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Double-edged

04/05/2013 Aucun commentaire

On cause de tout de rien, mais de longtemps nous n’avions parlé de Double tranchant… Que devient le plus beau livre du catalogue ? Eh bien d’abord ceci, relativement inédit : il est resté le plus beau livre du catalogue quand bien même il a cessé d’être le dernier paru.

Et par ailleurs, ou bien par conséquence, il est en cours d’épuisement. Seulement quelques dizaines d’exemplaires en stock. Nous le réimprimerons donc puisqu’il est hors de question de le laisser disparaître, mais j’ignore quand, ou en quelles quantités, il me faut ressortir la calculette et équationner les prix de revient, le compte en banque, le temps virtuel de rentabilisation, sachant que je ne peux plus compter sur la vente auprès des fidèles au moment de la souscription. Seule certitude, cela retardera forcément le livre suivant, qui de toute façon n’est pas prêt. Écoutons The Knife pour fêter l’événement, ou le non-événement, ou ce qu’on voudra.

En attendant, le livre voyage. Jusqu’au Kansas, oui messieurs-dames, où un certain John Mallery (photo ci-dessus) cumule dans la même silhouette rondouillarde et sympathique un lanceur de couteaux, un historien de l’art, un chef d’entreprise spécialisé dans la sécurité informatique, et un esthète collectionneur, car tout est possible dans le grand pays Iouhessay. Fendant l’air transatlantique par voie numérique, l’affiche de la récente Librairie éphémère a tapé dans l’oeil de l’homme, qui est entré en contact avec Jean-Pierre Blanpain pour acquérir vite-vite en dollars, et le livre, et la linogravure.

Le livre voyage aussi sous la forme d’une exposition, qu’hélas je désespère de voir près de chez moi, mais que, lagardèriratatoi, j’irai prochainement vernir avec grand bonheur dans les locaux du Centre de création pour l’enfance de Tinqueux, Dans la lune, le vendredi 17 mai à 18h30. L’expo demeurera visible là jusqu’au 20 juin 2013.

Bonus : on sait que JP Blanpain, imprévisible homme de couleurs, s’est illustré dans Double Tranchant en réalisant notamment une siasissante gravure inspirée du sacrifice abrahamique, belle comme du Rembrandt. Il persiste dans l’art religieux puisque, iconoclaste iconographe, il vient d’achever une Cène, pas moins, qui sera exposée dans la chapelle de Saint-Clair sur Galaure (38). Tout est possible ici aussi, en fait.

Des nouvelles de l’armée mexicaine

01/05/2013 2 commentaires

L’agenda de la Jeanne d’A. : aujourd’hui 1er mai, fête de Jeanne d’Arc, toujours encabanée, toujours tenue en otage, non plus pas les Anglais mais par les fafs de chez nous.

Fête du travail, aussi. Alors qu’il n’y en a plus. Plus de cortège non plus, forcément. Moi, le 1er mai, je dors. Mon rêve de cette nuit : je discutais avec Leonard Cohen. J’étais assis à un bureau, des tas de papiers devant moi, et Leonard faisait les cent pas, l’air contrarié, avec son chapeau et ses lunettes de soleil. Aurélie Filippetti était là aussi, nous observant d’un oeil bienveillant. Leonard me disait calmement, de sa voix d’infrabasse : « Tu ne peux pas publier ça. Cette interview de moi est sans intérêt ». J’essayais de temporiser : « Essayez de comprendre, Leonard, si nous publions cette interview, ce sera en lien avec la programmation de l’année prochaine. Or nous avons prévu une conférence sur les mangas, voilà pourquoi la personne qui vous a interviewé vous a demandé votre avis sur les mangas… » Il n’en démordait pas : « Cela n’a aucun intérêt, je ne lis pas de mangas, ma réponse n’est qu’un cliché d’ignorant, ne publiez pas ça… »

Je crois que ce rêve s’explique par ce que j’ai lu avant de m’endormir. J’ai dévoré le second numéro de la revue Metaluna, et cette lecture d’un crypto-néo-archéo-fanzine en papier, au vrai bon goût de mauvais goût, animé par d’irréductibles fondus de cinéma bis voire ter, érudits déviants, est tellement inespérée, anachronique en 2013, qu’elle m’a rendu à ma propre jeunesse, alors que j’écrivais dans des fanzines et que je lisais Mad Movies, ancêtre en droite ligne de celui-ci. Or figure dans ce Metaluna 2 une interview, non de Leonard Cohen, pas du tout le même genre de beauté, mais du dessinateur de bandes dessinées Caza :

– Pourquoi as-tu décidé d’auto-éditer ton dernier album, Le jardin délicieux ? Une nécessité face à une certaine frilosité des éditeurs ?
– Oui, mes éditeurs habituels et quelques autres n’en ont pas voulu. Je ne sais pas, et je ne veux pas le savoir, si c’est pour une question de contenu, d’autocensure… Ou seulement pour des raisons commerciales habituelles : ça n’entre à peu près dans aucun créneau, c’est à la fois cochon, rigolo et intello. Et puis après tout, j’ai fait cette BD dans la jubilation de la liberté, dans contrat, sans rien demander à personne, en me permettant tout… Il était cohérent de l’éditer moi-même avec le même esprit de liberté, sans me mettre aucune pression financière. On peut dire que cet album est financé par ma caisse de retraite.

J’ai immédiatement commandé en ligne ledit livre. Je me souviens, c’est dans les années 70 que j’ai découvert la SF dessinée par Caza, j’étais enfant. Je lisais aussi Bretecher (mes parents étaient abonnés au Nouvel Obs, je ne lisais dans ce canard que la page des Frustrés), ou Fred, dont la saga Philémon est sans aucun doute l’un des plus profonds chocs esthétiques de mon âge tendre, du genre qui modifie la façon dont on regarde le monde et ses représentations (pensée sincèrement émue pour Fred qui vient de casser sa pipe). Or, dès cette époque, j’avais été très impressionné par le geste de Bretecher ou Fred qui, délaissant leurs éditeurs habituels, choisissaient d’auto-publier ce que bon leur semblait, Les Frustrés justement pour l’une, Parade et Magic Palace Hotel pour l’autre. Je n’avais pas conscience qu’ils constituaient l’avant garde de l’armée mexicaine et bariolée que j’évoquais il y a peu, rejointe aujourd’hui par Caza.

Vironsussi mon beau souci

22/04/2013 un commentaire

Il semble que mon prochain livre sera Vironsussi, co-écrit par Olivier Destéphany, roman d’épouvante, extension, réinvention, explosion et implosion du spectacle intitulé Du sang sur l’archet que nous donnâmes ensemble et en musique au début de cette année. Je ne me serais pas cru capable d’écrire en duo, ni, surtout, d’y puiser autant de plaisir. Voici, en gros, comment le travail se déroule.

« Vomir un doigt ».

Olivier se pointe, sautillant, l’oeil brillant, il se penche un peu en avant comme un comploteur et il me dit ça, sûr de son effet : « Vomir un doigt ». Puis il se redresse et développe : « Je ne sais pas d’où me vient l’image, je préfère ne pas savoir, mais je la vois comme si j’y étais : le gars, il vomit, mais alors, il vomit grave, toutes ses tripes, beuââârk, et il vomit quoi ? Il vomit un doigt humain. T’imagines ? C’est dégueu, non ? » Il est tout content, l’Olivier. Il a un spasme, il vomit un doigt dans sa tête.

Ah certes tu m’étonnes c’est dégueu, c’est baroque, c’est monstrueux, c’est surréaliste au sens premier, vomir un doigt c’est un peu comme trancher un oeil avec le fil d’un rasoir, c’est fort et brutal et onirique et inouï, mais ça n’est pas encore une histoire. Alors on se monte le bourrichon, on te l’invente l’histoire, on s’y met à deux, l’un surenchérit l’autre modère puis réciproquement, on tisse la trame, on ajoute des détails, ce sera un doigt féminin, avec un ongle manucuré rouge-rouge, et puis tiens, même, on lui enfile une alliance en argent, l’un a trouvé ça, immédiatement l’autre trouve pourquoi : c’est peut-être l’alliance l’élément indigeste, mais oui, tu penses, l’argent, on empile, on bouche les trous, ça y est, on y est, tout s’explique, on comprend ce qui s’est passé, et ça ne pouvait plus désormais se passer autrement, notre héros était obligé de finir par vomir un doigt le malheureux, c’était fatal, horrible et triste, sans rédemption.

Reste à écrire. Olivier écrit, me donne le texte. Je le désécris et le réécris, je vérifie la tenue générale par rapport au reste de l’ours, le lui rends, il commente, je remets une couche, on ajoute qui une angoisse qui une obsession, on en rit, et de fil en aiguille on a bouclé un chapitre. Le chapitre-clef où le vironsussi vomit un doigt. On passe au suivant, qui se situe bien très en amont dans l’intrigue. Justement, pour celui-ci j’ai une idée. À moi de servir. Je raconte à Olivier, un peu penché en avant, comploteur.

Dans quelques jours, je dirais, vu d’ici, deux ou trois semaines max, à force de chapitres nous aurons écrit un livre. Il nous faudra alors décider qu’en faire. Je me voyais lancer immédiatement sa production au Fond du tiroir, un bon gros pavé illustré avec, derrière son rabat arrière, un emplacement réservé pour insérer le CD de la bande originale… Mais là,  je redescends aussi sec sur terre parce que je me fais engueuler par madame la Présidente du Fond du tiroir : « Tu arrêtes un peu de fabriquer des nouveaux livres avant de vendre les précédents, le garage déborde de cartons, alors celui-ci, tu commences par le proposer à des éditeurs ! »

Bon, admettons. Je ne l’éditerai au FdT que lorsque ils l’auront tous refusé. On ne sait jamais, après tout. Je pourrais bien tomber sur un éditeur qui n’attendrait qu’une chose, publier un roman où l’on vomit un doigt.

Lonesome Djowdje in New York

19/04/2013 3 commentaires

Avertissement : la phrase qui suit est outrageusement-archi-ultra-hyper-trop snob.

Figurez-vous que l’amie d’une amie expose dans une galerie new-yorkaise, la galerie Slag, en plein Brooklyn, vous voyez où je veux dire ? Son expo débute aujourd’hui même, malheureusement j’ai un empêchement pour le vernissage, le CA de copropriété tombe pile en même temps, c’est ballot, si vous y allez n’oubliez pas de l’embrasser de ma part.

Elle s’appelle Molly Stevens, je ne la connais pas, mais nous avons deux amis communs tellement le monde est petit : Marilyne Mangione, qui m’a transmis l’info, et Lonesome George, le malheureux pépère chélonien, inspiration et titre de son travail, comme du mien.

Les petites soeurs de l’ouvrier

14/04/2013 Aucun commentaire

Georges Brassens ne croyait pas en Dieu (« hélas », précisait-il) mais aimait beaucoup les rituels chrétiens. Le refrain Sans le latin la messe nous emmerde/Le vin du sacré calice se change en eau du boudin/Sans le latin, et ses vertus faiblissent est drôle mais nullement ironique, il est à prendre au premier degré.

Moi-même, athée incurable mais cependant non hermétique aux mythes et symboles, musiques et spiritualités chrétiennes (ou émanant d’autres confessions, tout aussi bien), c’est avec enthousiasme, soit, étymologiquement, avec Dieu en moi, que je relaie l’information suivante.

Catherine Page et Alain Massonneau présenteront leur dernier film L’Amour qui meut le soleil et les autres étoiles à la cinémathèque de Grenoble le vendredi 19 avril à 19h. Détails ici.

Il s’agit d’un documentaire qui interroge et observe, pendant 3h45, des bonnes soeurs…

Enoncé ainsi, le « pitch » pourrait vous donner envie de fuir. Vous auriez tort.

Le film est non seulement instructif (vous saviez que cela existait, vous, cet ordre, « les petites soeurs de l’ouvrier », ces nonnes qui vivent sans cornette et travaillent avec les prolos ? moi, non), il est émouvant. J’ai eu la chance d’en voir une copie de travail, il y a près de deux ans. C’est ainsi que j’ai passé 3h45 en compagnie de femmes lumineuses et attachantes, qui certes sont un brin anachroniques (le film parle notamment de cela, du vieillissement de leur ordre, de la disparition de leur mode de vie, de la mort pure et simple aussi), certes ont la foi (et alors ça c’est le gros mystère), mais sont bigrement vivantes, et ont des choses à raconter. Juste raconter, se raconter, sans faire de prosélytisme, ce n’est pas la question. Je vous assure que c’est beau.

Pour ma part je ne prie pas pour vous, mais je pense à vous, ce qui revient un peu au même, chacun faisant comme il peut.

bete-immonde 2.0

06/04/2013 4 commentaires

Je vois déjà tout ça et on a le brave culot d’oser me demander de ne plus boire que de l’eau, de ne plus trousser les filles, mettre de l’argent de côté, d’aimer le filet de maquereau et de crier vive le roi ? Ah! Ah! Ah! Ah! Ah! Ah! Ah!
Jacques Brel, ‘Le tango funèbre’

Déjà, je lis Le Monde d’hier de Zweig, alors pour l’optimisme merci bien, la civilisation repassera, salut les barbares.

Et puis ensuite, je repense au 1er mai 1993, vingt ans révolus, tout ronds. J’étais barman ce jour-là, car les bars sont ouverts le 1er mai, il faut bien que quelqu’un turbine et serve des coups à ceux qui fêtent le jour sans turbin. J’étais derrière mon comptoir, j’ai allumé la radio, et j’ai appris qu’un Premier Ministre socialiste s’était donné la mort. Un homme de gauche, et du peuple, fils d’un tenancier de café-épicerie (ah, tiens, point commun avec Annie Ernaux), devenu chef du gouvernement à force de travail, d’intégrité, d’éthique, de rigueur, parangon presque trop beau pour être vrai de méritocratie républicaine. Trop beau, ouais, parce que soudain elle tourne mal l’histoire édifiante, elle se transforme en conte d’avertissement. L’ex-premier ministre se fait péter le caisson le jour-symbole, laminé par un milieu où la corruption règne, où le conflit d’intérêt entre le bas-de-laine perso et le bien public rend cynique ou schizophrène, où il est normal de se goinfrer avant le déluge, c’est-à-dire avant le changement de gouvernement, avant la crise partout-partout et la dette souveraine remplaçant le peuple souverain – la corruption, qu’elle l’ait seulement sali ou réellement pourri, la corruption aura détruit cet homme-ci.

Je sais bien pourquoi je me remémore ce 1er mai aujourd’hui. Où en est la gauche et son éthique ? On ne se suicide plus trop, mais on ment pour vivre, et ensuite quand c’est trop gros on avoue et on regrette. L’affaire Cahuzac est une verrue qui, une fois arrachée, laisse la gangrène en souvenir. La ploutocratie est avérée, fin de la démocratie.

Là-dessus, je referme Le Monde d’hier, je le repose avec le marque-page qui dépasse comme une vague menace, et je feuillette la presse, le monde d’aujourd’hui, comme si ça allait me changer les idées. Je lis cette interview de Bernard Stiegler dans les Inrocks. « Aux yeux de la population, le mensonge permanent apparaît comme une méthode de gouvernement ». Et, une idée entraînant une autre, « Si la gauche n’ouvre pas très vite une perspective nouvelle, l’extrême droite sera au pouvoir dans quatre ans ». Tous pourris, répète-t-on affaire après affaire ? Vite, jetons-nous dans les bras de l’homme providentiel fasciste ! Des précédents existent.

Je referme la presse, aussi plombante que Zweig finalement. Je vais m’oublier un peu dans le consumérisme, je m’en vais acheter un livre ou deux, que je lirai peut-être. Je me cale sur la page d’accueil d’un site de ventes de livres d’occase. Je fais défiler, le moteur du bazar classe les livres sans état d’âme politique, c’est-à-dire les titres les plus demandés par les clients en tête. Le doigt sur la souris, je descends distraitement, le dernier roman de Marc Lévy a le maillot jaune, suivi par le dernier Musso, okay tout est normal, puis tous les tomes de Cinquante nuances de traces de pneu, puis le dernier Stephen King, le dernier Jean Teulé, puis vient… Hein ? Mon sang s’arrête et repart à l’envers,  les veines à rebrousse-chemin. Puis, vient un fameux long-seller, seul essai parmi toutes ces fictions : Mein Kampf d’Adolf Hitler. Hitler d’occase, presque aussi haut dans le top ten du désir que Lévy et Musso ? Quelle sale journée, décidément ! [J’ai vérifié ce matin, ce livre n’est plus affiché sur la page d’accueil, il ne figure plus dans le palmarès… Je ne l’ai pourtant pas rêvé hier, je l’ai parfaitement reconnu, j’ai la même vieille édition, celle avec les rayures rouges et noires… Il s’en écoule, c’est le climat paraît-il…]

Là, je ne sais plus, je ne vois plus, il faut vite que je parle d’autre chose. Vite, vite, une association d’idée.

Ah, voilà. Oui : je l’avoue au passage, je suis le premier à regretter l’agonie des petits libraires, mais cela ne m’empêche pas d’acheter des livres d’occasion sur Internet. Alors je repense à une chronique écrite par un « petit » libraire lyonnais, et que j’ai reçue par mail il y a quelques mois. Je la retrouve dans ma messagerie, je la relis, je demande a son auteur l’autorisation de la reproduire, et je la copicollillico, parce que ce texte est très instructif, sans être ni dépressif, ni culpabilisant, donc il donne seulement à réfléchir. Lisez-le. Peut-être qu’il vous changera les idées, à vous.

Sur ces lieux de vie que sont les petites librairies

Entre libraires, nous nous disons parfois que nous ne parlons pas assez de notre vécu à nos partenaires, nos amis, qui sont aussi – situation complexe – nos clients, et qui ont l’immense mérite de nous faire vivre.
Ce qui nous retient ? Sans doute la menace d’être taxé de poujadistes, de corporatistes Et de briser le mythe du libraire, passeur désintéressé, pour rappeler la face, moins glorieuse, du commerçant, du chef d’entreprise.
Si libraire est nécessairement une passion, un choix de vie, un engagement, une œuvre de conviction et de dévouement, qui implique une croyance presque naïve en la magie du papier, la force des mots et la transmission humaine, la gestion d’une entreprise implique aussi des calculs, des contraintes, des choix ; et des inquiétudes ; des heures de travail nombreuses ; une certaine précarité, ou fragilité ; matérielle, pour certaines libraires ; davantage psychologique, en ce qui me concerne.
Parfois des comportements viennent en effet attenter à mon bon moral. Atteintes qui, je dois le constater, se multiplient. Le plus souvent, en toute bonne foi. Par inadvertance, si l’on peut dire.
Que l’on me pardonne ces quelques exemples :
Un universitaire insiste pour que l’on ait ses ouvrages en rayon – mais lâche incidemment qu’il n’achète plus que sur Amazon.
Un militant crie haro sur les conglomérats, et ne voit pas de contradiction à les enrichir…
Un poète que nous accueillons… à qui nous rendons tel service personnel… avec lequel nous imaginons peut-être avoir noué une relation de complicité, de soutien mutuel… acquiert à la Fnac la dernière œuvre de cet auteur que tous deux plaçons très haut.
Tel jeune auteur du quartier qui passe nous présenter son livre mais n’a pas la curiosité de tourner un œil sur nos tables
: génération Internet…
Un proche – eh oui, un proche ! – qui nous demande quelques pochettes-cadeaux supplémentaires, pour des livres achetés en ligne.
Un partenaire se présentant à une rencontre, un sac de livres provenant d’une grande enseigne en main …
Et j’en passe… et des meilleurs !
J’admets : de tels comportements ne devraient pas m’affecter. Force m’est néanmoins de constater qu’ils ne me laissent pas insensibles. « Votre libraire aussi a un cœur », dirais-je bien naïvement.
Et je m’interroge : irait-on demander à son pâtissier des emballages pour des millefeuilles achetés chez Auchan ? A la Fnac, de l’aide pour remplir un formulaire administratif ? A Amazon, de prêter une salle pour tenir une AG ?
Il n’est pas léger, pour moi, d’entendre de vibrants : « Bravo ! C’est super ce que vous faites ! Continuez ! Mille mercis de nous ouvrir l’espace de votre librairie ! », et de constater dans le même temps, et notamment vis-à-vis des rencontres que j’accueille, un comportement de plus en plus consommateur. Au point où il semblerait – simple hypothèse – qu’une frange de lecteurs a tellement perdu l’habitude des librairies qu’elle n’ose plus en user comme de lieux où flâner, rêvasser, parcourir un livre, éprouver la qualité d’un papier, lire une quatrième de couverture – ce qui est pourtant leur destination première, et demeure leur atout fondamental face aux livres dématérialisés et aux achats en ligne. (1)
Que la plupart des rencontres à Terre des livres en huit années aient été « anti-rentables », j’en suis fier ! Je me suis fait plaisir, et je continue ! La rentabilité à tout crin fabrique un monde où l’on s’ennuie.
Et que l’on me comprenne bien : il ne s’agit pas d’un plaidoyer pro domo. Quand on a la chance de bénéficier, à Lyon, d’un réseau incroyable de petites librairies aux personnalités aussi fortes que variées, au personnel très souvent souriant et qualifié, et accueillant envers les associations, les petits éditeurs, les revues faites main, les flyers, les initiatives individuelles – des structures qui font l’impossible pour faire exister une vie culturelle riche et variée –, je ne comprends tout simplement pas que l’on se tourne, pour le facile, le rentable vers les grosses structures impersonnelles. Celles-là même que l’on sait moins menées par l’amour du livre que par le souci de la marge de rentabilité.
Alors ? Peut-être que nous, libraires, ne discutons-nous pas assez avec notre clientèle, nos amis, nos partenaires ? Peut-être ces derniers ignorent-ils que dans un monde qui change à toute vitesse, une mutation du monde du livre est en cours ?
Ce qui ne laisse pas de m’étonner, c’est que le mouvement de fond que l’on observe aujourd’hui dans le commerce équitable, le circuit court, le bio, les AMAP, qui traduit une vraie attention aux circuits de distribution, et aux conséquences de nos comportements de consommation, ne s’observe nullement dans le domaine de la culture. Mythifiée, la culture ? En dehors du monde social, le livre ?
Dit autrement, commander en ligne ou se rendre dans une grande surface plutôt qu’auprès d’un commerce de proximité, change la forme de nos villes, et de nos vies. On sent bien que la fermeture progressive de ces lieux de convivialité entraîne une perte sèche pour notre qualité de vie.
Pour finir je voudrais m’excuser de la brutalité de ce propos. Mon intention n’est pas de stigmatiser ou de moraliser. Puisse ce texte, qui m’a beaucoup coûté, favoriser quelque prise de conscience, quelques échanges, des court-circuits et des circuits courts…
[Et afin de contrer une aigreur et un ton alarmiste et sermonneur que je n’ai su éviter (désolé !), et qui semble malheureusement relever d’un usage dans la profession, je me permets de préciser que Terre des livres, petite librairie de quartier de huit ans d’âge, artisanale et conviviale, n’est pas particulièrement affectée par « la crise ». La « belle équipe » – deux temps partiels et moi-même –, se démène et se fait plaisir. Puisse cela continuer ainsi !]
Amicalement vôtre

Fabien, de la librairie TERRE DES LIVRES

(1) – Ou peut-être ignorent-ils qu’en France le prix des livres est le même partout, grâce à la loi sur le Prix unique du livre de 1981 ? Et que, si de petites librairies telles que Terre des livres existent, c’est bien du fait de cette exception qui contrecarre l’idée selon laquelle « plus c’est grand, moins c’est cher. »

Contribution au débat sur la réforme des rythmes scolaires

01/04/2013 un commentaire

 « Je rêvais. Et alors, dans ma chambre, s’étiraient ces interminables et délicieuses plages d’ennui, ces heures de vide que mes parents ne comblaient pas d’activités extrascolaires, ni de télévision. Avec le recul, je me rends compte du privilège de ces moments où l’on sent presque pousser ses os. On mesure, dans la lenteur du rêve et l’épaisseur du silence, la densité du temps qui s’écoule. Les heures d’ennui de l’enfance sont les jardins du temps, bêchés d’exaspérations, labourés d’éternités ralenties, hantés de futurs lointains… J’y vagabondais, le corps prisonnier de ma chambre et des mercredis d’hiver. J’y élaborais mes désirs et des images. Je me précisais, je m’apprenais par coeur et surtout, j’établissais d’inépuisables plans d’évasion. »

Hélène Grimaud, Variations Sauvages, Pocket, 2004, p. 28

Tout ne s’apprend pas dans les livres, comme je l’ai lu dans un livre

27/03/2013 un commentaire

Mardi 26 mars

Descendre d’un train, sortir d’une gare, et marcher dans les rues d’une ville inconnue, est l’un des plus grands bonheurs de mon existence, un délice, un privilège, un luxe exorbitant. Je marche, je me perds, j’écarquille les lotos, je me repère, je reprends le pâté à l’envers, oh comme c’est joli, les filles sont jolies, les lampadaires sont jolis, les tramways sont jolis, je suis sûr que les autochtones ne s’en rendent pas compte, mais moi oui, je marche, je suis content. J’aime aussi passionnément marcher dans la forêt, mais ce n’est pas la même chose. Pour que je comprenne la différence, il faudrait que j’essaye de l’expliquer à quelqu’un. À vous, peut-être ? Disons provisoirement que marcher dans la forêt, c’est bien parce que c’est toujours pareil même si c’est toujours différent, tandis qu’au contraire marcher dans les rues d’une ville inconnue, c’est bien parce que c’est toujours différent même si c’est toujours pareil.

Je me suis donc offert ce suprême plaisir hier, j’ai arpenté pour la première fois de ma vie les rues de Bordeaux, fière ville bourgeoise ayant, comme son nom l’indique, prospéré grâce à l’alcoolisme, vice national. C’est très joli, Bordeaux. Oh, là, voyez, à gauche, à droite, des filles, des réverbères et des tramways, tels que nulle part ailleurs. Et une plaque qui dit que Victor Hugo, député de la Seine, a habité cet immeuble un peu moins de deux mois en 1871, quand, à la suite de la débâcle de Sedan, le Parlement en exil siégeait dans le Grand Théâtre de Bordeaux, et que c’est ici aussi que son fils Charles est mort d’une apoplexie, oh, c’est bien triste, mais c’est joli. Je suis le seul à m’arrêter devant cette plaque, tout le monde je vous jure passe devant, dessous, remonte son col et presse le pas comme si de rien. À l’autre bout de mon errance ou de ma journée j’avise la sévère statue de Francisco de Goya, mort ici en 1828 parce qu’il fuyait le régime totalitaire espagnol. Les gens traversent Bordeaux, ils y vivent, parfois il y meurent. Quand je vous disais que c’est exactement comme ailleurs quoique très différent.

Une inquiétude, tout de même : le logo de la ville est un peu anxiogène. On le confond facilement avec un autre, et cheminant on se demande sourdement si toute la ville ne serait pas contaminée chimiquement.

Au reste, j’ai passé l’essentiel de la journée à l’abri, non sur le pavé toxique mais dans une médiathèque, parce que je ne suis pas là que pour faire le ravi. Médiathèque où j’ai constaté, dans le rayon CD, que Noir Désir était rangé dans le bac « Scène locale ». Soupesant un album digipack, je me demandais, perplexe, si à l’étage en-dessous Montaigne, Anouilh, Sollers ou Mauriac se voyaient classés sur une étagère à part, « Auteurs régionaux ». Bien sûr, il faut être de quelque part. Victor Hugo était bien de Besançon, et Goya d’Aragon.

Ensuite, j’ai passé la soirée chez deux auteurs régionaux, et des meilleurs, qui me font l’honneur de m’héberger : les frères Coudray, Jean-Luc et Philippe, toujours aussi charmants et originaux, toujours nés jumeaux à Bordeaux, mais l’un des deux a le bon goût de se laisser pousser la barbe, ce qui fait qu’on ne se trompe jamais sur celui auquel on s’adresse. Forcément, nous avons longuement évoqué ce qui nous lia en premier chef, c’est-à-dire l’aventure tragi-comique des éditions Castells, où nous publiâmes deux livres chacun (pour moi, suissi et suila) vers 2006. Philippe Castells, dont j’ignore le lieu de naissance, était un drôle de type. Un tiers flambeur, un tiers menteur, un tiers magouilleur, un tiers dandy, un tiers clochard. Ah, et puis un tiers escroc, aussi. Ça fait beaucoup, mais comme on dit à Marseille tout dépend de la taille des tiers. En tout cas tout ces tiers mélangés ne faisaient pas un éditeur, finalement. Les Coudray et moi-même en sommes convenus, observant cependant que le temps avait passé, que nous n’avions plus de rancune à son endroit, qu’avec le recul des années même de lui nous pouvions ne garder que les bons côtés (il publiait de beaux livres, ce salaud) et que nous pouvions même changer de sujet (alors les Coudray m’ont narré en riant certains actes d’innocent terrorisme qu’ils commirent tous deux nuitamment dans les rues de cette même Bordeaux).

Nous changions de sujet et nous parlions de logo des dangers biologiques, lorsque sur ces entrefaites un de leurs amis est entré qui, muni d’un gâteau (c’était justement l’anniversaire des Coudray : il convient, en plus de naître quelque part, de naître un beau jour) et de diplômes en biologie, m’a appris la stupéfiante chose suivante. Du pur point de vue de la logique génétique, le chromosome « X », majestueux, galbé, redoublé en « XX » chez la femme, est la norme, le point de départ. Tandis que le chromosome « Y », nettement plus rabougri et moche, le pauvre ressemble à une crotte de nez, semble n’être ni plus ni moins qu’une altération survenue dans un second temps de l’Évolution, une dégradation programmée, un mal nécessaire permettant la reproduction sexuée de l’espèce, non mais regardez-les côte à côte, Madame X et Monsieur Y, remontez en haut de cette page, on jurerait un couple dessiné par Dubout. Par conséquent nous ferions bien d’admettre une fois pour toutes que nous sommes tous des femmes, et qu’une femme sur deux (celle avec le chromosome dénaturé tout rabougri) est un homme. Quitte à ré-écrire toutes les cosmogonies : manifestement le job de Dieu le 6e jour à consisté à créer Eve, puis à lui prélever un chromosome, dans la côte admettons, pour ensuite le chiffonner mâchouiller rouler en boule rabougri crotte-de-nez, et qu’à partir de ce « Y » mutant il a conçu Adam. On en apprend des choses à Bordeaux.

Mercredi 27 mars

Mardi soir, pour mon plaisir susdit, j’ai arpenté Bordeaux pendant plus d’une heure. J’ai vu un beau coucher de soleil sur la Garonne. Puis un événement est survenu comme pour apporter sa contribution à mes réflexions « il faut bien être né quelque part » .
À un moment, je me suis assis sur un banc pour regarder couler le fleuve, et j’ai sorti un livre de ma poche. Au bout de quelques minutes un gars nonchalant est venu s’asseoir à côté de moi, un Noir habillé en rouge avec un grand bonnet vert-jaune-rouge qui enveloppait des dreads, un bouc au menton et une canette de bière à la main, qui m’a demandé ce que je lisais. Sans attendre la réponse il s’est présenté comme rastafari et comme Sénégalais. Troisième identité manifeste, il était bien défoncé, les yeux dans le vague, mais amical.
Il vivait à Bordeaux depuis six mois. Je lui ai demandé s’il aimait ça, il a répondu à côté, parlant très lentement :
« You know Dakar ? Tu es déjà allé au Sénégal ?
– Non.
– Vas-y. Tu dois y aller. C’est beau, là-bas. Ici, rien à voir. Bordeaux n’est pas belle, elle est plus que ça. Bordeaux est une ville sacrée ! A holly town, man. C’est ici, place des Quinconces, que vos grands parents débarquaient nos grands-parents, et nos grands-parents descendaient du bateau la tête baissée et des chaînes autour des mains et des pieds, comme ça, man (il fait le geste, croise ses poignets, quelques gouttes de bière s’échappent de sa canette), c’est comme ça que nos grands-parents ont découvert la France, à Bordeaux. Et c’est comme ça que Bordeaux est devenue une grande ville. Tu es de Bordeaux ?
– Non.
– Ah. Tu m’avais dit hier que tu étais de Bordeaux. Why did you lie to me ? Or do you lie today ?
– I don’t. Don’t tell me I’m a lier. I’m not from Bordeaux, I wasn’t even here yesterday and I see you for the first time in my life.
– Ah. Tu es de la banlieue de Bordeaux, alors ?
– Non. Je suis de passage, je rentre chez moi demain.
– Ah. (pensif) Alors ce n’était peut-être pas tes grands-parents.
– Mon grand-père n’était pas français.
– (geste de la main) Peu importe. Tout ça c’est le passé. Moi, you know, je suis rastafari, je suis pour la paix. You know, 77%… (il s’interrompt une minute, comme s’il recomptait les pourcentages dans sa tête) 77% des Africains ne pensent qu’à ça, à ce passé d’esclave, ces chaînes aux mains et aux pieds, ils les ont encore dans la tête. Mais moi, non. Moi je suis rastafari, je suis pour la paix. Le cœur, man, le cœur, il n’y a que ça de vrai. »
Il s’est alors frappé le cœur de la main droite. J’ai fait de même, et je lui ai serré la main, on s’y est repris à plusieurs fois, pas tellement parce qu’il visait à côté, plutôt parce qu’il voulait faire comme ceci, et comme cela, puis finir par le cœur. Ensuite je suis parti.
C’était ma carte postale, « Bons baisers de Bordeaux » .

« On verra bien »

16/03/2013 Aucun commentaire

Yann Fastier est un auteur avec une attitude sur la littérature jeunesse. Il fait et il cause, son avis est donc averti comme son oeuvre est réfléchie. Il a signé, d’une part de nombreux livres, que je lis de longue date (j’étais même abonné à la préhistorique revue Flblb, pour avouer mon âge) ; et d’autre part, plusieurs blogs, dont celui-ci que j’ai lu intégralement, du premier au dernier article, commentaires inclus (rarissime, ça ! lire de A à Z, comme on ferait d’un livre, rien à voir avec l’usage ordinaire d’un blog… Sondage express, quiconque ici aurait-il lu tout ce blog depuis le début ?), blog anti-langue de bois, pas piqué des mites, intitulé Le cimetière des lénifiants, où, explicitement, il s’agissait d’enterrer les livres jeunesse que monsieur Fastier jugeait médiocres – ou, par un contraste d’autant plus éclatant, d’encenser ceux qu’ils admirait. J’aimais beaucoup son ton iconoclaste, vachard mais toujours argumenté, tellement bienvenu dans le milieu « littérature jeunesse » sclérosé par son obligation d’être sympa et ses prescripteurs de bon goût.

Yann Fastier a fermé ce blog, mais il en ouvre un autre, et de là lance une nouvelle structure d’édition (d’auto-édition) appelée On verra bien. J’aime les auteurs qui, ayant publié hadroitagauche, délaissent, fugitivement ou durablement, leurs éditeurs, leurs habitudes, leur distribution, leur visibilité, leurs droits d’auteur, en somme leur carrière, et remettent leur compteur à zéro en auto-publiant ce qui leur chante, je les aime tendrement, fraternellement. Ils sont plus nombreux que l’on croit. Une jolie petite armée mexicaine. Je donne à l’occasion des exemples, comme ici, ou ici, ou même ici, ou comme là – ou naturellement comme Benoît, je cite Benoît à tout bout de champ parce que sa démarche héroïque a été le vrai déclic pour moi, peut-être pour d’autres aussi, vive Benoît ! Benoît Président ! Benoît pape ! (Allez hop, Benoît XVII, fumée blanche et on n’en parle plus.) Ou encore, comme Larcenet qui, ah ben tiens regarde comme c’est curieux la coïncidence, co-fonda en 1997 la maison d’édition Les Rêveurs, dont la toute première collection fut baptisée en 1997 On verra bien. Déjà à l’époque cette injonction circonspecte mais confiante formait une roborative enseigne.

Bref. La note d’intention d’On verra bien, les nouveaux, les prochains rêveurs, m’a enchanté, et j’ai souscrit à leurs futures parutions les yeux fermés. Je vous enjoins à faire de même : souscrivez, les amis, 9 ou 20 euros c’est bien peu pour encourager celui qui fait, et pour se laisser surprendre par un objet introuvable ailleurs. Je suis attentif, depuis, aux péripéties, à leurs lents fignolages de leur premier livre (signé par un blogueur du nom de dOg), à leur joie égoïste et sublime de la beauté du geste, à leur plaisir de recevoir leurs numéros d’ISBN, ah, ça me rappelle ma jeunesse. Tous mes vœux, les gars.

Caillou un peu, mais surtout papier et ciseau

12/03/2013 2 commentaires

Une fois pas coutume : Hervé Bougel est prophète en son pays. Les bibliothèques de Grenoble célèbrent son inlassable travail d’éditeur par une exposition et une série de rencontres, sous l’intitulé général La poésie cousue main, qui rend justice à sa triple casquette de poète, d’esthète, d’arpette. Le défilé sur podium, à moins que ce ne soit le vernissage de l’expo, aura lieu le vendredi 22 mars prochain à partir de 18h30, à la Bibliothèque d’Étude de Grenoble. Je serai présent, puisque non seulement Hervé et moi co-éditâmes une Racontouze, mais surtout j’ai la joie l’honneur et l’avantage de me compter parmi les auteurs des éditions pré#carré, où j’ai publié en 2011 une lettre morte, une plaquette bleue reliée à la main d’un brin de raphia, oui messieurs-dames, noué par les mains mêmes du taulier figurez-vous, intitulée Dr. Haricot de la Faculté de Médecine de Paris.

Depuis quinze ans peut-être qu’il anime à bout de bras son atelier carré de poésie qui dit bonjour, en tout état de cause depuis sept ans que je le côtoie, Hervé passe par des phases de doute et de lassitude, du type : « Cette fois ça suffit, pré#carré me pompe toute mon énergie, je jette l’éponge, j’ai des choses à écrire au lieu de me consacrer à l’écriture des autres… » Mais tout aussi régulièrement, il tombe sur un manuscrit qui fouette son enthousiasme, remonte son ressort, et c’est reparti mon kiki. Lisez donc ce vieux post sur son blog, entendez comme il parle bien d’un texte qu’il veut défendre, et en filigrane, de son métier d’éditeur. Il va de soi que je ne lui jette pas la pierre, cyclothymique moi-même, je comprends les pétages de feu aussi bien que les pétages de durite.

Aujourd’hui, toutefois, il semble que le pré#carré pourrait toucher pour de bon à son terme, et que cette belle expo soit bouquet final, fête d’enterrement (de première classe)… Quelques indices de liquidation : aucun signe de vie sur son blog-très-intéressant depuis six mois… Certes on peut toujours lire les archives, qui seront stimulantes longtemps (je reconnais sans rechigner que son blog, tutti-frutti des travaux et des jours, des humeurs et bonnes et mauvaises fois, des livres qu’on fait et de ceux qu’on lit, me fut une source d’inspiration directe).

Bah. Même si vraiment le glas d’un cycle a retenti, on retrouvera RVB ailleurs. Il suffira de le chercher là où il se trouve – il est très actif sur Facebook où il a inventé la Photo qui bouge (ici l’émission de radio qui a fait le renom de ce gang de maniaques), et ses prochains livres, cousus par d’autres, feront forcément parler.