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Articles taggués ‘Civisme’

G

28/03/2010 4 commentaires

Madame la présidente du Fond du tiroir arborant un G sur la paume. Qu’est-ce à dire ? Tous les détails de l’affaire ici. Encore un « fait divers » qui fait peu honneur à la France, encore une histoire, très littéralement, de merde, encore une saine initiative de Thierry Lenain.

Encore ? Ne nous habituons jamais ! G comme Guilherme, et comme GUEULONS ! comme le dit Thierry.

Baw-waw !

18/03/2010 3 commentaires

Le salon du livre de Montreuil, capitale symbolique de la littérature de jeunesse en France, est en danger. Oh, pas le salon lui-même, qui, en tant qu’évènement commercial, en tant que foire-à-tout et à Martine, ne peut que perdurer en notre monde où la relation marchande devient la norme du lien social. Ce qui risque de disparaître, ce sont toutes les opérations qui entourent et donnent leur sens humain à ce salon – le travail des petites mains de Seine-Saint-Denis, qui depuis 25 ans fabriquent du lien entre les livres et les enfants. Pourquoi cet essentiel travail de fond est-il remis en question ? Parce que le Conseil Général du Neuf-Trois (de gauche, s’il vous plaît) coupe les vivres. Dans le même temps très exactement, Claude Bartolone, président dudit Conseil Général, pousse des cris indignés, et sans doute de bonne foi, pour alerter sur « la culture en danger ». Comme quoi ça ne serait pas sa faute, mais celle du gouvernement, qui sabre les finances des collectivités territoriales tout en leur déléguant davantage de compétences. Tiens, ça me rappelle un livre pour enfants, c’est dire si la littérature jeunesse nous donne des outils pour déchiffrer les enjeux de pouvoir…  Nous ne sommes pas dans le monde éthéré des purs esprits de la culture, mais dans celui, âpre et trivialement combattif, de la politique, sèn-sèn-dni-staïleDe la bombe, bébé.

J’ai posté un petit message de soutien sur le site « Le pouvoir des livres », dédié à la défense et à l’illustration de l’oeuvre de Montreuil et, ce faisant, j’ai parcouru les autres contributions. Je suis tombé en arrêt devant le dessin offert par Mario Ramos, que je reproduis ci-dessus… Au fond, c’est ce dessin que je voulais aujourd’hui placer devant vos yeux, relayer ici les misères de Montreuil n’étant qu’un beau prétexte (même si soutenir le salon ne peut pas faire de mal). J’admire énormément Mario Ramos, et je tiens son Quand j’étais petit pour l’un des plus beaux livres jeunesse du monde (par conséquent, l’un des plus beaux livres du monde).

Et ce dessin-là, quelle merveille ! Quelle simplicité, quelle profondeur ! Tout est dit là, que je vais cependant paraphraser, et mon exégèse sera forcément plus laborieuse qu’un trait de plume : la littérature sert à ceci, très exactement ceci, à ce qu’un chat puisse pleurer en lisant l’histoire d’un chien, puisque celui-ci et celui-là ont en commun, au-delà de toutes leurs différences, leur condition d’êtres humains (sic). Comme je l’ai raconté ailleurs, je me sens tel un chat qui aboie – je ne pouvais que me sentir viscéralement atteint par ce dessin. J’en ronronne et jappe.

Post-scriptum éphémère posé sur l’actualité : les trois prochains jours, le Fond du Tiroir (c’est à dire essentiellement moi-même, suppléé sur certaines plages par Madame la présidente de l’association FdT, et par Marilyne Mangione) tiendra dignement son stand sur un autre salon, le Printemps du livre de Grenoble, dont le visuel est éhontément pompé sur Impitoyable d’Eastwood mais sinon c’est bien.

Je marche

23/01/2010 5 commentaires

Les Giètes, photoroman, évoque à plusieurs reprises (et pour mémoire pp. 101-103) l’expérience particulière des manifs, de ces matins de grève où l’on défile en cortège sur la voie publique. On marche – au double sens, dur et absolu, du beau verbe marcher :  on avance, et on y croit. On marche pour, on marche sur, on marche à, on marche ou crève, on marche.

Le héros dudit roman ne marche plus. Double sens également, quoiqu’il vous parlerait surtout de ses pauvres jambes.

En revanche, moi, je marche encore. J’ai marché hier, avec mes filles. Comme d’habitude, on camarade devant la gare, puis on terminusse devant la Préfecture, où les plus enragés continuent de piétiner. La Préfecture est cet auguste symbole républicain sévèrement gardé par un rang de CRS, arborant des casques intégraux et des gilets pare-balles d’une épaisseur impressionnante, et pour tout dire dissuasive. On renonce à même les regarder, le regard n’atteindrait pas leur épiderme. Mais cette manif était plutôt courte, faible mobilisation, dans le froid et la grisaille. Les syndicats annonçaient 3000 personnes dans le mégaphone, je pense qu’il n’y en avait qu’un petit millier… Toujours les mêmes revendications, « pour sauver le service public »… Je marche, puisque je suis un petit fonctionnaire. On suit la banderole, on soupire au slogan. Y croit-on encore ? Il faut bien, pourtant. Si l’on n’y croyait plus, on s’arrêterait de marcher, puisque c’est la moitié du sens.

Les suppressions de postes de fonctionnaires, qui déglingueront la société française plus durablement qu’un jour de grève, rapporteront à l’Etat 500 millions d’Euros, tandis que le bouclier fiscal, qui enrichit une poignée de créatures extra-terrestres humanoïdes ne vivant pas sur le même plan de la réalité que nous, lui coûte 600 millions d’euros. L’équation est simple, le gouvernement insupportable… Alors on le dit dans la rue… Et puis on n’est plus trop sûr de servir à quelque chose, alors on rentre chez soi et on prépare le repas pour ses enfants. Marcher, c’est physique, ça creuse.

Préparant le repas, j’écoute la radio. M. Henri Proglio, PDG d’EDF, pur spécimen de créature humanoïde extra-terrestre rolexée à mort, est pris en flag de cumul des salaires et de louche collusion entre service public et intérêt privé, précisément aujourd’hui, il tombe bien. Il est contraint de renoncer publiquement à ses émoluments de Veolia et de se contenter de son salaire d’EDF, soit 1 600 000 euros par an. Ce chiffre est tellement énorme, tellement abstrait, tellement incompréhensible, que je manque me couper un doigt en épluchant mes patates, j’interromps la cuisine pour sortir la calculette. Or, après calcul, son salaire est très exactement cent fois le mien.

C’est commode, les chiffres ronds, tout devient clair. Puisque l’argent est la vraie valeur des choses, comme nous le savons depuis le 6 mai 2007, je suis en somme important comme la centième partie de M. Henri Proglio. Il faut cent types dans mon genre, cent fonctionnaires de rien (environ 130 s’il avait conservé son salaire de Veolia) pour équivaloir à M. Henri Proglio. Si 100 (ou 130) gus comme moi mourraient, ce serait, en gros, aussi grave que si M. Henri Proglio mourrait. Voilà la sorte de pensées que cela m’inspire, spontanément. Bizarre, non ? D’autres sans doute se mettraient à rêver ce qu’ils feraient de cent fois leur salaire, puis pour se consoler gratteraient quelques cartons de la Française des Jeux (PDG : M. Christophe Blanchard-Dignac, créature humanoïde extraterrestre), alors que moi ces produits en croix m’entraînent seulement à compter ceux à qui ma mort fera de la peine. Voilà qui renvoie à l’étymologie du mot « prolétaire » = qui n’a d’importance que pour ses enfants, que par ses enfants. Prolo vs. Proglio. Je donne à manger à mes enfants, allez, dépêchez-vous, il est tard.

Pendant ce temps à la radio, le monde continue de trembler. Je continue de calculer. Finalement, 100 (ou même 130) individus dans mon genre, empilés dans la balance du jugement dernier pour parvenir au niveau de M. Henri Proglio, ce serait encore fort peu de chose, une bien modeste manif. Parce que si l’on prenait en compte, au lieu des grilles de salaires de la fonction publique territoriale française, le salaire moyen en Haïti, alors là pardon il faudrait assembler 15 à 20.000 Haïtiens avant d’espérer obtenir pour eux, collectivement, la dignité phynancière attribuée d’office au seul M. Henri Proglio, créature humanoïde extraterrestre. Et encore, c’est bien parce qu’il a renoncé à Veolia.

Bon appétit, les enfants.

Ah, moi qui voulais cesser de parler politique sur ce blog… Parlons plutôt littérature. C’est toujours, quoiqu’il arrive, moins dérisoire. D’autant que, pour les raisons que l’on sait, lire aujourd’hui la Princesse de Clèves est un acte de résistance, surtout pour un petit fonctionnaire qui passe des concours.

Voici, par association d’idées quant à la valeur relative d’un individu, le fameux monologue de Shylock :

« Il a jeté le mépris sur moi, il a ri de mes pertes, il s’est moqué de mes gains, il a méprisé ma nation, entravé mes affaires, refroidi mes amis, échauffés mes ennemis, et quelle raison a-t-il pour faire tout cela ? Je suis un petit fonctionnaire. Est-ce qu’un petit fonctionnaire n’a pas des yeux ? Est-ce qu’un petit fonctionnaire n’a pas des mains, des organes, des proportions, des sens, des affections, des passions ? Est-ce qu’il n’est pas nourri des mêmes aliments, blessé par les mêmes armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes remèdes, échauffé par le même été et refroidi par le même hiver qu’une créature humanoïde extraterrestre ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourrons-nous pas ? Et si vous nous faites du mal, ne nous vengerons-nous pas ? Si nous sommes semblables à vous en tout le reste, nous vous ressemblerons aussi en cela ».

Le Marchand de Venise, Acte III, scène 1. William Shakespeare, trad. Emile Montégut et Fabrice Vigne

Quand faut y aller

09/12/2009 9 commentaires

On se dit : « Pas la peine ». On se dit même pire : « À quoi bon ». On se dit : « Ah, bah, c’est trop vain, c’est trop facile, l’indignation… c’est éculé… et puis politiquement correct ».

On se dit : « Pourquoi irai-je m’exprimer sur ces triviales, pénibles mais contingentes questions d’actualité ? Mon blog t’façons est lu par quatre personnes plus un tondu qui se débrouilleront par eux-mêmes pour s’indigner sur ces sujets, je leur fais confiance pour trouver le chemin et s’échanger des pétitions, personne n’a besoin de moi, oh non, personne n’a besoin d’un cri d’orfraie au fond du tiroir… ».

Ouais, ouais. On se dit tout ça, et du coup on garde tout à l’intérieur. On ne dit rien. On laisse faire. On laisse dire. Personne n’a besoin que je m’exprime sur ce sujet, voilà qui est indéniable. Sauf peut-être moi-même. Alors j’y vais quand même. Je le pousse, mon coup-de-gueule-politiquement-correct que je croyais ne pas devoir pousser. Ils continuent bien, ceux d’en face. Quand faut y aller.

Le gouvernement français, complètement déboussolé, trouve judicieux de s’interroger maintenant sur l’Identité Nationale, et dans le même temps envisage de supprimer l’histoire dans certaines filières d’enseignement (ah bon parce que l’histoire ce n’est pas ce qui forge l’identité d’une nation ?…), démantèle froidement les services publics (ah bon au temps pour moi parce que alors les services publics ce n’est pas ?…), ne craint pas de couper les vivres des musées nationaux (ah bon alors pardon moi qui croyais que la culture ?…), ni de flinguer l’économie des communes (ah ben ça alors j’en reviens pas moi qui aurais pourtant juré que les collectivités locales ?…) etc.

Ces incohérences manifestes cachent un grossier calcul politique. Sarkozy a été élu, notamment, en neutralisant stratégiquement le Front National. Il a peur de perdre aujourd’hui la main électorale, puisque Le Pen père et fille reprennent du poil de la bête immonde. Ainsi, c’est à ça qu’il sert, et seulement à ça je crois bien(1), le grand débat Polichinelle sur l’identité nationale (cf. le site officiel) : un bon gros appel du pied aux électeurs du Front du même nom, « coucou, je suis là mon ami de souche, laisse tomber ces losers de Le Pen, ils n’auront jamais le pouvoir, moi je l’ai, je le garde, et tu vois je pense comme toi… On va pas se laisser bouffer toi et moi pas vrai ? »

De là, cet accident, ce lapsus, cet inconscient politique qui parle : les déclarations ahurissantes mais décomplexées de M. André Valentin, maire UMP de Gussainville (Meuse), élu du peuple, qui s’exprime au micro parce que nous avons décidé qu’il avait le droit de s’exprimer à notre place, c’est le principe de la démocratie représentative. « Je pense qu’il est plus qu’utile, qu’il est même indispensable, qu’il est temps qu’on réagisse, parce qu’on va se faire bouffer (…) Par qui ? Par quoi ? Y en a déjà dix millions, hein. Il faut bien réfléchir. Dix millions que l’on paie à rien foutre. »

Il se trouve, pour tout vous dire, que je n’ai pas seulement un grand-père italien. J’ai aussi un frère iranien – ce sont des choses qui arrivent. Mon frère me dit en soupirant : « Que veux-tu, c’est ainsi, la France est raciste ». Je soupire avec lui. Mais attends, attends… Répète, pour voir ? bingo ! « La France est raciste », tout est dit ! En une seule phrase ! Ne cherchez plus ! Débat clos ! Ça va en faire des éconocroques aux contribuables ! On l’a trouvée ! on l’a identifiée l’Identité de cette grande et belle nation, c’était tout simple, on avait le nez dedans. L’Identité nationale, « ce n’est pas dangereux, c’est nécessaire », selon Sarkozy. C’est sympa. C’est même sexy, tiens. C’est tellement glamour de s’assumer enfin ! C’est moderne !

C’est moderne depuis toujours. L’Identité Nationale, ça a commencé il y a bien longtemps, une sale manie, archaïque au possible, l’Identité nationale ça vient du cerveau réptilien, l’instinct du territoire : ici je suis chez moi, un vieux réflexe leitmotiv avéré par l’Histoire, c’était par exemple Cro-Magnon qui défonçait la gueule de Néandertal à coup de massue parce décidément y’en avait trop dans la vallée, non c’est vrai un seul ça va, c’est quand ils sont trop que ça va plus, on va pas se laisser bouffer merde. Ensuite, les néandertaliens ont totalement disparu, bon débarras. Les Cro-Magnons se sont retrouvés entre eux, et se sont forgé une chouette identité rien que pour eux. Mais en se regardant bizarrement d’une tribu à l’autre…

J’ai envie de vomir. Je vomis. Je m’étouffe dans mon vomi. Je ne suis qu’un blogueur de plus, qui a été choqué dans ses fibres, dans sa putain d’ « identité » par ces propos d’un raciste moderne, je ne suis qu’un citoyen qui pense que le racisme, c’est mal, qui se désespère de devoir le dire encore, et qui ajoute pour le principe, vraiment pour le principe, pour faire avancer le débat, son billet-indigné-politiquement-correct, qui l’ajoute à des centaines d’autres, allez, faites suivre, faites tourner, laissons pas faire. Eh, bien, dites-moi, ça en fait du vomi. L’Identité nationale, ça pue.

(1) – À la réflexion, j’entrevois un second enjeu stratégique caché derrière le soutien mordicus de Sarkozy à Besson et à son ministère : Sarkozy est peut-être soulagé de lire dans les sondages que Besson est encore plus détesté que lui. Le méchant de l’histoire, dans les esprits des téléspectateurs, c’est celui-ci et non celui-là. Good cop/bad cop routine. En outre, un ministre aussi honni, c’est un fusible à faire sauter un jour de déprime.

PEEP-Show

19/05/2009 9 commentaires

serai-je tondu à la libération ?

Je travaille dans le camp d’en face. On m’a proposé, et voilà, j’ai dit oui. Eh bien, quoi ? Ne me regardez pas comme ça. Regardez plutôt Kouchner ! Il a bien fini par devenir ministre ! Et Besson, alors ! L’un de nos plus glorieux, la fierté du pays ! Brillant avenir, le gars Besson ! Le retournement de veste est dans le vent. Et attention, l’on n’appelle pas ça trahison, ni reniement, ni opportunisme, on appelle ça ouverture. C’est dire si « Dans la Société du Spectacle, quand une chose n’a pas changé, on lui donne un nouveau nom ; quand une chose a profondément changé, on lui conserve le même nom, ainsi une pomme, un steak, un diplôme. » (Guy Debord)

Ceci pour vous avouer que moi, qui serait plutôt FCPE, voyez le genre, ces temps-ci, je travaille main dans la main avec la PEEP. Oh, ça va, hein, lâchez-moi l’éthique. Allez plutôt faire la morale à Besson. Moi, je ne suis pas nuisible. Je ne suis pas ministre.

Il se trouve que la PEEP de l’Isère m’a proposé de parrainer un joli projet, le Prix du jeune lecteur, alors que la FCPE ne m’a rien demandé du tout… D’abord, je vous le fais remarquer en passant, un livre ouvert orne du logo de la PEEP , pas celui de la FCPE… Et en outre, comme on le sait depuis que le chanteur l’a dit, « fils de la PEEP ou fils de la FCPE, tous les enfants sont comme le tien« … Mais surtout, si le sujet vous intéresse plus loin que mes fausses pudeurs, je vous recommande la lecture attentive de ce forum, émaillé d’édifiantes anecdotes, consacré aux différences entre les deux fédérations de parents d’élèves. Ensuite, vous pourrez revenir me lire vous narrer mes humeurs.

Vous êtes revenus ? Alors sachez que j’ai passé deux heures ce matin dans les locaux de la PEEP de Grenoble, dédicaçant à la chaîne 86 exemplaires de Jean Ier le Posthume roman historique. Ces ouvrages seront offerts, le samedi 6 juin après-midi, lors d’une cérémonie à la Préfecture de Grenoble (qu’est-ce que vous croyez, j’ai des entrées, à présent que je sais choisir mes vrais amis), en guise de récompense à 86 enfants, critiques en herbe, élèves de CM1, CM2 ou 6e, ayant pris la peine de rédiger un texte pour expliquer pourquoi ils aimaient un livre, celui-ci plutôt qu’un autre. J’ai lu quelques uns de leurs textes… parfois touchants pour de bon… lorsqu’ils parviennent à se dégager de la gangue scolaire, des formules attendues, et qu’ils effleurent quelque chose de vital, à la frontière entre leur livre élu et leur sensibilité en formation. Comme des grands. Comme des vrais. Ils touchent le rapport au monde et à eux-mêmes dans les livres. Ils ne l’ont pas volé leur Posthume dédicacé.

Je ne me sens pas viscéralement « auteur jeunesse », je l’ai dit, je n’ai pas systématiquement envie de me revendiquer tel (sauf bien sûr lorsqu’on me prend pour un « auteur adulte », ou qu’on fait mine de mépriser en ma présence la littérature jeunesse)… Mais, au delà de mon statut dont tout le monde se fout et moi aussi un peu, je suis persuadé qu’il faut tout miser sur la jeunesse, et précisément sur l’éducation, rigoureusement tout. La littérature aussi, pourquoi pas., allez hop, dans la balance. Lire, faire lire, oui, je veux bien me faire instrumentaliser par la PEEP, un samedi après-midi à la Préfecture, je veux bien me présenter comme « auteur jeunesse », si c’est pour la bonne cause, si c’est pour l’éducation de la marmaille. Voilà une authentique conviction de gauche, messieurs-dames.

SP3C : un contrepoint

12/02/2009 5 commentaires

sp3c, sa jeunesse, sa littérature, son enthousiasme, sa fête, sa taxe professionnelle de l'AREVA

J’ai déclaré il y a quelques jours mon amour pour Saint-Paul-Trois-Châteaux, lieu magnifique d’une fête du livre réussie, euphorique, fertile, unique.

Beau paysage. Mais au fond du tableau, on aperçoit les cheminées du site nucléaire du Tricastin. On les voit, on traverse leur ombre, on les longe à l’allée comme au retour, et on peut les oublier, puisque c’est la fête. Or je ne les oublie pas une seconde car, vieille mentalité paysanne peut-être, j’aime savoir qui me paye. D’où vient l’argent ? De l’Areva, assez directement : si une aussi petite ville est capable d’organiser un aussi grand événement, c’est bien grâce à la taxe professionnelle pharaonique du nucléaire. L’énergie humaine de Saint-Paul ? Ah oui, bravo, merci, vous travaillez pour vos enfants, pour l’avenir, je viens travailler avec vous, hardi petit. Mais l’énergie produite ici pour de vrai, sans métaphore, dans les fils, dans les ampoules de la fête ? Quel avenir est ici travaillé, pendant que l’on raconte nos histoires aux enfants ? À quoi joue-t-on, les enfants ?

De quoi exactement suis-je complice quand, à l’entrée du chapiteau de la fête, le stand Areva distribue aux marmots des coloriages et des quizz, alors que j’ai dans un coin de la tête le dernier « incident », pas très vieux, septembre 2008, ou bien le scandale des déchets nucléaires jetés au bord de la route, alors que j’étouffe une sourde trouille, mais que tout compte fait je vais m’assoir à mon stand, et sourire et dédicacer ?…

J’aurais pu garder pour moi ces petits tiraillements, cette mauvaise conscience… Mais je reçois aujourd’hui le texte de Sarah Turquety, vigoureux, fier, qui incite à la prise de conscience collective. Texte de poète, c’est à dire qui sait mettre les mots d’une seule sur les pensées partagées. Non, je ne suis pas seul, et je ne garde rien pour moi. Je reproduis cette lettre ouverte avec l’accord de Sarah. Et maintenant, on fait quoi ?

A TOUS LES MILITANTS POUR LE LIVRE DE JEUNESSE

qui sont tout d’abord des militants pour l’Humanité

La fête du livre de Saint-Paul-Trois-Châteaux 2009

fut un beau moment de rencontres et d’échanges

avec tous ces bénévoles, une population venue en masse,

et Aréva.

Je rentre chez moi
et je reçois ce mail sur la prochaine émission de télévision
montrant les enfouiements illégaux de déchets nucléaires dans toute la France,

cette émission qui devrait être diffusée le 11 février sur France 3
et qui ne le sera peut-être pas car Aréva a saisi le CSA afin d’empêcher toute diffusion.

Je rentre chez moi
et je me rappelle ce reportage sur les mines d’uranium d’Aréva au nord du Mali

et l’exploitation des hommes, le pillage des ressources en eau, la sécheresse qui en découle.

Je rentre chez moi
et j’ai honte.

Ainsi je puis être adulte en 2009, parler de poésie
et penser participer à la construction d’un monde solidaire
dans lequel mes enfants pourront grandir
et en même temps accepter qu’un des groupes les plus pollueurs,
de ceux qui nous tuent (tout simplement : tuer)

diffuse sa propagande d’un monde idéal grâce au nucléaire

auprès d’enfants vivant près d’une centrale
qui a connu une grave fuite cet été même.

Je rentre chez moi.

Muette.

Mes mots n’ont aucune valeur. Ils sont vides. De mouvements.

Amour, solidarité, générosité, utopie.

Ainsi je puis avoir appris Tchernobyl et son impact, Hiroshima et la destruction totale

et accepter que l’on vante le nucléaire auprès d’enfants dans un lieu militant pour la lecture.

Je rentre chez moi

un mot en tête : compromis.

Je rentre chez moi
et je pense à nous tous, adultes présents à cette fête du livre,

auteurs, illustrateurs, plasticiens, instituteurs, bénévoles de tous bords, passionnés,

nous, passionnés, qui cloisonnant nos luttes, fermons les yeux,

tournons les regards, n’osons pas voir le mensonge et la manipulation.

Je suis rentrée chez moi

mais, pour autant, je ne resterai pas muette.

Car ma voix est celle de tous ceux qui

sont rentrés chez eux,

avec un regret, un élan noyé.

Car je sens que nous serions nombreux
à soutenir une transformation de cette magnifique aventure humaine
qu’est la fête du livre jeunesse de Saint-Paul-Trois-Chateaux.

Car je sens qu’aujourd’hui nous pouvons nous passer de restaurants chics, d’honneurs

pour nous sentir pleinement humains et pères et mères de nos enfants.

Car je fais confiance aux idéaux de chacune et chacun pour faire œuvre de sa conscience.

Utopistes, debout !

Sarah Turquety, poète


Je vous en fiche mon billet

11/01/2009 un commentaire

À la une de Livre & lire, mensuel de l’Arald, figure une chronique intitulée « Les écrivains à leur place », rédigée par un écrivain différent chaque mois. Le rédac-chef du canard, Laurent Bonzon, a aimablement proposé de me la confier pour le numéro de janvier 2009.

J’ai d’abord hésité. Cette carte blanche, que je lis à peu près sans faute, est surtout le lieu de la complaisance narcissique d’auteurs en train de se regarder écrire (à l’exception notable d’Enzo Corman qui, l’an dernier, a malicieusement joué de sa colonne comme d’un sketch, très drôle, subversif comme sait l’être l’absurdité, portant pertinemment sur la communication médiatique des écrivains). Or, en ce qui me concerne, je dispose déjà d’un support où je me regarde écrire, et me complais narcissiquement : le présent blog. Qu’aurais-je à écrire dans cet article, que je n’eusse point  pu écrire dans MA tribune au Fond du tiroir, ma jalouse liberté d’expression ?

Par association d’idées, j’ai tenté, en vain, de retrouver dans ma bibliothèque la page où Céline (est-ce dans un roman ? une interview ? quelque « tribune libre » de journal ?) raconte qu’il déteste les photographies où des écrivains prennent la pose, plume à la main, le regard pénétré de l’œuvre à venir. Céline trouve ces clichés aussi obscènes que si l’on avait tiré le portrait de ces messieurs-dames « de lettres » assis sur leurs toilettes, pantalon sur les chevilles… Toujours la métaphore scatologique associée à l’écriture, chez lui : écrire, c’est expulser de soi une forme noire et malodorante, qui vous rendrait malade si vous la gardiez à l’intérieur du corps.

Je lance, tiens, incidemment, le grand concours FdT de l’année : le premier ou la première qui me retrouvera la référence exacte de cette citation donnée ici de mémoire recevra le stylo bille série limitée Fond du Tiroir (ce n’est pas des craques, ça existe vraiment, qu’est-ce que vous croyez), afin de pouvoir écrire ce qui lui chantera à titre purgatif.

Bref ! Finalement je me suis dit qu’il serait goujat, et stupide, de dédaigner ce micro tendu par la Région (surtout avec ce que je dois à la Région), et je me suis fendu d’un texte qui me permettait tout à la fois d’exprimer ma gratitude, d’évoquer ma « place d’écrivain » (au fond du puits), et de parler d’autre chose. Voici ce texte.

L’orgueil du métier

Merci, l’Arald. Merci pour le soutien à « la vie d’écrivain », pour la tournée du PRAL qui m’a vu arpenter la région.
Merci pour l’étape à Saint Etienne. Le matin, avant mon intervention en librairie, j’avais  du temps, des loisirs. J’ai cerclé sur le plan
le musée de la mine. On pénètre d’abord le domaine fantôme, l’administration, le bureau des ingénieurs, la salle des pendus comme une cathédrale, puis les machines, lampisterie, chaufferie, centrale électrique, bassins de décantation, recette. Enfin on passe sous le chevalement. On prend l’ascenseur. On descend sous terre. On respire plus fort.
Dans le tunnel humide, le guide vante avec lyrisme la noble caste disparue.
« Les mineurs, aristocratie du prolétariat, accomplissaient le plus dur travail de la nation, le plus cruel et brave ! Des titans, des héros, une race éteinte de géants ! Leur prestige était tel que leur métier fut le seul mesdames et messieurs à orner jamais un billet de banque français (coupure de 10 francs, 1941-1949). Mais ne confondons pas… Il y a mineur et mineur… La mine n’est pas un métier mais cent ! Or, la tâche est distincte au fond et au jour, selon qu’on est pousseur, haveur, toucheur, boiseur, trieur, soutireur… Parmi eux, le seul vrai prince, l’audacieux colosse révéré de tous est le piqueur ! Celui qui nu se frotte à la terre, à même la paroi et abat le charbon ! Un quelconque
mineur ne saurait se prévaloir d’être authentique piqueur, car un signe ne trompe pas : les poussières de charbon imprègnent la peau du piqueur, et ses bras, son visage, tout son corps, se voilent de dessins bleus. Qui porte ces tatouages, voilà le piqueur ! Voilà celui que l’on respecte. »
Et moi j’entends cela, je vois la peau bleue marbrée de mon pépé, j’apprends ce que je savais déjà : qu’il était prince, je m’éloigne au fond de la galerie rehaussée d’écrans multimédia, et j’essore mes yeux. Il en est mort à petit feu, d’être prince. Travail de titan, de billet de banque, mais travail de con, aussi, qui tue pour faire tourner la boutique « France ». Les mines ont fermé ? Tant mieux.
Merci pour tout, l’Arald. Pour le précieux soutien à « la vie d’écrivain ». Ce n’est pas la mine, allez.

Fabrice Vigne

(N.B. : sur la première ligne de l’article dans sa version publiée, les correcteurs du journal ont jugé bon de remplacer « tournée du PRAL » par « tournée du prix Rhône-Alpes du livre » – explicitation du sigle qui  perturbe la métrique et entraîne deux génitifs successifs, c’est moche, ce n’est pas ma faute.)

Vie syndicale

16/12/2008 un commentaire

Frédérick Mansot, illustrateur et déjà membre très-actif du collectif de la Charte des auteurs jeunesse, a courageusement tenu à bout de bras un embryon de « syndicat des auteurs de livres », d’abord affublé de l’obscur nom de baptême « SCEI » qui évoquait plutôt un logiciel de gestion du risque industriel, et récemment rebaptisé « Nota Bene ».

Dès l’origine, j’avais adhéré au SCEI, par curiosité et par principe – d’un côté un « syndicat d’auteurs » me semble presque un oxymoron tant chacun écrit pour sa propre pomme ; d’un autre côté, ma foi en la solidarité est chevillée au corps (foi irrationnelle, c’est comme la Sainte Vierge, on y croit sans l’avoir vue), et avec ce que je raconte sur le syndicalisme dans Les Giètes… Bref, j’avais adhéré. Mais sans aucune autre adhésion qu’un simple chèque. Je suppose que nous étions nombreux dans ce cas-là, puisque faute de mobilisation massive le syndicat est entré dans une période d’hibernation, et avec lui toutes ses  revendication (dont la principale, l’instauration d’un « droit fixe », rémunération de l’auteur directe et forfaitaire sur chaque livre vendu – un brin utopique – nom de Dieu vive l’utopie).

En ce mois de décembre zéro-huit, Frédérick, qui semble avoir porté le projet à peu près seul pendant toute cette période creuse, nous redonne enfin des nouvelles du syndicat. Il présente comme une bonne nouvelle l’accord avec la CFDT, qui fédère désormais « Nota Bene » à cette grande centrale, et nous incite à transmettre autour de nous les tracts et bulletins d’adhésion.

J’ai obtempéré, et fait circuler ces informations auprès des écrivains égarés dans mon carnet d’adresse… Or j’ai immédiatement reçu, en réponse, ce mail du poète Michel Thion :

« Salut à tous,
Je trouve que l’idée n’est pas mauvaise en soi et qu’il faut la creuser.
Pour autant, plutôt crever que d’adhérer à la CFDT.
C’est à ce syndicat de vendus que l’on doit :
– la mort du statut des intermittents du spectacle, lorsque, en 2003, la CFDT qui est le syndicat le moins représentatif dans ce secteur a signé le protocole préparé par le MEDEF, alors que les groupements d’employeurs du spectacle, notamment le SYNDEAC, ne faisait pas partie de le négociation puisqu’ils ne sont pas au MEDEF…
– De la même façon, c’est avec la signature minoritaire de la CFDT que la dramatique réforme des retraites a été adoptée.
– C’est à la CFDT, élue à la tête de l’Assurance Maladie avec les voix du MEDEF que l’on doit les déremboursements, les franchises médicales, etc…
– Idem pour les ASSEDIC
– etc… Depuis Nicole Notat, aujourd’hui PDG d’une société de consultants sur les relations en entreprise, au service du patronat européen, la CFDT a toujours le stylo à la main pour signer les pires saloperies issues du patronat. Au nome de la « respectabilité » et surtout des prébendes patronales, des postes dans les organismes paritaires, la CFDT qui « privilégie la négociation » est un syndicat du renoncement et de la trahison.
Alors oui, vraiment, plutôt crever que d’y adhérer.
Un syndicat d’auteurs autonome, on peut voir, mais rattaché à une grande centrale ou il sera une goutte d’eau, ça n’a aucun intérêt. Si on allait voir la CNT, plutôt…
Amitiés à tous,
Michel »

Hé bé ! ça fait réfléchir, non ? en ce qui me concerne, c’est trop tard, j’ai déjà payé ma cotisation… Michel Thion est sensible à ces débats parce qu’il est homme de théâtre (et homme de gauche). J’ai moi-même, sinon un pied, du moins un gros orteil dans le milieu du spectacle vivant, depuis que je tourne un spectacle musical adapté des Giètes avec l’un de mes potes, lui-même intermittent – j’ai nommé Christophe Sacchettini… C’est dire si, grâce à Christophe, je n’ignore pas que « CFDT » est un vilain mot, c’est caca, c’est le mal, ce sont des vendus, c’est le diable….
Toutefois je persiste à croire que Nota (et non Notat) Bene n’est pas la CFDT. Quand j’entends les discours des fondateurs et leaders de Nota Bene, j’ai du mal à y reconnaître des suppôts du patronat et du capital. Suis-je en train de me faire rouler dans la farine ? Mon éducation politique est-elle toute entière à vivre, à base de désillusions ? Vos avis sur la question sont les bienvenus. En échange, je peux faire suivre les documents reçus, notamment le dernier tract de Nota Bene, « Manifeste pour une rémunération du travail des auteurs de livres ».

Coordonnées : NOTABENE* le syndicat des auteurs de livres, Frédérick Mansot, 27A rue Georges Courteline – 69100 VILLEURBANNE, Tel 06 80 71 44 60.

Pas le même monde

10/10/2008 un commentaire

Mais je m’en contrefous, moi, de la crise boursière et bancaire partout-partout « sans précédent » ! Je n’ai pas de portefeuille d’actions, et si peu de chose sur mon livret A… Je pense à autre chose…

Allez savoir pourquoi je pense beaucoup à lui, en ce moment. Je repense à ce petit gars, lors d’une rencontre scolaire à Annemasse au printemps dernier, en 6e je crois, à la toute fin d’un marathon en collège, c’était ma neuvième classe de la journée, et loin d’être la moins stimulante. Une classe dite « difficile », un collège de banlieue dure (genre, comme au cinéma palmé d’or ces jours-ci), des mômes mal barrés dans la vie parce que typés dès l’origine, « ghettoïsés » et intériorisant la ghettoïsation, turbulents, tchatcheurs, non-lecteurs presque absolus, pour certains des bombes à retardement mais pour l’heure simplement des enfants, en 6e encore, sympathiques comme tout, rigolos, vivants.

Ce p’tit bonhomme, donc : vif, spontané, curieux, au premier rang du CDI, les yeux avides et la langue pendue. Il n’avait pas lu mon bouquin, il en avait seulement et lointainement entendu parler par sa prof, et cela ne l’empêchait en rien de poser plus de questions que tout le reste de sa classe, il s’intéressait énormément. Je retranscris ci-dessous trois de ses étranges interrogations, trois préoccupations sans aucun doute liées de façon subliminale, peut-être plus éclairantes pour moi que ne le furent pour lui mes réponses :

1) « Est-ce que Sarkozy, il connaît vos livres ?
– Euh… C’est extrêmement peu probable. Moi, je suis obligé de m’intéresser à lui, mais le contraire n’est pas vrai, il ne sait pas que j’existe. Sarkozy et moi vivons dans le même pays, mais pas dans le même monde [Note-de-bas-de-page en plein milieu de la page – Je réalise aujourd’hui, en consignant mes paroles, que je plagiais alors Bertrand Cantat qui évoqua en ces termes, lors du pince-fesses « Victoires de la musique 2002 », le PDG de Vivendi-Universal : « si nous sommes embarqués dans la même galère, nous ne sommes pas du même monde »]. Mais ta question m’étonne… C’est donc important, pour toi, que Sarkozy connaisse mes livres ? Ça changerait leur valeur ? En bien, ou en mal ? Dans quel monde vis-tu, toi, en ce cas ? Celui de Sarkozy ? Bling ? Bling ? »

Et j’ai enchaîné en racontant Diogène, histoire de n’être pas monté à Annemasse pour rien. « Diogène le cynique… Tu connais Sinik, le rappeur ? Bon, eh ben son pseudo arrive de là-bas, des cyniques, les philosophes malpolis de l’antiquité grecque. Diogène était l’un d’eux. Il vivait dans un tonneau, avec une lanterne. Alexandre le Grand, l’empereur, l’homme le plus puissant du monde, encore plus puissant que Sarkozy aujourd’hui, hein, avait entendu parler de la sagesse de Diogène, et il s’était dit que, stratégiquement, ça ne ferait pas de mal, vis à vis des medias de l’époque, si on le voyait fréquenter cette haute figure intellectuelle. Un beau matin il se pointe, enfariné et casqué, devant le tonneau de Diogène : « ô Diogène ! Qu’est-ce que je peux faire pour t’être agréable ? Tu veux que je fasse surveiller ta maison de campagne en Corse ? Tu veux un bouclier fiscal pour protéger ton capital ? Tu veux un poste de ministre d’ouverture ? Demande-moi ce que tu voudras, ô Diogène, et je t’exaucerai, car je peux tout. » Diogène a répondu : « Ce que tu peux faire pour moi ? T’écarter un peu, tu me caches le soleil. » Eh ben ça, tu vois, c’est la vraie classe. Le vrai cynisme, très différent de celui des rappeurs, matérialiste, arriviste, du bon côté du manche et par conséquent incomparable, en termes de liberté, à la vie dans un tonneau (356000 euros d’impôts impayés pour Doc Gynéco ? Combien diable a-t-il sur son livret A, celui-ci ? Ouh, comme il doit la surveiller de près, lui, la crise boursière…). Bref ! J’aimerais bien, mais je sais que l’occasion ne se présentera pas parce que médiatiquement je ne suis rien, pouvoir dire un truc pareil à Sarkozy : barre-toi, t’es tout petit, mais tu me fais de l’ombre quand même ».

[Autre note de bas de page – il m’est arrivé aussi d’évoquer, mais face à des plus grands, des lycéens, un autre épisode intéressant de la vie de Diogène : ses masturbations en public (encore la masturbation ? c’est une manie ! Un TOC ! Faut consulter, mon vieux !)]

2) « Vous êtes pour quelle équipe de foot ?
– Heu… Alors là, je sais que je vais te décevoir, mais je ne suis pour aucune équipe de foot. Le foot, en lui-même, m’indiffère, mais en revanche, les foules des stades qui hurlent « Vive l’équipe n°1 ! On va leur exploser la gueule à ces saligauds de l’équipe n°2 ! » [Encore une note de BdP : ici, c’est la première scène de Voyage au bout de la nuit que je suis en train de plagier] me dégoûtent. Je ne vois rien de plus dangereux ni de plus bête que les communautarismes, et je crois bien que le communautarisme du foot est le pire de tous, comme une inquiétante répétition générale. » [NdBdP : Car je suis, croyez bien que je le regrette, incapable de croire au foot en tant qu’utile et consensuel divertissement, qui émancipe et purge et unit, comme on le voit souvent quand on évoque la banlieue, comme on le voit par exemple à la fin du film palmé évoqué plus haut…] Autant, avec Sarkozy et Diogène, j’avais réussi à interloquer mon interlocuteur, et presque le convaincre, autant sur la question du foot j’ai pu mesurer que je baissais dans son estime à vue d’œil…

3) « Ah, et je voulais vous demander aussi… (il éprouve soudain un petit peu de gêne à formuler correctement…) Est-ce que vous avez une origine ?
– Heu… Une origine ? Qu’est-ce que tu entends par là ? (Je fais l’innocent, j’ai parfaitement compris.) Tout le monde a une origine, puisque tout le monde a un père et une mère.
– Non, mais je veux dire… Une vraie origine, je sais pas… Italienne, par exemple ? Vous ne seriez pas un peu italien ?
– Alors là, bravo, tu m’épates. Oui, j’ai une origine. Mon grand-père était italien. »
Le sourire que cet aveu m’a valu !
Et ainsi, grâce à mon « origine », grâce à mon statut de petit-fils d’immigrés, j’ai regagné in extremis auprès de lui quelques points que ma charge contre le football (et contre le communautarisme, c’était bien la peine) m’avait fait perdre.

La paix

21/09/2008 Aucun commentaire

(Cf aussi : La guerre.)

Aujourd’hui 21 septembre, le saviez-vous, en plus de l’automne nous célébrons la « journée internationale de la paix« . L’ONU a décrété en 2001 que « dorénavant, la Journée internationale de la paix sera observée comme une journée mondiale de cessez-le-feu et de non-violence, pendant la durée de laquelle toutes les nations et tous les peuples seront invités à cesser les hostilités ».

Pourquoi précisément le 21 septembre ? S’agit-il de quelque réminiscence d’un rite archaïque célébrant l’équinoxe, l’équilibre des forces entre le jour et la nuit ? Pas la moindre idée. Toujours est-il que désormais seuls 364 jours par an sont dévolus à la guerre, et ça, c’est une grande victoire, un indéniable progrès. Sauf, naturellement, si les belligérants ne sont pas fair-play, et ne respectent pas le cessez-le-feu ni la non-violence. Ce serait moche, de piétiner ainsi une directive de l’ONU. On pourra toujours faire le bilan ce soir.

Ou, à défaut, consacrer sa journée à comptabiliser tous les jeunes gens, filles et garçons, croisés dans le bus ou dans la rue, vivant dans un pays en paix, loin des lignes de front, et portant cependant des treillis, des tenues bariolées de camouflage, grises ou vertes paramilitaires, des randjos, des tenues prémilitaires, promilitaires, cryptomilitaires, et cheveux ras. J’en ai vu plein, ces derniers temps. Un peu écœuré de l’œil, mais intrigué, je repensais alors à ma propre année passée dans l’uniforme et sous les drapeaux, ou le contraire, n’y trouvant rien de désirable, et me demandant si leur nostalgie kaki était une conséquence de la fin du service militaire obligatoire, en 2001. Mais à quoi rêvent-ils donc, ces civils pioupious ?