ouvert ce blog. Je reproduis un dessin et un poème de l’école Beauvert, je les garde ici pour l’éternité, celle du moins dispensée par mon serveur, mon disque dur, mon abonnement à WordPress et la patience de mon dévoué webmestre.

Sans grand rapport avec ce qui précède mais tout de même allez savoir peut-être que si, je suis bien heureux que le texte ci-dessous soit étudié au lycée, ah, vous voyez bien que ça sert à quelque chose l’école, le voilà le rapport, et je suis également heureux de vous le citer ici même, un peu de Spinoza derrière la cravate pour finir l’année, ça de pris contre l’obscurantisme, et pourquoi pas.

« Les hommes supposent communément que toutes les choses de la nature agissent, comme eux-mêmes, en vue d’une fin… Si par exemple une pierre est tombée d’un toit sur la tête de quelqu’un et l’a tué, voici la manière dont ils démontreront que la pierre est tombée pour tuer cet homme. Si elle n’est pas tombée à cette fin , par la volonté de Dieu, comment tant de circonstances ont-elles pu se trouver par chance réunies ? Peut-être répondez-vous que cela est arrivé parce que le vent soufflait par là et que l’homme passait par là. Mais, insisteront-ils, pourquoi le vent a-t-il soufflé à ce moment ? Pourquoi l’homme passait-il par là à ce même moment ? Si vous répondez encore : le vent s’est levé parce que la mer, le jour avant, avait commencé à s’agiter, l’homme avait été invité par un ami, alors ils insisteront encore, car ils n’en finissent pas de questionner : pourquoi donc la mer était-elle agitée ? Pourquoi l’homme a t-il été invité à ce moment ? Et ils continueront ainsi de vous interroger sans relâche, sur les causes, jusqu’à ce que vous vous soyez réfugiés dans la volonté de Dieu, cet asile d’ignorance. De même, quand ils voient la structure du corps humain, ils sont frappés de stupeur, et, de ce qu’ils ignorent les causes d’un ouvrage aussi parfait, ils concluent qu’il n’est point formé mécaniquement, mais par un art divin ou surnaturel. Et ainsi arrive-t-il que quiconque cherche les vraies causes des prodiges et s’applique à connaître en savant les choses de la nature au lieu de s’émerveiller comme un sot est souvent tenu pour hérétique et impie par ceux que la foule adore comme les interprètes de la Nature et des Dieux. Et c’est qu’ils savent que détruire l’ignorance, c’est détruire l’étonnement imbécile, c’est-à-dire la sauvegarde de leur autorité. »

Spinoza, L’Ethique, Livre I, « Savants et ecclésiastiques »

De « Lonesome Georges », de la narration à la première personne, de l’épluchage des légumes, et de l’opiniâtreté

21/12/2012 3 commentaires

Le nouveau livre du Fond du tiroir est peut-être disponible, finalement. Il s’appelle Lonesome George. Il revient de loin. Prévu pour exister ailleurs et rapidement, en fin de compte rapatrié à la maison et réalisé vaille que vaille, déclaré mort puis ressuscité, entre-temps offert gracieusement aux lecteurs du blog comme un bouquet final en désespoir de cause, il est enfin en vente, juste à temps pour l’apocalypse qui, comme chacun sait désormais, signifie révélation.

S’il est, comment dites-vous, « beau » ? Naturellement qu’il est beau. Nous ne savons pas faire autrement. Le communiqué de presse, rédigé selon les rigoureuses normes suicidaires en vigueur dans le département Marketing-Et-Communication du Fond du Tiroir, est lisible ici.

C’est, chronologiquement, le premier des trois livres que j’aurai écrits durant ma résidence troyenne en 2011. Le plus petit des trois. Disons : une nouvelle. Il s’agit, si vraiment vous tenez à le savoir, une fois que je vous l’aurai dit je ne vous aurai rien dit du tout, de l’histoire d’un garçon qui n’affiche pas ses émotions. Il les affiche si peu qu’on se demande s’il en a.

« Je ne me jette pas sur les émotions des personnages pour les livrer en pâture au public. Faire pleurer ou rire un personnage pour provoquer la compassion ou la joie du spectateur est une méthode, mais je trouve ça à peu près aussi intéressant que d’éplucher des légumes. » (Jessica Hausner, cinéaste)

Je vous décoche cette citation uniquement parce qu’elle me fait marrer, en réalité elle a peu à voir avec ce que j’essaye de faire, au juste. Pour savoir ce que j’essaye de faire, au juste, vous n’avez qu’à acheter le bouquin. Mais au moins serez-vous d’ores et déjà prévenu : mon « héros » n’attirera pas d’emblée votre compassion.

Dans le même sujet et avec le même à-propos, je voulais évoquer Les larmes de l’assassin, livre d’Anne-Laure Bondoux, que j’ai « lu » trois fois en un an. D’abord sous sa forme originale romanesque, ensuite dans l’adaptation en bande dessinée signée Thierry Murat, enfin sous sa forme performance, BD-concert conçu par le groupe Splendor in the grass. L’histoire est suffisamment saisissante et originale pour souffrir d’être entendue trois fois. Mais je précise que la version qui m’est apparue la plus forte, la plus convaincante, est la toute première, celle de la romancière. Les talents, indéniables, de l’illustrateur puis des musiciens ne sont pas en cause. Mais il se trouve que ces suiveurs ont fait le choix de raconter l’histoire à la première personne du singulier, quand le roman était écrit à la troisième personne, par un narrateur neutre. C’est-à-dire que dans chacune des adaptations, le personnage principal (l’est-il vraiment, du reste), ce petit garçon mutique, si énigmatique, si singulier, si fragile et si brut, nous narre. Et soudain je n’y crois plus qu’à moitié, parce que je ne vois pas pourquoi ce petit gars m’adresserait la parole, lui qui parle si peu aux autres personnages du livre. La narration à la première personne ne me semble pas justifiée au-delà du fait qu’il s’agit d’une convention, voire d’une ficelle, d’un hameçon à lecteur.

Les professeurs de littérature devraient profiter de ce cas d’école : lisez deux fois Les larmes de l’assassin, observez ce qui change quand une même histoire est d’abord racontée par il, puis par je, comparez les effets respectifs du pronom (affaire de morale, comme un traveling au cinéma), et commentez. Je commente : mon manuscrit Lonesome George fut accepté par une grande maison d’édition jeunesse, sous réserve que je réécrive tout à la première personne, afin que le lecteur se sente plus proche du personnage. J’ai refusé. Le livre paraît au Fond du tiroir, écrit à la troisième personne, comme il devait l’être.

L’opiniâtreté ? Suivez la flèche.

Mario Ramos (c’est lui le plus fort)

19/12/2012 2 commentaires

54 ans : même mort, Mario Ramos est drôlement jeune. J’adorais Mario Ramos. Je suis triste. Il ne faut pas : ses livres resteront d’une fraîcheur, d’une délicatesse, d’une malice et d’une intelligence rares. À la nouvelle de sa disparition, j’ai rédigé immédiatement un petit hommage sur le blog de Citrouille :

Je tiens Quand j’étais petit pour un chef d’œuvre, un de ces livres qu’on peut relire (oui, on le lit même s’il n’y a pas un mot), dix fois, à dix âges différents, pour le comprendre à nouveau, et sourire, et soupirer. S’il n’existait que cet album au monde pour parler du temps qui passe (drôle de lapsus : j’avais commencé par écrire « temps qui pense »), des petites personnes qui grandissent et des grandes personnes qui se souviennent, il serait suffisant pour qu’on prenne la littérature jeunesse au sérieux.
J’en parlais à Mario chaque fois que je le croisais. Elle le faisait marrer, ma grandiloquence : « Chef d’œuvre, chef d’œuvre, oui, c’est vrai qu’il est pas mal, ce livre, faudrait que je convainque mon éditeur de le rééditer… »
Entre temps il a finalement été réédité, heureusement.
Et puis j’ai tous les jours sous les yeux un autre dessin que Mario m’avait autorisé à reproduire sur le blog, très doux, et très profond comme il savait faire, idéal pour montrer ce que ça fait la littérature, plutôt que de chercher vainement à l’expliquer.