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All work and no play

All work and no play makes Jack a dull boy All work and no play makes Jack a dull boy All work and no play makes Jack a dull boy All work and no play makes Jack a dull boy… J’ai un livre à écrire, moi, non ? Si ? Où en étais-je ? Ah, oui, la semaine dernière j’ai fait une drôle de connerie.

Comme il faisait beau, j’ai sorti la voiture et je suis parti me promener avec mes deux filles au col de l’Arzelier, au-dessus de Prélenfrey. Là, une station de ski, verte et déserte, désœuvrée par le printemps. Les bourgeons et les ours se réveillent, les tire-fesses et les combinaisons fluo s’endorment. Les télésièges grincent mollement sur place, la salle hors-sac se pétrifie à double-tour, l’office du tourisme jaunit comme un prospectus, la boutique de location de matériel meurt de désespoir… Et puis nous avisons un hôtel, et même L’hôtel L majuscule, tout seul au col, « Hôtel des deux sœurs », fermé, vaguement lugubre, passé de mode autant que de saison, tous volets clos, un écriteau barrant la porte vitrée : « A VENDRE ».

Le vent siffle. Mes deux filles et moi, nous relevons le col de nos manteaux, nous humons l’air vif. Personne alentour.

Collant nos nez et nos mains en visière à la baie latérale, nous nous efforçons d’inspecter  l’intérieur de l’établissement, désaffecté et par conséquent mystérieux : une salle de réception obscure, des chaises retournées sur les tables, des alignements de bouteilles d’alcool prenant la poussière, un bar.
« Bon sang ! dis-je tout haut, grattant ma barbe. Un hôtel esseulé et sinistre au sommet des montagnes, vestige d’une splendeur morte encore gorgée de fantômes… Un bar qui semble avoir fermé à l’instant et qui pourrait s’animer à nouveau sous nos yeux, comme par magie… Voilà qui fait puissamment penser à Shining ! Et comme par hasard il s’appelle « Les deux sœurs », en plus ! L’enseigne fait remonter certaines images… Deux petites filles se donnant la main dans un couloir…
– Papa ! Papa ! C’est quoi, Chaille-nine ? C’est quoi, Chaille-nine ?
– Ah, mes chers enfants, en vérité je vous le dis, Shining est un très beau film. Un chef d’œuvre, sans aucun doute. Je vous le montrerai dès ce soir, c’est promis, profitons que votre mère ne soit pas là. Vous verrez là un rude morceau de cinéma, qui va vous nettoyer les yeux, pas comme cet infâme nanar de Papagalli que je vous ai infligé dernièrement sous prétexte qu’il a été tourné dans la région, tout près des fameuses « deux sœurs », mettant en péril le goût des belles choses que tout père doit transmettre à sa descendance. Mais oublions Papagalli ! Je vais me racheter, grâce à Stanley Kubrick !
– Oui papa chéri ! Oui papa chéri ! On veut voir Chaille-nine ! Chaille ! Nine ! Chaille ! Nine ! criaient à tue-tête les chères créatures, plissant les yeux et serrant leurs petits poings !
– Ah, ah ! Votre enthousiasme fait chaud au cœur, enfants ! », ajoutai-je en les ébouriffant du plat de la main pour mieux dissimuler que leur ardeur m’émouvait jusqu’aux larmes. Car en mon for intérieur je pensais, non sans une pointe d’orgueil : « J’ai donc réussi leur éducation ! Elles montrent une vigoureuse appétence pour les choses de l’Art ! »

Et c’est ainsi que le soir, nous nous sommes regardé Shining.
En entier.
Qu’est-ce que je suis con, c’est pas possible ! Totalement irresponsable, le daron ! Shining à 11 ans ! Au moins, Papagalli, ça n’empêche personne de dormir !
À presque une heure du matin, j’étais encore au chevet de la cadette, tétanisée :
– Non ! Aahhh ! Aahhh ! Non, n’éteins pas la lumière !
– Allons, il faut dormir, maintenant… Ce n’était qu’un film, voyons… Pas pour de vrai… Un film…

– Mais papa ! Ses yeux ! Papa ! Ses yeux ! Ses sourcils ! Papa ! Haaaa !
– Ah, non, par pitié, tu vas pas te remettre à pleurer ! Allons… Ferme tes yeux… S’il te plaît… Faut faire dodo…

Qu’est-ce que je suis con ! Mais c’est pas tout ça, bonne nuit les enfants, papa a un livre à écrire… All work and no play makes Jack a dull boy !

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