Mirliton Matin bleu (M.M. volume 1 : janvier 2023)

14/01/2023 Aucun commentaire

Jour Zéro

Oyez, oyez, oh yeah !
Dès le premier janvier
Adviendra le Grand Soir
Dans le Fond du Tiroir :
Marie Mazille et moi
Lançons, pour tout le mois,
Un nouveau quotidien !
Le « Mirliton matin »
Un média poétique
Musical sans musique
Qui traitera l’actu
Hors des sentiers battus
Rimaillera les faits
Pour les réenchanter !
(Ceci en prévision
De notre création
D’un concert en duo
Qui aura lieu bientôt :
Le vinteussept janvier.)
Oyez, oyez, oh yeah !

Le 1er janvier 2023 la page Fatchebouc du Fond du Tiroir accomplira une mue provisoire et deviendra… Mirliton Matin !
Mirliton Matin est un média éphémère (espérance de vie : deux mois/ obsolescence programmée : le 28 février), gratuit et joyeux qui, afin de résister à la sinistrose alimentée sans fin par l’actualité, ressuscitera la tradition du quatrain de circonstance et rimaillera sur quelques informations tombées aléatoirement sous nos yeux ou bien choisies sur le volet, aux bons soins de nos deux envoyés spéciaux sur le front de l’hémistiche, Marie Mazille et Fabrice Vigne.
Rien ne vaut un exemple… Aussi, en avant-première, je sélectionne immédiatement et sous vos yeux, mesdames et messieurs, une quelconque info du jour, ah, tiens, elle est particulièrement plombante, tant pis, c’est le jeu, cueillie sur Médiapart… et j’en concentre, comme en un creuset alchimique, la substantifique moelle pour faire naître un quatrain bien senti… alors le miracle s’accomplit ! La vie soudain, même la nôtre, même la vôtre, même celle des sapins toxiques, est infiniment plus gracieuse en alexandrins :

« Mon beau sapin, roi des forêts au vent fétide !
Une épine corrompt la magie de noël :
Des branches du Nordmann tombent les pesticides
Et nous les savourons en guise de cocktail
. »

Jour 1

1er janvier, MIRLITON MATIN !
Demandez MIRLITON MATIN !
Le quotidien qui vous enchante et qui paraît quand ça lui chante !
Le quotidien qui vous emballe et qui fait vibrer les timbales !
Le quotidien qui vous enivre et qui vous cause comme un livre !
Le quotidien qui rime ailleurs et qui devient bouquet de fleurs !
Le quotidien qui prend l’actu et lui colle une plume dans l’flux !

Lors, que puiserons-nous dans le remugle immonde
Des actualités qui encombrent le monde ?

George Santos est un sensationnel vantard
Nouveau champion poids lourd du cynique bobard
Fringante incarnation du futur politique
Qui nous vient (forcément) de New York, Amérique.
Enfoncés, les Contras, l’Irangate de Ronald…
Dépassée, la fable « armes massives » Bush Junior…
Relégués, tous les tweets vérolés du Donald…
Le boniment ricain a un nouveau cador !
Il s’appelle George Santos et il ment tellement bien
Qu’on ne peut croir’ ni ce qu’il dit ni son contraire
Il ment comme il respire, il ment pour tout, pour rien
Sur ses parents, sur son argent, sur sa carrière…
Sur sa vie sexuelle : il jure qu’il est gay
Si cela lui rapporte un électeur de plus !
La vérité est morte ! Et chacun peut briguer
Un mandat d’imposteur car toute honte est bue.
Ce jeune homme ambitieux, politicien ultime
Assure qu’il n’a fait que ce que d’autres font
Falsifier son CV pour un job… Pas un crime !
Puisqu’il vous dit que l’important est qu’il soit bon.

Jour 2

Mirliton Matin vous souhaite une bonne journée et une bonne année !
L’info du jour est très intéressante, preuve en est qu’elle est puisée dans Ça m’intéresse.
1
« Tes yeux sont si profonds que j’en perds la mémoire »
Ainsi parlait, à son Elsa, Louis Aragon
Qui, même s’il était un stalinien notoire,
Était, grâce à l’amour, rendu un peu moins con !

2
Attention aux dangers méconnus de l’orgasme !
On désire bien sûr ce vibrant choc nerveux
Qui nous secoue la fibre et l’âme et l’enthousiasme
Mais nous rend amnésique avant que d’être vieux

Jour 3

Mirliton Matin, rubrique sportive ! Le triste destin d’un champion.
Avec, pour l’un des deux quatrains (je ne révèlerai pas lequel), un reporter invité, M. Christophe Sacchettini.

1
Pauvre champion cycliste qui, sans ex-aequo
Et peut-être non plus sans anabolisants,
Avec pour seule came un peu de proseco,
Passe d’une heure de gloire à un drame cuisant !

2
C’est-il assez ballot d’échouer si près du but
A trop la secouer on triomphe sans gloire
Lors que notre champion aurait pu mieux boire
En penchant de côté son jéroboam en rut

Jour 4

Mirliton Matin, rubrique politique française !
Parfois l’actu s’offre comme un cadeau : le discours de nouvel an d’Emmanuel Macron, pour incongru et scandaleux qu’il fût, comprenait cette question de pure rhétorique, faussement naïve… mais qui, à peine remaniée, forme un délicieux alexandrin : « Qui aurait pu prévoir la crise climatique ? » Oui, il l’a dit. Il a osé.
Avec une telle matière première, rédiger le reste du poème n’était plus que formalité pour l’équipe de professionnels chevronnés de Mirliton Matin :


« Qui aurait pu prévoir la crise climatique » ?
La France compatit à l’effroi de Manu.
Nous qui ignorions tout ! L’instant serait critique ?
L’info est stupéfiante et nous tombons des nues !
Car depuis quarante ans, seuls quelques scientifiques
(Tous amish, marginaux, gauchistes malvenus)
Clament que le climat atteint un seuil critique !
Les autres, les sérieux, ont toujours soutenu
Que tout va pour le mieux ! La ré-ale politik
Rassure les marchés, et chaque revenu
De la croissance augmente les ruisseaux de fric
Pour sauver la Planète et tout son contenu !
Le réveil est brutal et l’aveu, poétique.
Terminée la bamboche, tas de parvenus !
Le président élu de notre République
Nous prendrait-il pour une bande d’ingénus ?

Jour 5

Mirliton Matin, rubrique vie pratique !
M.M. vous souhaite bon courage pour la reprise, et accompagne la fin de votre période de bamboches alimentaires avec une recommandation sanitaire.

Ce qui est bon pour nous ne l’est pas pour les bêtes.
Nos orgies ne sont pas pour les chiens, ni nos tables.
Chocolats interdits aux clebs pendant les fêtes !
Car Médor risquerait un trépas lamentable.
Son maître, quant à lui : uniquement diabète,
Surpoids, indigestion, plaisir un peu coupable.

Jour 6

Mirliton Matin, rubrique culturelle : un concerto de John Cage dure 639 ans.
Nous en extrayons deux quatrains, dont l’un comprenant une praïvète djoke à propos d’une chanson qui, si tout va bien, ne durera pas 107 ans.

1
L’œuvre lente de Cage, dont le prénom est John
Dure, c’est étonnant, six-cent trente et neuf ans.
Un accord chaque année et tout l’orgue en résonne.
Allah, dit le Coran, couronne les patients.

2
Ça ne vous suffit pas, un chant de 107 ans ?
Nous avons trouvé mieux : six siècles et des poussières !
Concerto pour têtus et pour leurs descendants
Qui à leur tour seront retournés en poussière.

Jour 7

Mirliton Matin, rubrique faits divers : alerte à la bombe à l’hôpital de Toulon après l’admission d’un octogénaire s’étant introduit un obus dans le rectum !
Les deux envoyés très spéciaux de M.M., Marie Mazille et Fabrice Vigne, ont immédiatement été dépêchés sur le lieu du drame afin d’enquêter sur cette délicate affaire.
Chacun, en toute indépendance, en a promptement rapporté (c’est ce que font les reporters) un papier. Nous les publions tels quels, mais par pudeur et discrétion, nous ne dévoilerons pas à nos lecteurs qui a écrit quoi. Peut-être devinerez-vous ?… La première bonne réponse gagne un abonnement à vie à Mirliton Matin !
1
Jouer au trou d’obus avec son trou de balle
Est séduisant, mais périlleux. Avertissement !
N’essayez pas chez vous ! Il peut être fatal
De s’introduire un projectile au fondement.

2
Un peu de vaseline
sur un obus
Vous débouche la pine
et puis le cul
Pas d’âge pour essayer
certains objets
Pour vos quatre-vingts ans
c’est excitant
Un obus dans le trou
le fait plus grand
Oui ! Allons-y gaiement
si ça nous plaît !
Et si c’est pour faire plai-
sir à Grand-mère
Enfilons-lui direct
un réverbère

Jour 8

Mirliton Matin, chronique criminelle !
« La police drogue la ville » ? Cette nouvelle littéralement stupéfiante valait bien un quatrain, sans doute.

Les flics croyant bien faire brûlent trois tonnes de shit
Aux abords d’une agglo comptant deux millions d’âmes
Reste à verbaliser tous ces toxicos, vite !
On n’est pas mieux servi que par sa propre came.

Jour 9

« Mirliton Dimanche-Voici-Gala-Closer » !
Par milliers, ou millions, je ne sais plus, je n’ai pas recompté ce matin, les lecteurs de Mirliton Matin nous réclament une rubrique people.
Nous vous avons entendu !
Notre reporterre ventre-à-terre Marie Mazille a réagi à chaud au coming-out de l’acteur Wentworth Miller, acteur vedette de la série Prison Break.

Le jour où j’ai découvert que Wentworth était homosexuel.

Wentworth Miller ? Homosexuel ?
Oh, doux Jésus, oh Sainte vierge !
Quelle abominable nouvelle
Prions, chères sœurs, prions le ciel
Pour que ça ne soit que lubie
Un si bel homme, Ah ! quel gâchis !
Moi qui, presque toutes les nuits
Rêvais de son cul, de sa verge !

Par solidarité, Fabrice Vigne a rédigé une réponse qui vient de tomber des téléscripteurs (ou des fax, je ne sais plus, je n’ai pas vérifié ce matin) de l’Agence France-Presse.

Console-toi Marie, voici ma sympathie
Je partage, sais-tu, ta profonde détresse !
Depuis toujours je suis dingo d’Anna Calvi
Et mon coeur saigne : elle préfère les gonzesses

Jour 10

Mirliton Matin, rubrique beaux-arts : un tableau de Piet Mondrian est accroché à l’envers depuis 77 ans dans un musée de Düsseldorf.
Nous prions nos lecteurs de ne pas nous signaler que le dernier mot du poème n’existe pas. Nous sommes au courant. Ce n’est pas un barbarisme mais une rime riche.

Peut-être connais-tu New-York city Un ?
C’est un tableau carré du fameux Mondrian
Inspiré d’un décor graphique et citadin
Composé de carrés bleus, rouges, jaunes et blancs
Exposé depuis plus de soixante-dix-sept ans
Dans une galerie au cœur de Düsseldorf.
C’est Suzanne Meyer (immense commissaire)
Qui a compris soudain, en faisant le poirier
Que ce tableau était (on ne peut le nier)
Accroché à l’envers (mon dieu ! la catastrorphe !)

Jour 11

Mirliton Matin, rubrique vie pratique et méthode Coué ! Le sourire peut améliorer notre santé mentale, paraît-il.

1
Faites un petit effort sur les zygomatiques
Étirez-moi ces muscles ! Mieux que ça je vous prie
Vous sortirez grandis de cette gymnastique
Par un sourire comme jamais on n’a souri.

2
L’info ne date pas d’hier mais de M. de la Bruyère :
« Rions avant que d’être heureux, de peur de mourir sans avoir ri »
C’est le sourire qui rend heureux, non le contraire
Un sourire forcé… puis un vrai c’est promis.

3
Brassens, citant Pascal, se moquait des curés
Pérorant un moyen d’atteindre l’éternel :
« Faites semblant de croire, et bientôt vous croirez ! »
À notre époque à peine moins irrationnelle
L’équivalent de ce conseil s’appellerait
« Manuel de Développement Personnel »

Jour 12

Mirliton Matin, rubrique psychologie de couple ! Toujours à la pointe de la recherche scientifique, M.M. puise l’info du jour dans Biba, qui régulièrement ajoute « selon la science » ou « une étude prouve » dans sa titraille pour faire sérieux.

Des savants prestigieux (et cités par Biba)
Déconseillent toujours de rappeler son ex
Car cette humiliation accroit le célibat
Au lieu de garantir une partie de sexe

Même si votre moral reste désespérément bas
Ne le rappelez jamais sous aucun prétexe !

Jour 13

Mirliton Matin, rubrique Monde de l’éducation !

Et attention ! Aujourd’hui la rédaction de MM fait du zèle.
Le fait divers du jour est tellement inspirant que nous en tirons non un modeste quatrain mais un vaste poème épique en 31 alexandrins, conçu selon une versification particulièrement sophistiquée : rimes quadruples, en -Ac, -Ic, -Ec, -Oc.
Ayant constaté la nature rythmique et percussive de ce texte, nous avons songé que sa finalité idéale serait de devenir un rap. Mesdames et messieurs, nous avons le plaisir de vous annoncer que ce rap sera créé sur scène le 27 janvier prochain (les détails viendront). Car Mirliton Matin n’a peur de rien, tels les grands reporters qui lui servent de modèle, Albert Londres ou Jack London (qui portent du reste presque le même nom).


Grande stupeur au collège Georges Charpak !
Le prof d’histoire encourage les travaux pratiques
Invitant les élèves à la bibliothèque
À se munir d’objets racontant les époques…
Ce matin-là l’objet choisi faisait tic-tac
Un obus de 14 enclenche la panique !
« C’était à mon grand-père » , se défend le blanc-bec
Insouciant de la peur que sa bombe provoque :
700 élèves évacués de la baraque !
Une alerte à la bombe, on appelle les flics
Peu s’en faut qu’on lançât un nouveau plan ORSEC
Le préfet, les pompiers sécurisent le bloc
Le pays aux abois : un terroriste attaque !?!?
Plus de peur que de mal : l’artefact historique
N’était plus en état d’engendrer des obsèques.
Mais il ne faudrait pas minimiser le choc
Car il y a de quoi rendre paranoïaque…
Pour la prochaine fois, un cours sur l’Amérique
Chacun apporterait arc, flèches, poignard aztèque
Et l’on se scalperait à coups de tomahawk ?
Le collège aujourd’hui c’est n’importe nawac !
Laissons les professeurs faire œuvre pédagogique
Je sais bien que chacun doit gagner son bifteck
On dit qu’il y a beaucoup d’enseignants sous médocs
Mais si ça les retient de distribuer des claques…
Tenir… jusqu’à la fin… palmes académiques…
« Pense aux enfants ! À ta mission ! Et à ton chèque !
À Samuel Paty sans faire dans ton froc ! »
A-t-on le droit de l’dire sans passer pour réac ?
Ton métier a changé, ainsi que ton public
Je tire mon chapeau, je bois à ta santé, mec !

Jour 14

Page infomerciale dans Mirliton Matin !
Nos deux reporters de l’extrême, Marie Mazille et Fabrice Vigne (mais surtout l’une des deux) se lancent dans le publireportage et l’autopromo ! Car aujourd’hui, vendredi 13 janvier, s’ouvrent les inscriptions pour leur fabuleux Stage d’écriture de chansons aux bons soins de Mydriase, qui se tiendra du 16 au 22 avril 2023 à Bourgoin-Jallieu.

La vidéo se regarde ici, sauf il n’y a rien à regarder, c’est une image fixe, vous pouvez faire autre chose en même temps, la vaisselle, le ménage, un tableau impressionniste, ou un chèque d’arrhes pour votre stage libellé à Mydriase.

C’est le printemps c’est le printemps
C’est le stage de printemps
Ran tan plan tambour battant
Viens boire un petit coup de… rouge !

Raphnin Maurel et ses ritournelles
Vous apprennent le diato en ribambelle
Des polkas, des scottish des bourrées, des tangos,
En ré dièse en colargol, en mi bémol en do
Au refrain : C’est le printemps c’est le printemps…

Si tu veux dev’nir un as de l’accompagnement
Meilleur que Gershwin ou Michel Legrand
Choisis Milleret, Reboud, Quéré
Ces gars sont très forts en si en ré
Au refrain : C’est le printemps c’est le printemps

Que tu sois baryton, bar-man ou soprano
Que tu joues du pipo, du banjo, du piano
Que ton nom soit Rodrigo, Roberto, Pinocchio
Inscris-toi chez Piccolo saxo et Botasso
Au refrain : C’est le printemps c’est le printemps…

Si quand tu chantes au diato tu te perds et tu t’égares
Que le do sus neuf te laisse hagard
Que tu confonds les bémols et les bécarres
Précipite-toi chez Jean-Marc Rohart
Au refrain : C’est le printemps c’est le printemps…

Si tu veux faire des chansons petit patapon
Trouver des rimes en ronron en bonbon en pompon
Fabrice Vigne et Marie Mazille
T’apprendront tout tout tout avec un stylo bille
Au refrain ad. lib.

Jour 15

Mirliton Matin, rubrique sexologie (il était temps) ! Voici LE bon tuyau pour atteindre l’orgasme à tous coups.

Je ne prendrai pas de pincettes
Pour te refiler la recette
D’un mémorable cinq-à-sept
Pour un orgasme jeu, match, et set
Si tu veux partir en sucette
Dire adieu à ta vie d’ascète
Exploser comme un Exocet
Jouir comme une boule à facettes
En quadrichromie, en offset

Comme un jackpot crache les piécettes
Facile : tu gardes tes chaussettes

Jour 16

Mirliton Matin, rubrique écologie ! Réchauffement de la planète/Échauffourées de l’Allemagne.

Comme le Titanic fonçant sur un Iceberg,
Le monde et l’Allemagne avalent le carbone
Et recrachent l’émeute. Survient Greta Thunberg !
Peut-elle faire de ’23 une année bonne ?

Jour 17

(Spéciale dédicace à un ami qui se reconnaitra et qui décroche à l’instant son titre de professeur grâce à un mémoire sur le syndrome de l’imposteur.)

Mirliton Matin, rubrique « sociologie-et-non-psychologie » ! Car nous ne comprendrons rien du si répandu « syndrome de l’imposteur » si nous l’analysons exclusivement en termes de psychologie individuelle. Il s’agit d’un indiscutable fait social. Une seule remarque pour le démontrer : ce prétendu « syndrome » touche davantage les filles que les garçons… Quelles sont les places respectives des unes et des autres dans le champ social ?

Couplet 1
Je crois que c’est mon tour ? d’accord bonjour docteur
Je ne viens pas pour moi, c’est pour un d’mes amis
Figurez-vous qu’il souffre d’un étrange malheur
Il croit qu’il est un autre, il croit qu’il n’est pas lui
Il joue la comédie même s’il n’est pas acteur
Il a tout usurpé, il n’a aucun génie
Il ne mérite rien, ni statut ni honneur
On se trompe sur lui, il vit dans le déni
Il n’a que profité du hasard, d’une erreur
Pour en arriver là il a toujours menti
Il doit tout, son travail ou ses affaires de cœur
À des malentendus ! Imaginez sa vie…

Refrain
Je ne suis pas ce que l’on croit
Je ne suis pas celui qu’on dit
Le costume est trop grand pour moi
En dedans je suis tout petit
Faire semblant c’est du tracas
Mais je l’ai fait toute ma vie
Et j’aggrave encore mon cas
À chaque fois que je souris
La vérité éclatera
Sur ce qu’au fond de moi je suis
Le monde entier dénoncera
L’incroyable supercherie
J’irai me cacher comme un rat
Et j’attendrai que l’on m’oublie

Couplet 2
Pour couronner le tout, il a sans arrêt peur
Il craint qu’on le démasque, il craint d’être démis
Lorsqu’on l’appellera un mystificateur
J’ai fait quelques recherches sur internet la nuit
Ah oui c’est vrai docteur je prends l’affaire à coeur
J’ai appris que son cas fait partie des manies
Qui sont référencées par des grands professeurs
On a même donné un nom à sa maladie
Elle a pour nom de code « Syndrome de l’imposteur »
Enfin je n’en sais rien, je répète ce qu’on dit
Pouvez-vous faire quelque chose pour moi docteur ?
Euh non pardon bien sûr, je veux dire mon ami ?

Jour 18

Mirliton Matin, rubrique psychanalyse et grosses cylindrées ! Il était temps que la science démontre ce que l’on pressent depuis toujours : la taille du pénis est inversement proportionnelle à celle des bagnoles que l’on conduit.

Fabrice Vigne se sentant assez peu concerné par ce scoop (voici, en toute transparence et sans forfanterie, la liste complète de ses voitures successives : une R5, une 2 CV et trois Twingos), c’est Marie Mazille qui se colle au poème du jour :

Ferrari ou Bugatti ?
Tout petit petit zizi
Si tu roules à trois-cent-dix ?
Tout petit petit pénis
Fonce en Hennessey Venon ?
Zizi vraiment pas très long
Frime en Tuatara Jaguar ?
Microscopique, ton dard
Mais…
Mini-Cooper, Coccinelle ?
Considérable chandelle
Quatre-ailes ou bien deux-chevaux ?
Rocco rocco Sifredo
Trottinette ou bicyclette ?
Enormissime quéquette
Patins à roulette ou mob ?
Trois mètres de long, ton zob

Jour 19

Ce jeudi est un jour de mouvement social !
C’est bon le mouvement, et c’est beau le social.

Mirliton Matin déterre de son service d’archives une jolie photo de 2010 pour le plaisir de rappeler la pérennité de nos pas et se fend d’un quatrain de circonstance, ode au mouvement.

Il fait beau, il fait froid, on arpente la rue
On dégourdit ses jambes et son pouvoir : on marche
Notre 49.3 est l’allée parcourue.
Parce que c’est nous, pas lui, la « République en marche »

Manif 2010
Notre grand reporter, de dos et de guingois
Au sein du défilé de deux mille vingt-trois.
Une chose inchangée, et l’on peut en sourire :
Comme autrefois il porte son manteau de cuir.

Jour 20

Mirliton Matin, pages saumon : rubrique économie et premiers de cordée !

La méritocratie dans toute sa splendeur !
La fille aînée du roi devient reine à son heure
Il est si beau de triompher grâce à sa sueur
Humblement nous souhaitons à nos puissants seigneurs
Opulence et santé, réussite et bonheur
(Ils vécurent heureux et eurent l’argent du beurre)

Jour 21

Mirliton Matin, rubrique religion contre prouesse mentale ! (Un peu manichéen, comme accroche, mais faut ce qu’il faut.) La championne d’échecs iranienne Sarah Kadem «n’est pas elle-même» avec un voile.

La championne d’échecs ne sera plus voilée
La reine prend le roi ! Dehors les phallocrates !
Sous le fichu, la liberté est contrôlée
Un beau jour les mollahs seront échec et mat

Jour 22

Mirliton Matin, rubrique vie sauvage et hommage à Serge Reggiani ! Les loups sont de retour en Isère.

Deux loups, ouh-ouh, ouh-ouuh
Deux loups sont entrés dans l’Isère
En passant par Saint-Martin-d’Hères
Deux loups sont entrés dans l’Isère
Oh, tu peux rire, charmant Albert
Deux loups sont entrés dans l’Isère

Jour 23

Mirliton Matin, rubrique « Femme, Vie, Liberté » !
Il était urgent que Dieu nous fasse un petit coucou dans le ciel, tellement la planète étouffe de tous les abrutis qui parlent en son nom. Voilà qui est fait : jeudi dernier, la Turquie a pu admirer le con de Dieu.

Dieu nous est apparu, or c’est une déesse !
L’origine du monde : un beau sexe carmin
On ne voit que devant mais on rêve à ses fesses
À ses seins, à sa bouche, à ses yeux, à ses mains
Révisons en urgence et la Bible et la messe
Vivent les bacchanales, rites gréco-romains !

(Ce gros plan permet même les plus fous espoirs :
En plus que d’être femme, Dieu est peut-être noire ?)

Jour 24

Mirliton Matin, rubrique spectacle vivant !

Jour 25

Mirliton Matin, bulletin météo ! Phénomène rare, la mer gèle.

J’ai vu. L’âme erre… Jeu laid !
J’ai vu l’amer, je l’ai.
G., vue là. Merge l’est.
J’Ève… Hue, mère ! « Je » lait.
[vers psychanalytique]
Jé, vůle âme « R ». Je l’est
[un autre. vers rimbaldien]
Jet – vue la maire, geule, haie
[vers politique]
Gève, hue, lame, aire, jeu, lai
J’ai vu l’amère gelée…
J’ai vu la mer geler.

Précision pédagogique apportée par notre envoyée spéciale Marie Mazille :

Voilà qui permet d’apprendre quatre mots (minimum).
– Jé : sonde de jonc pour dégorger les tuyaux/synonyme de rotin.
– Vůle : volonté, bienveillance. Du vieux slave vola qui donne le polonais wola et l’anglais will.
– Lai : Petit poème narratif, en vers octosyllabique, inspiré de sujets sérieux ou passionnés, empruntés le plus souvent à d’anciennes légendes.
– Geule : variante rare de Gole ou de Gueule, pour désigner une bouche, un collet ou une parole.

Jour 26

Mirliton Matin, rubrique pseudo-people et drame de voisinage ! « Gainsbourg » excédé poignarde « Johnny » !

Quoi qu’est c’qu’elle a ma gueule / Oh ce mortel ennui
L’un se prend pour Gainsbarre et l’autre pour Jonnhy
Tous deux sont voisins proches et pourtant ennemis
Paul souvent se déguise, Norbert se travestit
Un beau jour c’est le drame car Paul Dupuis
Se saisit d’une hache et Norbert d’une scie
Le combat est sanglant en fin d’après d’après-midi
Ils agonisent en chœur sur leurs paillassons gris
Sans s’être dit bonjour pendant vingt ans et d’mi

Jour 27

Mirliton Matin, éphéméride ! Aujourd’hui, 27 janvier, bonne fête à toutes les Angèles !

Vous en voulez encore ? Chacun ses goûts. La suite-et-fin est ici.

Wannabe

31/12/2022 Aucun commentaire

Dernier jour de l’année. Occasion d’avouer un plaisir coupable. Depuis 26 ans, soit tout au long de la seconde moitié de mon existence (comme j’ai dû m’ennuyer lors de la première, rétrospectivement !), aussitôt que j’ai besoin d’un petit remontant, d’une dose immédiatement métabolisable d’énergie, de joie, d’optimisme, de liberté même, je regarde le clip Wannabe des Spice Girls, trois minutes et cinquante-six secondes, et ensuite ça va mieux.

L’effet est garanti. Il est pour moi pratiquement identique avec Who do you Think you are des mêmes cinq girls, mais leur Wannabe a quelque chose en plus, quelque chose de spécial, une grâce particulière qui a forcément partie liée à l’effet de style du plan-séquence : on ne peut pas les quitter des yeux. Synopsis : entre le début et la fin du plan-séquence de trois minutes et cinquante-six secondes, on voit des filles débouler dans une soirée mondaine où personne ne les avait invitées, foutre un bouzin monstre telle une tornade incontrôlable et multicolore, et sitôt leur forfait accompli, repartir en courant et en riant vers d’autres aventures, dans un autobus à impériale, sans même payer leur ticket, à tous les coups. C’est un summum de pop music et pourtant, résumé ainsi, c’est du pur punk.

Allez, je me le regarde encore… Oui, ça marche. Sérieux, je vais un peu mieux qu’il y a trois minutes et cinquante-six secondes.

« Plaisir coupable » ? Mais pourquoi ai-je commencé sottement par ces mots ? Que peut-il y avoir de coupable à se laisser envahir par cette joie-là ? Vivent les Spice Girls ! Et vivent les filles EN GÉNÉRAL, c’est ça le truc ! Leur message politique depuis 26 ans, Girl power !, est bien sûr simpliste mais il n’est pas niais, pas du tout, et d’ailleurs toujours d’une brûlante actualité, allez les filles, allez les girls, allez la moitié de l’humanité, n’attendez pas qu’on vous invite, prenez le power et tant que vous y êtes prenez le pouvoir à Londres, en Iran, en Afghanistan, mais oui partout s’il vous plaît, débarquez et détournez la party !

Le Fond du Tiroir vous souhaite une année 2023 pleine de girl power.

Edit 2025 : je trouve la même joie trépidante du plan-séquence, la même anarchie soigneusement chorégraphiée, la même traversée des intérieurs et des extérieurs anglais… dans ce Rock DJ génial extrait de Better Man qui, s’est évident, a pris Wannabe pour inspiration. Simplement ce sont cinq garçons (dont un singe) au lieu de cinq filles donc c’est un tout petit peu moins bien.

Zweig de noël

24/12/2022 Aucun commentaire

« Quand le drapeau se déploie, toute l’intelligence se retrouve dans la trompette. »

Cet aphorisme antimilitariste et antinationaliste m’enchante ! Et son usage est perpétuel, avant, pendant ou après je ne sais quel conflit armé, ou championnat du monde de baby-foot ou de pétanque. Toutefois un scrupule m’envahit. Je crains qu’il ne soit assez politiquement incorrect de manquer à ce point de respect à la trompette, instrument tout-à-fait estimable (coucou à mes camarades trompettistes, Micromégas, OSE, Mother Funkers etc.). Aussi, je présente mes sincères excuses pour mon comportement inapproprié à l’endroit du pupitre de trompettes, minorité subissant déjà de sévères discriminations et préjugés.

En tout état de cause et à toutes fins utiles, je précise que l’auteur de l’intéressant aphorisme ci-dessus n’est pas moi, mais Stefan Zweig.
Petit tuyau Fond-du-Tiroir : il est très fertile et même hygiénique de lire un Zweig de temps en temps. Étant donné sa grande prolixité, il existe forcément près de chez vous un Zweig que vous ne connaissez pas encore et que vous serez content de connaître.

Certes, nul ne dispose en permanence, surtout vautrés tels que nous voici dans la magie de noël, de la disponibilité d’esprit et des nerfs rudement accrochés permettant de se cogner son pavé testament, le terrible Monde d’hier qui est mon préféré parmi sa bibliographie. Vous ferez ce que vous voudrez mais pour ma part je viens d’avaler en quelques minutes les 40 pages de L’uniformisation du monde, essai que Zweig publia il y a près d’un siècle dans la presse, et qui vient d’être réédité en version bilingue par Allia.

Zweig y vilipende l’uniformisation du mode de vie planétaire, en surface (modes, coiffures, goûts, danse, sport, cinéma, idées) et surtout au plus profond de nous : l’ennui ! Equation fatale : uniformisation = monotonie = ennui. Mais ennui à l’américaine, hystérique, avide de sensations, « instable, nerveux et agressif » . Zweig explique que la passion de l’esclavage est le moteur de cette uniformisation : « la guerre mondiale a été la première phase, l’américanisation est la seconde » .

Publiée en 1925, cette charge semble décrire internet et les réseaux sociaux des décennies avant leur invention, comme si l’esprit global, USA en tache d’huile, était préparé de longue date pour leur avènement.

« Il nous suffit de passer devant un panneau d’affichage dans une grande ville ou de lire en détail les batailles homériques des matchs de football pour sentir que nous sommes déjà devenus des outsiders, tels les derniers encyclopédistes pendant la Révolution française, une espèce aussi rare et menacée d’extinction aujourd’hui en Europe que les chamois et les edelweiss. »

Zweig snob ? Nostalgique ? Vaticinateur ? C’était-mieux-avant ? Méprisant pour ce qui est populaire, y compris le peuple ? Misanthrope et réac ? Vieux con ? OK boomer ? Vieux frère ?
Pas du tout. Le texte a l’élégance de s’achever par un appel à se garder de tout mépris : « Ne nous consumons pas dans une distanciation méprisante, dans une résistance impuissante et stupide au monde » , et surtout par un appel à la joie, quête de chacun, de tous les temps, de tous les horizons et de chaque instant :

« Voici notre atelier, notre monde à nous, qui ne sera jamais monotone (…) C’est notre tâche, devenir toujours plus libres, à mesure que les autres s’assujettissent volontairement ! »

Pour le coup, voici un parfait message de noël. Joyeuses fêtes !

Ainsi parlait face caméra

12/12/2022 un commentaire

Je sais bien, il faudrait que j’apprenne à dire « non » quand Marie Mazille me dit « Eh tu voudrais pas faire avec moi… », tôt ou tard ça finira par me jouer des tours. Ma foi, pour le moment je réponds toujours « oui » et je ne m’en porte pas trop mal.

Aujourd’hui, Marie m’a dit « Eh tu voudrais pas venir avec moi rendre service à des étudiants en première année de communication-audiovisuelle-et-internet ou chais pas quoi ? En guise de devoir noté par leurs profs ce semestre, ils doivent filmer des gens qui présentent leur métier, pour des pastilles d’1 mn 30, moi j’y vais pour parler du métier de musicien, toi tu pourrais y aller pour présenter le métier d’écrivain, ce serait super ! »

Le métier d’écrivain ? Qu’est-ce que j’en connais, moi, du métier d’écrivain ?

Mais bon, oui, d’accord Marie, si c’est pour rendre service. Je suis donc allé à la fac pour présenter mon « métier » à la caméra. Je suis arrivé en retard, je m’en suis excusé. Par acquit de conscience, j’ai commencé par demander à ces aimables jeunes gens s’ils avaient lu mes livres. Ils m’ont répondu très gentiment Heu non non, mais on est allé voir sur Internet. Pas de problème. C’est votre propre métier qui rentre. Je suis à votre disposition.

J’ai répondu à leurs questions durant quelques 45 mns pour leur pastille d’1 mn 30 s, je ne sais pas ce qu’ils en retiendront. Ils ont promis de me l’envoyer. [Mise à jour : la voici.]

Mais ensuite, il s’est passé quelque chose d’intéressant.

Après l’interview, le caméraman a voulu, pour faire des plans de transition avec voix off, se glisser derrière mon épaule et me filmer de dos en train de feuilleter l’un de mes livres. Docile, j’ai pris Ainsi parlait Nanabozo et je l’ai ouvert au hasard, ce que je n’avais pas fait depuis au moins un an. J’ai lu là où j’étais, un début de chapitre. Je me suis immédiatement fait emporter par le flot de paroles. J’y étais derechef. Comme si je venais de brancher mes batteries sur le secteur, j’étais en recharge, survolté. C’était reparti. J’étais tiré, amusé, excité, ému, je me glissais à nouveau dans la peau du narrateur comme si je ne l’avais jamais quitté. Je l’aime bien au fond, ce pauvre gars qui fait de son mieux, tout comme moi mais pas pareil, j’ai passé quatre ans dans sa compagnie, ça crée des liens, on est à la vie à la mort Thomas et moi. Je prenais du plaisir, je hochais la tête, je gloussais même, j’oubliais la caméra, au lieu de feuilleter je lisais jusqu’au bas de la page avant de passer à la suivante. Putain, mais il tient, ce livre ! Il tient drôlement bien !

Il a fait un bide en librairie. Tant pis ! Il tient tout seul. Tant pis pour ceux qui ne le liront pas, et je ne parle pas seulement des étudiants en première année de communication-audiovisuelle-et-internet ou chais pas quoi. Je venais justement de leur en parler, à ces charmants communicants frais émoulus : à la question « lequel de vos livres s’est le mieux vendu ? », oui comme toujours comme partout, les questions sur les chiffres prennent le pas sur les questions sur les lettres, c’est la numérisation. J’avais répondu, évasif, Oh vous savez le succès d’un livre n’a pas grand’ chose à voir avec sa qualité intrinsèque, ça se saurait, encore moins avec ce qu’on a essayé de mettre dedans.

Je constate aujourd’hui, avec joie, que je n’ai toujours aucune raison valable d’ébranler ma conviction que Nanabozo est mon meilleur livre, que c’est ce livre-là très exactement qu’il fallait écrire. Je réessaierai dans un an, chaque année peut-être, pour vérifier, mais jusque-là, il tient. Comme il tient ! Merci jeunes gens de m’avoir interrogé sur mon métier, en arrivant je ne savais pas trop que vous répondre, je n’allais tout de même pas vous avouer face caméra que j’ignore à peu près tout de ce métier, que je ne suis même pas certain qu’il soit vraiment à moi… Pourtant ce soir j’en ai une idée un peu plus précise, idée que je n’ai pas formulée devant vous et qui ne sera même pas dans la pastille d’1 mn 30 : ce métier consiste à faire tenir.

9 décembre

09/12/2022 un commentaire

Le 9 décembre a été choisi comme Jour de la laïcité car il est la date anniversaire de la promulgation de la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Il existe comme on sait des jours de ceci, des jours de cela, d’ailleurs dans 12 jours, le 21 décembre sera marqué non seulement par le solstice mais par le Jour de l’orgasme. Faites l’amour, pas la guerre de religion.

(Pour en lire plus long c’est par ici.)

Pour fêter l’anniversaire de cette invention géniale – je parle de la laïcité, pas de l’orgasme (rappelons que les trois plus grandes inventions françaises sont, dans le désordre, le cinéma, la baguette et la laïcité), je rediffuse ci-dessous l’indispensable pense-bête universel. Peut-être que je le rediffuserai tous les ans à la même date. Ou peut-être tous les jours.

Pense-bête

Âge de l’univers : 13,7 milliards d’années
Âge du soleil : 4,603 milliards d’années
Âge de la terre : 4,543 milliards d’années
Âge de la vie sur terre : 4,1 milliard d’années (micro-organismes fossiles)
Âge de LUCA (Last Universal Common Ancestor), organisme vivant complexe multicellulaire : 3,3 à 3,8 milliards d’années
Âge des premiers animaux marins : 700 millions d’années (vers, méduses, éponges de mer)
Âge des premiers poissons : 450 millions d’années
Âge des premiers animaux amphibiens (qui sortent de l’eau) : 350 millions d’années
Âge des premiers reptiles (ancêtres des dinosaures) : 300 millions d’années
Règne des dinosaures (Mésozoïque) : 252 millions d’années
Âge des premiers mammifères : 200 millions d’années
Disparition des dinosaures (fin du Mésozoïque) : 66 millions d’années
Âge des premiers hominidés : 7 millions d’années
Australopithèques (Lucy) : 4,2 millions d’années
Âge des premiers outils (cf., pour en avoir une interprétation artistique, le prologue de 2001 : l’Odyssée de l’espace) : 3,3 millions d’années
Homo habilis : 2,3 millions d’années
Invention du feu : 1,5 million d’années
Homo Erectus : 1 million d’année
Ancêtre commun des Sapiens et des Neandertal : – 660 000 ans
Perfectionnements technologiques (pierre, bois…) : au minimum – 476 000 ans
Apparition d’Homo Sapiens en Afrique : à partir de – 300 000 ans
Premières sépultures, donc peut-être premières religions : entre – 200 000 et – 100 000 ans
Dispersion et migrations d’Homo Sapiens dans le monde entier : entre – 70 0000 et – 20 000 ans
Homo Sapiens attesté en Europe (Italie, Bulgarie et Grande-Bretagne pour les plus anciens ossements) : – 45 à – 43 000 ans
Peintures de la grotte Chauvet : – 33 000 ans
Disparition des derniers Neandertal (Sapiens demeure le seul hominien) : – 30 000 ans
Peintures de Lascaux : – 18 000 ans
Fin de la préhistoire/début de l’histoire (révolution néolithique, invention de l’écriture, de l’agriculture, de l’élevage, de la métallurgie, des villes, du pouvoir politique central, de l’économie de production, de la guerre, etc.) : entre – 10 000 et – 4000 ans selon les parties du monde

Épilogue comique :
Alors le monothéisme vint !
Premier monothéisme connu (du moins après la tentative singulière, brève, discutable et opportuniste du pharaon Akhenaton, milieu du XIVe siècle avant JC) : Zoroastrisme, 660 avant JC, soit il y a environ 2700 ans. Les autres ont suivi dans la foulée, judaïsme, christianisme, islam, tous ont promis l’immortalité de l’âme au premier venu et en ont profité pour mettre enfin un peu de de rigueur dogmatique dans l’histoire trop compliquée et fastidieuse de l’univers.
Âge de la terre selon la Bible : 6000 ans (ha ha hi hi)
Durée de vie du monde selon l’islam (d’après certains hadiths du Prophète) : 7000 ans (ho ho hé hé)
James Ussher, un gars sérieux puisque pasteur anglican, docteur à l’âge de 28 ans, historien en plus d’être théologien et soucieux de réconcilier ses deux disciplines, a épluché la Bible paragraphe après paragraphe pour dresser une chronologie exhaustive et définitive. C’est ainsi qu’en 1658 il a établi que l’instant zéro avait eu lieu au soir du 28 octobre 4004 av. J. -C. (hou hou hou stop j’en peux plus c’est trop, ouye les crampes dans les côtes, quel dommage que le gars n’ait pas aussi précisé l’heure et la minute).

Rappel : le concordisme est l’ennemi de l’honnête homme.
Le savoir et la foi, l’un toujours provisoire et en cours d’amendement, l’autre prétendant à l’éternité et à l’immuabilité, sont deux manières de penser inconciliables – apprendre, expérimenter, vérifier, confronter versus croire tout rond. Les mélanger expose au ridicule. Les tenir éloignés l’un de l’autre est le projet même de la laïcité, pas le moins du monde ringard. Confondre les livres dits saints avec des manuels d’histoire au lieu d’en faire, comme Borgès, « une branche de la littérature fantastique » rend idiot.

Quand j’étais petit je regardais tous les soirs le générique du dessin animé Il était une fois l’homme, qui en une minute récapitulait à merveille le pense-bête énoncé ci-dessus mais qui à notre époque serait sans doute polémique voire cancélé (une personne fort proche de moi me fait remarquer, et j’avoue que cela m’avait échappé, qu’il s’agissait visiblement d’Il était une fois l’homme blanc), passerait pour une dangereuse propagande propre à froisser les convictions intimes de certaines populations. Dommage, on y entendait du Bach, ce qui est très bon pour la santé.

Comment expliquer la laïcité aux enfants ? (comment expliquer N’IMPORTE QUOI aux enfants, d’ailleurs ?) Le Fond du Tiroir vous délivre un truc inusable : il suffit de prélever une fable de La Fontaine.

Examinons aujourd’hui, si vous le voulez bien chers enfants, Le statuaire et la statue de Jupiter, Livre IX, fable 6 :

Un bloc de marbre était si beau
Qu’un Statuaire en fit l’emplette.
Qu’en fera, dit-il, mon ciseau ?
Sera-t-il Dieu, table ou cuvette ?

Il sera Dieu : même je veux
Qu’il ait en sa main un tonnerre.
Tremblez, humains. Faites des vœux !
Voilà le maître de la terre.

L’artisan exprima si bien
Le caractère de l’Idole,
Qu’on trouva qu’il ne manquait rien
A Jupiter que la parole.

Même l’on dit que l’Ouvrier
Eut à peine achevé l’image,
Qu’on le vit frémir le premier,
Et redouter son propre ouvrage.

A la faiblesse du Sculpteur
Le Poète autrefois n’en dut guère,
Des Dieux dont il fut l’inventeur
Craignant la haine et la colère.

Il était enfant en ceci :
Les enfants n’ont l’âme occupée
Que du continuel souci
Qu’on ne fâche point leur poupée.

Le cœur suit aisément l’esprit :
De cette source est descendue
L’erreur païenne, qui se vit
Chez tant de peuples répandue.

Ils embrassaient violemment
Les intérêts de leur chimère.
Pygmalion devint amant
De la Vénus dont il fut père.

Chacun tourne en réalités,
Autant qu’il peut, ses propres songes :
L’homme est de glace aux vérités ;
Il est de feu pour les mensonges.

(illustration Grandville)

Au secours, je me abricot !

07/12/2022 Aucun commentaire

Je me souviens d’avoir vu Charlie Schlingo, un jour, au festival d’Angoulême. De loin. Il était debout à côté d’un stand, derrière sa moustache, sur ses deux jambes et sa béquille. Il était seul et immobile, avait l’air de se faire chier, ou de cuver. Je n’ai pas osé m’approcher et lui dire « Bonjour monsieur, vous êtes un génie. » Si c’est pour m’entendre rétorquer « Et toi tu es une pomme de terre » merci bien.

Charlie Schlingo faisait peur à beaucoup de gens. Voilà une phrase que l’on peut lire, parmi des centaines d’autres débutant toutes par Charlie Schlingo (principe oulipien du texte à démarreur), dans Charlie Schlingo, de Joko, paru dans la collection Patte de mouche de l’Association.

Je l’ai lu en riant aux éclats, puis aux larmes, puis aux éclats de nouveau. Je ne l’ai trouvé que trop court, ce recueil de souvenirs en flashes de l’ineffable Charlie, j’en aurais bien voulu encore. J’incline à penser que nous n’aurons jamais trop de Schlingo, irremplaçable poète punk, « minable » , « connard » , et j’emploie ces termes avec une infinie tendresse.

L’existence même de Charlie Schlingo, si improbable et brève (1955-2005) qu’elle soit, nous console de celles de tant de malfaisants qui travaillent à faire du monde un endroit pénible, Poutine, Trump, Abdeslam, Jérôme Cahuzac, Carlos Ghosn… Schlingo sauve, Schlingo rachète l’humanité en perdition ! Saucisse et pomme de terre !

Heureusement que l’on peut retrouver à volonté les larmes et les éclats, les saucisses et les pommes de terre, il suffit de relire les livres de Schlingo, d’écouter ses CD, ou de se procurer les récits dont il est le héros, celui-ci de Joko, Je voudrais me suicider mais j’ai pas le temps de Teulé et Cestac, ou Charlie Schlingo Charlie Schlingall écrit par sa « veuve » Christine Taunay, cf. cette archive 2020 au Fond du Tiroir.

La nuit sera verte et brune

04/12/2022 2 commentaires

Cette nuit je me trouvais dans une cuisine bondée où je regardais des femmes éplucher des légumes et où je les écoutais discuter politique. Les éplucheuses s’adressent soudain à moi, me mettent la pression en me disant « C’est à toi de jouer ! », et oui, ça me revient maintenant, j’ai des responsabilités politiques, je me suis engagé, il faut assumer et y aller. Cette cuisine prépare le repas d’un symposium consacré à « Tradition culturelle et extrême droite ». Et je me retrouve à présent à la tribune, sur une estrade, face à une salle des fêtes clairsemée et des chaises en plastique. À ma gauche se tient une jeune fille qui tient un discours militant, dogmatique, très véhément et très brouillon, revendiquant, si je comprends bien, qu’il ne faut rien laisser de culturel à l’extrême droite, que « culture d’extrême droite » doit absolument être tenu pour un oxymore sous peine de laisser la culture de l’extrême droite devenir LA culture. Mais elle trouve aussi le moyen de préciser qu’elle est végétarienne, fait l’éloge des légumes et je ne vois pas trop le rapport, ou alors c’est une métaphore qui m’échappe. À ma droite se tient un vieux bonhomme émacié qui a un peu la tête de Jean-Pierre Léaud, avec des cheveux longs et gras. Je crois me souvenir qu’il a été présenté comme un spécialiste agrégé de la littérature du XXe siècle, je n’ai pas retenu son nom, je m’en veux d’être trop distrait, trop obnubilé par ce que je dois dire en public pour rester vraiment attentif à ce que disent les autres. Le faux Léaud prend la parole, sec, lent mais impatient, désagréable. Son discours consiste à dézinguer ses interlocuteurs (la jeune végétarienne et moi-même) en décrédibilisant leurs manières de parler, leurs tournures et barbarismes. Cuistre, sournois, il lit à voix haute et nasillarde la liste des fautes de français qu’il a relevées parmi les propos de la jeune fille, puis se tourne vers moi avec un sourire méprisant : « Quant à vous, j’ai noté une mention d’Artaud-le-Momo ou je ne sais quel charabia, sincèrement mesdames et messieurs, soyons sérieux, où sommes-nous, dans une cour de maternelle ? » Je me lève brusquement, je tiens la chaise derrière moi, je m’enfurie ! Agressé, je l’agresse à mon tour ! « Monsieur, votre attaque est incompréhensible. Vous vous présentez comme un spécialiste mais vous ignorez le livre d’Artaud-le-Momo sur le concombre ? Vous êtes un usurpateur ! » Tout en guettant avec fébrilité sa réaction qui ne saurait être qu’outrée, je me demande : d’où est-ce que je sors cette histoire de concombre ? Suis-je en train de m’embrouiller les pinceaux et de confondre avec les éplucheuses de légumes ?

Je me réveille perplexe, je me demande si Artaud a réellement écrit quoi que ce soit sur le concombre, il faudra que je vérifie sur Google, recherche croisée Artaud-concombre. Je n’ai pas de temps à perdre, je dois me préparer et rejoindre aujourd’hui mes amis pour le symposium de l’association Mydriase afin de discuter de l’avenir de nos stages.

Rien à foot

01/12/2022 Aucun commentaire
Henry Monnier travesti en Monsieur Prudhomme (vers 1875). Photographie d’Étienne Carjat, musée d’Orsay, Paris

1) 1er décembre 2022

Il arrive parfois, notamment quand le chauffeur du bus augmente le volume de sa radio, que je sois forcé de me souvenir : ah, oui, c’est vrai, la goddamn coupe du goddamn monde de goddamn foot du goddamn Qatar.

On trouve dans l’insurpassable Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, à l’article « ÉPINARDS », cette citation empruntée à Joseph Prudhomme, le personnage de bourgeois pontifiant créé par Henry Monnier :

ÉPINARDS – Ne jamais rater la phrase célèbre de Prudhomme : « Je ne les aime pas, j’en suis bien aise, car si je les aimais, j’en mangerais, et je ne puis pas les souffrir. »

Or ces jours-ci je pense souvent à cette sentence idiote et géniale sous la forme d’une paraphrase : « Je n’aime pas le foot, et j’en suis bien aise, parce que si je l’aimais je regarderais sans doute cette coupe du monde particulièrement ignoble et obscène, ce précipité d’apocalypse, or justement je ne peux pas encaisser le foot et c’est autant de temps de gagné pour m’adonner à des occupations enrichissantes, par exemple lire Flaubert ».

On notera avec intérêt que l’article ÉPINARDS du précieux manuel est précédé par :

« ÉPICURE – Le mépriser. »

… et suivi par :

ÉPOQUE (la nôtre) – Tonner contre elle. Se plaindre de ce qu’elle n’est pas poétique. L’appeler époque de transition, de décadence.

2) 11 décembre 2022

Elle n’est toujours pas terminée cette foutue coupe du monde, métonymie du joyeux suicide de l’humanité ? Ah mais finissons-en au plus vite ! Nous sommes au bord du gouffre ? Il est temps de faire un pas en avant !
Afin de vous libérer l’esprit dès aujourd’hui pour passer à autre chose, attention spoïleur, Le Fond du Tiroir vous révèle en avant-première mondiale le score final ! Ce sera… 6500 contre 1. Sauf que 1 a gagné contre 6500.

– 6500 prolétaires, essentiellement africains ou asiatiques, esclaves légaux, ont trouvé la mort au Qatar durant la construction de ces temples climatisés où une poignée de millionnaires sponsorisés par des milliardaires courent après un ballon mais « ne font pas de politique » .
– 1 monarchie moyenâgeuse, bigote, sexiste, théocratique et patriarcale, dictature obscurantiste… mais « précieux partenaire » , riche à milliards grâce à l’économie carbonée, à l’essence de nos bagnoles et tout au bout de chaîne alimentaire, grâce aux valises de cash pour lubrifier la FIFA, se fait passer pour sérieuse, respectable et même désirable, pour tout dire « moderne ».

Car oui, le football est un maillon capital de la « modernité », c’est-à-dire, très exactement, de la diversion.
Nous le savons depuis 1984 de George Orwell, paru en 1948. Extrait du chapitre VII de la 1ère partie :

Le Parti enseignait que les prolétaires étaient des inférieurs naturels, qui devaient être tenus en état de dépendance, comme les animaux, par l’application de quelques règles simples. En réalité, on savait peu de chose des prolétaires. Il n’était pas nécessaire d’en savoir beaucoup. Aussi longtemps qu’ils continueraient à travailler et à engendrer, leurs autres activités seraient sans importance. (…) ils se mariaient à vingt ans, étaient en pleine maturité à trente et mouraient, pour la plupart, à soixante ans. Le travail physique épuisant, le souci de la maison et des enfants, les querelles mesquines entre voisins, les films, le football [c’est moi qui souligne. Je vais pas me gêner.], la bière et, surtout, le jeu, formaient tout leur horizon et comblaient leurs esprits. Les garder sous contrôle n’était pas difficile. Quelques agents de la Police de la Pensée circulaient constamment parmi eux, répandaient de fausses rumeurs, notaient et éliminaient les quelques individus qui étaient susceptibles de devenir dangereux.

Il y aurait peu de choses à réactualiser dans cette longue citation. J’en vois seulement deux : « le Parti » n’existe plus tel qu’Orwell l’entendait et le dénonçait en 1948, puissance hégémonique bureaucratique communiste… désormais les forces totalitaires en charge de l’air du temps sont plus diffuses et internationalisées ; les prolétaires ne sont plus incités à « travailler » mais « consommer » – le décervelage qui en découle est cependant le même.

J’arrête ici la citation mais c’est dommage, car la phrase suivante parle des réflexes conditionnés que l’on attend des prolétaires : aucun « sentiment politique profond » mais seulement un « patriotisme primitif » – bref il y est encore question, explicitement, de la coupe du monde de foot.

Vive le sport !

3) 15 décembre 2022

Malheureusement le cauchemar continue et enfle. La France (quelle France ?) a gagné (ça veut dire quoi gagner ?) ce soir contre Le Maroc (quel Maroc ?). Hélas pour moi le hasard fait que je me trouve en ville, je reviens d’une session d’écoute du CD de Solexine tout chaud sorti des mix… J’ai beau avoir guetté l’heure, et tenté de me faufiler dans les rues avant la fin du match, trop tard, j’ai perdu ma course contre la montre et je suis pris au piège, le centre ville est un traquenard où une artère sur deux est bouclée par les flics, tandis que l’autre, le long des bistrots, dégueule de créatures avinées et hurlantes. « On est ! On est en finale ! » Les créatures ont manifestement gagné. Ces hordes en liesse sont dangereuses comme des soldats juste après la conquête d’un territoire, le cocktail explosif est le même, griserie, enthousiasme, alcool, défoulement, toute-puissance et patriotisme, chauffés à blanc ils n’auraient qu’à se laisser aller pour violer les femmes et tabasser les hommes, on est chez nous bordel on a gagné. J’ai peur. Je presse le pas, à ce stade je suis certain de me faire lyncher en tant que mauvais Français ou seulement agresser en tant que victime collatérale mauvais endroit mauvais moment, j’entends par vagues des braillements des klaxons des Marseillaises, je longe des vitrines et des terrasses pleines de fumeurs et buveurs mugissant, je m’efforce de ne croiser aucun regard, soudain j’entends des coups de feu et mon sang se glace ! Ou peut-être des pétards, je ne sais pas, je ne risque pas de m’arrêter pour vérifier, je frissonne et accélère encore. Je réussis à m’éloigner des principales concentrations humaines (sic), je fais un détour par les quais, je ne croise plus que des individus isolés, titubants, vomissant ou pissant dans les buissons, et au bout d’une demi-heure d’angoisse je suis enfin chez moi, je verrouille à double tour et je souffle.

Il paraît que l’affiche de la finale est France-Argentine. Comme je ne suis pas argentin, je suis en mesure de m’exclamer, fébrile d’espoir : vive l’Argentine !

En revanche, Jorge Luis Borges, qui était tout aussi argentin que Diego Maradona, vous savez ce qu’il vous dit, Jorge Luis Borges ?

4) Lundi 19 décembre 2022. La France a enfin perdu ! On va pouvoir reprendre une vie !

Heureusement qu’il n’y a pas que le foot dans la presse du jour, y compris argentine. Il se passe d’autres choses dans le monde, et même dans Le Monde(.fr). Je lis ceci ce matin qui m’emplit d’une indicible joie :

« Le « Necronomicon » a-t-il été vu à Buenos Aires ?
Le grimoire maudit a été imaginé par H. P. Lovecraft il y a un siècle, en 1922. Depuis, il parcourt souterrainement la littérature mondiale. En particulier dans la capitale argentine, où certains l’y cherchent encore, en suivant la piste tracée en son temps par le grand J. L. Borges lui-même.

Pendant des mois, chaque jour ou presque, la même question : « Avez-vous trouvé le Necronomicon ? » L’homme qui la pose est grand et maigre, d’allure fantomatique, et il l’adresse aux employés d’une vieille ­librairie de l’avenue de Mai, dans le centre historique de Buenos Aires. Peut-être auront-ils fini par mettre la main sur ce ­livre au hasard de l’acquisition d’une ­bibliothèque privée.
A cause de l’épidémie de Covid, la boutique a baissé le rideau. Mais le mystérieux lecteur de l’avenue de Mai continue sans doute d’arpenter les innom­brables points de vente de la ville. « Se moquait-il de nous ou croyait-il vraiment en l’existence du Necronomicon ?, se demande encore Carlos Santos Saez, un employé de la librairie. Peut-être avions-nous affaire à une réincarnation de Lovecraft. En tout cas, la ressemblance était frappante. »
Howard Phillips Lovecraft (1890-1937) est cet écrivain américain du début du XXe siècle considéré comme l’un des maîtres de l’horreur. Il y a cent ans exactement, il imaginait le Necronomicon, un grimoire maudit mentionné pour la première fois dans la nouvelle « Le molosse », écrite en 1922 et publiée en 1924.Les pouvoirs maléfiques du Necronomicon sont contenus dans ses formules, qui permettraient d’entrer en relation avec les « Grands Anciens », des créatures qui gouvernaient le monde avant les humains, selon la vingtaine de nouvelles de Lovecraft où apparaît le nom. Le Necronomicon aurait été écrit au VIIIe siècle par un « Arabe fou » du nom d’Abdul Al-Hazred (peut-être un jeu de mots avec l’anglais all has read : « a tout lu »).
Le titre original, Al Azif, devient Necronomicon en grec. Seuls cinq exemplaires sont censés avoir traversé le temps, répartis entre la bibliothèque de l’université d’Arkham (fictive), celle de Harvard, le British Museum, la Bibliothèque nationale de France… et Buenos Aires. La capitale argentine n’apparaît qu’une fois chez Lovecraft, dans la nouvelle « L’abomination de Dunwich » (1928). Mais les fans argentins – plus que tous les autres – ont donné à « leur » exemplaire la consistance d’un mythe.
(…)
En 2017, une grande rétrospective des adaptations de Lovecraft au cinéma était organisée au Musée d’art latino-américain de Buenos Aires, le Malba. L’année suivante, le cinéaste argentin Marcelo Schapces exploitait la légende dans son long-métrage Necronomicon. El libro del infiernoLe livre de l’enfer »). L’ombre de Borges est omniprésente dans le film, dont un des personnages suggère que l’écrivain serait devenu aveugle en ­consultant le Necronomicon.
Le Necronomicon portègne fait parler de lui au-delà des frontières argentines. En 2018, Jean-Pierre Léaud, invité ­d’honneur du festival de cinéma de Mar del Plata, fait un passage express à Buenos Aires. Deux ou trois jours à consacrer aux charmes de la ville, mais l’acteur n’en démord pas. Il souhaite voir le ­Necronomicon. « Il aurait pu aller voir du tango, visiter des musées… Mais non, il a préféré partir à la recherche d’un livre imaginaire », s’étonne encore Enzo Maqueira. Le jeune écrivain, qui a servi de guide à Léaud, se souvient du moment le plus délicat de cette virée, quand l’équipe qui accompagnait l’acteur a dû lui annoncer la triste vérité : « Nous avons tous échangé des regards inquiets, personne ne voulait prononcer la phrase qui allait mettre fin à son rêve de gosse : “le Necronomicon n’existe pas !” »
Fabien Palem(à Buneos Aires) »

Sacré Jean-Pierre Léaud ! À lui, ainsi qu’à quiconque serait désespéré de chercher en vain le Necronomicon dans les enfers des bibliothèques nationales ou les recoins des échoppes enténébrées : mesdames et messieurs, je tiens gracieusement à votre disposition mon exemplaire (photo ci-dessous), défraichi mais déchiffrable, actuellement remisé et conservé avec soin dans mes chiottes.

Mémoires d’Al-Djazaïr

29/11/2022 Aucun commentaire

Ce soir 19h à l’Odyssée, Eybens, je participe à une lecture musicale célébrant, selon de quel côté l’on se trouve, soit les 60 ans de la fin de la guerre d’Algérie, soit les 60 ans d’indépendance de l’Algérie. Nous aurons la chance d’avoir en special guest star Farid Bakli et sont oud. Seront convoqués des écrivains « algériens » mais aussi « algériens français » : Albert Camus, Kateb Yacine, Jean Amrouche, Boualem Sansal, Assia Djebar, Alice Zeniter, Laurent Mauvignier, Maissa Bey, Mouloud Feraoun…

Pas la peine de vous pointer, c’est complet.

En lot de consolation, je vous offre ici-même un texte de Camus que je lirai, tout vibrant de cette élégie mystique écrite à l’âge de 28 ans parmi les ruines romaines de Tipasa, extrait de Noces à Tipasa :

« Mer, cam­pagne, silence, parfums de cette terre, je m’emplissais d’une vie odorante et je mordais dans le fruit déjà doré du monde, bouleversé de sen­tir son jus sucré et fort couler le long de mes lèvres. Non, ce n’était pas moi qui comptais, ni le monde, mais seulement l’accord et le silence qui de lui à moi faisait naître l’amour. Non, ce n’était pas moi qui comptais, ni le monde, mais seulement l’accord et le silence qui de lui à moi faisait naître l’amour. Amour que je n’avais pas la faiblesse de revendiquer pour moi seul, conscient et orgueilleux de le partager avec toute une race, née du soleil et de la mer, vivante et savoureuse, qui puise sa grandeur dans sa simplicité et debout sur les plages, adresse son sourire complice au sourire éclatant de ses ciels. (…)
Je comprends ici ce qu’on appelle gloire: le droit d’aimer sans mesure. Il n’y a qu’un seul amour dans ce monde. Étreindre un corps de femme, c’est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer. Tout à l’heure, quand je me jetterai dans les absinthes pour me faire entrer leur parfum dans le corps, j’aurai conscience, contre tous les préjugés, d’accomplir une vérité qui est celle du soleil et sera aussi celle de ma mort. Dans un sens, c’est bien ma vie que je joue ici, une vie à goût de pierre chaude, pleine de soupirs de la mer et des cigales qui commencent à chanter maintenant. La brise est fraîche et le ciel bleu. J’aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté: elle me donne l’orgueil de ma condition d’homme. Pourtant, on me l’a souvent dit : il n’y a pas de quoi être fier. Si, il Y a de quoi: ce soleil, cette mer, mon cœur bondissant de jeunesse, mon corps au goût de sel et l’immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu. C’est à conquérir cela qu’il me faut appliquer ma force et mes ressources. Tout ici me laisse intact, je n’abandonne rien de moi-même, je ne revêts aucun masque: il me suffit d’apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tout leur savoir-vivre.
Un peu avant midi, nous revenions par les ruines vers un petit café au bord du port. La tête retentissante des cymbales du soleil et des couleurs, quelle fraîche bienvenue que celle de la salle pleine d’ombre, du grand verre de menthe verte et glacée. Au-dehors, c’est la mer et la route ardente de Poussière. Assis devant la table, je tente de saisir entre mes cils battants l’éblouissement multicolore du ciel blanc de chaleur. Le visage mouillé de sueur, mais le corps frais dans la légère toile qui nous habille, nous étalons tous l’heureuse lassitude d’un jour de noces avec le monde. »

Ces mots sont, bien sûr, sublimes… Toutefois, l’on comprend que Camus ait pu essuyer des critiques du type : « Vous faites l’éloge de l’Algérie mais sans les Algériens. » Aussi, lors du spectacle de ce soir, afin d’introduire un peu de nuance et de dialogue, ce texte formidable sera immédiatement suivi d’une lettre fort énergique de 1957 (en pleine guerre) de Kateb Yacine à Camus, qui évoque également Tipasa :

« Mon cher compatriote,
Exilés du même royaume nous voici comme deux frères ennemis, drapés dans l’orgueil de la possession renonçante, ayant superbement rejeté l’héritage pour n’avoir pas à le partager. Mais voici que ce bel héritage devient le lieu hanté où sont assassinées jusqu’aux ombres de la Famille ou de la Tribu, selon les deux tranchants de notre Verbe pourtant unique. On crie dans les ruines de Tipasa et du Nadhor.
Irons-nous ensemble apaiser le spectre de la discorde, ou bien est-il trop tard ? Verrons-nous à Tipasa et au Nadhor les fossoyeurs de l’ONU déguisés en Juges, puis en Commissaires-priseurs ? Je n’attends pas de réponse précise et ne désire surtout pas que la publicité fasse de notre hypothétique co-existence des échos attendus dans les quotidiens. S’il devait un jour se réunir en Conseil de Famille, ce serait certainement sans nous. Mais il est (peut-être) urgent de remettre en mouvement les ondes de la Communication, avec l’air de ne pas y toucher qui caractérise les orphelins devant la mère jamais tout à fait morte.
Fraternellement, Kateb Yacine »

Par ailleurs, un regret.
Nous avons soigneusement élaboré le déroulé chronologique de cette lecture musicale, bien sûr nous avions trop de matière et nous avons procédé par élimination… et j’avoue regretter de n’avoir point intégré un extrait des Carnets d’Orient de Jacques Ferrandez. Certes, lire une bande dessinée à voix haute est toujours délicat puisqu’il y manque le plus important, qui est le dessin, sauf à faire un BD-concert.
Mais je suis présentement plongé dans cette ambitieuse épopée sur un siècle et demi, depuis la colonisation de 1830 jusqu’après la guerre, et je suis surpris d’être emballé à ce point, alors que la bande dessinée historique n’est, habituellement, pas du tout ma tasse de thé.

Juste pour le plaisir de la scène coupée, donc, je vous partage un extrait du tome 3, Les fils du sud, que j’aurais aimé lire à haute voix :

« Alger, 1914.
J’ai poussé tout d’un coup. A 14 ans, j’avais une petite voix pointue, et brusquement c’est devenu une voix d’homme.
Les filles se moquaient de moi, ça me rendait timide…
En classe, il y avait des copains qui étaient fils de paysans débarqués quelques années auparavant, dans le début du siècle.
Le matin, ils mangeaient de la soupe, ils ne connaissaient pas le café au lait. Nous, on se fichait d’eux.
Après les grèves des vignerons du midi en 1907, le vin qui était à un ou deux sous le litre est monté à sept sous.
Ils sont devenus riches, et après, c’est eux qui se fichaient de nous…
Mais ici, c’est comme ça… Le Français se croit plus fort que l’Espagnol. L’Espagnol, il crache sur l’Italien. L’Italien il dit que la Maltais c’est un chien. Le Maltais, il traite l’Arabe de fainéant. Et l’Arabe, il méprise le Juif.
Et encore, des fois, c’est l’inverse. »

Romain Gary, Émile Ajar et leurs enfants

28/11/2022 Aucun commentaire

Voici un an et demi, je déclarai ma flamme à Delphine Horvilleur. Madame la rabbine venait de publier un essai, Vivre avec nos morts, et tenait à cette occasion des propos brillants sur les liens entre la religion et l’imaginaire, propos que j’aurais pu ou voulu tenir, mais qu’elle prononçait en plus simple, en plus spirituel, en plus beau et même en plus drôle. À quoi bon écrire, n’est-ce pas, quand ce qu’on lit est meilleur que ce qu’on aimerait écrire.

En gros, elle faisait le meilleur usage possible de la religion : la pensée plutôt que le réflexe conditionné ; la recherche plutôt que le dogme ; la mise à profit (la mise en pratique) de la connaissance plutôt que la pure répétition de gestes et de paroles archaïques ; les questions plutôt que les réponses toutes faites. Une ouverture plutôt qu’une fermeture, etc. La vie plutôt que la mort, tout bonnement.

Depuis, je lis ses livres et m’en trouve fort bien. Son dernier ouvrage est bref mais d’une densité adamantine : Il n’y a pas de Ajar – Monologue contre l’identité. Le sous-titre est aussi important que le titre. Il y sera donc question de littérature et de politique – car si Mme Horvilleur parle en tant que sommité religieuse, c’est en assumant que la religion est de la littérature d’une part, de la politique d’autre part.

Comme quiconque a essayé le sait, il est assez difficile d’être un écrivain. Romain Gary en était deux, puisqu’il était aussi Émile Ajar. Delphine Horvilleur en fait une affaire personnelle, comme moi-même et tant d’autres :

Depuis des années, je lis l’œuvre de Gary/Ajar, convaincue qu’elle détient un message subliminal qui ne s’adresse qu’à moi. Je ne cesse d’y chercher une clef d’accès à ma vie, un passe-partout, qu’un jour un homme aux multiples identités a déposé.
Le pire est que je ne suis pas seule. J’ai croisé bien des êtres qui souffrent d’une pathologie similaire, et considèrent que l’entreprise littéraire de Romain Gary, sa réinvention de lui-même, les raconte, ou dit quelque chose de ce qu’ils aspirent à faire. Tous ont en commun de croire que cet homme est venu raconter un peu leur histoire, et que ses textes en disent davantage sur eux, lecteurs, que sur lui, auteur.
Si je devais tenter de définir ce qui relie les passionnés de Romain Gary que j’ai pu rencontrer, je dirais qu’il y a en eux une profonde mélancolie, très exactement proportionnelle à leur passion de vivre. Une volonté farouche de redonner à la vie la puissance des promesses qu’elle a faites un jour, et qu’elle peine à tenir. L’œuvre de Gary/Ajar est le livre de chevet des gens qui ne sont pas prêts à se résoudre au rétrécissement de l’existence ni à celui du langage, mais qui croient qu’il est donné de réinventer l’un comme l’autre. Ne jamais finir de dire ou de « se » dire. Refuser qu’un texte ou un homme ait définitivement été compris. Et croire dur comme fer qu’il pourra toujours faire l’objet d’un malentendu.

Évidemment elle parle ici de moi, puisque je suis lecteur de Gary. L’astuce était là sous nos yeux, comme une lettre volée, cachée en évidence sur un bureau : le pseudonyme de Gary masque son auteur mais révèle son lecteur.

La tradition talmudique offre sa contribution au débat : Ah’ar signifie l’Autre, apprend-on, et bien avant Gary ce fut le pseudo choisi par un personnage bien connu de la littérature rabbinique, Elisha Ben Abouya – le seul devenu célèbre dans le Talmud sous un autre nom que le sien, précise Horvilleur. Mais il y a plus sensationnel encore et l’exégèse est une source de joie potentiellement infinie. Si Ajar veut dire l’autre, que veut dire en hébreux Gary, pseudonyme originel, masque sous le masque, puisque, rappelons-le, Romain Gary est né Roman Kacew ? Selon Horvilleur, Gary signifie quelque chose comme « mon étranger » ou « l’étranger en moi » !

Ensuite (nous ne sommes qu’à la page 20), la fiction peut démarrer, le romanesque, le palimpseste, l’histoire qui s’ajoute aux histoires. Imaginons : Delphine soliloque sous l’avatar du fils d’Émile, rejeton de l’auteur qui n’existe pas, un certain Abraham Ajar, créature engendrée par une fiction (mais qui d’entre nous ne l’est pas ?)… Et elle s’en vient dialoguer avec Romain Gary la nuit de son suicide, le 2 décembre 1980, à son domicile rue du Bac, avant qu’il ne se tire une balle de Smith & Wesson dans la bouche mais après qu’il a soigneusement préparé la révélation posthume de sa géniale et fatale supercherie, Vie et mort d’Émile Ajar… Fiction délirante bien sûr, sous influence du dernier roman d’Ajar, le plus bizarre, le plus dissocié comme disent les psys, Pseudo.

Enfin, après la tradition religieuse, la littérature, l’autobiographie et l’imagination, s’immisce la politique. On sait depuis Amin Maalouf que les identités sont meurtrières. Pour Horvilleur elles sont en outre dégoûtantes.

À travers Ajar, Gary a réussi à dire qu’il existe, pour chaque être, un au-delà de soi ; une possibilité de refuser cette chose à laquelle on donne aujourd’hui un nom vraiment dégoûtant : l’identité.

Ainsi, il en est de la revendication identitaire comme de la revendication religieuse, qui sont deux tares de notre époque : si on questionne l’identité, si on joue avec elle, si on la fictionnalise, alors on avance sur un chemin difficile, contrasté mais gratifiant ; si on se contente de la clamer bruyamment sous la forme d’une violente auto-assignation (un auto-racisme), on devient toujours dingue, et souvent méchant.