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Dessinez des prophètes !

10/01/2015 2 commentaires

Je suis Charlie

Après le choc.

Les yeux encore rouges, les larmes, le manque de sommeil, les heures d’écran.

Au moins aurons-nous communiqué d’abondance, durant trois jours. Conversations, débats, communions, embrassades, fesse-boucage et dizaines de mails, échange d’émotions et d’idées. On passe nos nuits en ligne parce qu’on cherche à comprendre. Contributions innombrables, liens. Parmi les textes les plus forts que j’ai lus : celui de Rushdie, celui d’un lecteur d’Averroès et du Coran (le verset 140 de la quatrième sourate dit aux musulmans ce qu’ils doivent faire lorsqu’ils se retrouvent face à des gens qui « tournent en dérision » les versets d’Allah : quitter le lieu et ne pas demeurer à leurs cotés – Allah s’occupera de les envoyer en enfer au jugement dernier), mais aussi celui, viscéral, du Webmestre Masqué du Fond du tiroir. Il avait l’intention d’en faire une lettre ouverte à Hollande, mais je ne sais pas s’il l’a envoyée, il serait bien du genre à la laisser au fond de son tiroir, c’est de famille. Mon vieux, tu as les clefs du blog : je t’invite à publier ton texte ici-même.

Parmi les autres textes reçus hier, celui-ci, privé, émanant d’un ami cher, m’a fait gamberger :

Ce qui nous touche tellement, je crois, c’est qu’ils on tué l’Enfance.
Ces gars de Charlie hebdo étaient des gosses (on entend ça partout, ça doit être vrai) avec le goût de la déconnade, l’absence de calcul, l’inconscience, la folie… que cela suppose. Ils ont tué des enfants.
Mais ils ont aussi tué notre enfance. Nous vivions, avec nos principes, nos valeurs, notre naïveté, comme des enfants.
Vous qui écrivez, les artistes, vous faites profession d’enfance. Il n’y a rien de plus beau.
Et là, on est obligé d’en sortir, de voir. On se heurte au réel. C’est d’une brutalité inouïe ; on n’a même pas le temps de faire notre crise d’adolescence.
Il va pourtant falloir devenir adultes très vite.
Devenir adultes, pour pouvoir reconstruire l’enfance.
C’est ça qui doit nous rassembler, nous faire tenir.

Si je partage le constat de brutalité et la nécessité d’affronter le réel, je suis loin d’être d’accord avec l’analogie entre des dessinateurs de presse et des enfants, ni dans ses tenants (qu’y a-t-il d’enfantin chez un type qui déclare Je préfère mourir debout que vivre à genoux ? Ou alors, les enfants sont plus responsables que bien des adultes, point de vue qui se défend), ni dans ses aboutissants (okay, nous sommes en guerre, et s’il faut faire la guerre je la ferai avec mes moyens, à ma mesure… Mais la guerre est-elle vraiment une preuve de maturité ? Certes c’est ce que dit la chanson, Et puis les adultes sont tellement cons/Qu’ils nous feront bien une guerre)…

En revanche, l’enfance, je la reconnais distinctement dans le plaisir, la joie. Et avant tout la joie de faire. La joie de dessiner.

Alors, hier, pour me relever, et pour m’occuper les mains loin des fil d’actu et pis aussi pour rire un peu plutôt que de pleurer toul’tant-toul’tant, vous savez quoi j’ai sorti mes crayons et j’ai fait un très zoli dessin. Je me suis appliqué, j’ai presque pas débordé, j’ai fait un joli Prophète Muhammad (que la paix soit sur lui).
Je suis sûr que Charb quand il a débuté, ne dessinait pas mieux que ça. Vingt ans plus tard, il ne dessinait toujours pas mieux que ça, mais ça s’appelait « son style » , il a dessiné des millions de bonshommes, toujours les mêmes, avec un gros nez rond et trois points dessus, sauf que s’il lui ajoutait un turban sur le crâne, son bonhomme devenait le prophète et ça méritait la mort. Lisez je vous prie La vie de Mahomet de Charb, lire ce livre (lire tout court) fait partie de la résistance aussi bien que de la culture générale, livre enfantin par son dessin si l’on veut, mais extrêmement sérieux dans son récit, cautionné par des théologiens, car contrairement à ses assassins Charb savait lire et avait lu les textes coraniques. « Islamophobe » ? Faut-il être bas du front ou manipulateur ou manipulé pour penser une chose pareille ! Cf. ceci, mais cf. Charlie, lisons Charlie avant d’avoir une opinion et une arme.

Moi je débute dans le dessin, j’ai 20 ans devant moi. Et ensuite moi aussi je mériterai le paradis.

Il est bien gentil ce label carré Je suis Charlie collé partout, je l’ai adopté aussi, pas bégueule, mais tout bien réfléchi, puisque je suis à nouveau en état de réfléchir, j’estime qu’on rendra un meilleur hommage à Charlie en dessinant, en s’amusant à dessiner, plutôt qu’en diffusant ce slogan qui fleure un peu le marketing (ils détestaient tellement la pub). Voir aussi cette interview de Luz, l’un des survivants : « Au final, la charge symbolique actuelle [du soutien unanime à Charlie comme symbole de la liberté de la presse] est tout ce contre quoi Charlie a toujours travaillé : détruire les symboles, faire tomber les tabous, mettre à plat les fantasmes. C’est formidable que les gens nous soutiennent mais on est dans un contre-sens de ce que sont les dessins de Charlie.« 

Et voilà, ça a marché, j’ai dessiné mon prophète en riant, je vous jure que j’allais mieux après.
Je conseille à TOUT LE MONDE de dessiner son prophète. Ne serait-ce que pour prouver que ça ne fait pas mal.
Je suis d’avis de diffuser partout la phrase Toi aussi dessine ton prophète plutôt que Je suis Charlie. C’est comme ça qu’il faudrait le comprendre, le slogan ‘Je suis’ : I am Spartacus ! Liquidez-moi comme vous l’avez liquidé, liquidez-moi à sa place tant que vous y êtes, je suis prêt à la recevoir, la fatwa pour un petit dessin.

Dessinez des prophètes ! Chiche, on s’y met tous ! Et puis d’ailleurs, vous n’êtes pas obligés de dessiner spécifiquement Muhammad (que la paix soit sur lui), vous pouvez dessiner le prophète que vous voulez, ce n’est pas ce qui manque, dessinez un pape, un rabbin, un Hollande, un Sarkozy, un Séguéla, un Houellebecq, un Zemmour… Un Charb, pourquoi pas. Mais dessinez-les. Appropriez-les vous sur papier et à la taille que vous voudrez. Représentez-les. La représentation est un outil de pensée pour enfants de tous âges.

Le Fond du tiroir tétanisé par l’horreur

08/01/2015 2 commentaires

je suis charlie

Hier.

Toute l’après-midi, j’ai tremblé, suffoqué, pleuré et fumé.
Atteint dans ce que je fais, ce que je suis, ce que je crois.
Je suis resté longtemps tétanisé, hoquetant devant l’écran, faisant défiler plusieurs fils d’actualité simultanés.

Ensuite, parce qu’il fallait bien faire quelque chose, madame la présidente du Fond du Tiroir et moi-même avons rejoint le rassemblement silencieux de Grenoble. Une marée, des milliers de personnes, les plus grandes places de la ville bondées, de Grenette à Victor-Hugo, ça réchauffait un peu.
J’y ai croisé Jean-Pierre Andrevon, qui a évoqué ses potes Cabu et Wolinski, Hara-Kiri. Puis Michel Cambon, qui m’a parlé en étouffant des sanglots de son pote Tignous, et de La Grosse Bertha. Chacun son Charlie.

Quant à moi, comme l’immense majorité de la foule je ne connaissais aucun des douze personnellement, mais je pourrais faire mien le slogan qui court partout, Je suis Charlie, je suis au fond très Charlie, depuis toujours je lis et j’écris avec Charlie. Je suis abonné depuis 20 ans, dose hebdomadaire, je les ai toujours soutenus même quand ils me mettaient en colère (la scandaleuse éviction de Siné, la propagande pro-constitution européenne de Val…), j’ai toujours aimé qu’ils me mettent en colère, de cette colère démocratique pleine de mots mais sans kalachnikov, parce que Charlie était la proue de la démocratie, l’incarnation de la liberté d’expression, de la liberté tout court. Et cette liberté, cadeau gigantesque, c’était sans compter le talent, qui venait en bonus – l’un de ceux qui m’a appris à écrire, c’est Cavanna – et parmi ceux qui m’ont appris à regarder : Reiser bien sûr, Willem, Cabu, Topor, Luz, Charb, Catherine, Riss, Siné, Wolin…
La liberté d’expression, la liberté tout court, le talent, la délicatesse d’apprendre à lire et regarder, et l’art de faire rire… ont été égorgés sous nos yeux écranisés comme une rangée d’otages de Daesh.

Fatale spirale a été conçu dans un état bizarre, assez funèbre, parce que je redoutais qu’il arrive une catastrophe, pas cette catastrophe-ci forcément, mais une catastrophe, le climat était menaçant. Sauf que, quitte à en faire un livre, je voulais faire rire d’abord ! Je voulais l’écrire à la Charlie finalement, l’outrance qui émancipe et qui fait rire, parce que le rire fait du bien, le rire fait du mieux, le rire évite la catastrophe. Le rire énorme, le rire con, le rire bête et méchant (slogan antiphrase, ou pas), et mon aphorisme wolinskien préféré est Pas de plus grand plaisir que de dire des conneries avec des gens intelligents.
Alors je l’ai écrite en riant ma Spirale, je l’ai écrite comme une grosse farce et de fait, ça allait vachement mieux après. Mais qui peut blaguer aujourd’hui ? Depuis 24h je pleure et fume et me morfonds, et je prends en grippe mon foutu bouquin qui a eu le mauvais goût de paraître en ce jour de sang et de cendres, qui se voulait joyeux, et qui me semblait soudain indécent, dérisoire, écœurant et sinistre, c’est comme si on en avait fait un autodafé sous mes yeux.

Mais Nathalie Riché, critique de Lire, le qualifie au contraire de « livre qui tombe à pic » , aujourd’hui sur son blog, elle explique pourquoi, et ça va mieux, elle me requinque, peut-être parce que je l’ai requinquée, c’est ça qu’on doit faire, on doit tous se requinquer en chœur.

Merci infiniment. Et maintenant, on fait quoi ? Demain et d’ici la fin de notre vie ? En réalité le court terme crée le long, et le court c’est le long en personne, c’est la Spirale : il faut dès demain continuer de faire ce que l’on sait faire. Lire, écrire, dessiner, peindre, enseigner, soigner des gens, jouer de la musique, rire, etc, et le reste qu’on ne sait pas, il faut l’apprendre.

Je vous embrasse. Embrassons-nous.
Fabrice

(Flashback en post-scriptum : le 2 novembre 2011, l’humeur était à l’indignation, nous sommes aujourd’hui très au-delà.)

Fatal

07/01/2015 Aucun commentaire

solution

Devinette. Aujourd’hui 7 janvier 2015, partout en France un événement bourrera les boutiques, engorgera les échoppes, saturera les supérettes. Lequel ?

Réponse A : l’ouverture des soldes, bien sûr.

Pour ceux que les soldes n’intéressent pas, réponse B : sortie en librairie de Soumission de Michel Houellebecq.

Pour ceux que ni les soldes ni Houellebecq n’intéressent (commencent à être difficiles ceux-là), réponse C : sortie de Fatale Spirale (édition Sarbacane, illustrations de Jean-Baptiste Bourgois et gros bisou d’Amnesty International).

Le texte de Fatale Spirale est né parce que je souhaitais écrire quelque chose autour de la Villeneuve de Grenoble, mais sans ajouter au bavardage (j’ai déjà pas mal bavardé moi-même sur la question) ni à la lamentation, sans plomber l’ambiance, sans préchi ni précha, juste sourire à la cantonade histoire de voir si c’est contagieux.

Voilà pourquoi j’en ai rédigé ainsi la dédicace : Pour Muriel J., parce qu’elle est toujours la première à sourire, et pour tous ses voisins de la galerie de l’Arlequin, à Grenoble.

Voilà qui, également, éclaire la photo ci-dessus, saisie en décor naturel, devant un silo de cette même Villeneuve. Merci pour la photo à Patrick Reboud.

Remettez-moi encore deux ou trois voeux c’est pour emporter

02/01/2015 Aucun commentaire

FMP5

Chères personnes,

Bonjour-la-bonne-année, que 2015 vous soit etc. etc. très sincèrement etc.

L’an 15 en ce qui me concerne débutera par deux spectacles littéraro-musicaux, à trois jours d’écart, forts différents, mais où je mouillerai ma chemise en direct. Votre présence à ces deux happenings me ferait plaisir. Je vous invite à réserver une soirée, ou l’autre, ou les deux.

* le dimanche 18 janvier à 18h, j’aurai la joie de ressusciter un spectacle qui après avoir pas mal voyagé entre 2008 et 2013, sommeillait depuis deux ans : Les Giètes, d’après le roman du même nom, adapté pour la scène avec Christophe Sacchettini.
Lecture musicale tout terrain et en duo, se prêtant volontiers aux contraintes du « Spectacle en appartement », ce Giètes-revival sera donné au domicile même dudit Christophe Sachettini, à Grenoble, et selon les modalités désormais quasi-traditionnelles des prestations présentées dans ce cadre, « Les dimanches du 8502 » : le spectateur paye au chapeau (10 euros par tête de pipe, c’est bien) et apporte un quelque-chose à manger ou à boire pour partager et se remettre des émotions.
Jauge bien sûr très limitée, donc réservation impérative auprès de Marie ou de Christophe.
Des précisions sur le spectacle ici.
Attention : comme pratiquement toutes les représentations précédentes de ce spectacle, celle-ci sera la DERNIÈRE ! L’ultime. La finale. Cette fois c’est vrai. Ne la ratez pas.

* le mercredi 21 janvier à 20h : Vironsussi, alias « Fais-moi peur, Saison V » sera présenté à l’auditorium l’Odyssée (Eybens). Je me produirai avec Olivier Destéphany, Christine Antoine, et l’orchestre Les Aventuriers de l’Archet Perdu au grand complet.
Il s’agit de la version scénique du livre-CD baroque et fantastique « Vironsussi » dont nous fêterons la sortie pour l’occasion.
Le spectacle est gratuit et, a priori, l’auditorium comptant 310 places, réserver n’est pas indispensable. Seulement prudent.
Des précisions sur le livre ici.

(J’ai conscience que le concurrence sera rude puisque ce même mercredi 21 janvier à 20h, le CCC de Grenoble proposera la version restaurée de Change pas de main)

Vous êtes encore là ? Vous n’avez pas décroché de cet interminable curriculum ? Dites donc, vous êtes endurant, félicitations, un jour de gueule de bois, en plus. Vous avez bien mérité un peu de Modiano. Puisque nous sommes là entre nous, à deviser gentiment littérature contre musique (« tout contre »), je vous invite à lire le beau discours de Modiano, récipiendaire Nobel. Car il y déclare notamment :

Cette relation intime et complémentaire entre le romancier et son lecteur, je crois que l’on en retrouve l’équivalent dans le domaine musical. J’ai toujours pensé que l’écriture était proche de la musique mais beaucoup moins pure que celle-ci et j’ai toujours envié les musiciens qui me semblaient pratiquer un art supérieur au roman – et les poètes, qui sont plus proches des musiciens que les romanciers. J’ai commencé à écrire des poèmes dans mon enfance et c’est sans doute grâce à cela que j’ai mieux compris la réflexion que j’ai lue quelque part : « C’est avec de mauvais poètes que l’on fait des prosateurs. » Et puis, en ce qui concerne la musique, il s’agit souvent pour un romancier d’entraîner toutes les personnes, les paysages, les rues qu’il a pu observer dans une partition musicale où l’on retrouve les mêmes fragments mélodiques d’un livre à l’autre, mais une partition musicale qui lui semblera imparfaite. Il y aura, chez le romancier, le regret de n’avoir pas été un pur musicien et de n’avoir pas composé Les Nocturnes de Chopin.

L’intégralité du discours est ici.

Au revoir, et la-bonne-année.

Fabrice

Post scriptoum : si vous avez lu ce message jusqu’au bout, je vous remercie chaleureusement. Vous m’épatez, je vous félicite derechef. Pour vous récompenser, une info supplémentaire : ce mois de janvier est également marqué, pour moi, par la parution d’un album intitulé Fatale Spirale chez Sarbacane (ill. Jean-Baptiste Bourgois). Je serai présent dans l’excellente librairie les Modernes (6 rue Lakanal à Grenoble) le samedi 10 janvier à partir de 14h pour le présenter au public, rencontre, dédicace, lecture, tout le bazar. Ici encore, vous serez les bienvenus.

Santé Bonheur

31/12/2014 Aucun commentaire

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Dans l’édition DVD du film Le Bonheur (1965), la géniale et malicieuse Agnès Varda, qui utilise toujours le mot latin bonus au pluriel, a donc ajouté Les boni du Bonheur.

Parmi ceux-ci, on trouve sous le titre « Le bonheur, concept ou patronyme ? » une très brève interview de quelques personnes dont le patronyme est Bonheur. Notamment, une jolie jeune femme se présente à nous avec un grand sourire : « Bonjour, mon nom est Karine Bonheur et je travaille à la Maison de la Santé. »

Santé, Bonheur. De quoi garder le sourire une bonne partie de l’année. Le Fond du tiroir lève son verre et vous souhaite pour l’an nouveau plein de Varda et peu de prison.

Fauve

22/12/2014 2 commentaires

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Les souscripteurs ayant désormais reçu leur exemplaire (merci Yv pour la première recension) de notre roman musical augmenté de sa bande-son sur CD, nous pouvons mettre fin au suspense et lever le voile ci-dessus sur la vraie de vraie couverture définitive de Vironsussi : ni rouge ni grise ni bleue ni verte, tout compte fait elle nous arrive fauve, nuance honeupeuplu appropriée pour notre conte de bête sauvage.

Comme nombre d’autres coups de théâtre ayant émaillé une longue aventure éditoriale, cette idée de dernière minute (la maquette était sur le point d’être envoyée à l’imprimeur) a surgi lors d’une séance de montage-de-bourrichon à deux, entre Olivier et moi, dans une salle de répétition de musique (une autre de ces « sessions de travail » fut relatée ici) :

Moi – Alors, cette couve ? Il est temps de trancher, là.
Lui – Ben je sais pas. La grise a l’air de faire consensus, non ?
Moi – Le consensus on s’en cogne. Faut choisir celle qui nous plaît.
Lui – Heu… La rouge ou la grise.
Moi – La rouge, ou la grise ?
Lui – Quoique la bleue… Elle n’est pas mal, la bleue.
Moi – On n’avance pas. Et que dirais-tu d’orange ? C’est ma fille qui a suggéré orange hier, j’ai d’abord trouvé ça bizarre mais plus j’y réfléchis plus je crois que c’est une bonne idée.
Lui – (grimaçant) Orange ?
Moi – Okay. J’ai compris. T’es pas fan.
Lui – (accentuant sa grimace, visualisant je ne sais quel papier peint des années 70) Tu veux dire, orange, orange ?
Moi – Je veux dire orange fauve, flamboyant, orange qui brûle les yeux, pas fluo mais chaud, tirant sur le brun…
Lui – Par exemple, dans ce genre-là ?… (tapotant du doigt le bois d’une des nombreuses contrebasses au garde-à-vous contre le mur de la salle de répétition)
Moi – (écarquillant les yeux façon Eureka) Le bois de la contrebasse… Mais comment n’y a-t-on pas pensé avant ?

Ni une ni deux, Olivier photographie le dos orangé de sa contrebasse, vieille d’un siècle et demi et couverte d’expressives rayures balayant les motifs ligneux le long de la table, comme si un vironsussi s’était soudain crispé, agrippé à son instrument (« Les ongles de ma main gauche ont égratigné le bois. » Vironsussi p. 149), et il envoie l’image à Patrick. Patrick adopte immédiatement l’idée, recompose sa maquette de couve, l’expédie chez l’imprimeur, et en voiture jeunesse et roulez Simone.

Vous n’aurez donc plus la surprise de la couleur en commandant ce livre. Que cela ne vous empêche pas de le commander. Il ne se réduit pas à sa fauvitude de façade, vous en verrez d’autres, et de belles, et entendrez.

Récupérez-moi !

21/12/2014 Aucun commentaire

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Illusion d’optique : ce n’est pas parce que nous approchons de Noël que la bougie ci-dessus illustre un énième article sur La Mèche (toujours en vente, ceci dit). Cette faible flamme sur fond jaune qui vacille derrière les barbelés est en réalité le fameux logo d’Amnesty International. D’ailleurs sans me vanter je risque gros, la menace sur leur site est explicite, ça fait peur : « Le logo d’AMNESTY INTERNATIONAL FRANCE a fait l’objet d’un dépôt de marque auprès de l’Institut national de la propriété industriel (INPI). Cette marque ne peut donc être reproduite sans l’autorisation du  secrétariat national. Toute utilisation du nom ou du logo d’AMNESTY INTERNATIONAL FRANCE, sans autorisation constitue une contrefaçon, dorénavant punie de peines pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende en cas de poursuites » , la vache, si je me retrouve en taule trois ans pour usurpation de logo, tu sauras pourquoi, n’oublie pas de militer pour mes droits, me laisse pas croupir au fond d’une geôle humide, je suis un être humain merde, je ne sais pas, moi, fais quelque chose, alerte Amnesty.

Et pourquoi que je le reproduis effrontément, le logo, assumant de si terribles risques ? Je vais t’expliquer, pourquoi, attends, laisse-moi digresser, je te raconte.

Je me sens irrécupérable. Parfois, par mélancolie, par pessimisme pathologique, il m’arrive d’être certain que le pire est inévitable. Je prophétise que l’avenir ressemblera fatalement à Zemmour, à Daesh, à Gattaz, à Cahuzac, à Swagg Man, à Guantanamo, à Closer, à Pascal Brutal, à Jessica Deboisat, à Davos et à Fukushima. Et parfois non. Parfois je suis récupérable. Je suis même récupéré.

Hier soir je me trouvais au bord de la route et je me suis fait récupérer. Je rentrais tard du boulot, j’ai couru mais j’ai loupé mon bus, à ça, à rien, sous mon nez. Le suivant et dernier passerait une heure plus tard. Alors j’ai levé le pouce. Je n’avais pas fait du stop depuis des années. C’est très bien, le stop, de temps en temps, pour éprouver son taux de récupérabilité.

J’ai été récupéré successivement par deux personnes qui m’ont chacune offert la moitié de la route. Un militaire (je ne suis pas capable d’aimer l’armée, j’ai mes raisons, j’ai fait mon service, mais je suis capable d’apprécier un militaire, d’aimer un être humain) et une paysanne (et j’aime les paysans comme la paysannerie, moi-même petit-fils de).

D’abord le militaire, qui revenait du Mali, un Noir avec l’accent antillais qui écoutait du zouk mais qui se disait Normand, qui m’a raconté que le plus difficile tout de même à la guerre, c’est que ses enfants lui manquent, un garçon une fille, quatre et six ans, les voir grandir, les voir tout court, enfin là pour ce soir que faire d’autre, il partait rejoindre des collègues pour faire la fête, pas de problème il avait bien le temps de faire un petit détour pour moi ; puis l’agricultrice, une camionnette chargée des provisions hebdomadaires, et l’odeur de fromage, qui m’a dit avoir hésité à me prendre parce qu’elle était épuisée par sa longue journée, elle havait hâte, levée à 4 heures pour son troupeau de brebis, puis là toute l’après-midi jusque trois heures après la nuit pour tenir la permanence de son magasin de producteurs, à quelques jours de Noël tout se jouait, mais que bon, à cette heure-ci il ne passait plus grand monde alors elle ne pouvait pas me laisser là au bord de la route avec le froid, et où est-ce que j’habite ? ah, alors, elle va faire un petit crochet pour moi, oh, non, ça ne la rallonge presque pas. Je suis parvenu chez moi, plus vite qu’en bus et surtout mieux, je me sentais superbien, remonté comme une pendule, méditant la tripartition dumézilienne, le soldat le paysan et le clerc, je voyais bien le rôle qu’il me restait, le costard à enfiler : le scribe, la souveraineté magique et juridique. J’ai encore cette humeur-là ce matin, à t’écrire, à estimer que le pessimisme est un vilain luxe pour qui n’a pas besoin de lever le pouce.

Mais revenons.

Comme je suis irrécupérable mais que j’aime être récupéré, j’ai écrit un livre l’an dernier. Il s’appelle Fatale spirale. Il sort dans quelques jours. C’est un livre à l’envers, qui prend à rebrousse-poil la catastrophe, qui dit Cessez-le-feu sur un ton tout bizarre, tout burlesque, le ton optimiste contrefait par un pessimiste, tout y est à double-fond. Je viens d’apprendre que ce livre a tapé dans l’œil d’Amnesty International France, qui, quelques fois l’an, appose son logo sur la couverture d’un livre choisi dans le catalogue Sarbacane, et explique pourquoi en quat’ de couv’. Je suis soutenu par Amnesty, rends-toi compte, c’est aussi bien que de soutenir Amnesty. Y’a pas à tortiller les gars, faut qu’on se serre les coudes ! Je suis récupéré par Amnesty. Oh oui, récupérez-moi, s’il vous plaît ! Je ne demande que ça, me faire récupérer avec ce bouquin : je veux aller le lire dans les écoles, les lycées, les agoras, les rues, les manifs, partout. À bon entendeur.

À chacun, joyeuse fête de la lumière. Fêtons le solstice, ce jour à partir duquel tout s’arrange, fêtons les Lumières.

J’aime le hurlement du vironsussi le soir au fond des bois

12/12/2014 Aucun commentaire

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Vironsussi, le très attendu ([Par qui ?], comme dirait Wikipédia) livre-CD du Fond du Tiroir, est enfin disponible. Je le tiens entre mes mains et il me réjouit le coeur. Je sens mon poil qui pousse, mes canines qui enflent, mes oreilles qui s’effilent, mes ongles qui pointent. Je ne détaille pas le reste, mais bref tout grandit. J’ai une de ces envies de hurler à la lune, moi. Par surprise, l’ouvrage nait revêtu d’une tout autre couleur que celles envisagées précédemment. Alors ? Alors ? Il ressemble à quoi, finalement ? Suspense !

Les souscripteurs découvriront son teint incessamment, en recevant leur exemplaire dans leur boîte aux lettres. Vous avez encore allez disons deux trois jours quatre maxi pour profiter de la promo de souscription (nous vous faisons grâce des frais de port, téléchargez le bon ici) et recevoir votre exemplaire avant Noël. Après quoi, certes il vous sera toujours loisible de commander le luxueux objet, mais en passant par le bon de commande du Fond du Tiroir.

Pour fêter dignement ce considérable événement littéraire et musical, Télérama, le magazine préféré des bobos, a décidé de consacrer sa une à un portrait du co-auteur et compositeur de cette œuvre épouvantable, j’ai nommé M. Olivier Destéphany. Remarquons que Télérama a tellement de flair que la couverture du journal reproduite ci-dessus, sur laquelle Olivier souffle dans son trombone, date de juin 1991. C’est beau, c’est même beau-beau, d’être à ce point en avance sur son temps.

Noël-Noël est-il le fils caché de Lola Lola et Humbert Humbert ? Et sinon, quoi ?

05/12/2014 Aucun commentaire

Franquin

Pour le plaisir, je reproduis un dessin d’André Franquin. J’admire Franquin avec constance depuis une bonne quarantaine d’année, soit depuis l’instant crucial où, à peine capable de me tenir assis tout seul sur mon derrière, je fus (je me revois) saisi soudain par l’intuition que la destruction par mâchouillage n’était pas le seul usage possible de l’objet « livre » qu’une grande personne avait placé entre mes mains. Depuis lors, jamais je n’ai vu un mauvais dessin de Franquin. Je ne connais que le trait toujours bienveillant de Franquin, expressif, drôle (alors que l’homme était dépressif chronique), généreux, humaniste… Franquin est nourrissant. On puise dans son dessin une joie sans cesse renouvelée, une évidence, une justesse, une souplesse qui est aussi souplesse de l’esprit, on puise tout ce qui semble couler de source mais qui en réalité provient d’un travail acharné, d’une pratique quotidienne. La maîtrise sereine mêlée à la recherche perpétuelle (comme chez Moebius ou Crumb, deux similaires passions de longue durée). Un grand artiste. Une humilité maladive, avec ça.

Pour le plaisir, je reproduis CE dessin d’André Franquin. Autoportrait expéditif, crobard modeste et cependant merveilleusement représentatif de son art. Le contexte a beau être poignant voire funeste (Franquin se remet alors de son premier infarctus – quelques années plus tard, le prochain aura raison de lui), ce dessin est un memento mori plein de grâce, d’esprit, de vie même, de profonde légèreté, de métaphysique-pour-tous, qui rendrait des points aux variations sur le même thème par les maîtres de la Renaissance.

Je constate que je me suis laissé déborder… Je voulais procéder comme d’habitude, glisser une illustration sans rapport direct avec mon propos, et sans prendre le soin d’expliciter le lien, débrouillez-vous lecteurs, je vous tiens pour intelligents… Mais ce matin, pour une fois, l’exégèse du dessin a pris le dessus, j’en ai finalement écrit deux paragraphes. C’est parce que j’aime Franquin. (Sous ce lien, une mise en scène maison, autre hommage à un gag de Franquin.)

Revenons tout de même au sujet. Or quel est-il ?

Il est plus tard que je ne croyais. Le temps vole : c’est un oiseau, c’est un voleur.

Deux ans que je n’avais pas publié de livres. Je rattrape en vitesse, avec un doublon, un doublet, un doubli, un double-clic, deux livres en quinze jours. Des faux jumeaux, comme en 2010.

* Vironsussi, avec Olivier Destéphany et Romain Sénéchal, Le Fond du Tiroir, décembre 2014 (op. 15)

* Fatale spirale, avec Jean-Baptiste Bourgois, Sarbacane, janvier 2015 (op. 16)

Tous deux sont calés, chez l’imprimeur, cordon coupé, je ne peux plus corriger, je peux toujours me gratter. Ils ne se ressemblent pas tellement. Je sais de moins en moins quoi répondre quand on me demande Vous faites quoi comme genre de livre, aucune idée, un livre après l’autre, pas très vendeur l’absence de genre. Ces deux-là je leur cherche des points communs… À première vue je n’en trouve qu’un, peu significatif : ils contiennent tous deux l’expression « œil pour œil dent pour dent ». Je suis le maître es-Talion, ou quoi ?

Concernant l’arrière-boutique au Fond-du-Tiroir, sachez que la souscription de Vironsussi a relativement bien marché : plus de 30 souscripteurs à ce jour, merci à eux. Le livre atteindra son seuil de rentabilité au bout de 230 exemplaires écoulés, c’est dire si nous ne sommes pas encore extraits des ronces (certes on a fait pire : certains titres antérieurs, comme La Mèche ou L’Échoppe n’ont remboursé leurs frais de fabrication qu’au bout de plusieurs années ; d’autres comme ABC Mademoiselle ou Lonesome George n’y parviendront a priori jamais…), donc continuez à remplir et renvoyer le bon de souscription, braves gens ! Et vous recevrez avant Noël un bel ouvrage augmenté de son CD. En déballant le paquet, vous découvrirez en outre et en exclusivité la vraie couleur de sa couverture, différente des quatre précédemment envisagées… Encore plus belle, je ne vous dis que ça. Les non-souscripteurs ne savent pas ce qu’ils perdent. C’est même à cela qu’on les reconnaît.

Nuancier automne/hiver

20/11/2014 un commentaire

Couverture
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Je me tâte. Qu’enfiler pour sortir ? Je m’habille et me déshabille, je prends la pose devant la psyché. La couve du prochain livre… En gris ? En vert ? En bleu ? Que convient le mieux à sa carnation ? Vous avez le droit de voter, mais seulement si vous êtes inscrits sur les listes électorales – pour cela, remplir le bon de souscription.

C’est excitant, les finitions. Autant que les prémices. Entre les deux, une course de fond – deux ans d’endurance, en l’occurrence. Deux ans que je n’avais pas publié de livre. Vous je ne sais pas, moi ça m’a manqué. Enfin, il est prêt. C’est un roman. De genre, en plus. Genre : épouvante. J’ai déjà fait à son propos l’éloge de la série B, mais voilà que, pour abonder dans l’éloge du fantastique, je viens de tomber, exactement comme on déniche à la dernière seconde l’épigraphe qui cerisera le gâteau, sur une citation de Tolkien qui me plaît énormément : Pour réprouver la littérature d’évasion, il faut être un peu geôlier sur les bords.

J’ai cueilli cette profonde sentence durant une lecture revigorante que je recommande à chacun toutes affaires cessantes : le manifeste de Neil Gaiman, Pourquoi notre futur dépend des bibliothèques, de la lecture et de l’imagination. Gaiman l’a rédigé parce qu’il est préoccupé par une certaine tendance des pouvoirs publics, enclins en Angleterre (et très bientôt en France, je le crains) à prendre prétexte de la crise-partout-partout et de leurs dettes pour abandonner les bibliothèques, réduire leurs dotations, voire les fermer purement et simplement… L’argent manque, alors on sacrifie l’esprit : on vise la tête. Bang ! Choix politique effarant (quoiqu’il serait cohérent dans un pays dont la Ministre de la Culture avoue sans manière qu’elle n’a pas lu un livre depuis deux ans). Merci à l’éditeur de ce texte, Au diable vauvert, de le donner à lire gratuitement.

(Dans ce même texte, Gaiman confesse une funeste erreur : avoir mis trop tôt entre les mains de sa fille des romans de Stephen King, au risque de la traumatiser… L’anecdote me rappelle quelque chose… Attention, lecteurs ! Vironsussi n’est pas un livre pour enfants ! Pas du tout non non.)