Le diable, probablement pas

16/06/2023 Aucun commentaire

(Pour le contraire, Le diable probablement, c’est par ici.)

Statistique brute prélevée dans le flux internetisé de l’actualité : en ce moment, la République Islamique d’Iran exécute après jugement sommaire, en moyenne, un être humain toutes les six heures. Quatre par jour.

Ce nombre est abstrait. Comment rendre la peine de mort concrète, c’est-à-dire incarnée dans des êtres humains qui soit exécutent, soit sont exécutés ? Par le cinéma, évidemment.

Je viens de voir un film iranien et j’en sors bouleversé, en larmes : Le diable n’existe pas (titre péremptoire et pourtant prodigieusement subtil, puisque marquant non une fin de réflexion, mais un début, pour méditer après le film) de Mohammad Rasoulof. Ce chef d’œuvre me conforte dans deux de mes convictions. Primo, le cinéma iranien est l’un des plus passionnants du monde, et aussi l’un des plus héroïques puisque pour exister il doit se battre pied à pied contre son propre pays. Le diable n’existe pas a été tourné en clandestinité, déjouant une censure locale qui ferait passer le code Hays pour une aimable partie mah-jong, et Rasoulof, après sept mois d’internement dans la tristement célèbre prison d’Evin, a désormais interdiction de quitter le territoire alors qu’il était attendu en tant que juré du dernier festival de Cannes.

Secundo, pour accéder à la complexité d’une culture, d’un pays, ou d’une époque, il est préférable de regarder ses œuvres d’art plutôt que de coller l’œil sur le flux internetisé de l’actualité. Ici, on comprend ce qu’est concrètement la peine de mort : c’est une tache indélébile sur un homme à qui un deuxième homme a dit Tue ce troisième homme.

Ce film ressemble davantage à un recueil de nouvelles qu’à un roman puisqu’il assemble quatre histoires distinctes (une chronique sociale, un thriller, un mélo amoureux, un mélo familial) qui ont toutes en commun le thème de la peine de mort mais, plus largement, celui de la responsabilité individuelle. C’est, philosophiquement, aussi profond que du Albert Camus, autre auteur pour qui la peine de mort était un grand sujet à incarner, et c’est aussi beau que dans ses livres, puisque la lumière, le soleil et les couleurs sont, comme chez Camus, époustouflants. Et d’autant plus tragiques.

Question incidente et subsidiaire : voilà deux films persans que je vois coup sur coup, Leila et ses frères et ce Diable n’existe pas, où apparait le même élément narratif (essentiel dans le premier, anecdotique dans le second), qui semble un trait des mœurs persanes, très exotique pour nous Français : l’importance extrême, à la fois économique et symbolique, accordée aux pièces d’or. Durant la crise (or la crise est sans fin), la « pièce d’or » semble une valeur refuge, contre l’inflation aussi bien que contre la déroute spirituelle, chargée des valeurs mythiques et mythologiques attribuées à l’or, comme dans les contes traditionnels. Ainsi, selon ces deux films, si l’on veut faire à quelqu’un un cadeau « sûr » , conséquent, prestigieux voire ostentatoire, empreint d’une grande valeur à la fois financière et symbolique, on offre des pièces d’or.

En France existe une sorte d’équivalent : les personnes riches offrent ou s’offrent des Napoléons ou des Louis d’or, mais c’est une pratique plus marginale, plus rare, réservée à la grande bourgeoisie, et il ne me semble pas que cela tienne lieu de cadeau traditionnel. Sans doute parce que l’économie française est plus stable que l’économie iranienne. Jamais personne dans ma famille n’a possédé un Louis d’or.

McCarthysme

13/06/2023 Aucun commentaire
Moi, déambulant le long de la route effondrée entre Miribel-Lanchâtre et Saint-Guillaume, juin 2023

Cormac McCarthy n’est plus. En hommage, rediffusion au Fond du Tiroir d’un article de 2009, toujours d’actualité.

J’ai lu, durant le long hiver 2007-2008, La Route, roman de Cormac McCarthy – sur les conseils concomitants de deux lecteurs avisés n’ayant aucun lien entre eux, messieurs Yann Garavel et Jean-Marc Mathis. Lorsqu’une préconisation surgit simultanément de deux horizons séparés, mieux vaut la prendre au sérieux. Si je donne les noms de ces deux gentlemen, c’est pure gratitude.

Car depuis ces années écoulées, je pense à ce livre, non quotidiennement, ce serait insupportable, non régulièrement, ce serait de la préméditation, mais enfin, très souvent. Et sans sommation. Des visions me prennent soudain, me reviennent de loin derrière ou m’arrivent de demain, je ne sais pas. En roulant sur l’autoroute. En mangeant une pomme. En regardant mes enfants. En regardant un arbre. En poussant un caddie dans un supermarché. En ouvrant une boîte de conserve. En me retrouvant seul, même accompagné. En contemplant un paysage, n’importe quel paysage, pour en ressentir très profondément, à en pleurer, sa fragilité, la mienne aussi, sa beauté en train de mourir.

Quel est donc ce roman qui, bientôt deux ans après avoir été lu, procure encore telles sensations ? Tels effrois physiquement ressentis, et telle conscience viscérale (L’horreur ! L’horreur !) de notre rapport tragique au monde ? Quel est donc ce roman qui vous retourne l’œil ?

Et ce n’est pas tout. Cette nuit, j’y étais, sur La Route.

J’étais dans ce monde gris et mort, j’étais seul et tapi dans un terrier de cendres, j’espérais que les miens étaient encore vivants mais je n’avais aucun moyen d’en être sûr, je savais que les alentours étaient dangereux, j’étais squelettique et en haillons, je faisais partie d’un groupe qui m’avait relégué, un groupe cruel et dur et violent, mais censé protéger ses membres d’un autre groupe plus cruel, plus dur et plus violent, qu’on ne voyait pas, qu’on entendait parfois, dont la menace obligeait à rester caché, couché, prostré dans la boue grise… Finalement, je me suis tout de même levé, rassuré parce que j’avais en poche l’outil qui me permettrait d’aller voir plus loin : le précieux passe-partout [il s’agit de mon trousseau de clés professionnel, qui ouvre toutes les portes du centre culturel qui m’emploie], j’avançais dans la boue grise en tâtant ce sésame à travers ma poche et en écoutant chaque écho de la forêt défunte, pelée, sans feuille, et chaque coup de mon cœur… Je suis parvenu devant une palissade hétéroclite, amoncèlement de planches de chantier, et là, à moitié dissimulée, une porte. Ma clef est entrée dans la serrure, j’ai tourné la poignée, je suis entré. Entré dans quoi ? Derrière la porte, j’étais toujours dehors. Au-delà, le même paysage continuait, identique, plus vallonné peut-être. J’ai entendu un cri : « Un espion ! » J’ai répondu d’une voix très faible : « Je ne suis pas un espion… Je n’ai pas d’arme sur moi… » Alors, des individus aussi squelettiques que moi, aussi sales, pareillement en haillons, ont fondu sur mon corps, m’ont encerclé, ont commencé à me palper, à soupeser mes maigres muscles, mes jambes, mes bras, et je comprenais parfaitement à quelle fin ils me jaugeaient ainsi. Or ils étaient tous des enfants. Aucun n’avait plus de treize ans.

Et je me suis réveillé, en sueur, le cœur battant très fort d’être vivant.

Quel est donc que ce roman qui, bientôt deux ans après avoir été lu, procure encore des cauchemars ?

Un chef d’œuvre, sans aucun doute, voilà la réponse.

Il paraît qu’ « ils » vont en faire un film, non parce que c’est un chef d’œuvre, ce qui serait une raison extraordinaire, mais comme d’habitude pour la raison ordinaire : parce que le livre a eu du succès. Je ne vois pas l’intérêt. Les pouvoirs de la littérature sont une chose ; ceux du cinéma, très grands et tout aussi respectables, en sont une autre, et ces deux choses mélangées dans le pot commun du box-office ne sont pas forcément des ingrédients compatibles. De quoi gâter le goût, aussi bien. Je n’irai pas voir ce film, de même, et à peu près pour les mêmes raisons, que je ne suis pas allé voir un autre film évoqué ici. À quoi bon ? Des images, j’en ai déjà, plein la tête, plein la nuit.

Mise plutôt sur le monde

13/06/2023 Aucun commentaire

Saison du bac.
Le Fond du Tiroir a une pensée pour les bacheliers, présents passés et futurs, et offre gracieusement à tous un sujet négligé par l’Éducation Nationale et qui mêle habillement culture académique, actualité, et rock ‘n’ roll.

Vous considérerez d’abord en parallèle puis en confrontation dialectique l’aphorisme énigmatique noté par Franz Kafka dans son journal : « Dans le combat entre toi et le monde, choisis le monde », et la chanson de The Clash : « I fought the law and the law won. »
Vous alimenterez impérativement votre réflexion par quelques concepts-clés issus de la vie politique française tels que « 49.3 », « Réforme juste, équilibrée et inévitable », « Brav-M », « Flashball », « Texte définitivement adopté par l’Assemblée » ou « Validation par le Conseil Constitutionnel » (liste non exhaustive).

Que faire des ordures

27/05/2023 Aucun commentaire
Photogramme : L’Île aux fleurs (Ilha das Flores), court métrage génial de Jorge Furtado, Brésil, 1989. À revoir régulièrement ici.

L’alchimie, pré-science du symbole plus que de la physique, rêvait de disposer à volonté de la matière, aspirait à la décomposition et à la recomposition des éléments, ambitionnait de défaire et refaire le monde : son principe était la transformation.

Pour l’opération de décomposition, l’alchimiste utilisait l’alambic, qui sépare par distillation la matière en ses différentes substances élémentaires ; pour l’opération inverse, la transformation par fusion ou amalgame, il utilisait l’athanor, mythique four philosophique à combustion lente, outil suprême censé permettre la création de la pierre philosophale, qui changera le plomb en or – mais aussi guérira toutes les maladies et apportera, enfin, à l’homme le bonheur.

Athanor est également le nom, poétique et vaguement inquiétant, du centre de tri et d’incinération des ordures ménagères de l’agglomération où j’habite, réceptacle du souci alchimique de notre temps : la transformation de la matière que nous produisons sans cesse, au sens de plomb, au sens de résidu, au sens de détritus, au sens de rebut, au sens de relief, au sens de merde. Athanor est dédié au tri, selon le mot plus prosaïque qu’alchimique, de près de 250 000 tonnes de déchets par an, à l’échelle de 49 communes et de leurs 450 000 habitants. J’en suis.

J’en rêvais depuis des années. J’ai enfin eu aujourd’hui l’occasion de visiter Athanor.

Une traversée du miroir. Un dévoilement de la face cachée ultime de notre mode de vie délirant (consommation-extraction-pillage-destruction). Une expérience d’initiation au destin de tout ce que nous jetons à la poubelle pour mieux penser à autre chose, et chaque seconde de la visite guidée était passionnante, autant du point de vue politique, que sensoriel, que technique ! Un centre de tri est, si l’on veut, une sorte de parc d’attractions, mais pour les adultes, pour les conscients, un parc à thème dont le thème serait enfin le réel. Pas de souris à grandes oreilles et gilet à boutons, seulement des bons vieux rats.

Il me semble que tout le monde devrait faire un tour, au moins une fois dans sa vie mais le plus tôt possible, dans ce château hanté de la modernité. Adultes, enfants, usagers, professionnels, élus, citoyens. Je m’emballe au pied des emballages entassés : on devrait le visiter en famille, entre amis, organiser des sorties scolaires ou naturalistes (on trouve ici un nombre remarquable d’espèces d’oiseaux et de rongeurs), des séminaires, des week-ends, des goûters, des escape games, des mariages, Saint-Valentin ou fêtes d’anniversaires, des veillées funèbres, enfin tous les prétextes rituels seraient bons pour voir ce qu’on n’a pas envie de voir, comprendre ce qu’on n’a surtout pas envie de comprendre, méditer.

Bien sûr on ne serait pas obligé de faire, comme je fais malgré moi, des associations d’idées bizarres : sur le moment, j’ai gardé pour moi les visions qui me sont venues. Ce paysage clôturé formé par deux bâtiments qui se regardent en chien de faïence, le centre de tri horizontal, et l’incinérateur vertical terminé par deux longues cheminées d’où s’échappe la fumée, m’évoquait un camp de concentration ; les montagnes d’ordures ont convoqué aussi en moi la dernière scène de Zabriskie Point d’Antonioni et boum ; Powaqqatsi, également ; surtout, L’île aux fleurs.

Tous les sens sont saisis : le bruit des machines, l’odeur des décompositions, les trépidations incontrôlables, et naturellement la vue des monceaux de détritus hauts comme des villes, alimentés en permanence par la noria des camions-bennes. Sensation terrible et désespérée de course contre la montre : vas-y colibri, pioche et trie là-dedans, minutieusement, ton kilo de plastique vert, pendant qu’au-dessus de toi versent deux nouvelles tonnes de drouille toxique et mêlée. Les ordures sont là, il n’est plus temps de les nier, il nous faut les « traiter » autant que possible, c’est-à-dire pas autant que l’on voudrait. Que faire des ordures ?

Deux fins possibles :

– Par ici, on compacte tant bien que mal la matière grossièrement triée, réunie par balles cubiques et thématiques (un bloc d’alu, un bloc de carton, un bloc de plastoc… surtout du plastoc, qui aura beau être recyclé se retrouvera pourtant in fine dans les océans, intégré au cycle de l’eau… je m’approche d’une balle de papier de deux mètres de haut, car je suis et serai toujours toujours attiré par le papier, et j’aperçois, saillant de la masse, surtout des prospectus publicitaires, quelques feuillets manuscrits dont des copies d’écolier corrigées en rouge, et même un livre ratatiné dont je réussis à lire une ligne, que j’oublie aussitôt), balles qui seront chargées dans d’autres camions, vendues une bouchée de pain à qui voudra les recycler à l’autre bout de la France (puis ? vers quel pays-décharge en voie de développement ? sachant que le mot développement, aussi mythique que l’alchimie, désigne justement le mode de vie insane qui produit les déchets).

– Mais par là le résidu, tout de même une moyenne de 40% de « refus » , c’est-à-dire de déchets juste bons à brûler, direction l’incinérateur et le ciel, anus mundi. 40%, contre 20% à l’échelle nationale : elle a bonne mine Grenoble la « capitale verte » .

Parmi les observations sociologiques les plus fulgurantes : dans la salle où les « opérateurs » (c’est leur titre professionnel) trient à la main nos déchets sur des tapis roulants, dernière tâche que les machines ne savent pas faire, la plus sale, la plus ignoble et la plus dangereuse (oui, bien sûr qu’il y a des tessons de verre et tant d’autres débris intrus qui n’ont rien à faire là, et vous, vous triez impeccablement, chez vous ?) 100% du personnel, du moins le jour de ma visite, était constitué d’hommes noirs, nous les regardions travailler à travers des vitres, dans leurs gilets jaunes. Qu’est-ce que cela dit de notre monde ? Qu’est-ce que cela dit de l’abolition supposée de l’esclavage (l’esclavage a été aboli en France au moins quatre fois, 1315, 1794, 1815, 1848 et qu’est -ce qu’un commerce qu’on a besoin d’abolir régulièrement) ? Qu’est-ce que cela dit de notre principe d’enfouissement ? Qu’est-ce que cela dit de la République Française ?

Terminons sur un peu de poésie, faute de quoi nous ne nous en sortirons jamais. Dans cette magnifique chanson, Jeanne Cherhal visite une station d’épuration, Et sachez qu’en hiver/Inhaler au grand air/Le ventre de la terre/On dirait du Baudelaire.

La tête en compote

19/05/2023 Aucun commentaire

Aujourd’hui 19 mai 2023 (deux ans jour pour jour après Nanabozo), surgit en librairie La théorie de la compte, éditions l’Atelier du Poisson Soluble.

Les théories du complot imprègnent l’air ambiant. Réchauffement climatique, premier homme sur la lune, attentats, vaccins, morts célèbres, grand remplacement, sociétés secrètes… Plus ou moins farfelues, mêlant dangereusement le vrai et le faux, elles forment un fascinant phénomène imaginaire, et même, lâchons le mot, littéraire : un mythe moderne. Voilà qui valait bien un livre.

Et même, pratiquement, deux : La théorie de la compote suivi de La compote de la théorie. Côté pile une fiction, surenchère burlesque / côté face un bref essai, pense-bête scientifique, qu’on lira dans l’ordre qu’on voudra.

C’est Olivier Belhomme, éditeur, qui a eu l’idée de cette double entrée : « Elle est bien, ta Compote, Fabrice, mais tu ne peux pas la balancer comme ça toute nue, de nos jours le sujet est trop sensible pour courir le risque du malentendu, tu aurais l’air de dire que tout se vaut, le vrai, le faux… Ton texte a besoin d’un autre texte qui l’accompagne, peut-être une préface, ou une postface ? »

J’ai rechigné, temporisé, hésité, rappelé qu’il n’y a rien de pire ni de moins drôle qu’une blague qui a besoin d’être expliquée… Mais je l’ai écrit, ce second texte, finalement convaincu par la forme tête-bêche de la maquette, un livre à l’endroit, un livre à l’envers, comme un rappel subliminal qu’en toute chose il vaut mieux considérer les deux aspects. Parfois, les éditeurs ont raison. Merci Olivier.

Et puis, c’est un livre violet. Je n’en avais pas encore, de livre violet. Jolie couleur. Un rapport entre la nuance lilas et le contenu du livre ? Oh ben forcément, puisque tout a un rapport avec tout, c’est le principe même du complotisme, jeu merveilleux et infini qu’ailleurs on appelle apophénie.

Voyons voir… Qu’évoque le violet ? Première image qui vient ? Le chocolat Milka. Milka, aussi suisse que le secret bancaire est évidemment associé à un complot lié au Covid-19 (« mille cas » , comme par hasard) ! Interrogeons aussi le langage des fleurs : la violette signifie Notre secret est bien gardé (complot !). Cette couleur violette est également celle des évêques (Vatican = complot !) et, plus tardivement, celle du féminisme (lobby = complot !), bref on n’est pas sorti des mailles du filet ! Qui est le coupable ? Le Cluédo nous avait prévenus, c’est le professeur Violet dans la bibliothèque.

Veuillez noter dans vos agendas : le samedi 24 juin à 18h, cet ouvrage sera officiellement inauguré en la librairie La Caverne, 11 rue Montorge, Grenoble. Lecture, dédicace, rencontre, et même un peu de musique, avec Marie Mazille en très spéciale guest-star. Donc nous chanterons.

Les « cinquante nuances de gris », les vraies

10/05/2023 Aucun commentaire

Blandine Rinkel est musicienne, chanteuse et danseuse, au sein du groupe Catastrophe (pour rappel : rediffusion au Fond du tiroir).

Elle est aussi écrivaine. Son dernier livre, quoique minuscule (publié d’ailleurs aux minimalistes éditions 1001 nuits) tombe fort bien : Les abus gris.

La couverture en forme de nuancier Pantone explicite le titre, et ringardise une bonne fois pour toutes les trop fameuses Nuances de Grey qui sous couvert de dernier cri érotique ne faisaient que réincarner, pour le coup sans s’encombrer de la moindre nuance, les archétypes masculinistes les plus éculés, les plus archaïques rapports de domination d’un sexe sur l’autre.

Ici, au contraire, est entrevue la vaste « zone grise » entre le pur et simple abus sexuel et le consentement explicite.

En plus du reste (« par-dessus le marché » comme disait l’autre) Blandine Rinkel est belle. La beauté est un pouvoir. Le désir aussi, celui qu’on éprouve, celui qu’on provoque ; la libido tout entière est un nœud de pouvoirs. Les rapports entre les hommes et les femmes sont des rapports de pouvoir, voilà qui est à peu près fatal. Or je fais systématiquement mien le crédo anarchiste : dès qu’il y a pouvoir, il y a risque et soupçon d’abus de pouvoir, la pente est naturelle. Dans le présent contexte, il ne s’agit pas d’imaginer qu’on va éradiquer le pouvoir lui-même – projet utopiste et d’ailleurs pas forcément souhaitable (comment tomber amoureux si l’on récuse toute emprise ?). Ce sont (nuance !) les abus qu’il faut surveiller et prévenir. On les surveillera et préviendra en parlant, en écrivant, entre sujets, sans que l’un soit l’objet de l’autre.

Notre époque depuis #metoo, en libérant la parole et en la rendant en somme obligatoire, a peut-être compliqué mais sûrement assaini les rapports de pouvoir entre hommes et femmes. Ce mini-livre contribue au débat.

Premier paragraphe :

A 18 ou 20 ans, je tenais à plaire aux hommes suffisants. Ceux qui, dans le milieu intellectuel notamment, semblaient avoir du pouvoir. Sans doute pour me prouver à moi-même ma maturité, je tenais à être désirée par des hommes mûrs. Ceux qui savaient, pensais-je, ce qui est digne d’être désiré et ce qui ne l’est pas (…) Il y avait un plaisir à créer de la frustration chez ces personnes repues, un plaisir à les sentir, parfois, encombrées par leur désir, sans toutefois le satisfaire.

Dernier paragraphe :

Je me fiche maintenant de plaire aux suffisants. J’ai fini de trouver des excuses à ceux qui dictent, asymétriquement, les règles du jeu érotique. Et j’ai fini d’éprouver de l’embarras à l’idée d’être ce que je suis : une femme, encore jeune, avec un corps de jeune femme, qui aime être désirée, mais à qui il importe plus encore d’être prise au sérieux. Une femme qui n’éprouve jamais de plaisir à être changée en objet malgré elle.

Entre les deux : une anecdote racontée avec minutie, éclairante, factuelle. Nuancée. Voilà de quoi nous avons besoin.

La Théorie de la compote, suivie de la Compote de la théorie

03/05/2023 Aucun commentaire

Deux ans jour pour jour après avoir déballé un carton et en avoir extrait le roman Ainsi parlait Nanabozo, je déballe un carton et j’en extrais mon nouveau livre, La théorie de la compote (L’Atelier du poisson soluble). Il sera en librairie le 19 mai. Soit, à nouveau, deux ans jour pour jour après Nanabozo. Cela commence a faire beaucoup de coïncidences. Les signes sont partout.

Les signes ne sont pas tous propices… Ce livre a enduré un nombre suspect de bâtons dans les roues… Il a cumulé tant de retard qu’il a failli ne jamais paraître.
1) En mars dernier, j’ai envoyé les épreuves à la correctrice qui réside en Auvergne, et mon courrier, mystérieusement égaré par la Poste, a mis quinze jours pour parvenir à destination (soit moins de 30 kms par jour en moyenne, j’aurais pu le faire à pied, c’eût été bon pour ma santé).
2) Au moment de l’impression, la machine de l’imprimeur est tombée en panne, retardant de trois jours la livraison.
3) Lorsqu’enfin le tirage fut prêt, le transporteur a récupéré la palette chez l’imprimeur mais l’a déposée « par erreur » (sic) non à l’adresse de l’éditeur mais devant chez un commerçant qui n’avait rien demandé.
4) Je feuillette l’ouvrage, je le trouve bien sûr très beau, mais… Bon sang, il a été façonné à l’envers ! Certes, la maquette est piégeuse puisque ce livre est à double entrée, La théorie de la compote (fiction) d’un côté, La compote de la théorie (essai) de l’autre. Or désormais la couverture de La théorie de la compote ouvre sur La compote de la théorie et réciproquement, ajoutant à la confusion ! Ne reste qu’à espérer que le lecteur s’imagine que c’est fait exprès… Ma résolution est prise : lorsqu’à l’occasion on me fera remarquer ce brouillamini, je sourirai d’un air énigmatique.

Toutes ces mésaventures empilées sont-elles réellement des accidents, du manque de chance à répétition ? N’y aurait-il pas quelque part, derrière le rideau des apparences, certaines puissances occultes, actionnant les leviers, et cherchant par tous les moyens à m’empêcher de révéler dans ce brûlot ce que je sais sur le complotisme ? Ces péripéties auraient-elles pour objectif final d’intimider les libraires qui à juste titre pourraient craindre que leur boutique prennent feu « fortuitement » le 19 mai s’ils plaçaient ce livre dans leur vitrine ?
Il suffit de réfléchir deux secondes et le jour se fait : à qui le crime profite ? Quel empire éditorial tremble devant l’indépendance farouche de l’Atelier du Poisson Soluble, qu’il n’a jamais réussi à racheter malgré quelques OPA agressives (il a échoué de même à mettre la main sur le Fond du Tiroir et depuis m’en veut mortellement) ?
Vincent Bolloré, bien sûr ! Vincent Bolloré et ses complices reptiliens bien placés dans le Vatican sataniste, la CIA islamiste, le Big Pharma illuminati, et la République en marche renaissante !

Réussirez-vous à lire La Théorie de la compote le 19 mai ? Le suspense continue.

Joie, beauté et couleur

01/05/2023 Aucun commentaire

Lu dans le Dauphiné libéré, un article aimable consacré au spectacle Goya : Monstres et merveilles en trio avec Bernard Commandeur, Christine Antoine et mézigue, joué la semaine dernière au château de Seyssinet.
Avec naturellement une coquille, sans laquelle le Daubé ne serait plus le Daubé : « Fabrice Vigne au chant et au texte » . Non, non, sur ce coup-là je ne chante pas, promis. Sauf si je suis dans un état second ? Si ça se trouve… mon dieu… Le Daubé aurait raison ? Je suis revenu du stage d’avril épuisé, confus, ébranlé nerveusement, et je me serais mis à chanter sans m’en apercevoir, les Spermatos par exemple ? Voilà qui mérite un mirliton !

L’obscurité régnait dans l’aile du château / Et l’ombre de Goya enrobait le trio / Nous étions concentrés sur le « Très de Mayo » / Quand soudain retentit l’hymne des spermatos (de notre correspondant du Dauphiné Liberato)

Prochaines dates du spectacle : dimanche 25 juin 11h au Peuil (Claix) ; jeudi 19 octobre au Musée de Grenoble dans le cadre de la programmation « Musée en musique » .

Mais comme dans la vie il n’y a pas que « Goya et la musique espagnole » , Christine, Bernard et moi-même préparons un nouveau spectacle musicalo-biographico-pictural en trio : « Chagall et la musique russe » .
Déjà deux dates prévues : création à l’occasion des Journées du patrimoine, dimanche 17 septembre, en l’église Notre-Dame-des-Vignes, Sassenage ; reprise en appartement à Grenoble le mercredi 1er novembre (Toussaint).
Ce qui entraîne que ces jours-ci je lis pas mal de choses sur Chagall. C’est beau, Chagall. C’est féérique. C’est joyeux. C’est plus coloré que Goya (euphémisme).
Et puis à force de recherches, fatalitas et sérendipité, je tombe sur une citation de Jean-Marie Le Pen. Fin immédiate de la joie, de la beauté, et de la féérie.
Le 13 février 1984, date clef, Le Pen devient une star de la télévision et commence une ascension qui ne s’interrompra plus : il apparaît dans sa première émission en prime time, « L’Heure de vérité ».
Fort de son antisémitisme décomplexé et décomplexant, il profère cette ignominie, tous les Juifs dans le même sac :

« Je considère les Juifs comme des citoyens comme les autres… Ils ne le sont pas plus que ne le sont les Bretons ou d’autres. Je ne me sens pas obligé d’aimer la loi Veil, d’admirer la peinture de Chagall ou d’approuver la politique de Mendès-France ».

Près de 40 ans plus tard, Le Pen vient d’être hospitalisé pour un malaise cardiaque, mal en point. Il ne faut pas souhaiter la mort des gens, jamais, ça ne se fait pas. Par conséquent je ne dirai pas : « Qu’il crève » .

Pour le 1er mai, un brin de muguet peint par Chagall (vers 1975)
Ce ! N’est ! Qu’un ! Brin d’muguet !
Continuons le ! Com ! Bat !

Revenir sur la terre ou exploser en vol

29/04/2023 Aucun commentaire

Photo aimablement prise par un CRS pourtant sur les nerfs, qui faisait le pied de grue à la sortie de l’autoroute mais qui attendait des blacks blocs plutôt qu’un trombone et une nyckelharpa.

Ah quel stage que celui de création de chansons encadré par Marie Mazille et moi, trépidant, foisonnant et joyeux. entouré de plein d’autres ateliers plus sérieux mais tout aussi bons ! Si le monde (professionnel) était mieux fait je ne gagnerai ma vie qu’ainsi tant je me régale tout en régalant les autres. Prochaine session : dimanche 14 au samedi 20 avril 2024. En attendant vous pouvez vous inscrire au stage d’août de Mydriase, pas mal non plus.

Mais il faut bien revenir dans le vrai monde, qui vous attend au tournant. La semaine de stage était tellement intense que j’en ai oublié de regarder l’info – ce sevrage constituant un avantage bonus.

Voyons voir, qu’ai-je loupé d’essentiel ces derniers jours ? Ah, tiens, ça, enfin une info marrante : Le Starship, la mégafusée de SpaceX, explose en vol trois minutes après son premier décollage.

Voilà qui mérite un mirliton :

Quelle déconvenue, affligeante et très brusque,
Advient au gros poupon dénommé Elon Musk !
Il brise son joujou à grosse empreint’carbone
Dans son techno-av’nir y’a kekchoz qui déconne.

Le pays des ombres

17/04/2023 Aucun commentaire

Ce matin j’attrape 54 ans et, comme d’habitude, je comprends que plus on vit plus on enterre. Je rends grâce et hommage à ceux qui sont descendus à cet arrêt : Louis Owens, par exemple, est mort à 54 ans. Et salement, en plus.
Voilà ce que je pourrais faire pour mon anniversaire, relire le Chant du loup.