Accueil > En cours > Thébaïde (Troyes, épisode 2)

Thébaïde (Troyes, épisode 2)

Selon Virginia Woolf, « une chambre à soi » définit le minimum vital pour une femme qui veut sa liberté. Cette célèbre formule proposée par la romancière anglaise dans les années 1920 pourrait s’appliquer aux grandes mystiques et religieuses, logées dans les couvents sans mari ni enfants à charge. La réclusion comme occasion d’étudier, de méditer, d’écrire… Une chambre à soi – one’s own room – cela peut se dire en latin cellula.
Frédéric Pagès, Philosopher ou l’art de clouer le bec aux femmes, p. 52

Première nuit passée dans ma thébaïde nommée Ginkgo. Première fois que j’ai fait la cuisine ici, puis la vaisselle, première fois que j’ai entendu un train faire vibrer les vitres de ma chambre. J’aime bien les premières fois, c’est à nos âges le seul artifice qui vaille pour se sentir un peu adolescent, c’est-à-dire littéralement advenant, selon le précepte truffaldien « Ce qui est émouvant avec les adolescents c’est qu’ils font tout pour la première fois », j’ai même écrit un roman en forme d’apologie pour les premières fois et les adolescents, justement parce que ce roman était une deuxième fois.

Thébaïde c’est un joli mot mais c’est vite dit, je n’ai pas l’intention de rester enfermé quatre mois penché sur l’œuvre tel un moine copiste. L’appartement qu’on m’alloue est certes immense et confortable, mais d’abord j’ai sûrement des voisins très intéressants (une ruche de résidences d’artistes, ce Ginkgo), je ne demande qu’à admirer, mon exaltation prend aussi la forme heureuse de l’admiration, et puis j’ai un monde à découvrir dehors aussi. Hier soir j’ai passé près de trois heures à sillonner le centre-ville de Troyes en écarquillant les lotos, Regarde de tous tes yeux regarde !, j’adore ça, dans le registre première-fois c’est même l’une de mes sensations préférée, se perdre puis se retrouver dans une ville inconnue qu’on fait sienne pas à pas, grisé comme par la Liberté en personne. Et d’ailleurs j’aime passionnément marcher. S’il est un objet qui ne va pas me manquer cet automne, c’est bien la bagnole.

Troyes et moi avons donc « fait connaissance », comme je m’exclame dans Les Giètes. Elle est décidément bien jolie, et plus encore que jolie, coquette : elle se pomponne on dirait un peu partout, en travaux ici et en majesté là, en colombages partout, ce centre-bouchon vous a un côté ville-vitrine, sur son 31 rien que pour vos yeux, « Et ma basilique, tu l’aimes ma basilique ? », un rien cabote, charmante vieille élégante, de bonne compagnie. Mais d’un seul coup paf, face à la cathédrale on se prend par surprise le musée di Marco dans l’œil ! Troyes terre de contrastes ! Ah, enfin du mauvais goût, salutaire sous la dent, trash et sang à la une, grande classe popu et sublimation des déviances, Détective-le-retour, ouf, on a presque eu peur de s’endormir en terre exclusivement bourgeoise… Hélas, l’est fermé sine die, le di Marco. Je n’ose rien en conclure.

Je sens que je vais me plaire, ici. Et je vais bien travailler. J’ai déjà commencé. Quelques bonnes heures de thébaïde par jour, tout de même. Je vous en cause prochainement, peut-être demain.

  1. Yann
    02/09/2011 à 20:11 | #1

    A nous deux, Troyes !
    Bravo pour de pari tenu (2 jours = 2 billets). Demain, trois sur Troyes ?

    PS 1: je me place pour le concours du jeu de mots de plus pourri avec « Troyes ».
    PS 2: en écho à ce que tu écris sur la première fois dans une ville, voir ou revoir Romain Duris découvrant Barcelone dans L’Auberge espagnole.

  1. Pas encore de trackbacks

*