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Je remonte mon groupe

09/07/2014 4 commentaires

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Le portrait ci-dessus, signé Denis Rouvre, me fait peur. Tout porte à croire que la personne représentée est Fabrice Vigne. Disons que je le sais. Je ne le sens pas. Je me reconnais à peine. Mais qui se reconnaît, qui d’abord se connaît ? L’image n’est pas la réalité, pourtant elle est réelle. Contrairement à ce que prétendent certaines images pour nous égarer, ceci est bien une pipe, ceci est bien une pomme, ceci est bien Fabrice Vigne. La vache.

Forte expérience, passer entre les mains d’un photographe de cette trempe. Quelqu’un soudain vous regarde vraiment, et en sus est capable de montrer comment il vous regarde. J’ai eu la chance de faire partie de l’échantillon de Français dont Denis Rouvre a tiré le portrait en même temps qu’il leur demandait : ça vous fait quoi, ça veut dire quoi pour vous être français, la francitude s’inscrivait sur nos traits et sous le flash, pour un projet intitulé Des Français, Identités et territoires de l’intime. Le projet désormais achevé prend simultanément la forme d’un livre aux éditions Somogy, et d’une exposition visible en ce moment et jusqu’au 21 septembre dans le cadre des Rencontres photographiques d’Arles. L’expo est également déclinée sous la forme d’un film de 35 minutes visible sur le site de Denis Rouvre, au long duquel défilent nos trognes et nos voix.

Les images et les textes y sont saisissants, beaux d’une part, essentiels d’autre part en tant que contribution plurielle et paradoxale au débat le plus moisi de la décennie, celui sur l’identité française. (Le climat social actuel, qui rend possibles divers surgissements de violence identitaire, incite à suspecter qu’un débat sur l’identité n’est pas autre chose qu’une rationalisation du repli identitaire. On sait depuis longtemps, on sait pour rien, on sait sans solution, que identitaire c’est eux, et que l’identité est une panthère féroce et avide de sang.)

Me v’là d’vant vous là, dans mon vieux cuir, mes plis, mes tempes grises. Ne dirait-on pas une rock star sur le retour, rejouant le défi et promouvant l’énième tournée d’adieu de son groupe.

Tiens, puisqu’on parle de Mick Jagger.

Mick Jagger m’a bien fait rire en se prêtant à une promotion à rebours pour la reformation sur scène des Monty Python. Il déclare, pince-sans-rire, « Les Monty Python ? Ils sont encore là ? Oh, non… Qui a envie de payer une fortune pour voir cette bande de vieillards fripés qui ne cherchent qu’à se faire un max de blé et revivre leur jeunesse… D’accord, ils étaient cool dans les années 60, mais là, à rabâcher encore une fois leurs vieux numéros que tout le monde a déjà vus sur Youtube, c’est pas seulement du réchauffé, c’est limite ringard. De toute façon, le meilleur de leur bande est mort il y a des années. » Il enchaîne distraitement en donnant à son assistant la playlist du prochain concert des Stones, Satisfaction, Let’s spend the night together

Mesdames et messieurs, j’ai l’honneur et l’immense joie de profiter de cette conférence de presse pour vous annoncer que moi aussi je reforme mon groupe pour une tournée d’adieu. Le prochain livre du Fond du tiroir sortira cet hiver, en pleine saison du loup, et pour l’occasion j’ai reconstitué le duo originel du FdT canal historique : le sémillant mais désormais bourdonnant Patrick Villecourt, factotum éternel, compositeur des sept premiers titres figurant au catalogue, a accepté de reprendre du service en compagnie de moi-même-dans-mon-vieux-cuir. Les affaires comme on dit reprennent. On laisse passer l’été et on en recause.

Troyes, énième épilogue

08/07/2014 Aucun commentaire

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20 ans de la résidence d’auteurs-illustrateurs de Troyes. En compagnie d’autres ex-résidents, j’ai effectué un dernier tour de piste à Troyes, en juin dernier, comme annoncé.

Bilan nuancé. Je tente de détailler.

Le pour ?

L’équipe de Lecture et loisirs est toujours aussi prévenante et chaleureuse… Les neuf expositions dont Double Tranchant, réunies pour la première (et peut-être unique) fois avaient fière allure, portées par leurs concepteurs (les auteurs) mais aussi par leurs promoteurs (l’équipe de Tinqueux, Sylvain et Mateja, étaient présents, et pour eux plus encore que pour nous, c’était le bilan de dix années de travail rassemblé en un endroit unique)… Neuf traces singulières passionnantes à explorer, neuf accomplissements, neuf visions éminemment éclectiques, neuf cerveaux en volumes à traverser avec délices… 

Bien sûr j’étais très heureux de revoir ou de rencontrer certains des artistes qui m’ont précédé ou suivi dans cette résidence, fine équipe… Spécialement, je me suis réjoui de retrouver Nicolas Bianco-Levrin, qui m’avait lors de ma propre période troyenne accompagné avec tant d’empressement, même à distance (un bel être humain, Nicolas – sa générosité et son énergie font partie intégrante de son talent, et notre petite collaboration, sa mise en image et en relief magnifiant mon poème, coffret commémoratif destiné à emballer les sérigraphies composées par tous les autres illustrateurs, restera un chouette souvenir)… 

Mais le contre ?

Trois fois hélas, ce n’est pas encore cette fois que je rencontrerai le public troyen. Il n’est pas venu. Nous autres auteurs-illustrateurs étions essentiellement entre nous, déambulant parmi nos expositions comme dans un club privé. Pas dérangés dans les couloirs de l’espace Argence. C’est tout juste si je sais que le Troyen existe, et réciproquement. Je l’avais, au fond, à peine vu lors de mes séjours précédents, et pas davantage durant celui-ci, qui sonnait pourtant comme l’ultime chance. La dernière fois, mon atelier d’écriture avait simplement été annulé faute d’inscrits… Cette fois, c’est ma lecture qui a failli être décommandée faute de la moindre âme curieuse de mon travail (finalement je l’ai faite tout de même cette lecture, pour ainsi dire en privé, rien que pour les yeux de Mateja et pour les murs, et le moment était beau). Quant à mon atelier d’écriture de haïkus, il a bel et bien eu lieu, mais pour deux personnes seulement : Laetitia, venue par amitié (au fait, la composition qui illustre le présent article, c’est elle aussi, merci Laetitia), et un petit gars de neuf ans, qui a joué le jeu jusqu’au bout, avec un à-propos et un talent étonnants – je cite de mémoire, donc fatalement j’écorche, l’un de ses haïkus, qui m’a beaucoup impressionné : Rouge de colère / Les poings serrés dans mes poches / Je ne me bats pas – Oh nom de Dieu tout ce que je suis en train d’écrire me semble une pénible loghorrée comparé à la force et à la fulgurance de ce terrible haïku, il brille dans le lointain, j’ai à peine eu le temps d’expliquer à ce gamin le principe du haïku, cinq/sept/cinq, et l’extérieur et l’intérieur, que déjà il en savait plus que moi – okay, pour lui, j’ai bien fait de faire le voyage).

Mais pour le reste… Quel sens prend, quel sens perd, ce travail déployé dans le désert ? Personne, je le déplore, n’a ouvert un seul de mes livres, comme s’ils n’avaient jamais existé. Certes, parmi ceux-ci, compte celui que j’ai écrit lorsque je logeais ici même, qui exalte justement, par prévention ou prémonition, et contre vents et marées, la beauté du geste jusque dans le vide. Mais je ne me défais pas d’une déception, un peu toujours la même depuis trois ans, celle que j’espérais pourtant laver en 2014 : l’arrière-goût d’un rendez-vous manqué.

Mais le pour à nouveau, curieusement teinté de contre parce que la mélancolie s’emmêle ?

Je n’ai pas manqué d’aller visiter, fébrile, le fameux « Ginkgo », la résidence où j’habitais, où nous habitions. Je n’y avais pas remis les pieds depuis mon départ, le 30 décembre 2011Drôle d’effet : j’ai été saisi aux tripes comme si j’en étais parti hier, quoique « hier » dans une autre vie. Comme si en ce temps-là j’avais recrépi les murs de l’appartement avec une très fine couche, imperceptible, de mon énergie d’alors, de mes recherches, de ma solitude, de mes créations et de mes frustrations, de mon travail, de mes affres, du temps passé sur elles.

In situ, j’ai écouté Hélène Riff faire des lectures, raconter sa propre expérience du Gingko, où son fils à marché pour la première fois et où elle a pu terminer son livre. C’était émouvant. Puis elle a distribué à tout l’auditoire des graines de ginkgo sur lesquelles elle avait, de son trait si fin, dessiné des visages. De retour chez moi, j’ai planté ma graine dans un pot. Depuis, je surveille. Voilà qui offre un épilogue très convenable, de toute façon je n’ai rien de mieux : on prétend que c’est le passé qu’on enterre, mais en fait parfois c’est l’avenir, puis on attend qu’il pousse.

La dernière vie du Posthume

07/07/2014 3 commentaires

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Je l’aime, mon petit Posthume. Je pense parfois que Jean Ier le Posthume roman historique est ce que j’ai écrit de meilleur, parce que c’est un livre à la fois léger et profond, et que légèreté+profondeur=élégance. J’ai donc le coeur un tout petit peu brisé depuis que Magnier, il y a deux ans, a décidé de le laisser mourir d’épuisement. Aujourd’hui, on rencontre ce livre d’occase sur des sites spécialisés, à des prix hallucinants, 15 à 40 euros, n’importe quoi la spéculation, là ce sont mes couilles qui s’en trouvent brisées, un tout petit peu.

Je suis rentré du salon de Montfroc hier soir sous l’orage. Comme d’autres sont droits dans leurs bottes, je suis droit dans Montfroc. J’adore décidément ce salon de cambrousse, dans un village de 80 âmes, tenu à bout de bras par les autochtones (André Bucher & Co), où l’on ne vend quasi-rien mais où l’on est en excellente compagnie. Un grand plaisir de retrouver les habitués (avec une pensée émue pour un absent), et de rencontrer des auteurs nouveaux (là, par exemple, un écrivain nommé Marc Graciano présentait son premier roman, Liberté dans la montagne, vraie découverte, achetée et posée sur ma pile). Au département « Jeunesse », j’ai tant et plus discuté avec le couple Patrice Favaro et Françoise Malaval, qui sont gens formidables, et avec ma voisine de stand, Calouan, extraordinairement douée pour deviner les prénoms des individus rien qu’en les dévisageant, talent de salon (cadeul’dire) qui touche presque au surnaturel. J’en suis dépourvu. Je n’ai même pas deviné le sien, il a fallu qu’elle me le révèle.

Or il se trouve que le libraire en charge de ce salon est, pour la dernière année peut-être étant donnée la crise partout-partout mais surtout ici, l’extravagant Bleuet, sous l’égide de l’étrange monsieur Gattefossé. Le Bleuet, victime de ses ambitions, vit peut-être ses derniers mois, du moins sous cette forme, et c’est triste comme une utopie qui percute la réalité et ne s’en relève pas. Mais ! Mais ! Mais ! Une bonne nouvelle cependant, vue de ma lucarne. Le Bleuet, qui périt justement sous le poids de ses stocks pharaoniques, est sans doute la dernière librairie de France qui dispose de Jean Ier le Posthume (il lui en reste 5 ou 6 exemplaires, je crois). Vous cherchez à vous procurer ce livre désormais rarissime ? Evitez les escrocs, commandez-le à son prix d’origine, en ligne sur le site du Bleuet.

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