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Le livre par terre

(Suite directe du précédent article, à propos de mes interventions en milieu scolaire.)

Ce qui me plaît aussi, dans ces invitations scolaires, c’est que je vois du pays. J’aime aller vérifier sur place que les êtres humains y sont à peu près les mêmes qu’ailleurs. En 2009, je partais à la Réunion, et c’est la destination la plus lointaine et exotique que je dois, que je devrai jamais sans doute, à mes livres. C’était dans le cadre de l’opération À l’école des écrivains, des mots partagés, qui expédie des écrivains missionnaires dans des collèges dits « ambition réussite », expression langue-de-bois signifiant : collèges ‘difficiles’, d’une âpreté sociale et scolaire aggravée par l’abandon de la carte scolaire, fréquentés par des mômes du lumpenproletariat, massivement issus de l’immigration, en échec scolaire, déconnectés de l’écrit, de l’école, d’eux-mêmes. Je suis revenu enchanté de mon aventure réunionnaise. Certes, enchanté par le dépaysement, puisque j’étais alléché par cette destination, soupçonnant la misère (scolaire) d’être moins terrible au soleil ; mais enchanté aussi par le travail accompli, bon exemple de ce que je mentionnais la dernière fois : devoir accompli, et plutôt bien accompli, je crois.

2010 : je rempile À l’école des écrivains. Cette fois-ci, fini l’exotisme : je suis affecté dans une classe de 4e du collège Lucie-Aubrac, à la Villeneuve de Grenoble, à 15 kilomètres de chez moi. Je m’y suis déjà rendu par trois fois – reste une séance, prochainement. Je ne me suis jamais trouvé confronté à une classe aussi dure, et alors là, oui, je tombe dans l’autre cas de figure : j’en sors frustré et perplexe, échouant à établir le contact avec ces adolescents, doutant de leur avoir apporté quoi que ce soit, doutant d’en être capable, me prenant dans la gueule vingt ans (au moins) de crise de l’éducation, en tant qu’institution et en tant que représentation.

Je sens que je vais avoir du mal à raconter. Tant pis, je me lance. J’entre dans la classe. Ils n’ont pas lu mon livre. Ce n’est pas grave en soi, nous n’avons qu’à prendre le temps de faire connaissance, je peux lire à voix haute, je peux parler, nous pouvons discuter… Sauf que c’est très difficile. Je commence à me présenter… le brouhaha ne cesse pas une seconde, basse continue avec des éclats de voix ici et là. Ils bavardent, ils s’interpellent, ils consultent leurs téléphones portables, ils se demandent à peine (contrairement à moi) ce que je fais là. L’un des garçons fait le vent, et il ne cessera quasiment pas de faire le vent pendant toute la séance. Il souffle en relevant le col de sa veste : « Whou, hou !… », ainsi de suite. Tout en parlant, je me perds en conjectures sur la signification de ce bruitage, une métaphore sûrement, mais de quoi ? Et soudain, j’avise au fond de la classe, mon livre, par terre. Le prétexte, le support de ma présence ici. Mon TS, mon sang, ma sueur et mes larmes, jeté au sol. Que fait-il là ? Je m’interromps – le brouhaha, non.

Je me considère blindé du point de vue de l’ego, je ne prends pas pour un affront personnel ce puissant symbole de rejet. Ce n’est pas mon livre qui a été jeté au fond de la salle, mais le livre en général. Le livre est à terre. Pour eux, pour l’école, pour l’Education nationale. Je dis : « Mais… Qu’est-ce qu’il fait là, ce livre ? » Ils ne prêtent pas attention à cette question. Personne n’en veut, de ce livre. La prof de français, en revanche, s’empresse : « Mais oui, c’est vrai, qu’est-ce que c’est que ce livre ? Il est à qui ? Qui a jeté son livre ? » Personne ne répond. Elle se précipite au fond de la classe, ramasse le livre, et revient le déposer sur son bureau en expliquant que c’est mal de jeter des livres. La séance se poursuit.

Je m’efforce de leur parler, « Je ne peux pas faire d’angélisme, je ne peux pas vous dire : lisez, c’est bon pour vous. Je ne peux que témoigner que lire a été bon pour moi… », j’essaye, je parle, je parle, je ne suis pas en capacité de mesurer ce qu’ils entendent… Pendant ce temps le vent souffle : « Whou-hou ! » Le temps que la prof fasse une réflexion pour faire cesser la soufflerie, deux autres se sont levés ou ont engagé une autre conversation. Je commets l’erreur de hausser le ton. Une jeune fille me répond :  « Mais monsieur, pourquoi vous nous criez dessus ? Ça ne sert à rien. » Elle a parfaitement raison, bien entendu.

La prof fait une tentative à son tour : « Ce roman parle de l’adolescence, parle de la vie au collège… Est-ce que vous vous y retrouvez ? Vous avez une réaction ? Vous avez quelque chose à dire à Fabrice Vigne qui est venu pour vous en parler ? » Comme elle interpelle nommément un gars près de la fenêtre, celui-ci est obligé de répondre. Il finit par dire : « Ça va. Ça ne me dérange pas. » Je ne le dérange pas. Que dois-je en penser ? En tout cas, pas « toujours ça de gagné ». J’aurais infiniment préféré le déranger, je n’ai pas trouvé les mots.

Nous enchaînons en discutant (?) de l’écriture. De la façon dont j’ai écrit ce livre : « J’ai procédé  comme mon personnage. À chaque chapitre, j’ai pris un mot au hasard dans le dictionnaire, et j’ai écrit mon histoire autour de ce mot. Parce que c’est avant tout un roman sur le langage : si vous maîtrisez le langage, vous maîtrisez votre rapport au monde, vous vous maîtrisez. Alors mon personnage se réfugie dans son dictionnaire, il y puise des mots en étant convaincu que c’est la vérité… C’est ‘un livre qui dit la vérité’, un livre sacré, comme la Bible ou le Coran… »

Un petit gars au fond de la classe, à gauche, à côté de l’endroit où était jeté le livre, semble se réveiller. Il me « calcule », bravache, il me parle pour la première fois : « Quoi, m’sieur ? Vous croyez que la Bible, c’est la vérité ? Qu’est-ce qui vous dit que c’est la vérité, la Bible ? »

Il n’a manifestement rien compris de ce que j’essayais d’exprimer. Il a embrayé directement sur une agression communautariste : tout ce qu’il voit en moi est un représentant du ‘système’, des classes dominantes, françaises, blanches, lettrées, chrétiennes – une cible. Il me sert un combat de néo-colonisé contre le néo-colon que je suis, du Franz Fanon dénaturé, décérébré façon gangsta, il défend sa religion et s’en prend à « la mienne », son Coran contre « ma » Bible. Ah, le con. Je suis atterré par l’obscurantisme (1) de sa réaction.

Je me sens désemparé, impuissant. Je repense à ce que m’avait dit une enseignante, il y a déjà plusieurs années, alors que j’intervenais dans sa classe : « Je sens venir un nouvel illettrisme, depuis quelques années. Cela m’inquiète beaucoup. Comme un signe avant-coureur de guerre civile. » Ce jour-là, j’avais trouvé qu’elle exagérait, qu’elle était alarmiste, guerre civile comme vous y allez, je m’étais efforcé de la rassurer, de rationaliser…

Que faire ? Il y a forcément quelque chose à faire… Il me reste une séance avec eux… J’y retourne…

(Suite et presque fin prochainement sur cet écran : Pourri, résistance, rebellion.)

(1) – Attention. Étant donné le caractère sensible de ces matières, le mot ‘obscurantisme’ dans ce paragraphe pourrait me valoir facilement un procès d’intention en islamophobie. Aussi je me sens obligé d’enfoncer une porte ouverte, et de préciser ma position : je  ne veux pas me mettre les musulmans sur le dos. J’espère au contraire les avoir tous, les obscurantistes, dans le dos. J’affirme donc que je ne stigmatise pas l’Islam. Mon intention est plutôt de stigmatiser la religion, quelle qu’elle soit. Celle, aussi bien et très chrétienne, de l’individu qui nous tient lieu de Président de la République : une déclaration comme « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur», qui ne peut que jeter de l’huile sur le feu, est un symptôme différent du même obscurantisme contemporain. Je respecte la foi (et c’est sur ce respect que j’ai écrit Les Giètes, figurez-vous) quand elle crée un lien au monde, à l’autre, à la connaissance, mais je méprise de toutes mes forces cette foi-là, cette foi qui se passe de la connaissance, cette foi d’autant plus intolérante qu’elle est superficielle et ignorante, cette foi qui donne un vernis « d’esprit » à tous les embourbés du matérialisme, qu’ils soient Présidents de la République ou collégiens indigents des cités. Cette foi littéralement obscurantiste (persiste et signe), qui n’encourage certainement pas à lire, pas plus les textes sacrés qu’autre chose, transformant les livres saints en grigris magiques intouchables, tabou, alors que ces livres devraient être, comme n’importe quel livre et comme des dictionnaires, des supports à sagesse et exégèses, à échanges, à discussions. Et dire que ces foutues superstitions de masse s’intitulent « religions du livre » ! Suis-je clair ?

Les habitants de la terre se divisent en deux,
Ceux qui ont de l’esprit mais pas de religion,
Et ceux qui ont de la religion mais pas d’esprit.

Abu-l-Ala al-Maari, poète arabe (973-1057)

  1. 12/04/2010 à 10:17 | #1

    ben mon Fabrice! la Charte n’a pas prévu la prime de risque comme celle que perçoivent certains fonctionnaires mutés en Corse?! oui je vais m’attirer les foudres de ces dits fonctionnaires et des corses aussi!!!
    je te cite, comme souvent sur ton blog quand j’y laisse un commentaire, la lecture de Jeanne Benameur et de son Présents, quand le prof de français n’en peut plus et que la seule chose qu’il trouve à faire en classe un beau matin est de lire aux élèves. je sais c’est un roman, mais comment parler à des jeunes qui n’écoutent pas parce qu’ils ne comprennent pas? en fait je te dis ça, mais tu as peut-être essayé???
    ce que tu analyses clairement à mon sens, c’est la catégorisation immédiate ; tu es classé du côté du pouvoir, de la répression, l’école la police la justice -pas les églises bizarrement – , et même ton ouverture et ta culture ne passent pas. il faudrait certainement du temps, beaucoup plus de temps que ces trois séances… que fait la prof entre temps? va-t-elle leur parler de ton retour prochain? qu’en disent, diraient-ils?
    je pense en te lisant à la scène de flop cinématographique de Jean II et envie le simple trait de Mario Ramos, qui sans mots va direct au coeur. je pense aussi au travail de Stanislas Tomkiewicz auprès des ado désocialisés avec qui il pratiquait des ateliers d’écriture poétique, pédagogie de détour dont le but était (est) le retour bien sûr.
    et puis je me demande comment l’école en est arrivée à ne plus du tout avoir le contact, loin des programmes pourquoi pas si c’est fait sans démagogie. perte des humanités qui humanisent, homminisent… ya bien quelques pistes de réponses ; pour l’instant « c’est de la bombe, bébé »!

  2. Mehdi
    14/04/2010 à 01:25 | #2

    Ça fiche carrément la frousse … l’impression qui se dégage de ce post, c’est qu’il faut, de la part de l’enseignant, ou de l’intervenant, une vigilance exacerbée afin de ne pas heurter des pseudo-sensibilités immatures et relatives.
    Ça c’est dramatique.
    Autrement plus dramatique, c’est de vouloir donner, donner sans retour, et ne pas se faire comprendre.
    A décharge pour ces érudits de la théologie, dont je ne suis pas certains qu’ils se subordonnent tous aux valeurs coraniques d’une recherche de la perfection comportementale, il n’en demeure pas moins qu’ils sont le fruit de notre société et qu’ils reflètent un échec qui n’est pas celui de Fabrice Vigne et ses 3 séances de cours. L’échec est celui d’une politique, générale, qui n’a pas su s’adapter. Mais je ne développerais pas d’avantage au risque de digresser plus généralement sur « l’état social » de notre beau pays en passant par A.de Gobineau jusqu’à « la ferme des célébrités ».
    Donc, dans un autre contexte un peu plus gai, j’ai, sans le vouloir, favorisé l’acquisition de « Putain d’usine » par la bibliothèque de Varces. En effet, comme cette BD était citée dans les sujets de janvier, j’ai questionné Christophe le bibliothécaire fan de BD lui aussi sur son avis. Bref, en rayon à partir du 7 mai (d’ici là les VIP varçois l’auront déjà terminé, en même temps que la trilogie Rosalie Blum tout à fait extraordinaire).
    A bientôt Fabrice !

  3. 22/04/2010 à 14:15 | #3

    Bouh, c’est carrément affligeant ! Le pire étant ce sentiment d’impuissance qui doit inexorablement habiter les enseignants confrontés à ce genre d’élèves, de classes. Comment parvenir à les intéresser à quoique ce soit dans de telles conditions ? Comment ne pas finir en dépression ? Franchement, ça fait froid dans le dos !

  4. vicki
    16/06/2010 à 20:38 | #4

    Bonjour,
    Je suis étudiante en deuxième année de sciences politiques et assistante d’éducation (pionne) à Lucie Aubrac.
    Je laisse ce message pour deux raisons.
    Déjà pour vous remercier d’avoir fait le déplacement au collège. J’ai eu vent de vos interventions et on m’a dit qu’elles s’étaient mal passées. A la lecture de vos articles il semblerait que mon interlocuteur ai quelque peu euphémisé. Je reconnais dans votre récit plusieurs élèves et je voudrais vous dire ceci: le comportement qu’ils ont eu vis à vis de vous, outre qu’il a été inacceptable, n’est pas révélateur de ce qu’ils sont individuellement mais d’un comportement de groupe contre lequel il est difficile de contruire un échange. Il est très dommage qu’ils n’aient pas profité de votre présence pour que vous puissiez échanger. Je suis, en tant qu’ancienne élève de ZEP et issue de quartier dit difficile toujours très surprise du rejet de ces enfants pour tout ce qui est extérieur au quartier. Vous avez parfaitement analysé qu’ils vous avaient assimilé à une cible mais je tiens néanmoins à vous assurer que tout n’est pas perdu. Je suis moi-même un avatar de ce qu’ils ont rejeté en refusant de vous écouter : blanche, étudiante et extérieure au quartier (je ne suis pas de Grenoble mais du nord des Hautes Seine) pourtant j’arrive avec la plupart de ces enfants à créer une certaine relation de confiance.
    Je ne veux pas leur donner d’excuses, et d’ailleurs je voudrais, si vous êtes d’accord et si j’en ai le temps avant la fin de l’année étudier avec eux ce que vous dites de votre expérience sur ce blog.
    La deuxième chose pour laquelle j’écris ce message c’est que je suis furieuse et frustrée par ce qui se passe dans ce genre de quartier. Quand va-t-on se décider à tout raser? Parce que c’est la seule chose qui reste à faire si l’on veut vraiment lutter contre la ségrégation spatiale, raciale et intellectuelle qui sévit ici. J’en ai marre de voir que rien n’évolue et que de génération en génération on assiste à une division de plus en plus profonde dans notre société.
    La plupart de ces gosses vivent des situations et voient des choses que leur âge ne devrait pas permettre qu’ils voient. Et même si comme vous, certains jours je suis en colère, que je voudrais les étrangler avec leur connerie, les assommer avec leur orgueil mal placé et leur mauvaise foi, les étouffer dans leur vulgarité et les secouer pour les extirper de leur indolence, je n’oublie pas que ce ne sont que des enfants et que les adultes sont plus à blâmer qu’eux. Je ne parle évidemment pas de ces jeunes profs souvent plein de bonne volonté ou de ces parents souvent très proches de leurs enfants mais bien de ceux qui construisent ce système injuste et inique. J’en ai marre de voir chaque jour mes collègues tenter d’appliquer des politiques sparadras qui ne colmatent plus les brêches depuis bien longtemps…
    Je pourrais continuer indéfiniment sur ce thème mais je ne voudrais pas lasser votre patience.
    En vous remerciant de m’avoir lue jusqu’au bout…

  5. 17/06/2010 à 08:20 | #5

    Bonjour
    C’est moi qui vous remercie pour votre long et substantiel commentaire, qui confère un peu d’utilité sociale à mon blog.
    Moi aussi, j’ai grandi près d’une ZEP, puis j’y ai habité, puis j’y ai travaillé, je croyais être un peu averti… Pourtant, j’ai été pris de court, parce que la situation, me semble-t-il, s’est manifestement dégradée ces dernières années. Que faire ? « Tout raser » ? Ce n’est certainement pas la solution (que reconstruire après ?), mais je comprends votre colère. Ce qu’il faut faire, c’est ce que vous faites, c’est ce que j’ai fait (oh, fugitivement : je n’y suis allé que quatre fois), c’est à dire y aller, et travailler, jusqu’à ce qu’on puisse rééatablir le contact, en avalant couleuvres et frustrations. Ah, c’est ingrat ! Et incertain ! Je ne dis pas que j’y suis parvenu tout à fait, mais enfin, lors de la dernière séance j’ai pu échanger deux trois choses avec ces mômes
    « Je n’oublie pas que ce sont des enfants », dites-vous. Vous employez quatre fois le mot « enfants », et c’est vrai, le choc de la mise en présence avec eux ferait oublier leur jeune âge. Cela me fait penser à la chanson de Koumekiam, « Il a 12 ans », un beau texte, connaissez-vous ? On peut l’entendre ici : http://koumekiam.free.fr/
    Naturellement je vous donne carte blanche si vous souhaitez rediscuter avec ces enfants de ma traversée du collège – tenez-moi au courant je vous prie.
    Bon courage, et bien à vous,
    Fabrice Vigne

  6. Martine Mounier
    30/07/2010 à 20:16 | #6

    Pauvre petit écrivain malmené par l’indifférence d’élèves de banlieue.
    Pauvre petit écrivain vexé de ne pas avoir déranger avec son dictionnaire-nombril.
    Pauvre petit écrivain largué face au réel, se raccrochant au bateau-langage qui sauve.
    Pauvre pauvre petit écrivain préférant entendre un préjugé derrière une question plutôt que de saisir l’occasion – trop belle – de parler du rapport à la vérité et au mensonge.
    Pauvre pauvre petit écrivain dépassé par sa présence incongrue, son corps non-défendu dans l’arène de l’altérité hors de tout cénacle parisien tiède où l’on bavasse entre-soi du langage qui etc etc.

    Allez cher Fabrice Vigne, modérez vite mon commentaire.
    Je crains que vous remettre en cause ne soit déjà pour vous définitivement trop dangereux.

    MM

  7. 30/07/2010 à 23:54 | #7

    Au commentaire ci-dessus, j’ai d’abord répondu ceci :

    « Eh bien, ça alors, si je m’attendais à être démasqué ! Vous m’avez bien eu. Le cénacle parisien tiède où l’on bavasse entre soi, c’est tout moi. Excusez-moi, d’ailleurs, on m’y attend. Mais peut-être votre ressentiment exprime-t-il quelque jalousie de ne point y être conviée ? Voulez-vous que je fasse quelque chose pour vous ? »

    Puis, deux heures plus tard, cela :

    « Bof. Mon message précédant étant à peu près aussi vain que le vôtre, je vous en écris un second, pour tâcher de préciser ce que j’en pense. Je pense de nos deux messages que l’ironie, c’est bien joli, mais que ça décourage toute velléité de dialogue. Et c’est dommage. Il est possible que vous ayez des choses à dire sur le sujet ? Dites-les donc, plutôt que de vous foutre de ma gueule. Attenter à ma vanité de « pauvre petit écrivain » est tellement dérisoire ! Tâchez de comprendre que le destin de ces adolescents m’angoisse plus que le mien. Moi, j’en sors quand je veux, de ce damné ghetto. Et eux ? Que puis-je faire pour eux ? Rien, peut-être, c’est là le tragique.
    Je suis plus familier que vous ne l’insinuez (fort gratuitement) de la vie en banlieue en général, et de la Villeneuve de Grenoble en particulier. Or cette année, j’y ai trouvé la situation humaine, sociale, économique, culturelle, particulièrement dégradée. J’y ai rencontré (ou non-rencontré) des mômes dans l’incapacité d’apprendre, dans l’incapacité d’entrer en contact avec autrui (sinon par l’agression), et pire que tout dans l’incapacité d’éprouver de la joie : la tension, le rapport de force, la compétition sous diverses formes (surtout verbale), y sont omniprésents. J’en ai rapporté un goût d’échec terrible, échec personnel entre autres (lorsque je parle de leurs « incapacités », je parle de mon incapacité à leur faire surmonter leurs incapacités) et vous êtes pas mal à côté de la plaque quand vous en concluez « Je crains que vous remettre en cause ne soit déjà pour vous définitivement trop dangereux. » Pour tout dire, j’éprouve à vous lire un désarroi comparable à celui que m’ont laissé ces ados : l’impossibilité d’entrer en communication, d’apprendre les uns des autres, et d’en éprouver de la joie. Triple impossibilité qui fait de la vie sociale un enfer. La blogosphère aussi, c’est de la vie sociale.
    Bref, je n’ai pas compris ce que vous me vouliez, au fond. Je n’ai pas compris non plus comment vous étiez tombée sur mon blog. Je forme l’hypothèse que vous avez lancé une recherche « Villeneuve de Grenoble », liée à l’actualité.
    Elle me consterne, « l’actualité ». Hortefeux débarque en cowboy à la Villeneuve pour déclarer « Il y a une réalité simple et claire dans ce pays: les voyous et les délinquants n’ont pas d’avenir car la puissance publique finit toujours par l’emporter ». Croyez-vous que je cautionne de telles démonstrations de force ? Elles sont une autre manifestation desdites impossibilités, et nous sommes bien mal barrés.
    Bien à vous.
    Fabrice Vigne »

  8. Factotum
    31/07/2010 à 04:31 | #8

    « […] vexé de ne pas avoir déranger avec son dictionnaire-nombril […] »
    déranger, ça s’écrit pas dérangé, normalement ?

    Sinon, puisque tu parles du loup (par cow-boy interposé), c’est édifiant de voir comme, même (et surtout) venant d’un être aussi mesuré que toi, le sang appelle le sang, cf. ta première réaction épidermique.

    Alors l’autre niais qui pérore, éructe et vomit son vocabulaire guerrier, il s’attend à quoi, en retour ?
    À ce que les hordes de Huns et de Sarrasins plus ou moins mal gauloitisés qui f(s)ou(il)lent son sol national déposent les armes s’assoient en rond bien gentiment pour lire La Princesse de Clèves à l’unisson (et, accessoirement, lui en fasse un résumé) ?
    On leur donne pas des cours de médiation, aux PdlRF ? Surtout à ceux à qui il manque des cases au départ ?
    Mais je m’égare, pardon.
    PV

  9. Martine Mounier
    23/08/2010 à 14:12 | #9

    @Fabrice Vigne

    Pardon pour le délai à vous répondre, je n’étais pas devant l’ordinateur.

    Je ne sais pas comment je suis tombée sur votre blog. J’y suis tombée par hasard, si tant est que le hasard existe vraiment. Rien à voir avec l’actualité récente de la Villeneuve en tout cas. Nous sommes entièrement d’accord d’un point de vue strictement politique (au sens étroit du terme). Mon sujet était ailleurs, il était littéraire (au sens vaste du terme).

    Je ne faisais que réagir – un peu violemment, je vous le concède – à une attitude plus générale que votre cas personnel, qui consiste chez certains écrivains à croire que la culture, la littérature et les mots (le tout étant entendu comme un tout indissociable) sont, ou devrait être, la médiation ultime ou première.

    Or pensez-vous qu’il soit véritablement possible de nouer un dialogue si dès le départ nous n’entendons pas correctement ce qui s’exprime en face de nous ? Lorsque ce jeune élève vous dit que votre livre ne l’a pas dérangé, que savez-vous de la réalité de ce verbe pour lui ? Croyez-vous qu’il recouvre la même vérité que pour vous ? Pourquoi ne pas avoir travaillé, non à partir de ce qu’il ignore et qui vous importe (l’importance des livres) mais à partir de ce qu’il connaît et pas vous ? Pourquoi, par exemple, ne fait avoir oser lancer « j’aurais préféré que ce livre vous dérange ».

    Avez-vous lu « Le maître ignorant » de Jacques Rancière ?
    C’est un petit livre formidable. Je me permets de vous signaler le résumé qu’en fait le philosophe Jean-Clet Martin sur son blog ; peut-être comprendrez-vous un peu mieux ce que « je vous veux » en suivant ce lien :
    http://jeancletmartin.blog.fr/2008/03/05/l-egalite-3819933/

    Cordialement,
    MM

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