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Avorton

On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées ; et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre ; ce que je vous dirai, c’est qu’il serait à souhaiter que ces sortes d’ouvrages pussent toujours se montrer à vous avec les ornements qui les accompagnent chez le roi. Vous les verriez dans un état beaucoup plus supportable, et les airs et les symphonies de l’incomparable M. Jean-Baptiste « Factotum » Lully, mêlées à la beauté des voix et à l’adresse de danseurs, leur donnent, sans doute, des grâces dont ils ont toutes les peines du monde à se passer.
Molière, préface à l’Amour médecin, 1666

Je ne suis pas superstitieux, mais j’ai refait le compte. Lonesome George, petit livre écrit l’automne dernier et qui au terme de huit mois de fausses joies et de vraies avanies fut finalement déclaré en état de mort cérébrale, est mon treizième livre. Ce fantôme de livre est donc la XIIIe arcane de mon tarot, la mort qui fauche et la résurrection. Je l’aime bien ce petit avorton, ce roman de poche qui ne restera qu’une idée (une bonne idée) dans la tête et le disque dur de ses concepteurs.

Je ne vais pas détailler l’histoire, ça me ferait de la peine, mais disons que le livre entrevu a d’abord été accepté, puis dans un deuxième temps refusé par une maison d’édition, par conséquent inscrit puis effacé puis réinscrit sur le planning de publication du Fond du tiroir, puis brutalement suspendu suite à la défection de son maître d’oeuvre… Et enfin définitivement abandonné à l’annonce de la mort de sa figure tutélaire, la tortue Lonesome George. Ce texte se voulait (notamment) un éloge de la lenteur encarapacée, dans un monde de laideur en surcapacité, et exprimait une sorte de tendresse pour ce reptile géant, unique en son genre, sans doute voué à disparaître tragiquement sans descendance, mais après tout on n’en était pas sûr, puisqu’il lui restait une espérance de vie de près d’un siècle, ah, il était censé tous nous enterrer ce vieux George, tant de choses aurait pu se passer en un siècle, George sans vouloir simplifier à outrance m’apparaissait une jolie métaphore de l’espèce humaine, dure comme une armure d’écailles mais bien fragile dans son destin, en danger de mort peut-être, mais peut-être pas, il faudrait vérifier d’ici un siècle, être patient, être lent, laisser venir. Fatalitas, voilà que George meurt, comme il a vécu, tout seul, et lentement, encore jeune homme. On comprendra que le trépas du totem m’ordonnait de renoncer une bonne fois à mon texte numéro 13 qui, de fait, changeait de signification : finie la lenteur, fini le « tankyadlavi, yadlespoir », tout est foutu bonnes gens.

Après avoir hésité un peu, je vous l’offre tout de même, foin de triskaïdékaphobie. Vous pouvez lire ce texte, dans sa version pré-maquette à peine corrigée, en cliquant ici. Mais attention, ce n’est qu’un texte. Ce n’est pas un livre. Il vous faut imaginer ce qu’il aurait été in fine sous la superbe couverture à tiroir dessinée par JP Blanpain, avec la quat’ de couve très belle itou, avec entre les deux tous les jeux de mise en page, de changements de police comme de registre, d’images trafiquées, d’abîmes induits par la société de l’information, de facétieux culs de lampe, il manque en fait presque tout ce qu’il y avait de facétieux.

Non : tel quel, en version téléchargeable et bradée, ce n’est pas un livre. C’est un texte. Comparez. Vous n’avez qu’à considérer que c’est ma contribution au débat « lire un livre numérique, est-ce encore lire un livre ».

Lonesome George devait être mis en vente au mois de mai, au prix de 9 euros. Vous pouvez désormais le lire gratoche. De rien, ça me fait plaisir, c’est cadeau. La crise partout-partout, on sait ce que c’est. Pour autant (et même pour un peu plus), vous pouvez soutenir le Fond du tiroir en achetant ses autres livres, ceux qui existent pour de bon. Il se trouve que j’ai besoin de liquidités pour fabriquer l’opus 14 (sortie en novembre). Tankyadlavi, merci d’avance.

Autre genre de prose, de saison : ici se trouve mon rapport 2012 À l’école des écrivains, comprenant mes considérations annuelles sur l’Éducation Nationale et un atelier d’écriture effectué au collège de Lubersac (Corrèze), si ça intéresse quelqu’un.

Rectificatif, novembre 2012 : oh, et puis si, allez, je le publie quand même ce Lonesome George. En conséquence je désactive le lien ci-dessus donnant accès au PDF.

  1. 08/07/2012 à 11:34 | #1

    Bon, je l’ai lu moi ce Lonesome George et il me plait bien ainsi que son quasi homonyme le petit Georges qui veut prendre son temps. Ah, qu’il est bon de pouvoir vivre à un rythme personnel, loin de celui, effréné, que l’on veut nous imposer ! Merci Fabrice.
    Dans un genre ressemblant mais très loin quand même, vous apprécierez la BD Noir et Blanc en couleurs, de Edoardo Di Muro, édité chez Roymodus (à voir sur leur site)
    Bonne continuation et à bientôt

  2. Laetitia
    13/08/2012 à 09:37 | #2

    Ah voilà.
    Emporté en vacances, ce fascicule très mal imprimé pour cause d’économie de bouts de chandelles. Il suffisait de comprendre quelle jonglerie me permettrait de le lire dans l’ordre et sans réfléchir à chaque bas de page.
    Alors non, je ne crois pas avoir lu un livre. Le texte tombait à point nommé, lors d’un séjour sous le soleil des Pyrénées Orientales, où, pour survivre lorsqu’on débarque du « Grand quart Nord-Est », il importe de ménager son métabolisme en ralentissant chacune de ses activités.
    Merci bien!
    Je te conseille, si tu ne l’as pas déjà lu, « Point Omega », de Don de Lillo, bel hommage à la lenteur et la contemplation.
    A bientôt peut-être!

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